Apocalyptica de Drayker

« Tu penses qu'ils accepteront de nous recueillir ? demanda Lina.
- Je n'en sais rien. »

Ils marchaient tous deux dans le sable depuis une bonne dizaine de minutes. Thrak portait le corps inanimé de Jade, qui respirait à peine. Le colosse avait piètre allure ; et Lina boitillait à côté de lui, tout aussi mal en point.

Ils avaient attendu que le soleil décline pour quitter l'épave du fourgon - toute tentative de s'aventurer dehors avant la soirée aurait été suicidaire. Alors, ils avaient patienté, recroquevillés à l'arrière de la camionnette, regardant l'abri au loin avec anxiété.

Durant toute l'après-midi, une angoisse sourde avait tenaillé l'estomac du colosse. Ces longues heures passées à attendre que la température baisse avaient été une torture ; ils étaient si près du but, et devaient se faire violence pour ne pas courir vers l'abri et mettre un terme à cette histoire infernale.

Ni Thrak, ni Lina n'avait parlé ; ils savaient que cela ne servait plus à rien. L'heure n'était plus aux questions, aux doutes, aux interrogations.

C'était leur dernière chance. Ils avaient tout risqué pour atteindre ce bunker ; ils avaient essuyé une tempête de sable, enduré des jours de privation dans le désert, survécu à l'attaque d'un banc de Pokémon. Ils étaient malades, blessés, affamés, poussés à bout. Kate était probablement morte. Jade était elle aussi dans un état inquiétant. Il ne servait à rien de se morfondre en angoisses stériles. Il fallait juste aller de l'avant.

Et pourtant...

Et pourtant, alors qu'ils enchaînaient difficilement les pas l'un après l'autre, une tempête de doutes faisait rage dans l'esprit du géant au teint mat.

Que feraient-ils si le bunker était vide, ou si les gens à l'intérieur refusaient de les laisser entrer ? Que feraient-ils si, comme Thrak le craignait, X-Corp n'avait pas cessé son activité, et que les habitants de l'abri décidaient de reprendre les expérimentations menées jadis sur le colosse ? Était-il prêt à sacrifier sa liberté, à redevenir un cobaye, en échange de sa survie ?
Ces gens étaient-ils des survivants comme eux ? Savaient-ils ce qu'était devenu le monde, ou avaient-ils été préservés dans leur petite bulle de béton armé ?

Thrak savait à quel point le Changement avait modifié les mœurs des hommes ; bien qu'il fut amnésique, il se rendait parfaitement compte que ceux qui avaient connu le monde d'avant avaient eu du mal à se faire à la sauvagerie de celui-ci.

Les pillards, les hybrides, les gens du canyon... Tous avaient essayé de s'adapter à leur manière, de survivre à la canicule, au manque de vivres, au manque d'espoir. Mais si les gens dans ce bunker n'avaient pas eu à endurer toutes ces épreuves... alors les comprendraient-ils ? Comprendraient-ils leur désespoir ? Les sacrifices que Thrak et les autres durent commettre ? Les morts qui pesaient sur leur conscience ?

Allaient-ils les juger, du haut de leur piédestal doré ? Allaient-ils les prendre pour des dangers, des sauvages auxquels le monde avait arraché toute trace de civisme ?

Thrak ne se considérait pas comme un barbare. Il avait fait des choix ; il avait fait des erreurs, des sacrifices. Il s'était habitué à ce que les spectres du remord viennent le tourmenter la nuit ; il s'était habitué à se réveiller en sueur chaque soir, le cœur battant la chamade, tourmenté par les fantômes des disparus revenus lui reprocher leur mort. Il s'était habitué à se demander si les choses auraient pu se passer différemment ; Elise, Amara, Andrew, Joshua et tous les autres auraient-ils pu être encore là aujourd'hui s'il avait agi autrement ?

Le colosse jeta un regard torve à Lina. Le visage crasseux et sanguinolent de la jeune fille était fermé, stoïque, résolu à affronter ce qui les attendait dans ce canyon. Elle n'était pas armée ; pas plus que lui, d'ailleurs. L'affrontement avec le banc de Griknot avait eu raison de leurs dernières munitions.

Thrak avisa le ruban noir noué dans les cheveux plein de sable de Lina, et eut un sourire las. Il ignorait ce que ce ruban signifiait pour elle, mais il était tout aussi tenace que celle qui le portait.

« D'où est-ce que vient ton ruban ? » demanda le colosse de sa voix rauque.

Lina, perdue dans des réflexions probablement similaires aux siennes, leva un regard surpris vers Thrak. Lui-même fut étonné d'avoir parlé. D'ordinaire, ce n'était pas lui qui entamait les conversations. Il n'était même pas sûr que la réponse de Lina l'intéresse vraiment. Mais il avait besoin d'échapper à ses angoisses, d'oublier, ne serait-ce qu'un instant, que ce qu'il y avait dans le bunker pouvait être tout aussi peu enviable que le sort qui les attendait s'ils restaient dehors.

« Quand on s'est rencontrés dans le désert, tu l'avais dans la main, se rappela Thrak, pensif. Tu allais le jeter quand tu m'as aperçu.
- Bonne mémoire, monsieur muscle. » répondit Lina.

La commissure de ses lèvres se plissa en un demi-sourire fatigué. Elle était incapable d'en faire plus.

« Tu n'as jamais voulu me dire ce que c'était.
- Kate aussi me le demandait de temps en temps.
- C'est un souvenir de l'Ancien Monde ?
- C'était à ma sœur. » lâcha Lina.

Le colosse hocha silencieusement la tête, comprenant qu'il n'en obtiendrait pas plus. D'un accord tacite, tous deux s'enfermèrent dans le silence, et on n'entendit bientôt plus que le crissement de leurs pas dans le sable.

Le bunker n'était plus très loin, quelques centaines de mètres seulement. De là où ils étaient, ils pouvaient enfin le voir distinctement - hélas, il n'y avait pas à grand-chose à voir. Il s'agissait d'un bloc de béton bâti à flanc de montagne, et qui semblait s'enfoncer dans la roche. La partie visible de l'abri ne semblait être qu'une simple porte, haute de plusieurs mètres. Il ne faisait aucun doute que le reste du complexe se trouvait sous la surface, ou à l'intérieur de la montagne.

Thrak baissa les yeux et jeta un coup d’œil à Jade, inconsciente dans ses bras. Elle respirait à peine. Si personne n'était en mesure de la prendre rapidement en charge au bunker, elle allait mourir.

Un bruit de papier froissé à sa droite l'intrigua. Il tourna la tête et vit Lina qui portait une cigarette à ses lèvres.

« C'est ma dernière. » expliqua-t-elle avant de jeter son paquet vide.

Elle farfouilla quelques instants dans la poche de son jean et en sortit son briquet. La jeune fille dut s'y reprendre plusieurs fois avant de faire jaillir la flamme et d'allumer sa cigarette. Avec un soupir, elle expira de la fumée et leva la tête vers le ciel.

« Ça fait longtemps que je ne t'avais pas vu fumer, observa Thrak.
- Je voulais la garder pour la fin. »

Elle inspira une nouvelle bouffée et souffla, les yeux fermés, l'air rasséréné.

« Drôle d'ironie, hein ?
- Quoi donc ? demanda Thrak sans comprendre.
- Toi et moi, à marcher dans le désert, en espérant trouver de l'aide. C'est exactement comme ça que tout a commencé.
- Les choses ont changé depuis, protesta le colosse.
- La seule chose qui a changé, c'est que tout le monde est mort. »

Thrak s'apprêtait à répondre, quand un léger vrombissement lui parvint. Intrigué, il s'arrêta et tourna la tête.

« Tu entends ?
- Quoi ? »

Lina s'immobilisa à son tour et tendit l'oreille, sa cigarette aux lèvres.

« … On dirait un bruit de moteur.
- On accélère. » ordonna Thrak.

La jeune fille acquiesça et ils reprirent leur marche d'un pas pressé et mal à l'aise. Si un véhicule venait dans leur direction, alors cela n'augurait rien de bon...

« Tu crois que ce sont des habitants du bunker ?
- Aucune idée. »

L'abri n'était plus qu'à une grosse centaine de mètres. Ils pouvaient dorénavant distinctement apercevoir le logo de X-Corp qui s'étalait sur la porte blindée. Haute de plusieurs mètres, elle était incroyablement épaisse, probablement blindée, et semblait s'ouvrir sur la montagne.

Le vrombissement se faisait de plus en plus fort. C'était bien un moteur.

Un bruit de moteur que Thrak connaissait bien.

Celui d'un des fourgons de X-Corp.

~*~
Quand Joshua aperçut Thrak et Lina qui marchaient dans le sable, son cœur s'arrêta.

Ils étaient là.

Ils étaient vivants.

Et il amenait la mort droit sur eux.

Joshua jeta un regard à Kate, inconsciente à l'arrière. Sa peau était rouge vif, couverte de cloques ; mais elle respirait. Puis il avisa le regard incisif de l'Autre, assis sur le siège passager.

Se maudissant pour ce qu'il était en train de faire, le garçon pressa l'accélérateur.

~*~
« On fait quoi ? paniqua Lina.
- On fait face. » répondit Thrak.

Le bunker n'était plus qu'à une vingtaine de mètres. Le fourgon de X-Corp se rapprochait rapidement d'eux ; il ne faisait aucun doute que son conducteur les avait vu. Ils ne pouvaient qu'espérer qu'ils pourraient le convaincre de leur ouvrir la porte blindée et de les accueillir à l'intérieur.

La camionnette roulait dos au soleil couchant, et le colosse ne parvenait pas à voir combien de passagers elle contenait. Il jeta un coup d’œil à Lina. La jeune fille jeta son mégot de cigarette dans le sable et se campa sur ses jambes, prête à faire face à ceux qui arrivaient à leur rencontre.

Le fourgon ralentit, ses pneus crissant sur le sable. Il ralentit de plus en plus, alors que le cœur du colosse s'accélérait, prêt à exploser. Lorsque qu'il fut à une vingtaine de mètres d'eux, la camionnette s'arrêta enfin, et la portière côté conducteur s'ouvrit.

Le géant au teint mat ouvrit la bouche, prêt à expliquer leur situation à quiconque descendrait de ce fourgon.

Mais tous les mots moururent dans sa gorge lorsqu'il aperçut Joshua qui descendait du poste de conducteur.

~*~
Joshua claqua la portière et inspira profondément, et se mit à marcher vers ses anciens compagnons, d'un pas lent et coupable. Il rajusta la bandoulière de son fusil en soupirant.

Il lut la stupéfaction sur leurs visages. Il constata à quel point ils paraissaient maigres, malades, fatigués. Ils étaient couverts d'estafilades et de plaies diverses, maculés de poussière et de sueur. Lina semblait à peine tenir debout, et Thrak portait le corps inanimé de Jade dans ses bras.

Ils avaient survécu à tous les dangers du désert, et lui, Joshua, venait de les trahir en leur amenant le pire monstre que la terre ait porté.

Le garçon ne se réjouit pas de voir ses compagnons ; il ne se réjouit pas de voir le bunker derrière eux. L'appréhension paralysait son esprit, et il savait que si l'Autre ne respectait pas sa promesse, alors ils étaient tous condamnés.

Un silence de mort s'abattit sur le désert. Loin, très loin dans le ciel, un Rapasdepic croassa. Le temps semblait s'être arrêté. Seuls les pas de Joshua dans le sable venaient troubler ce calme malsain.

Puis, Lina cria.

« JOSHUA ! »

Elle se rua vers lui, titubant dans le sable. Des larmes de bonheur roulaient sur ses joues crasseuses.

La joie qui se lisait sur son visage acheva de briser le cœur de Joshua.

~*~
Lina sentit son estomac s'envoler lorsqu'elle aperçut Joshua descendre de la camionnette. Paralysée par la surprise, elle reprit cependant rapidement ses esprits et s'élança vers le garçon, peinant à croire à ce miracle.

« JOSHUA ! » hurla-t-elle.

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Comment était-ce possible ? Kate lui avait dit qu'il était mort !

Faisant fi de la douleur dans sa hanche, elle se précipita aussi vite qu'elle pût jusqu'au garçon.

Elle se jeta dans ses bras et l'enserra avec force, euphorique. Joshua lui rendit son étreinte sans grande conviction.

« Bordel, Joshua, ils m'ont dit que tu étais mort ! Je... je... Comment est-ce que... »

Lina releva la tête et aperçut l'air consterné du garçon, qui osait à peine la regarder.

« Joshua ? Qu'est-ce que... »

Il rompit lentement l'étreinte, et leva vers elle un regard chargé de regrets.

« Je suis désolé... » murmura-t-il.

La portière du fourgon claqua alors, et Lina regarda par-dessus de l'épaule de Joshua.

Et aperçut Lyrian, qui descendait tranquillement de la place passager.

Le monde sembla basculer. Le sang de Lina se figea à la vue de l'hybride. Son esprit, paralysé par la peur, comprit trop tard qu'il fallait fuir.

L'hybride leva des yeux sadiques vers elle. Des yeux de prédateur, qui étincelèrent soudain d'un éclat blanc.

L'instant d'après, Lina sentit ses pieds quitter le sol alors qu'un étau invisible la soulevait dans les airs, lui broyant les os et les membres.

~*~
« NON ! » rugirent Thrak et Joshua à l'unisson.

Le garçon se retourna et aperçut l'Autre qui tendait la main vers Lina. La jeune fille, suspendue dans les airs par une force invisible, porta les mains à sa gorge, comme si elle étouffait. Derrière elle, Joshua aperçut Thrak déposer le corps inanimé de Jade avant de courir vers eux en hurlant.

« LÂCHE-LA, MONSTRE !
- TU AVAIS DIS QUE TU NE LEUR FERAIS RIEN ! s'écria Joshua en saisissant son fusil en bandoulière.
- J'ai menti. » répondit simplement l'Autre.

L'image fugitive de sa petite sœur Mara, suspendue dans les airs par un Jakar psychopathe, fit irruption dans l'esprit du garçon. Avec un cri rageur, Joshua cala la crosse du fusil contre son épaule et fit feu.

La rafale n'atteignit jamais l'Autre ; l'hybride tendit son autre bras vers Joshua, et les balles se figèrent à mi-chemin, immobilisées en pleine trajectoire par une force mystérieuse.

Une profonde douleur à la poitrine saisit alors Joshua, qui gémit. Une souffrance lancinante et familière l'élança, sous la cicatrice de son thorax. Exactement comme après son réveil à Salmyre, quand Lyrian avait soi-disant fait de son mieux pour guérir son poumon perforé.

« Ce qu'un dieu donne, il le reprend. » énonça alors l'Autre en tendant son bras valide vers lui, les doigts crispés comme une serre de rapace.

Joshua cracha du sang et tomba à genoux. Il sentit quelque chose à l'intérieur de sa poitrine se déchirer. Sa respiration devint difficile, et un liquide chaud lui emplit la gorge, les bronches. Avec effroi, le garçon comprit qu'il était en train de se noyer dans son propre sang.

~*~
Lorsque Joshua s'effondra au sol et se mit à vomir du sang, Thrak comprit qu'il n'avait aucune chance de lutter face à Lyrian.

Malgré tout, il chargea en hurlant, et courut à toute vitesse vers l'hybride, qui le regarda s'élancer en souriant, un bras tendu vers une Lina suspendue dans les airs, l'autre vers Joshua qui agonisait.

Les yeux de Lyrian semblèrent scintiller d'une lueur blanche, et Thrak sentit une force invisible le cueillir au creux de l'estomac, lui coupant le souffle. Il fut projeté en arrière et s'écrasa deux ou trois mètres plus loin, meurtri.

Il avait cru que Lyrian serait trop accaparé par les sévices qu'il était en train d'infliger à Lina et Joshua pour se défendre.

Il s'était trompé.

Lyrian le regarda se relever en titubant et ricana.

« Arrête, Thrak. Tu es épuisé, blessé, meurtri, alors que moi, je n'ai fait que devenir plus fort depuis notre dernière rencontre. La dernière fois déjà, tu n'avais aucune chance face à moi, et tu espères encore pouvoir m'arrêter ?
- Peut-être pas. Mais je compte bien mourir en essayant.
- Tu n'as aucune idée de ce dont je suis capable. Cesse de lutter, tu me fais perdre mon temps. J'ai sauvé vos misérables vies... et maintenant, je les reprends.
- Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Qu'est-ce que tu veux ?! rugit Thrak, furieux de sa propre impuissance.
- A vrai dire, je voulais juste punir Lina pour avoir osé me tirer dessus. Mais il a fallu que Joshua se mette en travers de mon chemin, alors... »

Lyrian tourna la tête vers l'intéressé et serra le poing. Joshua eut un haut-le-cœur, et une tâche sanglante apparut sur son torse.

« Tu ne comprends pas ? Je suis capable de choses que vous ne pouvez même pas imaginer. A votre échelle, je suis un dieu. Votre dieu. Et le châtiment pour avoir tenté de s'opposer à son dieu, c'est la mort. »

Thrak se mit en garde, mal à l'aise. La dernière fois qu'il avait affronté Lyrian, le garçon était bestial, violent, sauvage - alors que cette fois-ci, il semblait étrangement posé et résolu.

Et donc infiniment plus dangereux.

« Tu n'es pas un dieu, lança le colosse. Tu es un monstre de laboratoire. Un cobaye. Comme moi. Comme tous les autres.
- Tu n'as aucune idée de ce dont tu parles, s'irrita Lyrian. Je n'ai rien à voir avec vous. Vous n'êtes que des sous-êtres. Des cloportes, qui... »

Une déflagration déchira l'air, alors qu'un éclair fulgurant frappait Lyrian dans le dos. L'hybride, frappé de plein fouet, s'effondra dans le sable, un trou fumant entre les omoplates. Aussitôt, Lina chuta vers le sol dans un cri, tandis que Joshua continuait à cracher du sang.

Stupéfait, Thrak leva la tête et aperçut Kate, appuyée au fourgon, l'air plus morte que vivante. Sa main invalide pendait lamentablement le long de son corps, sa peau était rouge, comme gravement brûlée, mais une étincelle de défi brillait dans ses yeux. Des étincelles crépitaient entre ses doigts.

« Surveille ton langage, petit frère. »

Elle tendit sa main gauche et un javelot d'électricité en jaillit, frappant Lyrian de plein fouet. L'hybride tressaillit, tétanisé.

« Kate ! Qu'est-ce que...
- Amène les autres au bunker, lui ordonna la jeune femme blonde. Je le retiens. »

Thrak recula, surpris. Son esprit fonctionnait au ralenti. D'où est-ce que Kate sortait ces pouvoirs ? Comment était-ce possible ?

« Thrak, bouge-toi ! s'écria Kate. Allez ! »

Le colosse se ressaisit et se mit à courir vers Joshua, qui semblait avoir du mal à respirer.

« Vous n'irez nulle part. » grogna soudain la voix de Lyrian.

Thrak jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et aperçut l'hybride qui se relevait. Ses vêtements fumants étaient carbonisés là où les éclairs de Kate l'avait frappé. Cette dernière leva sa main valide, prête à projeter une nouvelle flèche d'électricité sur son adversaire.

Des étincelles crépitèrent le long du bras de la jeune femme blonde, et un arc électrique fusa en direction de Lyrian. Ce dernier, trop rapide, l'esquiva d'un bond sur le côté et tendit la main vers Kate. L'hybride Métamorph fut projetée en arrière et percuta la paroi du fourgon, sonnée.

« Kate ! » s'écria le colosse.

Il s'arrêta, indécis. La jeune femme n'était pas de taille face à Lyrian. S'il la laissait seule l'affronter, elle mourrait. Mais s'il ne portait pas immédiatement secours à Joshua, le garçon risquait lui aussi d'y passer.

Le colosse jeta un regard désemparé à l'adolescent qui continuait à cracher du sang. Sa respiration était rauque, et son teint dangereusement pâle.

Et puis, leurs yeux se croisèrent, et Thrak put lire dans ceux de Joshua que ce dernier avait déjà pris sa décision.

« Vas-y. » disait le regard de Joshua.

Alors, le colosse fit demi-tour, et se rua sur Lyrian.

~*~
Lorsque l'étau invisible qui la maintenait dans les airs se volatilisa, Lina tomba de trois ou quatre mètres en criant.

Elle s'écrasa au sol dans un craquement sinistre, et une douleur fulgurante lui transperça la cheville droite. Les larmes aux yeux et l'esprit embrouillé par la souffrance, elle releva la tête et aperçut Joshua qui crachait du sang, alors que Kate semblait... jeter des éclairs sur Lyrian ?

Hagarde, elle vit Thrak se jeter sur l'hybride en criant. Elle cligna des yeux, peinant à comprendre ce qu'il se passait. Ses oreilles bourdonnaient, et le monde autour d'elle semblait tourner au ralenti. Le soleil couchant l'éblouissait. Sonnée, elle essaya de se relever, mais sa cheville droite refusa de soutenir son poids.

Elle voulut ramper jusqu'à Joshua, mais le garçon lui fit non de la tête. Son teint était pâle, trop pâle, et du sang lui maculait la bouche.

On dirait un cadavre.

Joshua sembla trouver la force de tendre le bras, et désigna le corps inanimé de Jade, à une dizaine de mètres derrière Lina.

La jeune fille se retourna et comprit ce que voulait dire le garçon.

Alors, le regard troublé par les larmes qui embuaient ses yeux, elle se traîna dans le sable chaud, jusqu'à Jade. Elle entendait les cris de Thrak et de Kate dans son dos ; elle entendait le crépitement des éclairs et la fureur du colosse, mais elle n'osa pas se retourner pour voir comment se déroulait le combat.

Elle arriva près de Jade, qui respirait à peine. Lina essaya de se redresser. Sa cheville était probablement brisée, sa hanche lui faisait souffrir le martyr, mais l'adrénaline la fit tenir debout malgré tout. Elle attrapa les bras de Jade et la traîna dans un effort surhumain, serrant les dents. Chaque cellule de son corps hurla de douleur, mais elle tint bon.

Allez... Tu peux y arriver...

Elle se mit à tirer Jade vers le bunker. Haletante et paniquée, elle jeta un coup d’œil instinctif vers le fourgon, et aperçut Thrak et Kate, tous les deux suspendus dans les airs. Lyrian, un bras tendu vers chacun de ses adversaires, ricanait en criant des choses que Lina ne comprenait pas. Joshua était allongé au sol, le sable autour de lui gorgé de sang.

Non... Non, non, non...

Elle serra les dents et continua à traîner Jade vers la porte blindée, priant pour que Lyrian ne les remarque pas.

Elle jeta un coup d’œil en arrière. L'entrée du bunker n'était qu'à quelques mètres. Si proche, et pourtant si loin.

La douleur était insupportable. Sa vue se brouillait, ses oreilles sifflaient, sa hanche était en feu. Les yeux plein de larmes, Lina releva la tête et aperçut les corps de Thrak et Kate qui s'écrasaient au sol.

Morts.

Ils étaient morts.

Lyrian tourna son regard vers elle, lui décocha un sourire carnassier et se mit à avancer vers elle d'un pas lent.

Lina recula, terrifiée. Elle se heurta à la porte blindée et lâcha Jade.

« C'est fini, Lina ! » lui cria Lyrian.

Il marchait vers elle sans se presser, se rapprochant inexorablement. Lina se retourna et frappa à la porte de toutes ses maigres forces.

« OUVREZ ! » supplia-t-elle.

Les lourds battants résonnèrent sous ses coups, mais aucune réponse ne vint. La jeune fille remarqua une sorte de scanner rétinien sur le mur à sa gauche. Inutile. Il était évident qu'elle ne pourrait pas entrer comme ça.

« Ça ne sert à rien ! » lança Lyrian, amusé.

Lina avisa l'interphone sous le scanner, et se rua dessus. Elle enclencha le bouton, et l'appareil se mit à grésiller.

« Allô ? Quelqu'un m'entend ? Allô ? » gémit-elle.

Pas de réponse.

« S'il vous plaît ! Ouvrez !
- Ils n'ouvriront pas, Lina ! Personne ne te sauvera !
- JE VOUS EN SUPPLIE ! » hurla-t-elle dans l'interphone.

Elle s'adossa au mur et se laisser glisser jusqu'au sol, abattue.

Lyrian n'était plus qu'à quelques mètres d'elle. Ses vêtements étaient troués, fumants, tâchés d'un sang qui n'était pas le sien ; son visage était crispé dans un rictus victorieux et dédaigneux.

Il enjamba le corps inanimé de Jade sans même la regarder, et saisit Lina à la gorge. La jeune fille voulut se débattre, mais la poigne de fer de l'hybride lui écrasa la trachée, et lui coupa la respiration.

« Vous auriez dû le laisser dans le désert, ce jour-là. » souffla Lyrian.

Il approcha son visage de celui de Lina, si près qu'ils se touchèrent presque. Une lueur blanche brillait dans les yeux du garçon. L'éclat de la folie.

Lina porta les mains à sa gorge et essaya de se dégager. L'hybride lui broyait la trachée. A bout de souffle, les yeux embués de larme, l'esprit embrumé, la jeune fille laissa ses mains retomber et ferma les yeux, acceptant la mort.

Le métal se mit alors à grincer. Quelque chose racla contre le sol. Quelque chose de lourd.

La porte.

Une voix autoritaire s'éleva alors, une voix masculine, qui avait quelque chose de familier aux oreilles de Lina.

« Lâche-la. »

La poigne de fer de Lyrian se desserra et Lina retomba au sol, au bord de l'inconscience. Elle rouvrit courageusement les yeux, mais le monde n'était rien de plus que des formes floues et grisâtres. Elle aperçut une silhouette trouble, qui faisait face à Lyrian. Derrière l'homme, les portes de l'abri s'ouvraient sur des abysses obscures, seulement éclairées par quelques maigres néons qui s'enfonçaient dans la montagne.

« Tu es un Apocalyptica ? demanda la voix de Lyrian.
- Non, répondit l'homme. Mais elle oui. »

Une silhouette blanche, féminine, surgit alors de l'obscurité et se plaça à côté de celle de l'homme. Ce dernier dépassa tranquillement Lyrian et s'approcha de Jade. L'esprit asphyxié de Lina peinait à comprendre la situation.

« Sanae, je te laisse t'occuper de lui. » déclara l'homme tout en traînant le corps inanimé de Jade à l'intérieur.

A l'instant où il prononça ces mots, un souffle prodigieux propulsa Lyrian en arrière. Lina tourna la tête au prix d'un effort surhumain, et aperçut l'hybride s'écraser de tout son long dans le sable, une quinzaine de mètres plus loin.

La deuxième silhouette marcha tranquillement dans le sable. Lina remarqua alors ses longs cheveux blancs qui flottaient au vent.

On dirait un ange, pensa-t-elle.

Lyrian se releva en titubant. Il lança un regard haineux à son adversaire, et se jeta sur elle.

Une force invisible le stoppa en pleine charge et le fit décoller du sol. Il s'écrasa contre les rochers en criant de douleur.

La silhouette aux cheveux immaculés n'avait même pas bougé.

Lina sentit alors des mains puissantes la saisir par les épaules.

« Ne restons pas là. Ça va devenir moche, lança la voix.
- Que...
- Shh. Tout va bien. Tu es en sécurité. Je m'appelle Will. Will Stelmar.
- Les autres...
- On va s'occuper des autres, Lina. Calme-toi. »

La jeune fille ne se demanda même pas comment l'homme connaissait son nom. Au bord de l'inconscience, elle se laissa traîner sur le béton, au-delà des portes blindées, jusque dans l'obscurité mystérieuse du bunker.

La dernière chose qu'elle remarqua fut le logo de X-Corp sur la combinaison de son sauveur.

~*~ Fin de l’Arc II ~*~