009 : Les distinctions sont inutiles...
"Carpe diem, là est toute la vérité, cueillez dès à présent les roses de la vie pour ne pas découvrir la vieillesse venue que je n'avais point vécu..."
- Nancy H. Kleinbaum
Le son incessant de la pendule contribuait à mettre ses nerfs à fleur de peau. Il voulait arrêter ce tic-tac qui lui agressait les oreilles et qui, à cause de l'alcool, lui paraissait de plus en plus fort. Il voulait balancer cette foutue bouteille de vodka sur ce mécanisme pénible qui n'arrêtait pas de lui rappeler à quel point le temps passe vite, à quel point la vie est courte, à quel point la mort est rapide, et surtout à quel point la culpabilité met un temps fou à disparaître. Seulement il n'en avait pas la force. Il commençait à devenir l'ombre de lui-même, depuis cette fichue mission à Clémenti-Ville. Il n'avait pas pu empêcher le major Greene de se sacrifier pour lui ; il était trop lâche. Il n'avait pas pu la sauver à temps ; il était trop peureux. Et ensuite, il n'avait pas pu empêcher sa propre dépression, sa propre descente aux enfers ; il n'était pas assez déterminé.
Le médecin timoré et sans problème apparent était devenu l'épave, aux cernes sous les yeux, au regard vitreux, aux cheveux blonds indisciplinés, à l'odeur d'alcool qui commençait à imprégner ses vêtements, et surtout, au cerveau en vrac. Des bribes de souvenirs de cette mort, qu'il ne parvenait pas à effacer, lui revenaient en pleine figure. Alors il buvait. L'effet étourdissant de l'alcool dispersait pour un temps ces souvenirs, en les remplaçant par une envie de vomir incessante et un mal de crâne dont il se souviendrait toute sa vie.
Joseph Watson soupira. Longuement. C'était là une plainte, un son de résignation. A quoi se résignait-il exactement ? Lui-même n'en avait aucune idée. Il n'entendait quasiment plus rien, mis à part le bruit agaçant de la pendule de son salon. Tic. Tac. Tic. Tac. Un compte à rebours sinistre, qui allait parfaitement avec cet environnement des plus austères. Tout l'alcool qu'il avait consommé en tombant en dépression n'avait pas un effet des plus plaisants sur ses sens. Il voyait légèrement trouble, mais parvenait tout de même à discerner ces quelques lignes de texte qui l'avaient tant enchanté vingt ans plus tôt.
"Il me sourit avec une sorte de complicité - qui allait au-delà de la complicité. L'un de ces sourires singuliers que l'on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassurent à jamais."
Il reposa le livre sur la table basse et médita longuement sur ces deux phrases, à première vue ordinaires, mais qui réussissaient à le toucher comme s'il était lui-même le narrateur de cette histoire fantasque. En y repensant bien, il parvenait à faire un parallèle entre le sourire décrit et celui que lui avait accordé son collègue et ami - du moins lui le voyait-il comme un ami - le major Jim Warden. Il s'agissait sans nul doute d'un sourire d'une valeur inestimable, qui vous démontrait toute l'affection ou l'estime que l'on pouvait ressentir pour vous. Le blondinet s'apprêta à fondre en larmes de nouveau, mais son téléphone ne lui en laissa pas le temps. Il grommela, se leva en prenant bien garde de s'appuyer sur le mur, se rendit jusqu'au meuble de sa démarche chancelante et se saisit enfin du combiné. Il eut à peine le temps de marmonner un "Allô" presque inaudible, que la voix du colonel Waltz se fit entendre à l'autre bout du fil.
- Oui... si je suis en forme ? Pas vraiment, monsieur. Hm hm. Je pense que je devrais accepter, avant de sombrer dans un coma éthylique... à tout de suite.
Le trentenaire reposa le téléphone sur son support et haussa les sourcils, se rendant soudain compte de l'absurdité de la situation dans laquelle il s'était fourré ; il faisait nuit depuis un bon moment sans doute, et l'officier supérieur avait besoin de ses bons et loyaux services. Quand diable cet homme dormait-il ?
- Sérieusement, pourquoi est-ce qu'il a besoin de me convoquer à minuit et demie ?! s'insurgea le médecin, avant de réaliser qu'il était tout seul chez lui et qu'il avait l'air ridicule, à crier ainsi dans son appartement vide.
Il s'interrogea un instant sur l'absence de Warden, qui était toujours trop pressé de quitter le boulot pour rentrer aussi tard, mais oublia bien vite son colocataire provisoire pour aller arranger son apparence, qui laissait vraiment à désirer depuis qu'il avait pris la sage décision de se saouler jusqu'à plus soif.
*
* *
- Une femme rousse accompagnée d'un homme brun ? Euh... non, navrée, cela ne me dit rien. Je ne les connais pas, fit une jeune femme.
- Merci pour votre coopération, mademoiselle, et désolé de vous avoir fait perdre votre temps, souffla le major Warden, déconcerté par son trente-quatrième échec de la soirée.
- Je vous en prie, monsieur. Au plaisir.
La jeune femme s'éloigna et l'officier prit un moment pour réfléchir. Sur trente-quatre personnes, pas une ne connaissait ces fameux rebelles. Cela lui parut insensé, quoiqu'il n'eut décelé aucune trace de mensonge chez les gens qu'il avait pu interroger, et pourtant il était bien entraîné dans ce domaine. Ou ils étaient d'excellents menteurs, ou bien alors ces deux-là n'étaient tout simplement pas très connus du grand public. La seconde hypothèse semblait la plus plausible. En même temps, si les meneurs ou les membres influents de la résistance dévoilaient leurs noms à toute la communauté Hoennaise, nul doute qu'il y aurait des fuites, et pas des moindres.
- Bah mince alors, je commence à penser rationnellement et à réfléchir au lieu de foncer tête baissée dans les emmerdes... Warden, tu tiens le bon bout... songea-t-il, absorbé par la contemplation d'une jolie jeune femme blonde d'à peine vingt ans.
Sa collègue vint le rejoindre quelques minutes plus tard, pas plus avancée que lui.
- Vous vous posez pas de questions ? C'est étrange que personne ne les connaisse... souffla-t-elle, excédée elle aussi par son cuisant échec.
Warden lui fit part de sa théorie, en défendant bien comme il faut son point de vue, pas comme à l'accoutumée. Et, étrangement, cela eut l'effet escompté.
- Ce n'est pas bête, je l'admets, mais on n'est sûrs de rien. Qui sait, ils sont peut-être passés maîtres dans l'art du mensonge.
Le major haussa les épaules, peu convaincu.
- Une personne sur cent sait vraiment bien mentir, et je peux vous assurer que je suis très bien formé. Forcément, plusieurs années dans la police politique, ça ne trompe pas.
- Un point pour vous... soupira la jeune femme, qui commençait à se démoraliser.
Ils restèrent silencieux un bon moment, qui parut à l'un comme à l'autre une éternité. Warden s'éclipsa de nouveau pour aller rafler la mise au poker - jeu qui lui plaisait énormément et pour lequel il semblait avoir un talent caché -, la laissant seule sur une banquette pouvant accueillir au moins quatre personnes. Elle ne refusa pas lorsqu'une serveuse lui tendit un verre rempli d'un alcool à l'attrayante couleur rosée, mais n'y toucha pas non plus. Non, elle passa un long moment à observer ce verre, qui faisait pour elle figure de fruit défendu. Elle avait suffisamment expérimenté les plaisirs et les tourments de la boisson étant plus jeune, et ça lui ferait mal de recommencer. En même temps, une seule gorgée, ça n'allait pas l'enivrer...
Elle mit fin à ce débat intérieur en s'emparant du verre et en vidant tout son contenu, cul sec. La sensation était divine. Cette très légère brûlure familière au fond de la gorge, ce goût subtil et brutal à la fois... Raine se sentit vraiment idiote d'avoir refusé de boire une goutte d'alcool pendant toutes ces années.
- Hors de question de m'enfiler un autre verre, par contre... pensa-t-elle, beaucoup plus modérée qu'à une époque désormais révolue et enterrée.
*
* *
Bridget observait, nerveuse, les faits et gestes des deux officiers Unovites rencontrés la veille. Elle les avait repérés à la soirée qu'elle avait, avec bien des amis, organisée, et ça ne rendait pas les choses faciles. Elle qui voulait simplement offrir un moment de détente en ces temps difficiles, elle n'était même pas sereine. Son mari devait se douter de quelque chose, car il lui jetait des coups d'œil suspicieux entre deux gorgées de cocktail.
- Si tu as quelque chose à me dire, vas-y. Je t'écoute, chérie.
La rousse secoua la tête et reporta son attention sur les deux officiers. Ils semblaient chercher quelqu'un, au vu de leur attitude ; ils questionnaient tous ceux qui passaient à côté d'eux. Elle songea que Winston et elle étaient sûrement leur cible.
- D'accord, je crois que tu vas pas être content, mais... ces deux militaires, la blonde et le brun. Je crois bien qu'ils nous cherchent.
Le leader des rebelles haussa un sourcil, perplexe face à tant de paranoïa chez celle qui, pourtant, était un vrai rayon de soleil pour la résistance, toujours enjouée et motivée. Là, elle semblait vraiment lasse. C'était inhabituel et vraiment dérangeant. Il prit toutefois la peine de la rassurer au sujet de ses craintes.
- Ne t'inquiète pas, peu de gens savent qui contrôle réellement la résistance, vu qu'on ne fait pas tout un plat de nos actions, pas comme ces Unovites... soupira-t-il, soudain mal à l'aise, comme si le stress de son épouse était communicatif.
Bridget se fit violence pour sourire, et s'appuya sur le qui surlombait la salle, au premier étage du grand casino de Lavandia. Winston soupira et la rejoignit.
- Tu devrais rentrer à la maison, ou au bunker... je crois que tu n'es pas en sécurité ici.
La femme secoua la tête avec véhémence, comme pour chasser cette idée absurde, et croisa les bras. Elle avait une moue adorable, qui la faisait ressembler à une enfant capricieuse.
- Je ne veux pas fuir devant l'ennemi. Je veux, tout comme toi et les autres, me battre pour notre cause. Hoenn est ma région, je ne l'abandonnerai pas. Que cela te plaise ou non, tu devras faire avec.
Le brun secoua la tête, un demi-sourire aux lèvres.
- Pourquoi j'aime les femmes courageuses et déterminées, moi...
Bridget ne releva pas et se perdit dans la contemplation de tous ces visages inconnus qui souriaient et plaisantaient allègrement, alors même qu'ils n'étaient sortis de cette guerre infernale que depuis six mois environ. Et la guerre, quoi que l'on puisse en dire, continuait. Contrairement à ce que la majorité des gens pensaient, elle ne s'était pas terminée le jour ou l'Etat-major Unovite avait posé son drapeau à Mérouville ; au contraire, elle faisait bel et bien encore rage sur les terres Hoennaises. Prise d'un élan de courage, elle interpella son mari.
- Oui ?
Elle hésita. Devait-elle lui dire cela maintenant ? Elle doutait sincèrement qu'il ne s'évanouisse pas, et préféra laisser tomber. Il ne s'interrogea pas plus et s'éloigna pour aller saluer des amis. Les yeux dans le vague, elle passa une main sur son ventre, regardant vers l'avenir, qu'elle espérait plus radieux que ces jours sombres.
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* *
Assis dans un lit peu confortable, dans une chambre sans fenêtres, il peinait vraiment à patienter. Son rétablissement prendrait au moins une semaine, et ce n'était pas pour le réjouir. Les murs gris, froids, donnaient une atmosphère horriblement austère à la pièce. Il n'y avait presque aucune décoration ; une table de chevet sur lequel un pot de fleurs reposait, un tableau sur le mur qui lui faisait face, et deux ou trois armoires à pharmacie qui stockaient tous les médicaments à la disposition dans le bunker. Rien de plus, rien de moins. Il contempla la couverture blanche qui le recouvrait. Il ne voulait pas voir sa blessure, qui le dégoûtait déjà assez comme ça.
De plus, les paroles de Bridget, plus tôt dans la journée, l'intriguaient et l'effrayaient tout à la fois. Il ne savait pas quoi penser de cette histoire de massacre perpétré de manière on ne peut plus sadique. S'il avait une seconde personnalité enfouie en lui, qui ne demandait qu'à voir le sang se répandre, mieux valait l'enfermer en cellule et ne jamais le libérer, non ? Il ne comprenait pas pourquoi ses collègues de la résistance ne l'avaient pas fait. Nul doute que le couple Travis n'en avait parlé à personne, sinon il se verrait harcelé de toute part, par des imbéciles curieux qui ne demandaient qu'à voir le monstre de foire. Pour cela, il leur était infiniment reconnaissant - bien qu'il ne risque pas de l'admettre de sitôt.
A l'heure qu'il était - pas loin de minuit, s'il en croyait son ressenti -, ils devaient être à leur fameuse soirée, au casino, avec ce politicard, Sullivan Finkton. Tobias ne le portait nullement dans son cœur ; il ne le connaissait pas personnellement, mais savoir qu'il était Unovite lui suffisait. Ce type n'était pas digne de confiance, et ça, il aimerait bien le faire comprendre à Winston et Bridget, qui voyaient en lui un allié, et surtout, un soutien financier de poids.
Seul dans sa morne chambre, il ruminait son échec, tentant vainement de trouver un moyen de se rendre utile, et ce malgré son incapacité à bouger. C'est qu'il les haïssait, ces chiens Unovites, et jamais il ne les laisserait garder le contrôle de Hoenn aussi impunément. Etrangement, une idée lui vint, en même temps qu'un sourire mauvais.
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* *
Gelé jusqu'à l'os - probablement car il ne retrouvait pas son manteau, et son taux d'alcoolémie ne devait pas y être pour rien -, le docteur Joseph Watson soupira d'aise en refermant derrière lui la porte du quartier général militaire de Mérouville. Les lumières du hall, malgré l'heure, étaient toujours bien allumées, et une secrétaire se tenait même à la réception, les yeux rivés sur un magazine. Il hésita à s'annoncer, car elle n'avait en aucun cas remarqué sa présence. Finalement, il prit son courage à deux mains et s'avança jusqu'à la quadragénaire, qui ne daigna pas lever les yeux.
- Vous avez besoin de quelque chose ? demanda-t-elle de sa voix usée par les années, et probablement par une consommation de tabac très abondante.
Le blondinet, qui avait pu dessoûler grâce au froid, déglutit, pleinement conscient qu'il était ridicule dans son costume noir froissé. Mais il n'avait pas trouvé autre chose de convenable, ayant régurgité son déjeuner sur son uniforme, alors il s'en contenterait.
- Oui, euh... en fait, le colonel Waltz m'a demandé de venir, je ne sais même pas pourquoi...
- Vos papiers qui prouvent que vous êtes de chez nous, je vous prie, souffla la femme, toujours sans détourner les yeux de sa revue touristique.
Le médecin soupira, pleinement conscient qu'il allait devoir retourner à son appartement pour récupérer les papiers en question. Mais il n'était pas franchement d'humeur à faire des concessions.
- Ecoutez, madame, je sais que...
- Mademoiselle, le coupa la femme, cette fois-ci en le regardant dans les yeux.
- Mademoiselle, comme il vous plaira... je n'ai pas mes papiers sur moi, et étant donné que le colonel a directement appelé à mon domicile, je suppose que c'est assez urgent...
Elle ne semblait pas d'humeur à en démordre.
- Vous avez pas vos papiers ? Eh ben vous verrez pas d'officier supérieur, un point c'est tout. Je fais mon boulot, je suis payée une misère pour ça, alors si je peux essayer d'avoir une promotion en laissant pas rentrer les rigolos de votre genre... vous devez être un Hoennais, nan ?
- Allons, Hortense, laissez le docteur Watson tranquille. Le pauvre, il est tout tremblant !
Lui-même ne l'avait pas remarqué jusque là, mais effectivement, il tremblait comme une feuille. Le colonel Waltz arriva à sa rencontre, un grand sourire chaleureux aux lèvres.
- Venez donc avec moi, et ne faites pas attention à elle. Hortense n'a jamais été très polie...
Le docteur hocha la tête et suivit l'officier supérieur jusqu'à son bureau, qui, étrangement, sentait l'alcool. Eh bien au moins, il ne serait pas dépaysé. Des papiers étaient éparpillés au sol, et le blondinet faillit avoir une crise cardiaque en voyant un homme en uniforme militaire étalé dans un coin de la pièce. Il s'empressa de vérifier son pouls et constata avec soulagement qu'il était vivant.
- Mon dieu, vous m'avez fait une telle frayeur ! Laisser un type évanoui ici...
- Justement, c'est pour cela que vous êtes ici, mon bon docteur ! Le pauvre caporal Hermann, qui est aussi mon secrétaire personnel, a un peu trop bu et s'est permis de venir me voir, de renverser pas mal de documents sur mon bureau et de s'étaler par terre, juste là. Je voulais m'assurer qu'il était en sécurité.
Le médecin plissa les yeux, perplexe.
- Euh... mais pourquoi moi ? Vous avez des tas de médecins disponibles ici, non ?
Le colonel sourit.
- Des tas, non, mais oui, on en a quelques uns. Seulement, je m'inquiétais pour vous. Après cet enterrement, je me doutais que vous seriez affaibli, et peut-être même avez-vous songé au suicide. Je suis soulagé de constater que non.
Abasourdi, Watson ne répondit pas et commença à examiner son "patient". A première vue, il n'avait rien de grave ; juste un traumatisme crânien. Le pauvre Hermann avait dû bien se cogner la tête au sol, rien de plus. Etrangement, le médecin se sentait un peu déçu de n'être venu que pour ça, et cela n'échappa pas au colonel.
- Vous savez, docteur Watson... les personnes qui, comme vous, sont plutôt faibles psychologiquement... eh bien je dois admettre que ça me fait de la peine de voir ça. Vous avez l'air désemparé, cette histoire d'enterrement - le major Greene fusse-t-elle une illustre inconnue - vous a bouleversé et vous avez sombré dans un début d'alcoolisme. Ne gâchez pas votre potentiel, docteur. Ce serait dommage.
Le blondinet médita ces paroles quelques temps et décida de prendre congé, non sans remarquer le regard étrangement nostalgique que l'officier eut en posant les yeux sur une photographie, mêlée aux documents éparpillés au sol.
*
* *
Hilda Riggs et son fiancé Sullivan Finkton, le principal fournisseur financier de la résistance, qui leur obtenait aussi des armes Unovites à l'occasion, suivirent, sans trop se poser de questions, les indications que Winston leur avait données. Premièrement, repérer une femme blonde en robe pourpre, relativement petite, accompagnée d'un homme brun. Ils ne mirent pas longtemps avant de les trouver. Ensuite, chose plus délicate, engager la conversation tout en ayant l'air dignes de confiance. Pour cela, ce n'était pas trop difficile, puisque Sullivan lui-même était d'Unys. Il n'aurait donc aucun problème à discuter avec des officiers de là-bas. Enfin, ils devraient leur soutirer des informations concernant leur armée. Rien de tel que de se servir de l'importance de son frère aîné Roddy, qui siégeait en tant que ministre de l'Intérieur.
- Euh... excusez-moi.
Raine et Warden se retournèrent, d'un même mouvement, vers l'homme brun à lunettes et la femme brune. Le major plissa les yeux, ayant le sentiment d'avoir déjà vu ce type quelque part. Il avait l'étrange impression qu'il était celui qui observait, en retrait, l'enterrement des majors Greene et Tanner, le matin-même.
- Eh bien... bonsoir messieurs-dames, finit par répondre Raine, gênée par ce silence pesant. A qui avons-nous l'honneur ?
Ils se présentèrent tous les deux, sous le regard interloqué des militaires, qui ne s'attendaient pas à rencontrer un membre de la famille de l'un des ministres d'Unys.
- Je n'ai jamais eu le... plaisir de rencontrer votre frère, mais me voilà devant vous ! sourit Raine, pour le coup vraiment impressionnée, voire admirative. Il a fait de grandes choses, vous savez...
- Je vous en prie, Roddy n'est pas Superman. Il fait simplement... eh bien, ce qu'il peut pour maintenir l'ordre chez nous.
Warden ne sentait pas trop ce gars-là, et ce n'était pas uniquement à cause du léger mal-être qu'il percevait chez Sullivan Finkton ; il avait un mauvais pressentiment, qui n'était que renforcé par son entraînement le sensibilisant aux mensonges. Hilda Riggs restait en retrait, probablement peu, voire pas du tout concernée par les affaires géopolitiques d'Unys, qui n'était peut-être même pas sa région natale.
- J'ai entendu dire que les choses allaient bientôt bouger, dans la région. Roddy a-t-il pris des mesures particulières ?
Raine, en bonne admiratrice de Roddy Finkton - et par extension, de son frère -, ne jugea pas nécessaire de se méfier, alors que Warden semblait vouloir lui hurler de ne surtout pas parler. Il n'y parvint pas.
- Vous devez connaître le général Estelle Grey. Elle arrivera dans la région sous peu.
Le major grimaça mais se reprit vite, souriant le plus poliment du monde à Hilda Riggs. La discussion dura encore un petit moment, avant que des bruits sourds, que les deux militaires identifièrent rapidement, ne viennent troubler l'allégresse de la fête. Le cauchemar recommençait-t-il déjà ?
Plusieurs - environ une dizaine - soldats de la résistance, armés, entrèrent dans le grand bâtiment et fermèrent les portes, empêchant quiconque de partir. Sullivan et Hilda, qui étaient retournés auprès du couple Travis, s'étonnèrent franchement.
- Dites, c'était prévu, ça ? demanda le politicien.
- Non... pas du tout... répondirent mari et femme en chœur, perturbés par ce soudain revirement de situation, qui les mettait dans de sales draps. Finalement, après un silence de mort, l'un des rebelles hurla :
- Que tous les chiens Unovites se dénoncent, et il ne sera fait aucun mal aux civils innocents !
Cette déclaration lourde de sens fut suivie du plus grand des silences. Un silence quasi-religieux, que personne n'oserait troubler.