Chapitre 5 : Aifé
- C'est trop calme...
Cuchulainn et Noise observaient le ciel, les bras croisés sur leur torse. Cela faisait plusieurs jours qu'aucun Cornèbre ne s'était envolé et que les soldats envoyés en patrouille n'avaient pas croisé le moindre pokémon dans la Forêt de Vestigion. Cela éveillait leurs soupçons.
- J'ai un mauvais pressentiment, murmura le Héros.
- Je le partage aussi. Rarement avons-nous eu l'occasion de contempler un lieu si paisible. Cela ne laisse rien présager de bon. Si seulement...
Noise poussa un soupir et son interlocuteur lui jeta un regard compatissant. Il comprenait où il voulait en venir. La blessure qu'il avait subi lors de la bataille qu'ils avaient mené ensemble le faisait toujours souffrir, au point de l'empêcher de combattre autant qu'il le voudrait. Face à une créature sauvage, il ne ferait plus le poids, désormais.
- Je suis désolé pour ce qui vous est arrivé.
- Vous n'avez pas à l'être, au contraire. Mon sort, ainsi que celui de nos camarades, aurait sans doute été bien pire si vous n'aviez pas été présent, ce jour-là.
Il posa une main sur l'épaule de Cuchulainn, qu'il pressa avec respect et fraternité. Au même moment, un coup de corne fut soufflé, afin d'avertir le campement qu'un inconnu s'approchait. Comme il ne résonna qu'à une seule reprise, cela signifiait que leur visiteur était un humain. Doublé, il se serait agi d'un pokémon.
- Allons voir ce que l'on nous veut.
Scathach émergea hors de sa tente à l'instant où les deux hommes passaient juste devant, les doigts serrés sur la garde de leur épée. Elle leur emboîta le pas sans qu'ils ne s'en rendent compte, car ils avaient les yeux rivés sur l'orée de la forêt. Lorsqu'ils l'eurent rejointe, la sentinelle leur désigna une silhouette, qui se découpait dans la pénombre du feuillage.
Elle portait un long capuchon et gardait la tête baissée, ce qui rendait son identité impossible à définir. Le vêtement retombait de part et d'autre de son corps jusqu'à ses pieds, si bien qu'ils ne pouvaient également deviner le sexe de cette personne. Cuchulainn l'observa avec attention, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'à une dizaine de mètres du camp.
- Halte ! gronda-t-il. Si vous désirez aller plus loin, il vous faudra d'abord décliner votre nom et le motif de votre venue.
Pour toute réponse, un rire sournois lui parvint. Un pan de la cape se souleva, pour laisser entrevoir la fine lame d'une rapière. Par réflexe, le Héros brandit son arme, prêt à parer à toute menace. L'autre l'imita, avant de déclarer d'un timbre qui s'avéra être féminin :
- Vous voulez me défier, jeune homme ? Tant mieux. Je meurs d'envie de voir ce que vous valez dans un duel.
Interprétant cette réplique comme un défi et, par conséquent, une atteinte à son honneur, Cuchulainn fondit sur celle qui venait de se désigner comme étant son adversaire. Il ne se préoccupait pas du fait qu'il s'agisse d'une femme. Scathach prouvait à elle seule qu'être un guerrier exemplaire n'était pas un privilège réservé aux hommes.
Le combat commença. Les épées s'entrechoquèrent dans des tintements métalliques que les arbres renvoyaient en écho. Plusieurs soldats s'étaient rassemblés en arc de cercle autour d'eux afin d'assister aux estocades. De temps en temps, quelques-uns poussaient des cris d'encouragement à l'encontre du Héros.
Scathach s'était immobilisée aux côtés de Noise et regardait avec attention les deux opposants. Son expression demeurait impénétrable, cependant ses prunelles scintillantes trahissaient une émotion inhabituelle, mais surtout indéfinissable, mélange d'amusement, de colère et de scepticisme.
La joute se poursuivit durant de longues minutes. Les assauts de Cuchulainn étaient puissants et calculés, contrairement à ceux de sa rivale, beaucoup plus spontanés et qui s'appuyaient avant tout sur la rapidité. Pendant un moment, ils livrèrent un beau duel, parant et attaquant dans une danse magnifique.
- Je commence à me lasser de ce petit échange, lâcha soudain l'inconnue. Pas vous ?
- Désireriez-vous déclarer forfait ?
- Loin de moi cette idée.
Alors que la lame du vaillant soldat s'apprêtait à s'abattre sur la sienne, elle virevolta sur elle-même pour esquiver le coup, avant de revenir frapper son épée par surprise. Cuchulainn ne s'attendait pas du tout à cette manoeuvre, qui le déstabilisa. Son arme lui échappa pour s'enfoncer dans le sol, encore humide de rosée.
La honte s'empara de lui. Il venait d'être défait par cette femme, lui, le Héros. Il n'osait pas tourner les yeux en direction de Scathach, car il savait ce que sa défaite signifiait. Il devait pourtant se résoudre à le faire. Cela requit de sa part plus de courage encore que combattre un pokémon, mais il finit par y parvenir. Il s'inclina face à elle, puis murmura :
- Maîtresse, aujourd'hui, je me suis montré indigne de votre armée, de votre enseignement, et surtout de vous-même. Afin qu'un tel déshonneur ne se reproduise plus, je consens à quitter sur-le-champ votre camp pour n'y plus jamais revenir. Telle doit être ma sentence pour mon échec.
- Redresse-toi, Cuchulainn.
L'intéressé s'exécuta. Dès que cela fut fait, il eut la surprise de constater que la guerrière ne paraissait ni dépitée, ni énervée suite à sa défaite. Au contraire, elle lui souriait. Cette réaction le désempara, lui qui s'était attendu au pire. Il ne s'expliquait pas son attitude, qu'elle ne tarda pas à justifier.
- Si tu avais dû remporter ce combat, ç'aurait été à moi de me prosterner devant toi, voire de te céder ma place au commandement de mon armée. Tu as affronté aujourd'hui celle qui, en dehors de moi-même, est à n'en pas douter la meilleure combattante de tout Sinnoh. Veux-tu bien retirer ton capuchon, afin que mon élève puisse contempler le visage de celle qui l'a vaincu ?
La mystérieuse femme porta ses deux mains à son habit, qu'elle repoussa vers l'arrière. Le tissu dévoila une cascade de cheveux roux, légèrement bouclés, qui encadraient un teint diaphane, ainsi que des yeux vert feuillage. Quand le Héros reconnut ces traits si familiers, sa bouche s'entrouvrit de stupeur.
- Disciples, je vous présente ma jumelle. Aifé. Laissez-la passer, à présent.
Cuchulainn fut le premier à s'écarter, les sourcils froncés. Savoir qu'il venait de combattre la soeur de Scathach rendait sa défaite presque acceptable, cependant celle-ci ne lui inspirait pas confiance. Il ne saurait l'expliquer, seulement son instinct lui soufflait d'éprouver de la défiance à son encontre.
Les deux guerrières, côte à côte, pénétrèrent sur les terres du camp. Les hommes, rassemblés autour d'elles, contemplaient la dénommée Aifé avec autant d'admiration que sa cadette. Le Héros interrogea Noise à son sujet. Visiblement, personne n'avait jamais entendu parler d'elle jusqu'à ce jour, pas même lui.
Ce fut sans prononcer le moindre mot supplémentaire que les jeunes femmes se retirèrent sous la tente de Scathach. Cette dernière désirait s'entretenir seule à seule avec son aînée. Si son combat face à Cuchulainn l'avait amusée, elle était convaincue que le motif de sa visite ne prêtait pas autant que cela à sourire.
- Ainsi, tu n'as pas pu résister à la tentation de me suivre jusqu'à mon camp.
- Son emplacement n'est un secret pour personne. Tout le monde, au village, sait qu'il est situé en bordure de mer.
- Quel sombre dessein a bien pu conduire tes pas jusqu'ici ? As-tu l'intention de troubler l'esprit de mes soldats avec tes discours sur la paix et l'entente universelle entre humains et pokémon ?
- Oh non, car je me doute que tu les as entraînés à résister à toute forme d'endoctrinement, quelle qu'elle soit.
- Alors pourquoi es-tu ici ?
- J'ai mûrement réfléchi, suite à notre précédente conversation, et je me suis aperçue que, s'il me fallait encore me battre contre toi, cela se solderait de nouveau par un échec, car tu as toujours eu l'ascendant sur moi. J'en suis donc arrivée à la conclusion qu'il me fallait patienter.
- Vraiment ? Et dans quel but ?
- Un jour viendra où tu perdras, Scathach. Pas contre moi, certes, mais contre les pokémon. Tu ne peux pas gagner indéfiniment, surtout pas avec une cause aussi injuste que la tienne. À ce moment-là, je veux être aux premières loges pour assister à cela.
- Dois-je en conclure que tu tiens à t'incruster dans mon campement en attendant de me voir échouer dans ma quête de libérer cette terre de la menace pokémon ? À quoi bon ? J'ai déjà subi une défaite, par le passé. Elle ne m'a pas fait changer de position à l'égard de ces créatures. Même si cela devait se réitérer, mon opinion demeurerait identique.
- Cette folie te perdra, petite soeur.
- Peut-être. Que cherches-tu à me dire ? Que tu seras là pour me tendre la main lorsque cela se produira ou pour te réjouir avec délectation de mon échec ?
- Je serai surtout là pour rétablir l'équilibre. Tu as su endoctriner les Vestigionnais, mais lorsque ta légende s'effondrera pour de bon, qui continuera à te croire ? Si je me présente comme le nouveau messie, si j'arrive à les convaincre que tu t'es trompée et que le salut de l'humanité réside dans une entente avec les pokémon, alors j'aurai triomphé à tes dépens.
- Ton plan ne pourra s'appliquer qu'en cas de défaite de ma part. As-tu pris en compte, dans ton calcul, qu'elle risquait fort de ne jamais survenir ? À moins qu'il ne s'agisse là du véritable motif de ta visite : tu as l'intention de précipiter ma chute.
- Elle arrivera bien assez tôt. J'ai constaté, lorsque nous nous sommes rencontrées l'autre nuit à l'auberge, que tu n'avais rien perdu de ton arrogance. Ce sont cette assurance que tu possèdes, ainsi que cette indécente confiance en toi, en tes capacités et en tes idéaux cruels, qui causeront ta perte. J'en suis persuadée.
- À la vue de nos projets antagonistes, Aifé, aurais-tu l'amabilité de me donner une raison de ne pas appeler mes hommes pour qu'ils te jettent sans ménagement hors de mon territoire ?
- Naturellement. Pour commencer, ces terres ne sont pas les tiennes. Même lorsqu'il n'y aura plus aucun pokémon dessus, à condition que cela arrive un jour, tu n'auras pas le droit de les revendiquer. Elles appartiennent à tous et à personne à la fois. Ensuite, et c'est l'argument principal que j'avancerai, ton orgueil t'en empêche.
- Le crois-tu vraiment ?
- Bien sûr. Je suis ici pour assister à ta défaite et je ne serais pas surprise que tu m'invites à rester dans l'unique but de me faire assister à tes futures victoires.
- Tes propos n'ont aucun sens, ma soeur, souligna Scathach.
- J'ai dit que tu allais être vaincue. Je n'ai jamais précisé quand. Tu as peut-être encore d'illustres batailles à mener devant toi. Ta gloire ne sera simplement pas éternelle. Suite à notre combat, je me suis tenue éloignée cinq années durant de Vestigion. Elles m'ont suffi à apprendre la patience, aussi ne suis-je pas pressée.
La guerrière esquissa un sourire carnassier avant de se mettre debout, car elles s'étaient assises sur la couche de cette dernière le temps pour elles de discuter. Elle observa sa jumelle d'un air amusé, puis hocha la tête. Comme Aifé lui lança un regard interrogateur, elle précisa :
- D'accord, tu peux rester. Tu te trompes cependant sur un point. Ce n'est pas pour parader devant toi que je te consens à te tolérer dans mon camp.
- Quel obscur motif connu de toi seule te pousse à accepter, dans ce cas ?
- Je veux que tu vois de tes propres yeux la barbarie dont font preuve ces monstres que tu cherches désespérément à protéger. Si les gens les craignent autant que cela, c'est parce qu'il y a une raison. Tu dois certainement être la seule à ne pas la constater.
Aifé se leva à son tour et adressa à sa jumelle un rictus sournois. Les yeux plissés, scintillants de malice, elle lui murmura dans un souffle :
- Très bien, Scathach. Dans ce cas, laissons faire le temps. Lui saura nous révéler qui de nous deux a tort... Et qui a raison.
***
Trois coups de corne puissants retentirent. Cuchulainn, qui s'était levé en même temps que le soleil, n'avait pas encore fini de se vêtir, pas plus que ses compagnons d'armes avec qui il partageait sa tente. Ils cessèrent de s'habiller durant un instant, afin d'échanger un regard surpris.
- Trois ? Qu'est-ce que cela signifie ?
- Une nouvelle forme de menace, sûrement. Ni humaine, ni pokémon. Quelle qu'elle soit, elle ne laisse rien présager de bon.
Au même moment, Noise fit irruption dans leur abri, en arrachant dans sa précipitation la tenture qui en condamnait l'entrée. Son visage était blême et de la sueur perlait sur son front. Jamais ses camarades ne l'avaient vu dans un tel état, lui qui possédait au contraire une nature particulièrement calme.
- De mauvaises nouvelles ? interrogea Cuchulainn.
- C'est la mer. Elle se déchaîne. Une vague plus haute que la cime des arbres se dirige vers le camp. Nous devons l'évacuer le plus vite possible.
Les guerriers ne se le firent pas répéter. Ils s'emparèrent de leur épée, bien qu'elle ne leur soit d'aucune utilité face aux éléments enragés, puis sortirent. Une fois dehors, ils ouvrirent des yeux ronds. Noise n'avait pas menti : c'était un véritable raz-de-marée qui fondait sur eux.
- Vous êtes là, enfin ! s'exclama Scathach. Je suis persuadée qu'il s'agit de l'oeuvre d'un pokémon. L'une de ces créatures aquatiques serait parfaitement capable d'une telle performance.
- Que pouvons-nous faire ? s'enquit le Héros.
- Hélas, rien. Ce n'est pas comme si nos lames étaient en mesure de pourfendre un mur d'eau. Il nous faut partir dans la forêt immédiatement, avant que cette vague n'inonde le rivage et nous submerge. Sur terre, nous sommes à notre avantage, mais dans un univers aqueux, les pokémon ne feraient qu'une bouchée de nous. Rassemblement !
À l'écoute de cet ordre, les soldats se réunirent aussitôt autour de leur maîtresse. Seule Aifé demeura en léger retrait, les bras croisés sur sa poitrine. Elle semblait étrangement sereine, à la vue de la situation. C'était sûrement un trait de caractère qu'elle partageait avec sa soeur, car la guerrière restait également impassible, en dépit de la gravité des événements.
Nul ne connaissait le motif de la présence de la jumelle parmi eux et Scathach avait décidé de ne rien leur révéler à ce sujet. Quelques téméraires avaient osé lui poser la question, mais tous l'avaient amèrement regretté lorsque, pour toute réponse, elle s'était contentée de les fustiger.
- Manque-t-il quelqu'un ? interrogea la chef du camp.
Ses soldats se regardèrent les uns les autres. Visiblement, personne n'était absent. Ils avaient tous quitté leur tente sitôt après avoir entendu la corne être sonnée et ils étaient tous fins prêts à évacuer les lieux pour se rendre dans les bois. Comme la vague se rapprochait dangereusement de rivage, ils ne perdirent pas un instant.
Scathach ouvrit la voie, Cuchulainn sur ses talons. Les arbres arrêteraient certainement le raz-de-marée. Ils seraient à l'abri à l'intérieur de la forêt, pour peu qu'ils s'y enfoncent assez profondément. La principale menace deviendrait alors les pokémon, capables de surgir à n'importe quel moment pour les attaquer. Ils seraient néanmoins fous s'ils tentaient une offensive alors que l'armée était au complet.
Aifé, pour sa part, progressait dans le sillage du groupe, sans se départir de son calme. Le Héros lui jetait régulièrement de rapides coups d'oeil. Cette femme ne lui inspirait aucune confiance, bien qu'il n'ait osé en souffler mot à Scathach. Après tout, il s'agissait de sa jumelle.
Celle-ci, toutefois, était inconsciemment du même avis. Elle savait qu'elle pouvait s'attendre au pire avec sa soeur, aussi demeurait-elle constamment sur ses gardes. Elle était fourbe, sournoise et machiavélique, des traits de caractères qu'elle ne possédait pas elle-même afin de pouvoir lutter contre eux.
- Maîtresse, des pas s'approchent ! informa soudain Cuchulainn.
Elle tendit l'oreille, pendant que ses hommes se figeaient. Effectivement, il y avait du mouvement dans les environs, et à la vue des sons émis, il s'agissait certainement de pokémon. Ils étaient plusieurs, au moins une dizaine.
- Messieurs, accueillons-les comme il se doit. Quant à toi, chère soeur... Délecte-toi donc du spectacle.
Elle adressa un sourire mauvais à Aifé, qui le lui rendit. Elle se promit de ne pas cesser de garder un oeil sur son aînée durant le combat, car elle savait très bien que celle-ci serait capable de se retourner contre elle, ainsi que son armée, pour protéger les pokémon dans un but qu'elle était la seule à croire noble.
Scathach dégaina l'une de ses deux épées et fut aussitôt imitée par ses hommes. Au même instant, un Charmina, un Carchacrok et deux Rhinastoc firent leur apparition. Cinq autres monstres surgirent d'entre la végétation quelques secondes plus tard. Immédiatement, la guerrière donna l'assaut.
Elle envoya tout d'abord ses soldats affronter les créatures, restant en retrait et observant. Ils étaient suffisamment nombreux pour se passer de son aide. Ainsi, elle pouvait demeurer aux côtés d'Aifé et s'assurer que celle-ci ne commettait pas d'actions déplorables.
- Est-ce que tu as conscience, grande soeur, qu'en dépit de tes belles paroles, si l'un de ces monstres se trouvait seul face à toi, il n'hésiterait pas à te tuer ? Comment réagirais-tu, dans ce cas ? Tenterais-tu de l'amadouer avec tes beaux discours ? Pourquoi ne pas aller essayer avec ce Carchacrok, là-bas ? Je me demande combien de temps il t'écouterait avant de te pourfendre... À condition qu'il te comprenne, naturellement.
Aifé se contenta d'afficher une expression amusée, au lieu de répondre. Ce fut à ce moment précis qu'un Capidextre se laissa tomber de l'arbre situé juste au-dessus de leur tête pour se dresser face à elle, les deux mains qui lui faisaient office de queue serrées en deux poings menaçants.
Scathach allait brandir son épée, par instinct, mais elle se ravisa au dernier moment. Elle tenait à voir quelle serait la réaction de sa soeur lorsque le singe mauve lui sauterait dessus. Le comportement de celle-ci fut tout à fait étonnant. Elle prit soigneusement le temps de défaire le bracelet de cuir qu'elle portait au niveau du poignet.
Le Capidextre s'apprêtait à la charger quand elle tendit son avant-bras dans sa direction. Il interrompit aussitôt sa course, observa sa peau avec attention, puis plongea son regard dans le sien. Intriguée, Scathach étudia à son tour l'épiderme d'Aifé. Elle arborait une trace étrange à hauteur de son articulation, pareille à une brûlure.
- Durant mon exil, j'ai rencontré un Maganon. C'est vrai, au début, il m'a attaquée avec l'intention de me tuer, mais je ne lui ai pas rendu ses coups. Je me suis contentée d'esquiver les siens. Cela a nécessité plusieurs minutes, mais il a fini par réaliser que je ne tenais pas à me battre. Je me suis ensuite expliquée avec lui, dans la mesure de sa compréhension. Il a alors décidé de m'apposer sa marque, pour que ce genre de situation ne se reproduise plus. Depuis lors, il me suffit de la présenter aux pokémon sauvages que je rencontre pour qu'ils saisissent que je viens en paix.
D'un mouvement de la tête, Aifé désigna sa jumelle. Le Capidextre devina immédiatement que, contrairement à elle, il ne s'agissait pas d'une amie, et s'empressa de passer à l'action. Scathach esquiva le coup qu'il tenta de lui infliger avec sa queue si particulière, qu'elle trancha avec sa lame tout en pestant :
- Décidément, tu n'as pas changé. Tu es toujours aussi...
- Je sais. Merci du compliment, petite soeur. Sur ce, tu m'excuseras, j'ai un spectacle auquel il me faut assister.
Avec souplesse, la jeune femme grimpa dans l'arbre, d'où elle avait une vue imprenable sur le champ de bataille, ainsi que sur la guerrière en contrebas, qui continuait à combattre avec hargne le pokémon mauve.
Elle ne s'attendait pas à voir Scathach perdre ce jour-là, mais elle était convaincue que son armée ne sortirait pas entière de cet affrontement. Les créatures étaient nombreuses, et farouchement déterminées à prendre leur revanche sur ces humains qui tentaient de les déloger de ces terres. Malgré leur sous-effectif, ils arriveraient certainement à en abattre quelques-uns.
Son opinion changea radicalement lorsque, du haut de son observatoire, elle fut la première à apercevoir une seconde nuée de pokémon qui affluait dans leur direction. Évidemment, elle se garda de donner l'alerte, laissant ceux que sa jumelle considérait comme des monstres bénéficier de l'effet de surprise.
Sa bouche écarlate se tordit en un rictus. Finalement, la défaite de Scathach était peut-être bien imminente.