001 - Freeze, roi des voleurs
"Tu es entré, ça y est, Walt' ?"
L'homme aux cheveux bruns rajusta son oreillette et avisa les alentours. Personne dans cette pièce, comme prévu. Les choses allaient se corser plus tard, il le savait bien, mais cela ne l'empêchait pas de rester parfaitement serein. Il esquissa même un sourire.
"C'est bon, j'y suis. T'as trafiqué les caméras ?
- Et comment ! Fais juste gaffe aux gardes, okay ?
- Ouais, ce serait dommage de louper le casse du siècle à cause d'un imbécile de vigile..." souffla Walter en tapotant gentiment son Oniglali, qui lévitait à ses côtés.
Il entendit sa partenaire soupirer à l'autre bout du fil, et décida de passer à l'action. Le musée de Maillard était immense, et rivalisait aisément avec celui d'Argenta, il était donc difficile de s'y repérer de nuit. C'était sans compter sur l'intelligence et la prévoyance du trentenaire, qui avait la chance de connaître une hackeuse professionnelle parmi les plus compétentes de la région d'Unys.
"Okay, eh bien je suppose qu'il est grand temps de s'éclater, maintenant !" songea-t-il en souriant.
Le voleur sortit son arme de son étui. Un pistolet entièrement argenté, tout ce qu'il y avait de plus banal. Sauf qu'il était particulier. En effet, Walter étant également un scientifique, il avait pris le soin de le bidouiller un peu pour satisfaire ses exigences. Maintenant, il était tout à fait paré pour dérober le tout dernier trésor de valeur arrivé dans la collection du musée.
L'homme brun promena une dernière fois ses yeux gris dans la pièce, puis avança jusqu'à la suivante. Celle-ci était pleine d'artéfacts anciens, mais ayant bien moins de valeur que l'objet qu'il convoitait. Sa partenaire lui communiquait diverses informations à travers son oreillette, ce qui avait tendance à l'agaçer. Malheureusement, il ne pouvait pas agir seul sur un coup pareil. Le musée de Maillard étant extrêmement protégé, il avait besoin d'une aide extérieure. Et puis, de toute façon, il s'en débarrasserait le moment venu en filant sans crier gare avec le trésor, comme il l'avait déjà fait avec son précédent partenaire de braquage. Un homme sans morale, Walter Leary. Mais ça ne le dérangeait pas le moins du monde d'être méprisé par ses pairs. Pour dire les choses simplement, il s'en moquait comme de sa première chaussette. Bien que, d'un côté, il regrette un peu l'idée de perdre l'amitié d'une fille aussi douée que Liz Bradley. Malheureusement, dans son métier, il fallait faire preuve de professionnalisme avant tout.
Il marchait à pas de loup, si bien qu'il ne faisait aucun bruit. Les années de pratique l'avaient endurci et il incarnait maintenant la discrétion même. Son Pokémon flottait à côté de lui, son expression constamment grognon sur le visage. Oniglali avait toujours été le seul Pokémon du voleur, et il lui servait beaucoup dans tout ce qu'il entreprenait, que ce soit en combat ou pour autre chose. Walter s'arrêta net lorsqu'il entendit un bruit de pas. Il ne savait pas d'où cela pouvait provenir, étant donné qu'il n'y avait pas la moindre lumière dans la salle. Il sentit Oniglali devenir nerveux, et s'empressa de l'apaiser.
"T'en fais pas, ça doit juste être un gardien qui passe dans le coin. Suffit de se faire discret.", chuchota-t-il.
Aussitôt dit, il se colla contre le mur, juste à côté de la porte qu'il avait franchie pour arriver dans cette pièce, et attendit. Les pas se rapprochaient, et il put certifier que l'autre personne, qui que ce soit, se trouvait dans la même salle que lui. Le voleur tendit l'oreille, pour entendre un son faisant penser à une main se grattant la tête. Ce fut trop tard lorsqu'il entendit un déclic mécanique ; la lumière l'aveuglait, et l'homme dodu en uniforme d'agent de sécurité, qui devait assurer seul la ronde du soir, étant donné qu'il n'appela personne, s'approcha de lui. Walter veilla à bien garder la main serrée sur la crosse de son pistolet.
"Vous êtes venu piquer des trucs ? Pas de chance, vous allez finir au poste, mon gars."
L'individu à l'air peu intelligent se tint le menton un instant et regarda le trentenaire brun dans les yeux.
"Un dernier truc à dire avant que je vous embarque ?
- Volontiers, laissez-moi y réfléchir."
Le gardien hocha la tête, certain d'avoir le contrôle de la situation. Il ne pouvait pas savoir à quel point il se trompait. De plus, il faisait preuve d'une négligence risible, en ne fouillant pas le voleur, qui tenait fermement une arme dans sa main gauche.
"C'est bon, je suis prêt pour mes dernières paroles... maman, je suis désolé d'avoir revendu ton vase super moche après ta mort pour pouvoir m'acheter un canapé !"
L'agent de sécurité regarda son interlocuteur avec des yeux de Magicarpe frit. Ce qui causa inévitablement sa perte. Tout se passa trop vite pour qu'il puisse se rendre compte de quoi que ce soit. Walter pointa son arme sur l'homme, puis appuya sur la gâchette. Le projectile ressemblait à une balle, mais ce n'en était pas vraiment une. Cela s'apparentait plus à une sorte de minuscule capsule bleue remplie de... liquide cryogénique. Plus précisément la formule C-53 que le voleur avait pu mettre au point. Elle portait ce nom car il lui avait fallu cinquante-trois cobayes pour qu'elle soit fonctionnelle. Non mortelle, elle ne faisait que paralyser temporairement le corps pendant une durée variant selon les victimes. L'homme brun sourit en regardant la statue de glace figée, puis tapota la tête d'Oniglali.
"Merci, mon vieux. Sans ta glace, j'aurais rien pu faire.
- Onii !"
En effet, la formule scientifique mise au point par Walter avait été créée en utilisant la glace d'Oniglali, qui s'était révélée plus difficile à maîtriser que prévu. Mais à force de tests et d'expérience en tout genre, il avait réussi à la perfectionner au maximum. Sans attendre, il contourna le garde congelé et poursuivit sa route, serein, à travers les diverses salles d'exposition. Il grimaça lorsqu'il entendit des grésillements, suivis de la voix de Liz, sa partenaire de la soirée.
"Tu fais quoi, là ? Tu parlais à qui ?
- Oh, un type qui faisait sa ronde. J'ai été obligé de le faire taire, mais rassure-toi, je n'ai pas commis de meurtre.
- C'est déjà ça... soupira-t-elle. Bref, tu en es où, là ? Tu as atteint la salle sur l'expo du XVème siècle ?"
Le voleur secoua la tête, avant de se souvenir qu'elle ne pouvait pas le voir. Il lui répondit par la négative, et reçut un soupir las en retour. Elle était bien trop pressée à son goût, cette fille. Lui, il voulait faire les choses tranquillement et bien, comme il en avait l'habitude. De toute façon, bien que le temps de cryogénisation varie d'une victime à l'autre, on ne pouvait se décongeler avant une heure ou deux. Il avait donc largement le temps d'errer dans le bâtiment et de commettre son larcin en toute impunité.
"Sérieux, magne-toi, avant que je sois tentée de réactiver les caméras de surveillance."
Walter grommela dans sa barbe inexistante, puisque rasée, et accéléra le pas. Cette pirate informatique irascible n'était pas la femme la plus agréable qui soit, mais il la savait compétente, et ça lui suffisait. Il se plierait donc à ses exigences moindres pour l'instant.
Lorsqu'il eut enfin atteint la salle qu'il cherchait, il sourit. Un sourire de triomphe.
"Okay, Oniglali, c'est parti. On va l'avoir, notre trésor."
x x x
La jeune femme aux cheveux teints en bleu rajusta ses lunettes de soleil, qu'elle portait toujours sur le front, et avisa les divers écrans disséminés dans le fourgon. Ce fichu voleur n'en faisait qu'à sa tête, et prenait beaucoup trop son temps au goût de la hackeuse, qui commençait à avoir des doutes. Il était certes de notoriété publique que les voleurs de profession agissaient souvent en solitaire et n'hésitaient pas à poignarder leurs alliés dans le dos, elle se sentirait tout de même trahie s'il s'avérait que Walter Leary lui joue un sale tour. Car malgré leurs différends, elle l'aimait bien.
"J'espère qu'il va se bouger le cul, j'ai pas que ça à faire d'attendre..." songea-t-elle.
Liz se figea lorsqu'elle sentit quelque chose de froid contre sa nuque. Machinalement, elle repoussa une mèche bleue en arrière et déglutit. Elle n'avait entendu personne s'approcher de la camionnette, et pourtant il fallait croire qu'on braquait une arme dans sa direction. Son Porygon-Z, qui lui était fort utile dans ses activités illégales, émit des sons inquiets. Elle se risqua à parler.
"A qui ai-je l'honneur ?"
Son interlocuteur ricana. Au timbre de voix, elle se dit qu'il s'agissait d'un homme.
"T'as pas besoin de le savoir. Je suis là pour Freeze, je sais que tu coopères avec lui.
- Bah voyons."
Elle se mordit la lèvre. Si ça pouvait lui sauver la vie, peut-être qu'elle dénoncerait son partenaire, mais elle était certaine que ce ne serait pas aussi simple que ça. Et lorsqu'elle avait un pressentiment, elle ne parvenait que rarement à s'en défaire.
"Tu me dis où est Freeze, sinon je te torture pendant des heures, et crois-moi, c'est mon sport favori.
- J'peux savoir ce que tu lui veux ?
- Deux, trois bricoles qui te regardent certainement pas, ma jolie. Crache le morceau."
Liz soupira. Elle était absolument certaine que Walter écoutait toute la conversation grâce à son oreillette. Elle adressa une dernière prière à Arceus, tout en maudissant son coéquipier de ne pas intervenir.
x x x
"C'est dingue, voilà pourquoi je le sentais mal, ce casse..." songea l'homme brun en cherchant parmi les objets celui qu'il convoitait tant.
Il trouva rapidement son bonheur, mais sursauta soudainement en entendant un bruit sourd, laissant donc tomber l'objet de valeur qui se brisa sur le sol. C'était un coup de feu. Il regarda autour de lui, mais rien ne semblait anormal. En fait, ça venait plutôt de son oreillette. Walter fit signe à son Pokémon de le suivre.
"Putain, elle s'est faite descendre ! On dégage."
Il courut aussi vite que possible, Oniglali le suivant de près. Il savait bien ce qu'on lui voulait, et il n'avait sûrement pas envie de se laisser faire. Depuis quelques temps, pas mal de criminels notoires voulaient lui racheter - ou même lui voler - les précieuses formules qu'il avait mises au point lui-même. Evidemment, c'était hors de question qu'il les cède à quiconque. Elles étaient siennes, un point c'est tout.
Une fois qu'ils furent hors du musée, l'homme brun s'autorisa une courte pause.
"Bordel, on risque de se faire buter à tout moment si le psychopathe qui a tué Liz est encore dans le coin..." songea-t-il, agacé.
Il se remit en marche, plus lentement cette fois, pour rejoindre sa voiture, garée dans la rue la plus proche. Il rappela Oniglali dans sa Pokéball, et quitta rapidement le quartier du musée pour rejoindre son hôtel. Walter Leary, aussi connu sous le nom de "Freeze" en référence à ses méthodes peu communes, avait beau être l'un des meilleurs voleurs de son temps, il n'était pas infaillible. Le casse du musée de Maillard fut son premier échec, dont il se souviendrait encore longtemps.