Chapitre XIII - L'Etoile qui traversait les ténèbres
« Alors, qui êtes-vous ? »
Nathan répondit à son interlocuteur d'un sourire radieux.
« Marek Noct. »
Un court silence se fit entendre, suivi de la réaction attendue.
« Bonne réponse. »
Croisant les doigts, le véritable Marek, visiblement satisfait, entama quelques explications.
« Tu vois Nathan, tu es quelqu'un de spécial. Tout comme moi. Il en est ainsi, nous sommes nés pour régner. Il est vrai que certains, et je les respecte, arriveront à atteindre un niveau convenable à force de détermination… mais même des vies d'entraînement ne leur permettraient pas d'atteindre une once de notre talent. »
Sceptique, Nathan quitta son lit, commençant à jauger son interlocuteur d'un regard appuyé.
« -Et c'est pour me faire comprendre cela que vous m'avez enfermé dans une illusion aussi agaçante ?
-Exactement. »
Le Maître de la Ligue se leva à son tour, soutenant le regard.
« C'était le moyen le plus rapide de te partager mon état d'esprit, et de précieux souvenirs. Tu l'as vu non ? Mon père ? Il me dégoûte tellement. Un homme faible. Il n'est pas comme nous. Pas comme mes ancêtres. »
Pendant un court instant, on put apercevoir de la tristesse dans les yeux de l'homme, tristesse qu'il cacha rapidement au plus profond de lui même alors qu'il reprenait son discours d'un ton assuré.
« Mais ensemble, nous avons les moyens d'accomplir de grandes choses Nathan. Je conçois que le moyen de te le faire réaliser n'était peut-être pas des plus agréables, et je te laisserai donc encore quelques temps pour y réfléchir. En attendant, les commandants se sont proposés à faciliter ton insertion. Victoria te présentera nos locaux tandis qu'Aegon t'exposera le projet Symphonie de la Nouvelle Lune. Je suis sur que tu meurs d'envie d'en savoir plus, après tout c'est ce qui t'a poussé à nous rejoindre n'est-ce pas ? »
D'un geste de main, il ordonna à son subordonné de se taire, quittant la pièce d'une démarche impériale en laissant le jeune homme seul avec ses pensées. Pour qui se prenait-il ? Il est vrai qu'on pouvait leur trouver une ressemblance certaine vis à vis du talent, et des aspirations élitistes similaires… mais Nathan, lui, avait mérité tout ce qu'il avait obtenu jusque lors. Tandis que l'héritier de la Maison Noct s'était contenté de naître avec une cuillère d'argent dans la bouche, Nathan avait dû atteindre sa position actuelle à la force de cette détermination que Marek répugnait tant. Oui, ils étaient semblables, mais en rien similaires : des égaux tout au plus.
Cependant, se voir accorder une telle reconnaissance par son supérieur était au final bénéfique : l'étoile montante avait décidé de rejoindre Penumbra en quête de la puissance qui lui était due, et le général de l'organisation semblait visiblement prêt à faciliter cette ascension. Grand bien lui en fasse, s'il souhaitait jouer les meilleurs amis, le dresseur était prêt à le faire jusqu'à accomplir ses propres objectifs. Mais dans l'immédiat, il était temps d'en apprendre plus sur son nouveau foyer, et plus particulièrement sur le plan qui était la raison de sa présence en Neto : la Symphonie de la Nouvelle Lune. Un projet de grande ampleur gardé si précieusement qu'il n'avait pu en tirer que quelques maigres informations alors qu'il fouillait la base de donnée de Penumbra : connaissant la minutie de Noct, cela ne pouvait qu'être quelque chose de faramineux, voir d'insensé. Et dans quelques heures, il allait enfin connaître la vérité sur toute cette affaire…
« -Qui es-tu ?
-Pardon ? »
Ned, l'un des commandants de l'organisation quand il ne jouait pas le rôle de bienveillant dresseur de type combat au sein du conseil des quatre, venait de pénétrer dans la chambre et regardait Nathan d'un air interrogatif.
« Je t'ai demandé qui tu es. »
Son regard se faisait plus insistant alors que Nathan tentait d'analyser la situation, las des énigmes.
« -Jusqu'à nouvel ordre, pour toi, je serai simplement Nathan.
-Enchanté alors, il me semble que nous n'avions pas encore eu l'occasion de nous présenter convenablement. J'ai écouté Marek, j'espère qu'il ne t'a pas trop saoulé avec ses discours à dormir debout. »
La réponse était étonnamment pertinente. Au milieu de ces barjos masqués qui se donnaient de grands airs, il y avait au moins une personne détendue et avenante. On aurait presque pu supposer la création d'une nouvelle amitié au moment où les deux hommes se seraient la main si Ned Kischine ne s'était pas montré bien plus sérieux la veille, alors qu'il participait au procès en compagnie de ses collègues sous le pseudonyme de G.
« -Je te livrerai bien mon ressenti, mais j'ai peur que tu n'ailles tout répéter une fois terminé. Ce serait plutôt fâcheux pour moi de perdre mon tout récent poste de commandant.
-Ça me semble relativement logique. Du coup, contente toi de manger avec moi les midis et nous serons quitte. Aegon me fait peur et Victoria m'ignore. J'en ai le cœur -et l'estomac- brisé. »
La présence de cet homme au sein des dirigeants de Penumbra était véritablement un mystère : le respect qu'il éprouvait pour ses collègues une fois leur dos tourné s'approchait du néant et, tandis qu'il se dirigeait avec Nathan en direction de la cantine, il se mit même à débiter la liste des méchancetés qu'il faisait subir à Ike.
« Je mets du poil à gratter dans ses habits. C'est très drôle de le voir retenir ses convulsions avec toute la frustration du monde lorsqu'il fait face aux sbires. Une autre fois, j'ai mis des laxatifs dans sa nourriture. Il a passé la réunion des commandants à se tordre de douleur à force de se retenir. C'était vraiment très marrant aussi. Ah, et je t'ai parlé de la fois où j'ai coupé le courant alors qu'il était aux toilettes ? Le temps qu'il trouve un moyen de faire de la lumière, j'avais volé son papier. »
Ce joyeux farceur avait… au moins trente ans. Cet aspect espiègle contrastait totalement avec sa barbe fournie qui imposait le sérieux, mais il plaisait à Nathan. Restait-il encore à ne pas laisser les pitreries de Ned ternir la réputation du nouveau commandant.
« -Ned, pourquoi es-tu là ? Qu'est ce qui motive ta présence à Pénumbra hors du fait de pouvoir martyriser Ike ?
-Pouvoir Martyriser Aegon.
-Et… sinon ?
-Oh, je ne sais pas vraiment, ça m'occupe. »
Une réponse inattendue mais cependant dotée d'un certain sens, du moins pour Ned qui ne la compléta pas, trop occupé à gratter frénétiquement les cheveux châtains ébouriffés qui lui tombaient aux épaules.
« -Mince, je crois que je me suis mis du poil à gratter dans les cheveux.
-Ah…. Bon tant que j'y suis j'en profite pour te remercier d'avoir agi en ma faveur lors du procès.
-Pas de soucis, j'aurais dû continuer à manger tout seul sinon.
-Tu veux dire que toute cette argumentation sérieuse hier n'avait que pour seul but de t'éviter de manger seul ?!
-Grosso-modo.
-Mon Dieu, mais que diable te trouve Marek pour t'accorder autant de reconnaissance ?
-Il me trouve fort je crois. Très fort. Il y a un an, j'ai affronté la Ligue et notre combat s'est soldé par une égalité. Il m'a proposé de le rejoindre après ça. Il m'avait promis des cookies d'ailleurs, mais je n'en ai toujours pas vu à la cantine. »
L'homme sembla alors profondément frustré, puis se tourna vers Nathan en penchant la tête dans sa direction.
« -Tu peux me gratter les cheveux ? C'est pour me soulager du poil à gratter.
-C'est une blague ?
-S'il te plaît, je te donnerai des informations croustillantes sur les autres commandants.
-Je… bon très bien d'accord, mais c'est bien parce que je te dois ma place ici. »
L'étoile montante commença à gratter le crane de son compagnon qui répondait au massage d'un air béat.
La scène aurait presque pu continuer des minutes entières si Aegon, une pofiterole à la main, n'était pas apparu au milieu du couloir en se stoppant net face au spectacle improbable.
« -Bon sang, mais qu'est ce que vous faites ?
-Ça ne se voit pas ? Il me gratte la tête. »
Aegon sembla désabusé par la simplicité de la réponse. Après tout, elle était étrangement plutôt sensée. Nathan se sentit par contre un peu idiot de donner une telle image lors de sa première rencontre avec l'éminent champion du type acier.
«Vous deux, vous avez de la chance que nous soyons dans les quartiers privés ! Si je vous vois agir de la sorte face aux sbires, je peux vous assurer que je ferais tout remonter au général ! »
Vexé, Ned répliqua.
« -Gnanana, si je vous vois agir de la sorte face aux sbires, je peux vous assurer que je ferais tout remonter au Maître.
-Ned bon sang, tu es un commandant, tu devrais te comporter avec les honneurs de ton rang !
-Tu devrais de te comporter avec les honneurs de ton rang.
-Arrête de répéter ce que je dis !
-Arrête de répéter ce que je dis. »
C'en fut trop pour Aegon, qui de rage jeta sa pofiterole sur son collègue. Ce dernier, l'esquivant sans peine, la ramassa ensuite puis ouvrit largement la bouche de manière à pouvoir saisir entièrement l'aliment à l'intérieur, et l'avala d'un trait d'un bruit guttural.
« -Délicieux.
-Crois-moi Ned, tes pitreries ne dureront pas éternellement.
-Gnanana, tes pitreries ne dureront pas éternellement.
-Rah, fous-moi la paix ! »
L'homme aux cheveux argentés fit volte-face et s'éloigna d'un pas énervé tout en relevant ses lunettes, qui lui avaient glissé jusqu'au nez durant les hurlements. Sous le regard d'un Nathan médusé, Ned décrocha ensuite un morceau de la friandise qui était resté entre ses dents et le lui proposa, puis le termina joyeusement en se voyant opposé à un refus catégorique.
« -Tu as tort, c'était très bon. Épicée Crème, ma préférée.
-C'est ma préférée aussi quand on évite de la déglutir avant de me la proposer.
-Oh, dans ce cas dépêchons nous d'aller manger avant qu'il n'y en ait plus ! »
Joyeusement, Ned traîna son compagnon à travers d'autres couloirs métalliques jusqu'à ce qu'ils atteignent une salle où avaient été déposés divers plats. Ils se mirent donc à table, Nathan se voyant à l'occasion expliquer que les quartiers des commandants étaient séparés de ceux des sbires. Il pouvait donc pour l'instant se balader sans crainte dans le morne labyrinthe d'acier qui servait de base à Pénumbra, dans l'attente de récupérer un masque qui l'autoriserait à rencontrer les sbires.
« -Aegon est toujours comme ça. Un jour, j'ai peint des éclairs sur les murs de son laboratoire. C'est cool, les éclairs.
-Et alors, qu'est ce qu'il s'est passé ?
-Il courrait partout en hurlant « à l'assassin ! ».
-Je suppose que c'était légitime.
-Légitime et très marrant. »
Le repas se poursuivit sans encombres. A défaut d'être très brillant, Ned était d'excellente compagnie, et ses histoires prouvaient qu'il valait mieux soutenir ses bêtises qu'en faire les frais. Ike avait une terreur noire de son collègue, Aegon le haïssait et Victoria l'ignorait tout simplement. Vis à vis de Marek, aucune information néanmoins, il semblait donc que le Chef de la Ligue Symphonique était l'unique personne avec laquelle Ned se comportait sérieusement.
« -Et donc, Aegon est le seul gars à ne pas lécher totalement les bottes du général. Mais ne va pas croire qu'il deviendra ton ami pour autant : il est là uniquement pour son profit personnel. Tout l'opposé de Ike qui est prêt à tout pour Marek, et lui raconte chacun de nos faits et gestes. Même Victoria n'y échappe pas, alors qu'elle est officiellement la promise de l'héritier Noct. Tu te rends compte ?
-Marek ne tient pas Victoria plus en estime ?
-Pas vraiment. En fait, je ne pense pas qu'elle lui plaise. Il est trop occupé par son travail. Pas de soucis, moi je veux bien m'occuper de Victoria à sa place. »
La raison pour laquelle la maîtresse du type spectre ignorait son prétendant était à présent plus qu'évidente…
« -Ned, j'ai du mal à savoir si tu es insouciant, complètement débile, ou si tu te fous simplement de ma gueule.
-Probablement un peu des trois.
-Ça a le mérite d'être franc.
-De toute façon tu devras te contenter de moi. Ike te déteste, Victoria a de très gros soupçons à ton égard et Aegon n'apprécie personne de base.
-Une assez mauvaise nouvelle, je dois passer l'après-midi en sa compagnie pour qu'il m'explique ce qu'est la Symphonie de la Nouvelle Lune.
-Oh, la symphonie.
-Je suppose qu'en tant que commandant, on est supposé connaître le plan dans les moindres détails ?
-Aucune idée, je dormais durant la présentation. »
L'affirmation semblait sincère, confirmant l'hypothèse qui germait dans l'esprit de Nathan comme quoi Ned était arrivé ici par hasard et restait pour la nourriture. Ce ne fut que l'apparition soudaine de Victoria, saluant froidement Nathan alors qu'elle lui jetait un masque aux motifs d'Ectoplasma, qui mit un terme à ces hypothèses.
« Félicitations, tu es à présent le commandant E. Dépêche toi donc d’enfiler ce masque, j'en ferai de même et te présenterai le complexe de l'organisation. »
Ned sembla charmé par cette apparition soudaine, et le fit d'ailleurs remarquer.
« Moi, c'est toi que je veux bien enfiler Victoria. »
Elle ne lui jeta même pas un regard de dédain, se contentant d'attendre Nathan qui venait de se lever, équipant son nouveau masque. Il était particulièrement confortable et léger, et le modificateur de voix s’avérait peu imposant. Un véritable travail d'orfèvre.
« -Allons-y, E.
-Victoria ? Victoria tu me vois ?
-Très bien, je vous suis S.
-Nathan, tu ne vas pas t'y mettre aussi ?
-Vous connaissez déjà les quartiers des commandants, je me contenterai donc d'une rapide visite du reste.
-Victoria ? Où dois-je dire S ? Je veux bien être ton M, mais pas sur que Marek m'autorise à changer.
-Pas de soucis, et j'aimerai si possible que vous m'indiquiez le laboratoire d'Aegon avant de me quitter.
-Hey, je rigolais, le latex en fait très peu pour moi.
-Très bien, allons-y. »
Ils quittèrent la cantine sous les vociférations indignées de Ned et entamèrent rapidement un tour de la base. Elle était située profondément sous terre, accessible par des passages cachés si retors qu'on ne pouvait les trouver sans chercher véritablement à rejoindre le complexe. De plus, la sécurité était plus qu'impénétrable, protégée par divers outils de haute technologie obtenus par Marek grâce à ses richissimes fonds personnels. La seule voie qui aurait permis de s'introduire ici était immatérielle : en effet, la base restait secrètement liée au monde par internet, mais à présent que l'intrusion de Nathan avait été découverte Aegon avait rapidement fait en sorte de corriger toutes les failles, et mis en place une défense étonnante. En effet, un Porygon-Z surnommé Mercure s'était vu désigner pour tâche la protection du réseau informatique. Oui, on pouvait le dire : Penumbra était à présent aussi virtuellement que physiquement impénétrable.
« Garde à vous ! »
Le cri éclatât tel un rugissement dans les rangs des sbires, qui venaient de s'aligner face aux deux commandants rentrant dans les quartiers communs. Des dresseurs favorables à la politique de Penumbra, en quête de puissance et de reconnaissance pour la plupart. Ils n'étaient d'ailleurs pas masqués, preuve de leur dévouement total à l'organisation, et portaient pour signe distinctif des habits noirs affublés d'une lettre P blanchâtre. Nathan, ou plutôt le commandant E, avait encore du mal à se faire à l'idée que ces personnes lui obéissaient à présent au doigt et à l’œil, le considérant comme une figure ultime d'autorité. D'un certain côté, c'était plus que gratifiant de voir que certains se donnaient totalement à l'élite une fois qu'ils avaient réalisé l'écart de puissance. Oui, c'était même une pensée rassurante : il est inutile de posséder le pouvoir si on est seul, mais il existe visiblement encore en ce monde des personnes prêtes à respecter cette puissance.
Rejoindre Penumbra n'avait pas été une erreur, l'ascension de l’Étoile Montante continuait finalement même à travers les ténèbres.
« -Repos soldats. Voici le Commandant E.
-Mes respects Commandant E ! »
La vingtaine de sbire prononça la phrase de manière simultanée. Ils regardaient Nathan d'un air mêlé d'envie et de crainte. Il fallait reconnaître que le général de Penumbra était fort sur un point : il recrutait ses membres uniquement en fonction de leur volonté, et se contentait comme il l'avait expliqué précédemment d'hypnotiser ceux qui refusaient de le rejoindre de manière à les voir quitter la région sans dévoiler l'existence de l'organisation. Tous ces « soldats » étaient donc véritablement prêts à l’impardonnable pour leurs supérieurs. C'en était au final presque effrayant : ils étaient si avides de puissance qu'ils se voyaient prêts à enfreindre impunément la loi. Et dieu sait combien il y avait d'autres personnes dans le même cas, enfouies telles des fermites derrière les murs de cette forteresse souterraine. En cet instant précis, Nathan remercia le ciel d'être né si talentueux, et d'avoir obtenu assez de pouvoir pour faire partie de ceux qui dirigent et non pas de ceux qui se laissent diriger en attente de mieux. Répondant d'une voix méconnaissable à travers son masque, il lança son ordre avec toute la jubilation du monde.
"Vous pouvez disposer soldats. »
Ils s’exécutèrent avec une précision rare et retournèrent immédiatement vaquer à leurs occupations : rangement, préparation de plans, entraînement… diverses équipes évoluaient distinctement au sein de Penumbra, dirigées par des sergents, soit les sbires qui avaient déjà fait leurs preuves. Ces derniers étaient eux-même sous les ordres des lieutenants qui répondaient directement aux commandants. En bref, toute une petite hiérarchie qui devait compter au bas mot une centaine de personnes. Les missions étaient évidemment attribuées aux gradés en fonction de leur importance. Ainsi, il n'était pas rare de voir un commandant s'absenter avec une équipe pour effectuer un objectif de la plus haute nécessité.
« -Bon, je pense vous avoir montré la totalité du domaine. Le laboratoire du commandant B se trouve au bout du couloir.
-Merci S. »
La visite avait bien duré une heure : principalement des enchevêtrements de salles métalliques, parsemés d'entrepôts qui servaient entre autre de lieux d’entraînement pour les sbires. Mais visiblement, Victoria n'avait pas apprécié la ballade plus que ça étant donné les derniers mots qu'elle livra à son camarade.
« Que ce soit clair par contre, E : je ne vous apprécie pas. Et je vous apprécierais encore moins si vous continuez de traîner avec l'autre abruti. Sur ce. »
Elle lui faussa compagnie d'une démarche impériale, le laissant pénétrer seul dans l’impressionnant laboratoire d'Aegon. C'était probablement la plus grande salle de Penumbra : envahie de machines étranges, d'étagères remplies à craquer de dossiers et surtout d’innombrables rangées de pokéballs. Alors qu'il s'aventurait dans ce dédale, tentant de ne pas faire tomber les piles de documents qui montaient jusqu'au ciel, Nathan se vit aborder par un assistant qui lui tendait des sphères bicolores bien connues.
« -Salutations Commandant E. Je suis le lieutenant Ivan, mais je ne dirige pas d'équipe, étant l'assistant direct de B. Voici vos pokéballs, nous avons soigné intégralement votre équipe.
-Merci Ivan. »
Nathan rangea les pokéballs à sa ceinture. Un immense sentiment mêlé de puissance et de satisfaction traversa son corps : ça y est, il était de nouveau invincible.
Au loin, on pouvait pendant ce temps apercevoir le maître des lieux qui secouait violemment son ordinateur en vociférant des insanités.
« Bon sang, mais tu vas me laisser accéder à la base de donnée ? Je veux une explication !»
En se rapprochant plus prêt de la scène, le récemment promu Commandant E remarqua l'image d'un porygon Z sur l'écran de l'ordinateur. La créature, malicieuse, prenait un malin plaisir à répondre aux requêtes d'une voix électronique moqueuse.
« Il faut le mot de passe pour accéder à la base de donnée. Allez, au revoir Commandant B. »
Tandis que le commandant en question s’acharnait de plus belle sur son matériel, Ivan en profita pour expliquer à Nathan que Mercure, le porygon Z chargé de la sécurité, restait très instable en dépit d'un travail remarquable. Cela ne semblait cependant pas convenir à Aegon dont on pouvait lire la frustration même à travers le masque.
« -Jamais, c'est une HONTE !
-Donnez le mot de passe, et je vous laisserais accéder à la base de donnée.
-C'est MON laboratoire, c'est MOI qui le paie, c'est MOI qui le gère et un petit crétin OSE faire de l'ingérence ? Et OSE faire ce qu'il veut chez moi ?
-J'ai mangé des pâtes à midi. Ah mais oui c'est vrai je peux pas, je suis un robot. M-D-R.
-C'est INADMISSIBLE.
-Donnez le mot de passe que je vous ai fourni plus tôt, et vous rentrerez dans la base de donnée.
-Je… je ! Je tolère l'idée de changer régulièrement de mot de passe pour des raisons de sécurité mais il est INTOLÉRABLE d'employer des codes aussi ridicules Mercure !
-J'attends.
-Raaah, je, je… bon, d'accord. Mais c'est la dernière fois !
-Alors, le mot de passe ?
-Oui, oui, très bien… le mot de passe est… « Babtou Fragile ».
-Accès autorisé. »
Porygon Z disparut de l'écran et un enchaînement de bips sonores se fit entendre. Le Commandant B, visiblement encore énervé par sa rencontre, se tourna vers son camarade et défoula sa frustration sur lui non sans une once d’agressivité dans la voix.
« -Vous voilà enfin ! J'espère que l'autre idiot ne vous a pas embrigadé dans ses combines !
-Je visitais la base en compagnie du Commandant E.
-Ce n'est pas une excuse valable ! Vous êtes en retard !
-Visiblement, j'arrive juste à temps pour que vous vous souveniez du mot de passe.
-Comment osez-vous ! »
De rage, il renversa une pile de dossiers importants sur lesquels se jeta son assistant. Ce dernier eut tort d'attirer l'attention de son supérieur, qui venait de trouver un nouveau défouloir.
« -Et vous, que faites vous là encore ? Ivan, je vous avais demandé d'aller rapporter leurs pokémons aux commandants !
-Mais j'attendais justement le commandant E pour…
-Ce n'est pas une excuse valable ! Grouillez vous où vous deviendrez à votre tour un sujet d'expérience !
-T-très bien.»
Ivan s'empressa de quitter la pièce laissant les deux commandants entre eux, permettant à Aegon qui se calmait lentement de sécuriser totalement l'accès au laboratoire. Il tapota ensuite quelques phrases sur son clavier, permettant d'activer un hologramme qui afficha au milieu de la salle une carte complète de Neto.
« -Je suppose que vous connaissez déjà la région.
-Ce serait dur de ne pas la connaître alors que je viens de la traverser. »
Nathan sentit un regard noir se poser sur lui, mais n'y prêta pas attention. Des flèches rougeâtres venaient d'apparaître sur la carte depuis Domino, Rêchebois, Lavaroc, Sidéra et Mirazur, mais elles pointaient toutes vers Doville. Aegon commença son explication.
« Nous avons, grâce à mon immense intellect, trouvé un moyen de prélever une énergie infinie.
En tant que dresseur, tu connais en effet déjà le principe de l'attaque dévorêve. Une technique qui, effectuée sur un pokémon endormi, permet de lui soustraire son énergie pour se soigner. Que dirais-tu si je t'apprenais qu'il est possible de stocker cette énergie, sans nécessairement l'utiliser pour soigner son pokémon ?
Un tel usage, barbare qui plus est, semble logique dans le cadre d'un combat, mais moi, j'ai réussi à voir plus loin. Grâce au nexus que nous fournit le général, nous allons accumuler une quantité inimaginable de puissance, suffisamment pour maintenir en respect toutes les autres institutions du monde établi. »
Sur du concept, ça semblait en effet être un plan des plus intéressants. Mais quelque chose clochait néanmoins : comment le rendre totalement fonctionnel ? Il aurait fallu aspirer une quantité incommensurable d'énergie pour rendre le projet possible
« -Commandant B, j'ai du mal à croire que vous allez le jour fatidique gentiment envoyer vos troupes dans la nature pour collecter les rêves des pokémons. Même si vous ciblez les grandes villes, cela me semble complètement impossible de réunir autant de puissance en un jour.
-Non, pas tout à fait, car ton esprit limité se trompe sur un point. »
S'assurant qu'il n'y avait plus personne, Aegon retira son masque, laissant transparaître un sourire heureux sur son visage. Tout en recoiffant ses cheveux argentés, il continua ses explications.
« Tu ne vois pas assez loin Nathan. Mais Marek et moi, nous sommes des visionnaires. Ce n'est pas l'énergie des pokémons que nous allons aspirer. Du moins, pas seulement. Le jour de la nouvelle lune, les troupes de Penumbra, éparpillées dans les villes affichées sur l'hologramme, utiliseront des pokémons spécialement entraînés pour aspirer l'énergie de tous les hommes, femmes et enfants qu'ils rencontreront.
Nous attaquerons durant la nuit, quand ils s'y attendront le moins, forçant les plus réticents à dormir grâce à des attaques hypnoses, pour aspirer leurs rêves jusqu'à ce qu'ils soient complètement vidés.
Un plan minutieusement millimétré, une véritable symphonie. »
Démentiel. Totalement démentiel.
« -Alors Nathanaël, qu'en pensez-vous ?
-Quelles sont les répercussions physiques d'une longue période d'exposition à l'attaque dévorêve ?
-Mmhh. »
Enfilant ses lunettes, Aegon, redescendant de son instant de démence, sembla chercher dans son esprit quelques informations qu'il n'avait pas. Visiblement, cela l'intéressait de toute façon très peu.
« Difficile à dire. De la léthargie au comas. Tout dépend des circonstances. Je pense même qu'il y a des risques de décès dans les cas les plus sévères. Mais après tout, on s'en moque. Les personnes destinées à être sauvées nous ont déjà rejoint. Oui, c'est un sacrifice nécessaire : nous allons certes sacrifier la région entière pour pouvoir accumuler assez de puissance, mais c'est pour la prospérité. Et puis, ne penses-tu pas que la plèbe devrait se sentir honorée de servir nos intérêts ? Après tout, c'est une occasion inespérée pour eux de donner un sens à leurs vies. »
C'était non seulement insensé, mais aussi complètement fou. Cependant, au plus profond de lui, Nathan ressentait de l'excitation. Une excitation tenace. C'était ce qu'il avait attendu toute sa vie : l'occasion ultime de devenir un dieu. Neto allait être sacrifiée sur l'autel de la prospérité de l'élite.
« -Nathan, es-tu des nôtres sur ce projet ?
-Totalement. Ça a beau être dément, je bous d'impatience à l'idée d'y participer.
-Ça tombe bien, notre symphonie prendra place dans quatre jours. D'ailleurs Marek souhaitait te voir à ce sujet, il m'a demandé de t'envoyer dans ses quartiers une fois notre entretien terminé.
-Soit, je vais donc m'y rendre de ce pas. Une dernière question par contre.
-Je t'écoute.
-Ne ressentez vous pas la moindre réticence à l'idée de sacrifier une région entière pour l'accomplissement de vos plans ?
-Pas le moins du monde.
-Très bien, je suis donc prêt à tout miser sur votre folie. A plus tard Aegon. »
L'esprit embrumé, Nathan se dirigea vers les quartiers de son supérieur. Il se répétait, mais c'était vraiment de la pure démence. Néanmoins, si la symphonie arrivait à exécution, c'était aussi une occasion totalement inespérée de voir ses désirs de puissance prendrent vie. Non, il ne s'était vraiment pas trompé en rejoignant Penumbra. Rapidement, le jeune homme traversa les couloirs, saluant les quelques sbires qui croisèrent son chemin, jusqu'à se retrouver devant l'entrée des appartements de Marek. Il toqua et reçut une invitation à entrer dans une de ces vastes pièces luxueuses dont il commençait à avoir l'habitude. Parures en soie fine, mobilier de première qualité… mais le clou du spectacle était probablement l'héritier de la maison Noct qui, confortablement installé devant son feu de cheminée, livra à son subalterne l'ultime information de la soirée.
«-La Symphonie de la Nouvelle Lune sonne-t-elle douce à tes oreilles Nathan ?
-Plus que jamais.
-Bonne nouvelle alors, car tu seras une des pièces majeures de son exécution. »