004 : You better call the police, call the coroner...
"Now if he made you cry, oh, I gotta know,
If he's not ready to die, he best prepare for it,
My judgement's divine, I'll tell you who you can call,
You can call..."
- Who Did That To You, John Legend
John K. Jameson
J'ai l'impression d'avoir la gueule de bois, ce matin. Et pourtant, j'ai pas bu. J'ai pas avalé une goutte d'alcool depuis... quatre jours, je crois. Et j'ai l'impression que ça fait une éternité. J'ai dû trop m'habituer à boire, Rachel m'avait bien dit que c'était pas bon. Mais comme d'habitude, je l'ai pas écoutée. Je l'écoute jamais, la pauvre, elle ne veut que mon bien. J'espère juste que Toby finira pas comme moi. Ce serait du gâchis.
Rachel me traîne presque en dehors de l'hôtel. J'ai vraiment pas envie d'y aller, à ce stupide stade. Ce tournoi débile ne m'intéresse pas, mais ai-je le choix ? J'ai choisi de venir, pour assurer du succès à mon retour, et je suis même pas certain que ça en aura. C'est vrai, quoi, je suis sûr que des tas de gens, comme moi, détestent les tournois Pokémon.
Quand on sort, une odeur inconnue mais étrangement désagréable me monte à la tête. Sûrement l'odeur de la mer, ou un truc comme ça. Par contre, quand je regarde la ville, je peux que m'incliner. C'est vraiment magnifique. Des passerelles qui semblent être en verre relient tous les points importants de la cité, qui semble vachement en avance sur son temps. On se croirait presque dans le futur. C'est ce que j'aurais dit si ça m'avait pas paru trop risible. Finalement, je regrette un tout petit peu moins - rien qu'un tout petit peu - ma région natale.
On traverse les grands-rues, on se mêle à la foule, on suit les panneaux qui nous indiquent le grand stade... et y'a vraiment beaucoup trop de monde. Un truc qui me dépayse pas, étant donné qu'à Volucité, c'est tout le temps comme ça. Rachel s'extasie en regardant les devantures de boutiques qu'elle ne connaît pas. Je vois d'ici mon porte-monnaie se vider en moins de temps qu'il en faut pour le dire, et c'est pas pour me plaire. Elle est bien gentille, mais on est pas venus ici pour le tourisme.
Le stade est... vraiment immense. C'est un de ces nouveaux bâtiments à l'architecture moderne, entièrement construit en béton. Une grande coupole transparente en verre fait office de toit, comme ça on a l'impression d'être en extérieur. Un peu trop voyant et extravagant à mon goût. Je préfère les bons vieux immeubles des années quarante, ça, ça ne se démode pas. Je sais pas combien il y a d'entrées, mais c'est sûr, il y en a beaucoup. J'arrive à peine à bouger, serré entre Dimitri et Rachel. Je serais pas étonné si on perdait quelqu'un avant de réussir à entrer dans ce truc, c'est vraiment la folie. Encore une fois, ça change pas de Volucité. On se croirait dans le métro, c'est hallucinant...
- Cette ville est vraiment démentielle !
Je regarde Rachel avec des yeux ronds. Elle est toute sourire, à regarder de tous les côtés comme une gamine de cinq ans qui fait sa première visite au parc d'attractions. C'est mignon, mais un peu désespérant. Si on n'était pas serrés comme des sardines en boîte, elle se mettrait sans doute à courir partout, et tous les gens autour la regarderaient comme si c'était une échappée d'asile. Merde, je suis vraiment un enfoiré avec elle, mais j'avoue que ce serait marrant.
- Démentielle, tu peux le dire, on peut à peine mettre un pied devant l'autre... je réponds en grommelant.
- John, tu es tellement... je sais pas... blasé !
Blasé ? Que veux-tu que je sois ? Fou de joie à l'idée d'aller voir un spectacle qui - excusez du peu - me fait royalement chier ? Non, je pense pas que ce soit l'idéal. Je suis blasé, eh bien soit. On est pas tous aussi enthousiastes que toi dans ce monde, ma grande. Je lui aurais sûrement répondu ça si j'avais pas une conscience qui me dit à quel moment je dois arrêter d'être un connard avec elle. Heureusement que je l'ai, cette foutue conscience, parce que j'ai pas envie de divorcer. Je deviendrai un connard encore plus con que maintenant. Un ivrogne qui fait la tournée des bars tous les soirs et qui finit par se convertir en toxico... Nan, je préfère pas y penser.
Après, quoi, une demi-heure à pouvoir à peine respirer dans cette foule, on arrive à entrer. Des filles en uniforme du personnel de la Ligue nous font asseoir à des places libres. Je suis entre Rachel et la femme de Dimitri... merde, comment elle s'appelle, déjà ? Elisa ? J'arrive jamais à me souvenir de son nom, ça m'énerve. C'est la folie dans les gradins, je sens d'ici venir l'émeute. Une fois que tout le monde est assis, y'a un silence de mort. On attend l'arrivée du présentateur qui va venir nous faire chier pendant tout le long du truc.
Au bout d'un moment, une femme, plutôt grande, se pointe. De loin, j'arrive à peine à distinguer son visage, mais elle est sacrément belle. Tout le monde doit penser la même chose. Il me semble l'avoir déjà vue dans les articles de mode de mon journal, mais comme je m'occupe pas personnellement de cette section, j'y fais pas gaffe. Elle porte un long manteau noir bordé de fourrure tout aussi noire. En fait, elle porte que ça, du noir. Ses yeux balaient la foule et elle finit par se saisir du micro placé au centre du terrain - beaucoup trop grand à mon goût.
- Bonjour et bienvenue à vous !
Sa voix résonne dans tout le stade. Ce micro doit être vachement perfectionné... elle continue son laïus.
- Aujourd'hui, moi, Cynthia Kurisu j'ai l'honneur de vous accueillir au premier tournoi officiel de la Ligue Pokémon. Nous avons travaillé des années avant de mettre au point ce projet incroyable, et voilà que finalement, nous pouvons le présenter à tout Rivamar. Que dis-je, à tout Sinnoh !
Je lève les yeux au ciel. C'est vrai, quoi, elle a forcément appris par cœur son texte. Pour débiter des conneries pareilles sans texte, faudrait être sacrément illuminé. Peut-être bien qu'elle l'est, aussi, j'en sais rien. Mais pour animer un truc pareil, de toute façon... Faut que je sache qui est cette Cynthia. Dimitri doit être au courant. Je lui donne une tape sur l'épaule.
- Hm ?
- Cette conne qui présente, là, c'est qui exactement ?
Il hausse les sourcils en entendant ce que je dis et sourit.
- Elle ? Une icône de mode, et accessoirement la meilleure dresseuse de Pokémon de toute la région, pourquoi ?
Je hausse les épaules.
- Pour rien, je trouvais juste qu'elle avait l'air... un peu illuminée. Son speech est carrément ringard.
- Je trouve aussi. Son préparateur de discours est un imbécile.
Je souris et me retourne vers le terrain. La grande blonde est sur le côté et en face d'elle se tient un grand type aux cheveux roux, presque rouges, en combinaison ridicule. Il porte même une cape rouge. Sérieusement, si on m'avait dit que je viendrais regarder un ballet de super-héros et d'icônes de mode, j'aurais volontiers payé quelqu'un pour y aller à ma place. Mince, je suis vraiment con de pas avoir pensé à ça avant...
Finalement, les deux stars du monde Pokémon commencent à se battre. La nana envoie un Pokémon vraiment bizarre. Une sorte de spectre monté sur une petite pierre. Il a une spirale noire dans l'un de ses yeux verdâtres, et des sortes de motifs de la même couleur sont disséminés sur son "corps" violet. Ouais, vraiment étrange, ce Pokémon-là. En face, le type - Dimitri me dit qu'il s'appelle Peter et que c'est l'équivalent de cette femme à Kanto - envoie un Dracolosse, et tous deux commencent le combat.
Je regarde pas vraiment, je préfère prendre quelques notes pour pouvoir bosser sur les articles après. De toute façon, les tournois Pokémon, c'est pas un truc qui me botte, alors peu importe si je rate des "moments forts". On entend les deux maîtres du combat s'égosiller à donner des ordres à leurs bestioles, et les cris de la foule en délire. Je vais pas tarder à choper la migraine et ça me fout la trouille de voir à quel point ces gens sont excités par tout ça. Sûrement que leur vie est pas marrante. Ouais, ça doit être ça.
- Vous vous ennuyez tant que ça, monsieur Jameson ?
Je tressaillis, surpris qu'on me parle. C'est la femme de Dimitri. Depuis quand elle ose m'adresser la parole ? Au bureau, c'est la nana la plus timide que j'aie jamais vue de ma vie, et là... bon.
- Vous avez pas idée. Les combats, c'est pas mon truc, je réponds.
Elle me sourit et se retourne vers le terrain. Je hausse les sourcils, étonné par son comportement assez... étrange. Non pas qu'elle me soit particulièrement sympathique ou antipathique.
On finit par partir, après une ou deux heures. J'ai pas vraiment fait attention au temps, mais j'en avais tellement marre de ces combats que je me suis tiré bien avant la fin. Heureusement qu'il ne dure qu'une semaine, j'ai pas vraiment envie de supporter ça longtemps. C'est affreux. Je fume une clope histoire de me détendre, et on retourne tous à l'hôtel en passant par les rues principales de la ville. Beaucoup de gens sont au stade, alors y'a pas trop de monde.
En passant devant le centre commercial, Oswald remarque un attroupement et nous laisse à peine le temps de réagir avant de s'y précipiter. Je sais pas ce qui se passe, mais autant aller voir... environ quinze personnes sont réunies là, devant une petite ruelle entre deux bars. En approchant, je constate, intrigué, que tous ont une expression... horrifiée, je dirais. Je sais pas ce qui se trouve dans cette ruelle, mais je pense que c'est pas très beau à voir.
- Mon dieu... je n'arrive pas à y croire... répète sans cesse une vieille dame bouleversée.
- Mais qu'est-ce qui se passe, enfin ?!
Oswald est penché sur quelque chose. J'essaie d'apercevoir ce que c'est, et je vois un bras. Je suppose que c'est un putain de cadavre... Je m'approche et effectivement, une femme nue est étendue sur le sol, juste à côté de la benne à ordures. Un type qui a l'air d'être barman nous explique qu'il l'a trouvée là en jetant des trucs. Franchement glauque, comme histoire.
- Elle est morte depuis quand, selon toi ? je demande à mon employé.
Oswald hausse les épaules.
- Je dirais un peu plus de douze heures. C'est bizarre que personne ne l'ait trouvée avant, si elle est là depuis tout ce temps...
J'acquiesce. Il a pas tort. Le sang sous son corps a l'air d'être sec. Je pousse le cadavre avec mon pied et j'arrive à lire un mot.
- Merde, un psychopathe nous a laissé un message avec son foutu sang !
On s'y met à plusieurs pour déplacer la morte sans la toucher directement, et en lisant ce qui est écrit, tout le monde pâlit d'effroi. Ce n'est que le début. C'est ce qui est marqué en lettres de sang. Des putain de lettres de sang ! On se croirait dans un film policier.
- Quelqu'un connaît cette femme ? demande Rachel à tout le monde.
Etonnamment, ils hochent presque tous la tête. Apparemment, il s'agit de l'une de leurs députés. Si un tueur psychopathe s'attaque à une femme d'état et que "ce n'est que le début", les habitants de Sinnoh ont du souci à se faire pour leur gouvernement... Rachel est toute pâle et s'évanouit.
- Merde, merde, merde... on retourne à l'hôtel... vous feriez mieux d'appeler la police et le médecin légiste, je dis aux passants secoués.
Dimitri, Toby et les autres ne protestent pas, et on finit la journée plus stressés que jamais. Si un dangereux tueur en série rôde dans les rues, on n'est plus en sécurité. Bon timing pour prendre des vacances...