Chapitre 7 : Le détective privé
Trois jours plus tard, Chloé Larisa, malgré ses tentatives désespérées, n'avait toujours pas retrouvé son neveu. Les journées se succédant, Zeon-City se couvrait de ses affiches, et bientôt toute la population eut entendu parler de la rumeur de l'enfant fantôme. Plus tard certainement l'appellerait-on le fantôme d'argent, et il deviendrait un mythe de la ville. Pour l'heure cependant, cela n'était qu'une rumeur prenant de l'intérêt, car même la police s'y intéressa. Le numéro de téléphone de la jeune femme fut assailli par les appels, pour la plupart d'habitants témoignant leur compassion et lui souhaitant bien du courage dans cette difficile mission. Trois jours, et toujours rien. La pensée qui l'effrayait le plus était d'imaginer le jeune garçon mort de froid dans une ruelle sombre, à la merci des Pokémon. Comme les jours passaient, cette seule pensée dominait toutes les autres, et une angoisse permanente la guettait, de même que planait au-dessus d'elle l'ombre de la culpabilité, toujours présente.
Trois jours plus tard, donc, elle se décida enfin à sortir de chez elle pour prendre l'air, espérant timidement que par une heureuse coïncidence, elle croiserait son neveu, qu'elle le reconnaîtrait tout de suite, et qu'ils formeraient une famille unie. Malheureusement, cela semblait difficile, comme elle le savait : Sinnoh était évidemment décédé, certainement de froid ou de faim. En y pensant, elle enrageait contre elle-même, comme par sa faute un enfant, tout juste rescapé du massacre de sa famille, avait lui aussi perdu la vie. Elle avait envie de se mettre des claques, jusqu'à ce que ses mains et ses joues eussent tellement saignées qu'elles l'eussent vidée de son sang, mais étant de nature pudique, la présence d'autres personnes autour d'elle l'en empêchait. Alors elle se contenait de marcher, se perdant dans le dédale de rues qu'était Zeon-City, se vidant la tête. Une sonnerie de téléphone, volume poussé au maximum, la tira de sa méditation. La jeune femme sortit son mobile de sa poche, et, jetant un œil au numéro affiché, soupira : encore un appel inconnu. Si elle n'eut pas reçu une éducation l'en empêchant, elle l'aurait coupé sans réfléchir. Cependant, ses bonnes manières l'obligèrent à décrocher.
« Allô ? fit-elle, soupirant une seconde fois.
- Madame Chloé Larisa Beth ? demanda la voix sortant du téléphone.
- C'est bien elle, mais excusez-moi je suis pressée.
- Je comprends bien, mais cela ne m'empêchera pas de continuer à parler, comme vos affaires ne m'intéressent pas plus que cela.
Étrangement, la voix ressemblant à celle d'un enfant, n'ayant donc pas encore mué.
- J'ai pu apercevoir quelques-unes de vos affiches en ville, continua l'enfant.
Une pensée émergea dans la tête de Chloé : et si il s'agissait du neveu qu'elle recherchait ? Elle se raidit, et ne prononçant mot, attendit la suite. La personne à l'autre bout du fil le comprit et poursuivit.
- Au risque de vous décevoir, je ne pense pas être celui que vous cherchez. Car voyez-vous, si j'étais ce jeune garçon aux cheveux d'argent, ce serait beaucoup trop simple. Or, la vie est difficile, et ce que j'en connais me l'a bien montré. Bref, tout ça pour dire que je vous conseille de ne pas croire à un miracle. Et j'en profite pour rebondir sur ça, vous annonçant que, comme je ne connais pas les miracles, il faudra chercher un nouveau mot pour me caractériser. Trêve de bavardages futiles, je suis détective privé. Je sais ce que vous pensez : il doit s'agir de l'un de ces nombreux charlatans qui se font passer pour des détectives privés, et qui arnaquent les pauvres citoyens. Cependant, ce n'est pas le cas. Vous voulez savoir pourquoi ? Un autre détective privé vous a-t-il contacté depuis que vous avez posé vos affiches ?
- Euh... Non, je ne crois pas.
- Voilà, enchaîna l'autre, c'est simplement parce qu'il s'agit là d'une affaire délicate. Bon, je propose que nous nous rencontrions. Oui, je ne vous ai pas demandé si vous étiez intéressée, mais même si ça ne fait que trois jours, vous devez être désespérée. Je vous propose de nous rencontrer cette après-midi, lorsque le Soleil entamera la dernière pente de sa descente.
- C'est à dire ?
- Vers dix-sept heures. Ah, j'ai failli oublier ! Nous nous retrouverons à la fontaine de la Génèse. »
Il raccrocha alors, coupant court à la conversation. La jeune femme fit un effort de mémoire pour se souvenir de la localisation de la fontaine dont avait parlé le détective. Il s'agissait d'une grande place, au milieu de laquelle trônait une statue en bronze du Pokémon Arceus, et par laquelle s'échappait de l'eau, tout simplement.
Avez-vous déjà été victime du crime horrible qu'est le canular téléphonique ? Non pas le simple appel d'une dizaine de secondes où le criminel prononce une grossièreté, puis raccroche en s'esclaffant, mais le vrai canular, bien maîtrisé, donnant une impression de vérité, qui trouble la personne à laquelle l'on s'adresse, en nous procurant une sensation de puissan- Je voulais dire le désespoir infini que l'on ressent lorsque quelqu'un nous appelle pour rien (ainsi que celui lorsque notre canular échoue, tout de même), nous faisant perdre un temps fou. Si tel est le cas, certainement seriez-vous à même de comprendre ce que ressentait Chloé Larisa, alias Chloé Erica Beth pour un temps. Pour aller à la fontaine de la Génèse, il lui fallait emprunter le métro, donc se déplacer, donc payer, donc perdre du temps, ce qui menait à la naissance d'un doute en elle, ainsi que d'une petite voix lui murmurant de ne pas y prêter attention. J'eus conseillé à cette voix de gagner en octaves, puisqu'elle pouvait difficilement rivaliser contre l'autre voix, grognant celle-ci d'y aller, comme c'était peut-être sa seule chance de retrouver l'inconnu neveu. Que l'on soit bien clairs, la jeune femme n'entend pas des voix dans sa tête, il ne s'agit là que d'une image pour caractériser ses doutes !
Passons ; il est quinze heures, à Zeon-City, et mademoiselle Larisa avait deux objectifs à remplir pour la fin de journée : faire les courses, et rencontrer le détective. Comme, c'est certain, vous souhaitez ardemment l'accompagner dans ses courses, allons-y ensemble ! Cependant, n'ayez crainte, nous n'allons pas narrer chacun de ses faits, et c'est pour cela qu'il vous faut faire preuve d'une imagination incroyable pour vous la représenter, panier à la main, marchant dans les rayons. De ce fait, profitons-en pour avoir une discussion en tête à tête. Je pourrais vous raconter n'importe quelle histoire bidon, mais comme je n'ai pas d'autre intérêt à faire ça que pour meubler – bien que l'on put considérer cette raison comme suffisante –, je vais parler de Zeon. Au sommaire : superficie en mètres carrés, population, âge moyen, niveau de vie, population par kilomètre carré, origine... Arrêtons-nous sur ce point. Quelle est donc l'histoire de la ville ? Nous pourrions faire un chapitre spécial, mais contentons-nous d'un paragraphe, ce qui est déjà amplement suffisant.
Zeon-City est une ville de plusieurs millénaires, qui a vu défiler les civilisations. Lorsque au départ, une tribu de natifs s'installa en ces terres, ils fondèrent cette belle cité. Plus tard, un autre peuple les décima tous, laissant ses ruines à l'abandon. Des siècles plus tard, d'autres humains construisirent par-dessus les pierres, par-dessus les corps, et ainsi se succédèrent les époques. Voilà, il ne s'agissait que de faire un court résumé, puis c'était important à dire. Et par le même temps, Chloé Larisa finissait ses courses, tandis que l'heure dépassait les seize.
La jeune femme se hâta d'aller déposer ses provisions dans son appartement, puis emprunta le métro aérien, l'emmenant tout près du lieu de rendez-vous. Elle détestait cette proximité excessive avec les autres, et pour cette raison elle faisait ses déplacements soit en taxi soit, de manière plus simple, à pieds. La place était en hauteur de quelques mètres, gravis par des escaliers omniprésents. Celle-ci était très vaste, et comme toujours, beaucoup de monde était présent. Évidemment, elle ne savait pas à quoi ressemblait le détective, mais à en juger par sa voix, il ne pouvait s'agir que d'une femme, puisqu'un enfant ne pouvait pas assumer un rôle tel. Et si cela eut été le cas, certainement que cela fut un canular, comme elle se l'imaginait. Elle s'approcha de la fontaine, et observa les gens l'entourant. Face à elle, quasiment collé contre la statue de bronze, un homme portant un long manteau noir, ainsi qu'un chapeau de la même couleur, lui souriait étrangement. Bizarre, songea Chloé. Elle tourna la tête un très court instant, puis posa de nouveau son regard sur la statue. L'homme avait disparu. Encore plus bizarre, se répéta-t-elle. Tel un fantôme, il s'était envolé. Qu'importe, elle devait se concentrer sur la femme qu'elle cherchait, c'était bien plus important.
« Vous êtes en avance, mademoiselle, fit une voix dans son dos.
Surprise, elle se retourna, et découvrit... un enfant.
- Enchanté, poursuivit-il. Vous vous demandez certainement comment je vous ai reconnue ? C'est simple, vous êtes la seule perdue au milieu de la place, à un point où personne n'aime à être, comme de là vous pouvez aussi avoir une vue d'ensemble sur la zone. Enfin, vous regardez partout, comme si vous attendiez quelqu'un dont vous ne connaissez pas l'aspect. Et pour répondre à la deuxième question que vous vous posez, je suis bel et bien le détective privé. Je m'appelle Hoenn. Pour la troisième, j'ai treize ans.
Chloé Larisa ne sut quoi lui répondre.
- Je ne sais pour quelle raison, mais je me sens comme attiré par ce lieu. Lorsque j'y suis, je m'y sens bien, comme protégé d'une aura bienveillante, dit Hoenn sans prêter attention à Chloé.
- C'est une blague, n'est-ce-pas ? Tu ne peux pas être un détective privé, à ton âge !
- Le monde est plein de surprises. Dites-moi, vivez-vous seule ?
La jeune femme parut étonnée par cette question, et acquiesça.
- Parfait. Je vais donc vous aider à retrouver ce garçon que vous cherchez, mais tout d'abord, permettez-moi de poser les conditions. Je ne vous ferai pas payer quoi que ce soit, mais il se trouve que j'ai besoin d'un logement. Je suis petit et même un canapé me suffit, mais jongler entre les Centres Pokémon n'est pas la meilleure solution. J'en suis pourtant réduit à ça. Cela vous va ?
Elle fit oui de la tête.
- Bien, poursuivit le garçon, passons-en aux faits. J'ai besoin du maximum de renseignements sur la personne à retrouver. Quelle morphologie a-t-il, quel âge a-t-il, et comment s'appelle-t-il ?
- Je sais seulement qu'il a treize ans, et que ses cheveux sont argentés.
Tandis qu'elle parlait, elle venait de le remarquer : ceux de son interlocuteur étaient d'un bleu profond. Elle en resta aussi subjuguée que troublée, comme il était impossible d'avoir une telle teinte naturellement. Sans nul doute s'était-il fait une couleur, effets de modes qu'elle ne pouvait comprendre.
- On ne va pas aller bien loin avec ça. Toutefois, le fait qu'il ait une chevelure d'une couleur aussi extravagante que celle-ci est plutôt pratique, du moment qu'il la garde.
- Pourquoi changerait-il ? interrogea Chloé, qui n'était pas certaine de comprendre. Je ne pense pas que sa priorité actuelle, s'il est encore en vie, soit de se colorer les cheveux.
- Oui, évidemment, mais il est possible que quelqu'un l'ait récupéré. Je veux dire, il existe pas mal de groupuscules agissant dans l'ombre, à Zeon. A cause des demandes de mes précédents clients, j'ai été confronté à certains, et j'ai bien cru y rester. Pour eux, l'âge est d'or, et plus leurs recrues sont petites, plus leur valeur s'en trouve augmentée. Pour vous expliquer concrètement : allez convaincre un adulte ayant fait des études d'une longueur moyenne que le meurtre et le vol sont biens, et allez convaincre un enfant de la même chose, et vous verrez que les résultats sont bien différents. La malléabilité des jeunes est bien connue.
- Donc, tu penses qu'il puisse s'être fait recruté par un de ces groupes ?
- Ce n'est là qu'une possibilité parmi tant d'autres, répondit Hoenn. Grâce à l'aide de la police, un bon nombre ont pu être démantelés, mais restent encore les plus résistants, bien qu'ils soient en effectifs très réduits. L'un deux est le GEP, sur lequel j'ai dû enquêter un très grand nombre de fois. - Comme il voyait que la jeune femme semblait vouloir en savoir plus, il poursuivit – C'est une organisation qui a pris de l'importance ces vingt dernières années, et qui, en gros, a pour vocation d'exterminer les Pokémon. Leurs raisons exactes sont variables, mais tous ont le même but. Je n'ai jamais pu les infiltrer, mais j'ai réussi à obtenir quelques informations. Par exemple, ils ont une hiérarchie bien précise, avec au sommet le Commandant Directeur, qui a sous ses ordres cinq Généraux. Ces derniers sont les plus importants, puisqu'ils dirigent tous un nombre incroyable de soldats. Pour finir sur eux, ils n'ont pas obtenu leur place par hasard, et ont tous un ou des talents bien particuliers, leur permettant de protéger le groupe. Ce qui me renforce dans l'idée que l'un de ces groupuscules l'ait ramassé est le fait que depuis que vous avez posé vos affiches, il n'y a toujours aucune trace de lui. S'il était mort, son cadavre aurait été retrouvé, et je doute que moins de la moitié de la population ne soit au courant. Non pas que ce genre de faits soient rares, mais la ville s'en est faite une spécialité, on va dire.
Quelle sensation étrange, pour Chloé Larisa, d'apprendre de telles choses sur sa ville, qui plus est de la bouche d'un enfant. Elle vivait ici depuis des années, mais n'avait pour autant jamais soupçonné de tels agissements. Mais après tout, Zeon-City était une grande ville, donc cela paraissait presque logique. En un instant, elle se sentit comme troublée, moins rassurée.
- Puis-je vous tutoyer ? finit-il.
- Oui, bien sûr. Mais je tenais à te dire que tu fais très mature pour ton âge.
- Ce doit être la vie qui m'a fait ainsi. Qui plus est, pour l'occupation que j'ai, c'est nécessaire, je pense. Si je ne donne pas l'impression au niveau psychologique, d'être un adulte, alors ceux-ci ne me prendront pas au sérieux. »
Ne trouvant rien à ajouter, la jeune femme se tourna vers la fontaine, splendide comme toujours. Bien que trois jours puissent paraître courts, pour elle, une éternité s'était écoulée, jusqu'à ce que grâce à Hoenn, elle eut une première piste. Restait à savoir si le garçon avait raison, et si tel était le cas, alors peut-être pourrait-elle retrouver son neveu d'ici peu, et former la famille qu'elle s'imaginait, depuis qu'elle avait entendu parler de lui. Pourtant, elle était loin d'imaginer la tournure que prendraient les événements, et que ce rêve n'était pas près de se réaliser.