004 : Pas facile tous les jours...
La jeune femme soupira en passant sa main dans ses cheveux, tout en respirant malgré elle la fumée de cigarette de l'homme assis sur le lit. Qu'est-ce qui lui prenait de fumer dans un lieu public, un hôpital qui plus est ? Bon, il s'agissait surtout d'un hôpital militaire situé dans un camp et visant à soigner les soldats, mais les médecins ne rechignaient pas à accueillir les voyageurs de passage. Comme ce type-là, qui la dévisageait avec un mélange de curiosité et de mépris assez dégradant. Elle ne le connaissait pas, mais elle ne l'aimait pas.
Peut-être parce qu'il ne gémissait même pas alors qu'elle était en train de lui retirer une balle de la jambre. D'ordinaire, chacun de ses patients avait du mal à supporter ce traitement douloureux, mais nécessaire. Lui, il ne bronchait pas, se contentant de fumer tranquillement en observant la doctoresse faire son travail. A croire qu'il ne ressentait rien du tout. C'est ce qu'elle aurait volontiers pensé si cela était possible.
- Vous pourriez me parler ? Je me sens un peu seul.
Elle ne répondit rien, s'appliquant à stopper l'hémorragie avec des compresses tout en manœuvrant habilement la pince métallique pour retirer la balle de plomb. Il haussa les épaules et se contenta de l'observer, comme il le faisait depuis le début. Elle était peu féminine, mais très belle. Ses cheveux blonds coupés courts lui tombaient sur le front. Sa peau pâle la ferait aisément passer pour une femme souffrante, malgré son regard noisette alerte et brillant qui traduisait toutes ses émotions. Elle portait, par-dessus sa chemise noire, une blouse de laboratoire qui lui donnait un air trop sérieux. Elle était vêtue d'une tenue plus masculine que ses collègues féminines, avec un pantalon blanc, des bottes militaires noires, ainsi qu'un ruban bleu noué à la place d'une cravate. Oui, décidément, elle avait beau paraître garçonne, elle était d'une beauté épatante. Et habile, avec ça. Elle maniait bien la pince, si bien qu'il ressentait une douleur forte, mais supportable. Il avait connu des médecins bien moins délicats que cela.
Il écrasa sa cigarette et réitéra sa proposition.
- Vous êtes trop silencieuse. D'habitude, ils parlent beaucoup, les médecins.
- Eh bien pas moi, rétorqua-t-elle sèchement tout en s'évertuant à recoudre la plaie, le plus soigneusement possible.
L'homme se contenta de soupirer et détourna le regard. Lorsqu'elle eut fini de poser le bandage, la jeune femme aux courts cheveux clairs détailla un moment son interlocuteur, tandis qu'il replaçait son pantalon correctement et remettait sa botte de cuir noire. S'il se tenait debout et bien droit, il devait mesurer un bon mètre quatre-vingts. Il semblait assez jeune. La trentaine, peut-être. Ses yeux d'une couleur dorée l'intriguaient. Ce n'était pas commun, comme teinte. Il avait une peau pâle, mais pas autant que la sienne, un visage un peu mal rasé et des cheveux bruns courts dissimulés sous un chapeau panama blanc. D'ailleurs, sa tenue ne se composait que de noir et de blanc ; chemise blanche, chapeau blanc, cravate noire, pantalon de costume noir et bottes de cuir noires montant à hauteur de genou. Habillé élégamment, mais assez confortablement pour pouvoir voyager sans désagrément dans les étendues désertiques d'Heloria.
- Alors, qu'est-ce que vous faites dans le coin ? Il n'y a rien de très intéressant aux alentours de Fort Windy...
En effet, ce camp militaire, bien que plutôt grand, n'offrait aucun divertissement intéressant. De toute façon, ce n'était pas là sa fonction première.
- Je pensais que vous ne vouliez pas me parler, s'étonna l'homme au chapeau.
La blonde soupira.
- Okay, okay, je plaisantais. Pour en revenir à ce que je fais là... je cherche quelqu'un, et j'ai entendu dire qu'il était passé dans le coin il y a quelques temps.
- Pas mal de monde est passé par le camp "il y a quelques temps". C'est qui que vous cherchez ?
Le brun sourit, satisfait de voir qu'elle ne rechignait plus à discuter, à présent.
- Vous devez le connaître de réputation. Nathaniel Liftstein, un chasseur de primes.
- Oui, l'Américain... un type blond, beau gosse, accompagné d'un Arcanin et d'un Galopa. Il est passé y'a quelques jours. Vous lui voulez quoi, exactement ?
Le sourire de l'homme s'élargit.
- Rien qui vous intéresse. C'est quoi votre nom ?
- Docteur Whitefield. Allena Whitefield. Pourquoi ?
Il se leva péniblement, en prenant le moins possible appui sur sa jambe blessée, une grimace de douleur tordant son visage, puis tendit sa main à la doctoresse, effarée par la bêtise de son patient.
- Lester Arden.
- Mais enfin, restez assis ! Vous êtes totalement inconscient, si vous faites n'importe quoi, votre blessure va se rouvrir ! grommela-t-elle en le repoussant sur le lit.
Lester ne sembla pas s'en offusquer et jeta un œil au Pokémon rondouillard tout rose qui s'affairait à ranger un peu la petite chambre. Allena suivit son regard.
- Il a beau avoir utilisé son Vibra Soin sur vous, il vous reste quand même une semaine de convalescence avant de pouvoir marcher normalement à nouveau, monsieur Arden.
Le principal intéressé plongea son regard doré dans celui noisette de la doctoresse, et elle détourna les yeux, mal à l'aise. C'est qu'il semblait capable de lire dans l'âme, le bougre ! Il haussa les épaules.
- Je partirai quand bon me semblera. Et si vous n'êtes pas d'accord, tant pis. Je n'ai pas pour habitude de me faire dicter ma conduite par un médecin. Surtout pas par un médecin aussi coincé que vous.
Allena se retint d'envoyer valdinguer l'objet le plus proche sur ce type insupportable. Quelle arrogance ! Dix minutes plus tôt, il avait la jambe ouverte et saignait comme un Gruikui. Si elle n'avait pas été là, il n'aurait pas tardé à se vider de son sang sur les terres sèches et rouges autour du camp de Fort Windy. Même pas un remerciement, rien.
- C'est sympa de m'avoir soigné, lâcha-t-il enfin comme s'il lisait dans ses pensées.
Voyant son air mi-apeuré, mi-intrigué, il s'empressa d'ajouter, avec un sourire avenant.
- Vous êtes un livre ouvert. Tout ce que vous ressentez se traduit sur votre visage. Si j'étais vous, je m'entraînerais à avoir l'air impassible.
- Et moi, si j'étais vous, je réfléchirais à deux fois avant de parler. Vous me trouvez coincée ? Grand bien vous fasse ! J'en ai absolument rien à foutre de vous ou de vos impressions blasées sur le monde, okay ? s'énerva-t-elle, plus violemment qu'elle ne l'aurait cru.
Lester dut s'avouer impressionné par la force de caractère de cette trentenaire blonde jolie et jusque là plutôt calme. Qui sème le vent récolte la tempête.
- Bon... pour en revenir à ce qui nous intéresse. Je compte bien quitter ce camp demain, avec ou sans votre autorisation.
Allena refusa de nouveau. Sa conscience professionnelle de médecin l'empêchait de laisser un de ses patients prendre des risques inconsidérés alors même qu'il était sous sa responsabilité. C'était non.
- Vous n'avez qu'à me faire escorter, je m'en fiche, mais je peux pas rester ici.
Le faire escorter ? Et puis quoi encore ? Il y avait beaucoup de militaires au camp, une petite cinquantaine, mais à cause des attaques répétées des natifs de la région qui voulaient reprendre leurs terres natales après vingt ans de colonisation, ils pourraient en venir à manquer de main d'œuvre et de chair à canon rapidement. Elle trouva bien une autre alternative, mais ce ne serait pas réjouissant pour elle.
- Je suis en permission pour une semaine à partir de demain... si vous voulez, je peux vous accompagner jusqu'à Lyseria. Vous n'aurez aucun mal à y trouver une voiture, on en a trop peu au camp pour se permettre d'en utiliser pour ce genre de choses...
Lester considéra la proposition. Il n'avait pas trop le choix, en l'état actuel des choses. Il en était certain, cette Allena ne le laisserait jamais partir avant qu'il ait guéri. De plus, avec son Pokémon, ils ne mettraient que peu de temps à atteindre la grande ville la plus proche.
- Marché conclu, sourit-il. Vous n'avez pas trop le vertige, au moins ?
Elle haussa un sourcil.
- Le vertige ?
- Bah, un Drattak, ça vole plutôt haut.
- Vous avez un... bon dieu c'est pas le genre de Pokémon qu'on trimballe partout !
L'homme acquiesça.
- C'est volumineux, je suis d'accord avec vous. Les soldats n'ont même pas voulu le laisser rentrer dans le camp, alors il attend dehors.
La doctoresse soupira. Elle espérait que ce voyage soit court, car elle avait du mal à cerner cet homme, et encore plus à le supporter. Elle passa, comme à son habitude lorsqu'elle stressait, sa main dans ses mèches blondes courtes qui lui tombaient sur le front.