IV - "C'est fini. Cours"
Rachid, en dépit des avertissements de ses parents, se dirigeait vers la grande pièce dans laquelle était enfermé Mushana, le principal sujet d'étude au laboratoire. Son père lui avait fermement déconseillé de lui rendre visite, car le Pokémon était fatigué et en cours de traitement. Il aurait apparemment quelques problèmes de santé bénins. Mais l'enfant, en dépit de son jeune âge, n'était pas dupe. Il se doutait bien que la santé de son ami Mushana se dégradait de jour en jour, et ce à cause de toutes ces expériences réalisées sur lui. Il n'avait sans doute plus vu la lumière du jour depuis des mois, mais semblait tout de même serein. Rachid accéléra le pas, traversant rapidement les couloirs éclairés du complexe.
Lorsqu'il arriva dans la salle, il fut soulagé de constater qu'il n'y avait aucun employé du laboratoire. Il se serait trouvé dans de beaux draps, sinon. Il déglutit et s'approcha de la grande cuve remplie de liquide rosâtre, dans laquelle baignait le Pokémon des rêves. Les yeux clos, comme à l'accoutumée, il semblait dormir d'un profond sommeil. L'enfant sourit. Il se remémora tous les bons moments passés en compagnie de Mushana et d'Oryse, et ne put retenir bien longtemps un sanglot étouffé, qui résonna un moment pour s'éteindre ensuite.
"Mushana..."
A l'entente de son nom, le Pokémon remua un peu, signe qu'il écoutait ce que disait le jeune dresseur.
"Ils disent que tu as des problèmes de santé, et que ce n'est pas grave... mais je vois que tu souffres.
- Muu...", geignit faiblement le Pokémon, à bout de forces.
Le garçon posa ses mains chaudes sur la paroi glacée de la cuve, et frissonna suite à ce contact désagréable. Il caressa le verre lisse, observant, sans dire le moindre mot, son ami qui souffrait en silence. C'était pour lui une épreuve extrêmement difficile de rester là, sans pouvoir agir, alors que la douleur consumait Mushana. Il aurait voulu faire quelque chose, n'importe quoi, mais cela lui était tout simplement impossible. A ce moment précis, il se mit à maudire ses parents. Après tout, la décision d'expérimenter sur Mushana venait de son père, le superviseur du projet d'Etudes sur le Rêve. Et sa mère ne s'y était aucunement opposée, au contraire. Peut-être que finalement, cet homme du gouvernement, avec sa longue chevelure rousse, avait eu raison de vouloir la libération de Mushana. Mais les Orwell, ainsi que tout le personnel du complexe, avaient trop soif de connaissance pour ralentir leurs recherches de la sorte.
L'enfant n'entendit pas la porte s'ouvrir derrière lui, trop occupé à ruminer ses mauvais sentiments. Une voix douce et chaleureuse qu'il connaissait bien l'interpella.
"Rachid ?"
Pas de réponse, le garçon se murait dans son silence effrayant, ne quittant pas des yeux son ami enfermé dans un vulgaire tube et baignant dans un produit quelconque. Oryse s'approcha, compréhensive, et lui posa une main sur l'épaule. Il daigna se tourner vers elle, en larmes.
"Que fais-tu là ? Tes parents vont te sermonner si tu restes ici. Allons ailleurs."
Mais Rachid s'y opposa fermement. Il ne voulait pas quitter cette pièce. Il voulait juste rester, là, avec son ami. Juste un peu. Quelques minutes.
"Je t'en prie, Rachid, tu vas avoir des problèmes si on te trouve ici. Mushana va bien, d'accord ?
- Tu mens !"
Cette réplique cinglante figea Oryse. La jeune stagiaire ne savait plus trop ce qui se passait, et était loin de contrôler la situation. A contrecœur, elle s'éloigna un peu de l'enfant, restant toutefois à quelques mètres. Il pleurait à chaudes larmes, le front collé contre la paroi de la cuve, le corps tremblant. Le silence pesant et froid de la pièce n'était entrecoupé que des sanglots du gamin, qui pensait la fin de Mushana proche.
"Je suis désolée... de t'avoir menti, mais comprends-moi, c'est difficile pour tout le monde. Mushana va bientôt mourir et on ne connaît pas le cause de son mal.
- Mon père sait soigner tous les Pokémon, rétorqua Rachid. Pourquoi pas lui ? Je ne comprends pas... je ne comprends rien...
- Viens là, mon cœur, viens."
L'adolescente l'enlaça dans une étreinte fraternelle agréable, l'arrachant à la froideur du tube de verre. La chaleur se répandit de nouveau dans son corps, et il semblait moins pâle qu'avant, alors qu'il était prêt à tomber dans les pommes. Ils se séparèrent tous les deux, aussi dépités l'un que l'autre par la mort imminente de Mushana. Mais si la cause de son mal était inconnue, il n'y avait aucun moyen de le soigner. Lui injecter des antibiotiques au hasard n'allait pas arranger les choses non plus. Ils ne pouvaient qu'attendre, résignés, la fin de ce Pokémon à la vie tout sauf idyllique. Mushana aurait certainement rêvé de gambader dans une forêt avec d'autres Pokémon, et au lieu de cela, il était enfermé dans une cuve. Le Pokémon des rêves était incapable de réaliser les siens. Un peu paradoxal.
Malcolm et Rachel Orwell, après avoir vu à l'écran de leur bureau un changement inquiétant dans les constantes de Mushana, se précipitèrent dans la grande salle. Ils y trouvèrent Rachid et Oryse, tous les deux étant comme en transe, fixant la cuve de Mushana.
"Rachid ! Eloigne-toi, ça risque d'exploser !" avertit son père, inquiet.
Oryse, plus réactive que l'enfant, le prit par la main pour l'éloigner un peu. Son cerveau tournait à plein régime. Exploser ? C'était quoi, encore, cette histoire ? Malcolm s'empressa de les renseigner, tout en observant nerveusement les réactions physiques du Pokémon, dont les muscles commençaient à se contracter d'une façon inhabituelle.
"Ses constantes sont instables. Le taux de produit chimique dans son sang est devenu trop important et est en train de causer une surcharge d'énergie psychique. Ses tissus doivent être en train de se décomposer, à l'heure actuelle... merde !
- Papa, non... Mushana... sanglota Rachid.
- Oryse, emmène Rachid hors du complexe !" ordonna Rachel, les larmes aux yeux, sentant la fin proche.
L'adolescente hocha la tête mais le garçon ne voulait rien savoir. Il se débattit fermement, et la pauvre stagiaire peinait à le calmer. Son père vint se poster devant lui pour l'enlacer. Une dernière fois.
"Tu dois survivre. Mushana... Mushana restera toujours là, d'accord ?"
Il posa sa main au niveau du cœur de son fils, qui hochait machinalement la tête, hagard.
"Nous avons été présomptueux. Qui joue avec le feu se brûle... nos expériences nous ont aveuglés, et nous n'avons pas pris en compte les sentiments de Mushana. Sois un homme, Rachid, et accepte d'aller de l'avant. D'accord ?"
Malcolm Orwell était en larmes. Derrière eux, Rachel s'évertuait à retarder autant que possible l'explosion, qui ne tarderait pas à se produire. Le garçon regarda son père, ne comprenant que trop bien ce qui allait suivre.
"Papa... non, tu peux pas...
- Je dois le faire, Rachid. Je dois te protéger, même si je dois y laisser ma vie.
- Non... non... je peux pas vous perdre ! geignit l'enfant, sanglotant de plus belle.
- C'est fini. Cours."
Oryse prit cela comme un signal et prit le garçon dans ses bras, courant le plus vite possible pour atteindre la sortie du complexe. Les deux scientifiques s'affairaient pour retarder davantage l'échéance et leur permettre de s'enfuir. Ce n'était qu'une question de secondes. Les dernières paroles de son père résonnaient aux oreilles de Rachid comme une plainte sourde dont il se souviendrait éternellement.
Ils sortirent tous deux du complexe. L'adolescente était essouflée. Ils observaient fixement le grand laboratoire, qui ne tarderait pas à se transformer en un champ de ruines fumantes. L'explosion se fit entendre jusqu'à Ogoesse, et des citoyens ne tardèrent pas à arriver pour constater l'étendue des dégâts. Il ne restait plus grand chose suite à cela. Du chaos. Rachid et Oryse furent conduits à l'hôpital. La stagiaire avait reçu un morceau de mur dans la jambe, en protégeant l'enfant. Mushana avait disparu, en même temps que les Orwell et leurs rêves...