Au nord-ouest de Safaïa se trouvait la zone blanche de neige, belle et mortelle, où Ykio, le fondateur de glace des gardiens, avait vécu les premières années de sa vie. A l'époque de la troisième grande guerre de ces derniers, ce paysage de glace avait perdu une bonne partie de ses territoires de jadis, à cause de la pollution, de l'effet de serre. Quand Mecheva eut pris le pouvoir et imposé un nouvel âge technologique, l'effet de serre se stabilisa, jusqu'à reculer. En effet, les gaz à effet de serre ne restaient qu'un temps dans l'atmosphère. Le plus répandu, le dioxyde de carbone ou CO2, avait une espérance de vie égale à un siècle.
Petit à petit, l'effet de serre se réduisait dans l'empire et le glacier de Safaïa fut préservé. Il put même reprendre une partie de ses anciens territoires. Ce que Mecheva ignorait, c'est que la clé de sa chute était préservée dans une partie de ce glacier, gardé par un Pokémon qui, mille huit cents ans auparavant, avait perdu son frère et qui avait sollicité la justice d'Arceus le créateur et ayant indirectement contribué à la naissance des Gardiens de Safaïa : Lancicle, le centaure guerrier du froid. Ce Pokémon avait, pendant toutes ces années, veillé dans son temple de glace sur la chose qui pouvait vaincre Mecheva.
Lancicle incarnait, au nom d'Angerron, le glaive de la justice. Angerron en était la balance. Il décidait du coupable et de l'innocent. Lancicle s'appliquait ensuite à châtier le coupable. Ghoullahad, son défunt frère, avait symbolisé la loyauté d'Angerron, celle qui les poussaient à rester fidèles à l'ordre et à la paix. Ils formaient un équilibre qui affaiblissait Mecheva tout en renforçant Angerron. Lorsque l'un d'entre eux fut tué, Mecheva commença, lentement, très lentement, son retour. Un retour qui eut lieu plus mille ans plus tard. Mais Lancicle ne s'était pas battu, il n'était pas intervenu. Il avait la mission de protéger Angerron, quel qu'en soit le prix.
Il connaissait la prophétie. L'orbe qu'il gardait ne renfermait plus l'âme de la paix mais son pouvoir. L'âme du dieu se baladait dans une enveloppe mortelle. Cette enveloppe ne pouvait pas mourir malgré tout. En effet, pour tuer un être, il fallait qu'il soit entier. Tuer le réceptacle de l'âme d'Angerron ne servirait à rien car l'esprit maintiendrait le corps humain en vie. Il savait que la première personne qui franchirait le glacier pour pénétrer dans le temple serait habité par l'âme d'Angerron. Il lui suffirait alors de toucher l'orbe et le Pokémon de la paix renaîtrait. C'est pour cette raison que Lancicle restait dans ce lieu glacé, sans manger, sans dormir, sans même songer à détourner le regard de la sphère blanche où une fumée légèrement dorée se déplaçait paresseusement contre les contours de verre.
Même si Lancicle n'en donnait pas l'impression en cet instant, il était excité et impatient. Il le sentait, l'esprit d'Angerron approchait, petit à petit. L'incarnation de la paix allait revenir bientôt. Les jours de Mecheva étaient comptés.
- WAAAHHH !!
Louise avait failli trébucher sur une racine d'arbre pendant qu'elle courrait. Le Desseliande en profita pour accélérer. Il frôla la tête de la jeune fille avec sa main griffue avant qu'elle ne recommence à courir. Pourquoi la jeune femme s'était-elle montrée si stupide ? Le soir de leur première journée de voyage elle avait voulu capturer un nouveau Pokémon. Elle se disait qu'avec ce que Neil avait appris ce serait plutôt une bonne expérience pour elle. Elle avait discrètement faussé compagnie à ses compagnons et cherché un spécimen sympathique pour agrandir son équipe. Elle était très vite tombée sur un Pokémon adorable qu'elle jugea parfait pour elle : un petit Brôcelome.
Malheureusement pour la jeune femme, le Pokémon plante/spectre avait une famille et Louise n'avait pas compris l'avertissement du Pokémon. Au final, au lieu de capturer un Pokémon, elle se retrouvait à en fuir un particulièrement enragé. Elle avait envoyé son Togetic prévenir Neil et Paul, elle n'avait rien pour se défendre. Elle était sans défense, un Pokémon aux trousses, elle fuyait elle ne savait où et pour couronner le tout, elle commençait à avoir un point de côté. Niveau de stupidité et d'incompétence, la jeune fille en avait frôlé le plafond.
Sa mère et son père avaient-ils été aussi pathétique qu'elle lors de leur premier voyage ? Pas sûr.
Après avoir dévalé une énième pente abrupte, Louise aperçut enfin sa planche de salut. Elle se jeta littéralement en avant et disparut momentanément du champ de vision du Pokémon. Ce dernier lança un cri furieux et inspecta les alentours avec attention, guettant le moindre mouvement ou le moindre bruit suspect.
Louise, cachée par les énormes buissons qui la cachait et la protégeait comme un mur naturel, faisait tout pour retrouver son souffle de la manière la plus calme possible. Son cœur tambourinait dans sa poitrine et ses poumons étaient en feu. Elle força à prendre de grandes inspirations et à expirer longuement, comme on lui avait appris. Une véritable torture mais qui porta ses fruits. Elle parvint à retrouver son calme et une respiration régulière. Elle pouvait voir le Desseliande qui était toujours à sa poursuite faire plusieurs tours sur lui-même, voulant lui faire payer son imprudence. Elle se maudit encore une fois. Rien ne serait arrivé si elle était parvenue à comprendre les Pokémons. Elle n'aurait jamais dérangé ce Brôcelome, elle aurait cherché un autre Pokémon et rien ne se serait passé.
Enfin, il lui fallait maintenant attendre que le Desseliande n'abandonne la poursuite et elle pourrait enfin retrouver ses compagnons de voyage. La chasse au Pokémon attendrait au final. Elle se sentie d'autant plus stupide que Paul se serait porté volontaire pour l'aider. Elle avait refusé de l'aide en prétextant qu'elle voulait se forger sa propre expérience. Neil devait bien se foutre de sa poire en ce moment même et elle n'allait pas lui jeter la pierre.
Alors qu'elle ruminait ses pensées, un petit bruit retentit, juste à côté de la jeune femme. Elle se figea avant de tourner légèrement la tête et aperçut avec horreur qu'à ses côtés
il y avait un nid avec un œuf et que celui-ci était sur le point d'éclore !
« Oh non » pensa-t-elle. « C'est vraiment pas mon jour de chance purée ! »
S'il y avait un nid, ça signifiait que les parents n'étaient pas loin. Et si l'éclosion d'un œuf ne faisait presque pas de bruit, les cris que poussaient le nouveau-né étaient, eux, parfaitement audibles. Que fallait-il faire ? Elle ignorait si les Desseliandes étaient du genre à s'en prendre à des proies sans défenses ou non et elle n'allait certainement pas aller lui demander. Et si ça se trouve, les parents du petit dans son œuf n'étaient pas du genre protecteur ou un truc du genre. Que devait-elle faire ? Et les secousses et les craquements de l'œuf se multipliaient.
Envahie par le stress, Louise fit une chose qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir faire un jour. Elle se saisit de l'œuf, le plaça de façon à pouvoir le bercer et se mit à chantonner d'une voix douce pour calmer le Pokémon qui allait naître. Les craquements se calmèrent un peu avant que l'œuf ne brille légèrement d'une lueur bleutée. Quand la lueur disparut, l'œuf avait disparu. A la place, un petit Carapuce somnolait dans les bras de la jeune fille. Louise en fut soufflée. Il était tellement mignon et si petit, c'était incroyable. Elle fut attendrie envers ce petit être. Elle était tellement fascinée par ce petit Pokémon eau qui dormait dans ses bras qu'elle ne put résister à lui dire :
- Tu es adorable toi.
Le Carapuce ouvrit les yeux aussitôt et fixa Louise de ses grands yeux mauves. Ils restèrent ainsi plusieurs secondes sans faire le moindre son avant que le Pokémon ne tende les bras vers la dresseuse en criant d'un ton joyeux :
- CARA !
Le Desseliande se retourna aussitôt dans la direction des buissons et lança une attaque avec les ronces qu'il contrôlait. Louise n'eut pas le choix. Elle serra le Carapuce contre elle et sauta pour esquiver l'attaque. Le petit Pokémon eau poussa un cri de terreur et s'accrocha d'autant plus à la jeune femme. Mais une racine attrapa la jambe de la jeune dresseuse et l'immobilisa assez longtemps pour qu'elle soit incapable de se déloger. Une des racines arracha le Carapuce des bras de Louise. Elle essaya bien de se dégager mais elle en fut incapable, les plante l'enserrait comme un étau. Le Carapuce, lui, criait et se débattait aussi, il pleurait en répétant son « Cara ».
Les cris du nouveau-né la mirent en rogne. Elle en oublia momentanément sa peur et hurla de toute la force de ses poumons.
- Hé, sale morceau de bois moisi ! C'est entre toi et moi que ça se passe, laisse ce petit tranquille !
Le Carapuce cessa temporairement de geindre et le Desseliande parut surpris de la répartie de sa proie. Mais il sembla l'écouter et reposa le Carapuce à terre. Ce dernier se précipita aussitôt vers Louise en geignant encore ce « Cara » incompréhensible.
Puis, soudain, un éclat de voix retenti non loin d'eux.
- Arrête !
C'était la voix de Neil ! Louise éprouva un tel soulagement à entendre la voix du garçon qu'elle laissa échapper un soupir particulièrement audible qui fut étouffé par les racines qui continuaient à comprimer la poitrine de la fille de Lo. Le jeune gardien surgit des buissons, Paul le suivant de peu. Ils se placèrent entre le Desseliande et Louise.
- Ne lui fais rien, je t'en prie noble Desseliande. Elle n'était pas mauvaise.
Le Desseliande lança plusieurs cris qui ressemblaient à des lamentations et des bruits de la nature.
- Oui, je sais qu'elle n'a pas écouté les avertissements de ton enfant. Je sais qu'elle n'aurait jamais dû troubler votre tranquillité mais je te le jure, elle ne l'a pas fait avec des intentions mauvaises. Tu as bien vu comment elle a protégé ce Carapuce. Ose me dire en face que cette fille est le mal.
Le Pokémon plante/spectre regarda attentivement la jeune femme au regard vairon pendant ce qui parut à le jeune femme une éternité. Puis, les racines qui entravaient ses membres desserrèrent leur emprise et la libérèrent. Le Desseliande lança un dernier cri avant de disparaître dans les arbres.
Le Carapuce se précipita aussitôt dans les bras de Louise en pleurant. La jeune femme croisa le regard de Neil et de Paul qui la jaugeait d'un regard sévère pour Neil, soulagé pour Paul.
- Merci les gars, commença-t-elle. Je vous dois...
- Rien du tout, la coupa Neil. On peut savoir ce qui t'as pris ?
- Neil, tu crois pas que c'est le mauvais moment ? Intervint Paul.
- Au contraire, répondit le gardien au dieu inconnu. C'est le meilleur moment. Tu vas pouvoir me dire ce qui t'as pris de vouloir capturer le fils du roi de cette forêt ?
Louise fut interloquée.
- Ce Desseliande était... le roi ?
- Oh oui qu'il l'était. Le petit t'as prévenu pourtant. T'as pas entendu ? T'as de la chance que ce Desseliande soit pas rancunier et que de manière générale ils ne soient pas hostiles.
- Je, je ne...
- Tu t'es mis des boules quiès ou quoi ? Bon sang. Un gardien comprend ce que disent les Pokémons, c'est la première chose qu'on apprend après une bénédiction.
- Je ne suis pas une gardienne, hurla-t-elle, les larmes aux yeux.
Neil se tut, il ne s'était pas attendu à ça c'était clair.
- Je ne comprends pas les Pokémons parce que je n'ai pas été bénie par un dieu. Je suis juste une dresseuse médiocre qui se sert de son nom pour obtenir les meilleurs enseignements qui soient pour vaincre Mecheva.
- Mais comment ça se fait que tu ais été acceptée pour la formation de gardien ? Demanda Paul, perdu. Pour passer l'exam d'entrée, il faut pouvoir manifester des capacités qui sont pas naturelles.
- Oh elle en a des capacités non naturelles, répondit Neil d'une voix neutre. C'est juste qu'elles ne sont pas issues de la bénédiction d'un dieu et, à mon avis, elles ne doivent pas être très utiles pour se battre. Est-ce que je me trompe ?
Louise acquiesça, la tête basse.
- Je peux créer du froid autour de moi mais que dans un rayon limité et ce n'est même pas un froid capable de geler, juste de déranger.
Neil secoua la tête. Louise ne parvint pas à dire s'il était en colère ou dépité.
- Tu sais où ça mène les mensonges ? Lui demanda-t-il.
La jeune fille garda le silence.
- Les mensonges, continua-t-il. Ça t'éloigne des autres. Comment faire confiance à un être qui ment tout le temps ? T'as beau être sympa dans le fond, si t'enchaîne les bobards, on te croira plus et on te laissera tomber. Tu comprends ça ?
Les larmes aux yeux, Louise hocha la tête. Elle aurait été bien incapable de parler. De tous, Neil avait été celui avec qui elle avait été la pire en matière de mensonge et de manipulation. Et il lui faisait la leçon, pas comme un ami mais comme quelqu'un qui voulait l'aider. Comment avait-elle pu le prendre pour un benêt sans cervelle ? C'était plutôt elle l'idiote.
- A partir de maintenant, tu vas arrêter les mensonges, ordonna gentiment Neil. Tu raconteras la vérité et toute la vérité. Si je te reprends un jour à mentir de nouveau, je te jure qu'on te laissera tomber. Le Desseliande ? On t'aidera pas. Mecheva, tu te débrouilleras. Blessée ? Tant pis. T'as enregistré ?
- Ou-Oui, bafouilla Louise. J'ai compris.
- Ok. Bon, on va passer la nuit maintenant t'en penses quoi ? Tu nous raconteras tout demain.
Louise acquiesça. Pendant que Paul cherchait la capsule de la maison dans son sac, Neil se retourna une dernière fois vers la jeune femme. Toute trace de colère avait déserté son visage ; Il souriait même.
- Au fait, tu vas l'appeler comment ? Demanda-t-il.
- Hein ? Appeler qui ?
- Ton fiston, plaisanta Neil en désignant le Carapuce qui se pelotait contre la jeune femme. Il n'arrête pas de t'appeler maman depuis tout à l'heure.
Louise écarquilla les yeux et baissa son regard vers le petit Pokémon qui lui renvoya un petit sourire.
- Cara !
Eh bin, si elle s'était attendue à tout ça en partant à l'aventure. Une course poursuite, une leçon et la voilà maman à présent et ce, en une journée. Ça faisait un peu trop d'un coup, il fallait le dire. Tout à coup elle souhaita rentrer à Nenucrique en se disant que la vie d'aventurier ne lui convenait peut-être pas.
Mecheva avait gagné. La ville de Nenucrique était à lui. Le membre de sa triade, la délicieuse Mao, avait éliminé les rares soldats qui étaient demeurés sur place pour aider l'enfant de Mew. Ils n'avaient fait que la gêner en fin de compte. Elle était à présent face à lui. Mecheva avait espéré qu'elle serait en colère face à au massacre des vingt-quatre soldats et de leurs Pokémons mais la seule émotion que le dieu de la guerre put lire dans les yeux de cette femme fut de la lassitude, de la fatigue. C'est à peine si elle avait conscience des corps, à peine si elle avait conscience de Mecheva qui était pourtant venu la tuer. Pour Mecheva, qui haïssait être ignoré, cette réaction fut prise pour la pire des insultes.
- Tu as perdu, Lo l'errante ! Je suis venu pour mettre fin à ta rébellion de pacotille ainsi qu'à ta misérable existence !
La femme qui avait su traverser huit siècles lui renvoya un regard vide.
- C'est vrai, tu as raison, répondit-elle d'un ton morne. Mon existence est misérable. On m'a condamnée à vivre trop longtemps. Et qu'y ai-je gagné ? à cause de toi, j'ai perdu mon fils, mes amis, mon époux. Tu m'as tout pris. La seule chose qui a rendu possible ta perversité sur moi c'est que je suis restée en vie pour te voir me les arracher les uns après les autres.
- Et quoi, la railla l'empereur. Tu vas me dire que c'est seulement maintenant que tu as une vie de merde ?
- En fait, je pense que tu as épuisé ton jouet. Tu as vidé la batterie et malheureusement, elle n'est pas remplaçable. Tu es venu me tuer ? Alors vas-y. Tu ne peux plus me tourmenter Mecheva, parce qu'il n'y a plus rien à tourmenter, depuis longtemps.
Le dieu de la guerre arrêta de sourire. Il avait prévu qu'elle se batte jusqu'au bout, pour détruire le peu d'espoir qu'elle pouvait avoir. Mais si elle n'en avait déjà plus, sa mise à mort ne serait même pas amusante.
- Tu es en train de me dire que tu n'as plus envie de te battre ?
- L'envie de me battre, tu me l'as prise il y a dix-sept ans, répondit-elle en se mettant à genoux.
Au-dessus de la ville réduit à l'état de ruine, le ciel grondait, les nuages noirs s'amoncelaient, le vent fouettait, la mer hurlait. Cette météo n'était pas normale, Mecheva le sentait. Il y avait quelque chose qui clochait. Il ressenti un malaise le prendre au ventre et à la gorge. Comme si quelqu'un d'autre les observait et était prêt à intervenir. Et cette présence n'était pas amicale envers lui, il le sentait.
Décidé à en finir, Mecheva transforma sa main humaine en ce qui ressemblait à un gant métallique mauve et vert terminé par des doigts en métal articulés d'où pointaient des aiguilles dégoulinantes d'un liquide poisseux et nauséabond. Il posa sa main sur la tête de Lo et commença à serrer.
- Meurt chienne !
A cet instant précis, la tempête hurla et lâcha toute sa fureur. Un rugissement à rendre sourd un Brouhabam frappa le sol alors qu'une forme sortait de la mer et se dirigeait vers eux. Le premier réflexe de l'empereur fut de reculer et de lâcher la gardienne. Le monstre qui était apparu ressemblait à Lugia, c'était indéniable. Il avait à peu près la même morphologie, une peau d'une couleur blanc argentée, des ornements bleus abyssal mais la ressemblance s'arrêtait là. La créature était plus grande, plus mince, ses ailes ressemblaient davantage à des nageoires qu'à des ailes et surtout, alors que Lugia apparaissait Calme et douce, ce monstre respirait la colère et l'agressivité. Et il se tenait entre l'empereur et la gardienne, qui, de toute évidence, avait retrouvé un peu de vitalité dans ses yeux car elle apparaissait à la fois terrorisée et fascinée. Elle murmura d'un ton révérencieux :
- Tu es revenu...
Le monstre se tourna vers elle et aussitôt, il commença à rétrécir, à changer. Sa queue disparut, ses ailes/nageoires devinrent des bras, ses serres devinrent des jambes. Le monstre devint un humain qui sembla trop familier à Mecheva. La vue de ce monstre dont il était censé s'être débarrassé il y a longtemps le paralysa.
Mao, elle, n'hésita pas. Elle fonça tête baissée, son trident en avant, sans prendre l'avertissement de Mecheva en compte.
- Non, arrête, hurla-t-il. Il est trop fort !
Le garçon aux yeux ambré avisa la flèche impériale comme un Escroco devant un Statitik. La femme se jeta sur lui en criant :
- Meurt, horrible créature, ennemi de mon empereur.
Le jeune homme, le regard toujours aussi calme, esquiva l'attaque en pique et d'une main, il transperça la poitrine de Mao. Dans la main qui avait transpercé le corps, il y avait un cœur que le garçon réduisit en bouille en le serrant. Puis il jeta le corps sur le côté comme un déchet.
- Dans mon souvenir, les membres de ta triade étaient beaucoup plus fort que ça, commenta le garçon. Ils se seraient ramollis ?
Il prenait tout ce qu'il se passait avec indifférence, comme s'il était au-dessus de tout, ce qui devait être le cas. L'empereur grinça des dents. Mao était loin d'être la plus puissante des membres de sa triade mais il avait fait en sorte de les rendre trois fois plus fort et rapide qu'un être humain ordinaire. Et il l'avait éliminé en moins d'une minute.
- Qui es-tu, cracha Mecheva. Tu ne peux pas être Paul Lordiris, c'est impossible.
Le garçon sembla s'étonner d'entendre ce nom, comme s'il l'avait oublié.
- Paul Lordiris..., murmura-t-il. Oui c'était mon nom je m'en souviens. Mais je crois que tu n'es pas une des personnes autorisées à le prononcer parce que subitement, j'ai envie de te démolir. C'est étrange, toutes ces émotions, je sais que ce sont les miennes mais j'ai l'impression qu'elles viennent de quelqu'un d'autre. Ah et si tu te poses la question sache que ton larbin à bien fait son boulot, il m'a tué. C'est juste que tu savais pas ce qui allait se passer si on mourrait, moi aussi d'ailleurs, enfin pas complètement.
Il se tourna vers Lo qui ne pouvait faire le moindre geste. Elle ne semblait pas avoir remarqué le meurtre qu'il avait commis ou fait attention à son discours.
- Elo, je suis désolé mais ton rôle en tant qu'humaine est terminé. C'est pour ça que je suis là. Je ne voulais pas qu'il te tue. Je voulais le faire moi-même.
La gardienne ne sembla pas faire attention aux paroles. Et n'avait d'yeux que le visage encadré de cheveux noirs légèrement ondulés. Elle prit la main que Paul lui tendit.
- On sera toujours ensemble ? Murmura-t-elle d'une voix regorgeant de tant d'amour que les sentiments enfuis si profondément dans le cœur du dieu qu'était devenu Paul remontèrent à la surface et il l'embrassa.
- Oui je te le promets.
Il l'enlaça ensuite et elle disparut. Comme si elle n'avait jamais existé.
Mecheva, lui, était paralysé. Il n'arrivait plus à bouger. La peur lui nouait les entrailles. Si cette créature se décidait à le tuer, il ne pourrait rien faire pour l'en empêcher.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, Paul se jeta sur Mecheva et le mit à terre, un pied comprimant la poitrine du dieu de la guerre.
- Tu n'as pas le droit de prononcer mon ancien nom, déclara-t-il d'une voix de nouveau indifférente. Sache que tu n'es plus le seul dieu à avoir une puissance équivalente à celle des anciens. Je suis le fils de Lugia, l'incarnation des tempêtes et de la colère de la mer. Mon nom est Uglios !
Et il disparut, ainsi que la tempête, laissant Mecheva haletant sur le sol, au milieu des ruines de Nenucrique. Il fallut un certain temps à l'empereur pour se relever mais quand ce fut le cas, une sourde et noire colère suintait de ses pores. Il leva le poing vers le ciel et hurla de toute la force de ses poumons:
- LE MONDE EST A MOI!!! JE VOUS DÉTRUIRAIS TOUS!!!
Lorsqu'Eloïse revint à elle, Nenucrique s'était évanouie. A la place, il n'y avait qu'une grotte sombre qui sentait le sel, l'humidité et les algues. La vieille gardienne grimaça à l'odeur légèrement trop salée.
- Tu vas bien ? Demanda une fois trop familière.
Lo se retourna et vit Paul qui la regardait avec inquiétude. Elle failli se jeter dans ses bras avant de remarquer. Ce n'était qu'un détail mais cela faisait toute la différence. Quand Paul avait été tué, il avait l'apparence d'un homme de quarante ans, avec les cheveux qui blanchissaient. L'être qu'elle avait en face était âgé de 17 ans grand maximum. Le regard de la gardienne se durcit aussitôt. Elle invoqua son pouvoir, prête à faire face, une rage bouillonnant au fond d'elle-même.
- Qui êtes-vous ? Demanda-t-elle. Qu'avez-vous fait de mon mari ?! Répondez-moi. TOUT DE SUITE !
Le garçon soupira d'un air soulagé avant de sourire. Ce sourire appartenait à Paul. Eloïse l'avait vu pour la première fois quand elle lui avait proposé de faire son voyage initiatique avec elle. C'était ce sourire qui lui mettait le baume au cœur quand elle en avait besoin. Mais cette fois, ça lui laboura les entrailles. Elle se concentra et lança une attaque Dracochoc en hurlant. Le garçon esquiva aussitôt ce qui confirma ce que George lui avait révélé. Cette créature avait béni Neil. C'était lui le fameux dieu inconnu de type eau et dragon. Cet être avait volé le visage de Paul et il allait payer.
Elle se précipita sur lui, une attaque Dracogriffe chargée et prête à frapper. Le garçon, quant à lui ne réagit pas à la menace. Il garda un air indifférent à la capacité qui pouvait pourtant l'éliminer. Sa seule attention était le visage de Lo. Dans ses yeux on pouvait y lire une confusion extrême.
- Miss Paix, je crois que j'ai fait une erreur. J'ai laissé Mecheva vivre...
Cela stoppa instantanément la gardienne.
- Je crois que j'ai été pris de... Pitié ? Non, ce n'est pas ça. J'ai éprouvé de... l'amour ? De la compassion ? Je n'arrive pas à comprendre ce que je ressens.
Lo s'approcha prudemment.
- Quel effet ça te fait ? Murmura-t-elle. Quand tu as vu Mecheva, Quelle sensation as-tu eu ? Qu'éprouves-tu maintenant ?
Le garçon sembla réfléchir et finit par murmurer, les larmes aux yeux.
- De la douleur. J'ai eu mal, comme si on m'avait blessé au cœur mais je n'ai pas reçu de coup. J'ai encore mal maintenant. Pourquoi ? Qu'est-ce que ça signifie ? Pourquoi je ne veux plus voir Mecheva ? Le simple souvenir de son visage me donne envie de pleurer. Pourquoi ?
Eloïse n'eut plus de doute à cet instant. La prophétie s'était accomplie. C'était Paul, son époux, l'homme qu'elle aimait qui se tenait devant elle. Paul qui avait retrouvé sa véritable identité, celle du fils de Lugia. La vieille gardienne s'accroupit et enlaça le garçon.
- Tu as mal parce que ce n'est pas Mecheva que tu as vu mais Lucien, ton fils.
- Lucien... Mon... fils ? Possédé depuis trop longtemps par la guerre elle-même. Souffrance, perte, souffrance, condamnation, souffrance exil, souffrance... Gorge tranchée.
- Que, Quoi ?
- Ma gorge a été tranchée, je me suis vidé de mon sang au bord d'une falaise. C'est mon fils qui a ? Non, ce n'était pas lui mais c'était ses ordres... NON, c'était les ordres de Mecheva. Mais je suis mort... Paul Lordiris est mort ce jour-là.
- Non, s'il te plait arrête.
Lo ne voulait pas en entendre davantage. C'était suffisamment dur.
- Si je suis mort, continua-t-il. Qui suis-je ? Que suis-je ? Je connais la prophétie, je me souviens de tout mais ça semble si lointain, si... artificiel ? Je suis si seul, je ne suis pas moi-même si je suis seul. Quelqu'un peut-il me dire qui je suis ??!
- Tu es mon époux, l'homme que j'aime et avec qui j'ai traversé les siècles.
Le garçon arrêta de s'époumoner et lança un regard interloqué à Lo. Elle avait les larmes qui coulaient comme une fontaine, elle n'arrivait pas à se retenir, elle en était incapable. Paul avait souffert lui aussi pendant tout ce temps, à recoller les morceaux de son propre esprit seul, sans personne pour l'aider.
Paul la regarda intensément, cherchant à se rappeler. Il posa sa main sur la joue de la vieille gardienne. Elle frissonna. Sa main était froide et elle sentait l'océan.
- Eloïse, murmura le garçon. Pourquoi tu pleures ? Je n'aime pas quand tu pleures, ça... me fait mal.
- Paul !
C'est tout ce qu'Eloïse put dire avant d'éclater en sanglot. Elle se colla au jeune dieu qui ne la repoussa pas. Il l'enlaça de plus belle et se mit à pleurer lui aussi.
- Je suis stupide, hurla-t-il. Je ne suis pas seul ! Je ne l'ai jamais été. Oh Elo, pardonne-moi je suis tellement désolé !
Ils restèrent ainsi longtemps, collés l'un à l'autre, pleurant, se retrouvant après des années de séparations.
Quand ils se séparèrent enfin, Lo posa enfin la bonne question.
- Pourquoi tu m'as amené ici Paul ?
Le regard du jeune dieu se voila et il baissa la tête, l'air honteux.
- J'ai eu une vision. Ton temps sur terre en tant que mortelle touche à sa fin. J'ai préféré le faire moi-même.
- Tu veux me tuer ? Demanda Lo qui, aussi bizarre que ça paraissait, n'avait pas peur de ce sort.
- En tant que mortelle tu ne peux pas aider Louise. J'ai vu qu'elle avait besoin de toi mais pas en tant que gardienne mais en tant que...
- Déesse ?
Paul hésita, avant d'acquiescer.
- Qu'est-ce qu'il va se passer ?
- Tu renaîtras sans attendre. Et je serais là pour t'aider.
- Cette fois nous resterons ensemble ? Tu ne me quitteras plus ?
Paul se pencha vers elle et l'embrassa. Lo senti quelque chose transpercer la poitrine et son coeur. Mais, à sa grande surprise, la vieille gardienne ne ressenti aucune douleur, juste un froid qui l'envahissait et une douce torpeur qui l'enveloppait. Alors que sa vision se troublait, elle entendit Paul dire, les larmes aux yeux mais semblant venir de très loin.
- Je promets de ne plus te laisser, jamais...
Voici Uglios, le fils de Lugia
