003 : Old friends are just a chore
"How good or bad, happy or sad
Does it have to get ?
Losing yourself, no cry for help
You don't think you need it"
- Glitter & Gold, Rebecca Ferguson
John K. Jameson
Les vieux amis, c'est juste une corvée. D'accord, quand on a besoin d'eux, il sont peut-être là pour nous. Mais, au fond, n'est-ce pas juste par confort ? Par exemple, le vieil ami est là pour toi, mais il pense aussi que tu es là pour lui. Un service en échange d'un autre, en somme. C'est comme ça qu'elle marche, la société actuelle, et on n'y peut rien. On laisse faire les puissants, et nous, les faibles, on mène notre vie, comme tous les autres mènent la leur. On se fond dans la masse difforme qu'est le peuple, et on attend notre heure. Je dirais bien que ça a quelque chose de glauque, mais comme je l'ai dit... on n'y peut rien. Alors on laisse le monde tourner et on s'occupe de nos petits problèmes insignifiants.
Pour en revenir aux vieux amis... personnellement, je n'en ai pas beaucoup. Je ne sais même pas si je peux encore les considérer comme des amis, étant donné que je méprise une moitié, et que je connais même plus l'autre. L'un de ceux avec lesquels je suis encore en contact, c'est bien évidemment l'un de mes rédacteurs en chef, Dimitri Leonid. Ce rouquin issu d'une famille de bourges a pas toujours été ma... "némésis", bien au contraire. On s'entendait plutôt bien. Je sais plus exactement à quand ça remonte... à dix ans, je crois bien. Ouais, c'est ça. En 1940, je travaillais pour un autre canard, en tant que rédacteur en chef. Il est arrivé et on me l'a collé en tant qu'assistant...
Je fume ma troisième clope depuis ce matin. Je sais pas pourquoi, je suis stressé comme pas permis. Sûrement à cause de tous ces avertissements que le boss m'a donné. J'aurais peut-être pas dû écrire ces salades, mais il le dit lui même ; la section politique du journal est celle qui marche le mieux, et ça fait vendre. Plus on dénigre les politiciens, plus on est populaire, dans ce monde de fous. Alors je fais comme ça, je les traite de menteurs et de faux-culs en mettant mon nom au bas de l'article, comme le font tous ceux qui ont le même poste aujourd'hui.
On tape à la porte. Je vais pas dire que ça me gave pas, mais je garde mon calme et je regarde qui vient. C'est le patron, avec un type que je connais pas. Un jeune qui doit pas dépasser les vingt-cinq ans. Rouquin, avec des tâches de rousseur et tout le toutim. Il a l'air vachement cérémonieux, dans son costume trois-pièces impeccable. Sûrement un gosse de riche qui n'a jamais bossé de sa vie. Mais eh, mon gars, ici, c'est un monde de sauvages ; la loi du plus fort règne et t'y peux rien.
- Jameson, c'est ton nouvel assistant. J'ai pas besoin de te dire d'en prendre soin, après les quatorze que t'as fait virer...
Le patron s'en va et me laisse avec le rouquin, qui dit pas un mot. Finalement, il s'assoit en face de moi. Il a l'air d'avoir les boules, ça se comprend. Il vient d'apprendre qu'il est le quinzième assistant en deux ans, et qu'il a intérêt à bosser dur pour rester là.
- Hum... euh...
- C'est bon gamin, détends-toi, tu peux parler.
Il a pas l'air convaincu. Je soupire, me lève et lui tends ma main, histoire de le mettre en confiance.
- John Jameson. Appelle-moi John, et surtout, pas de formalités avec moi, compris ?
- Euh... okay. Dimitri Leonid.
Je hausse un sourcil. J'ai jamais vu un journaliste pareil. Il fera pas long feu, timide comme il est. Je lui donne du boulot et il s'y met sans rechigner. Encore une fois, c'est la première fois que ça arrive...
Après six ans de travail commun, je crois qu'il est enfin temps que je lui parle de mon projet. J'en ai marre de bosser pour un patron tyrannique et chiant. Je veux fonder mon propre journal, et rien de tel que de demander à Dimitri pour m'aider dans cette entreprise. On a appris à se connaître, et ma foi, je l'apprécie plutôt bien. On boit souvent ensemble après le boulot, et il se décoince de plus en plus, même si en six ans, il aurait pu faire mieux.
- Tu veux fonder ton journal ?
Il me dévisage comme si je lui avais dit que mes parents étaient des Pokémon. J'ai l'air si con que ça, avec mes ambitions et mes projets pour un avenir reluisant ? Il poursuit.
- Moi, ça me va, mais est-ce que tu as le fric ?
- Pas de souci pour le fric, j'ai accumulé de quoi payer. Faudrait juste que tu me fasses un peu de pub, et je t'embauche directement en tant que rédacteur en chef à la section politique.
Il me regarde, dubitatif. Je sais pas trop ce qu'il en pense.
- Ton poste... je sais pas si je pourrais assumer...
- Eh. Rappelle-toi, ça fait six ans que je te forme, tu peux le faire. T'as juste à raconter de la merde sur les politiques. Je pourrai pas assumer les fonctions de directeur et de rédacteur en même temps, tu le sais bien. Donne-moi juste ton appui, et c'est tout bon.
Il réfléchit un moment, considérant les avantages et les inconvénients de ce futur poste, et finit par accepter. La machine est lancée, on va enfin commencer à savourer pleinement la satisfaction du travail bien fait.
Je sais même plus pourquoi je me suis mis à mépriser ce gars. Peut-être à cause de toutes ces années passées à bosser avec lui. Sûrement que la lassitude a pris le pas sur le reste. Le changement, on en a tous besoin.
Je suis interrompu dans mes souvenirs et mes pensées par Rachel, qui me fait signe de monter dans la voiture. Heureusement, aujourd'hui, c'est elle qui conduit. J'en avais pas la force, ça tombe très bien. Le siège en cuir est pas confortable, mais enfin. Y'avait que des voitures bon marché, autant se contenter de ce qu'il y a.
- Tu connais la route ? je demande, repensant à la mésaventure d'hier.
- Oui. Je connais la route principale, qu'on va prendre. Je suppose que tu n'as pas d'objection.
Je lève les yeux au ciel.
- Comment je pourrais...
Elle allume la radio et démarre. J'avais oublié qu'elle conduisait aussi vite, une vraie chauffarde. La musique jazzy comble sans problème l'absence de conversation et je tarde pas à m'endormir. J'ai jamais aimé les voyages en voiture, alors le sommeil est ma seule échappatoire. De toute façon, c'est pas comme si les paysages de cette route 222 valaient la peine d'être vus...
- Putain !
Le juron que j'entends me réveille. C'est rare que Rachel s'énerve au point d'en devenir vulgaire, alors j'en déduis que quelque chose ne va pas. Je la regarde, attendant qu'elle m'explique, mais elle dit rien. Finalement, c'est Oswald, à l'arrière de la bagnole, qui me dit ce qui se passe.
- Y'a un groupe de motards à la porte, ils laissent rentrer personne dans la ville. On est bloqués ici, pour faire court.
- Quoi ? Mais attends un peu que j'aille faire le ménage, ces salopards vont pas tarder à chier dans leur froc.
Rachel et Toby lèvent les yeux au ciel en même temps.
- Bah quoi ? Je me débrouille en combat Pokémon.
- Je doute qu'ils te laissent partir sans te refaire le portrait, chéri... souffle Rachel.
Je hausse les épaules et sors de la voiture. En voyant que Dimitri est pas dans la sienne non plus, je vais le voir. Il m'explique plus en détail.
- On a essayé de leur parler, mais ils veulent rien savoir. Ils disent que Rivamar sera bientôt à eux, ou je sais pas quelles conneries. Enfin voilà, on cherche une solution pour passer, mais y'a pas d'autre entrée...
Je sors l'une de mes Pokéball de ma veste et le regarde, le plus sérieusement du monde.
- Personnellement, je compte pas attendre bien sagement qu'ils dégagent. Ce séjour est déjà suffisamment merdique pour que je laisse couler. Tu viens te battre ?
Il a l'air franchement étonné. Ouais, ça se comprend, on s'est pas battus ensemble depuis... j'arrive pas à me souvenir quand. Mais il accepte avec un de ces grands sourire qu'il affiche quand il est vraiment content. Voilà que je me mets à faire équipe avec lui pour renvoyer des voyous dans les jupes de leur maman...
On va voir les motards, qui nous regardent de haut. Ils sont tous couverts de tatouages colorés. Ils ont plein de cicatrices partout, histoire de bien montrer qu'ils sont des caïds, mais je suis sûr qu'ils les ont fait eux-mêmes. Après tout, ils ont pas l'air bien malins... je pense que s'ils nous affrontent en combat Pokémon, ils vont morfler.
- Z'êtes qui, vous deux ? Des gratte-papiers débiles qui veulent se battre avec nous ?
Le motard qui a l'air d'être le chef se fout ouvertement de notre gueule. J'ai bien envie de foutre mon poing dans la sienne, mais je me retiens. Les effusions de sang, c'est pas trop mon truc, alors on va éviter.
- Un combat Pokémon, deux contre deux, maintenant.
Les voyous se regardent et se mettent à rire. J'aime pas trop cette attitude de merde, et j'ai bien envie d'effacer ces sourires mauvais de leurs sales tronches. Dimitri a dû le sentir, parce qu'il secoue la tête pour m'en dissuader. Mais trop tard, je craque.
- Quoi, vous avez peur, les lopettes ?
Touché. Ils nous regardent et deux d'entre eux envoient un Pokémon au combat. Un Grotadmorv et un Smogogo, ça risque d'être facile. Je sors Stevie, mon Crocorible, et mon rouquin de partenaire envoie son Baggaïd.
- La fine équipe est de retour...
Il lève les yeux au ciel, et je me tourne vers les voitures. Evidemment, les autres viennent admirer le spectacle. Rachel, même si elle avait pas l'air convaincue au premier abord, me fait un grand sourire encourageant. Eh ben d'accord, je peux plus reculer maintenant. On va ridiculiser ces guignols vite fait et enfin, on pourra se reposer.
- Baggy, occupe-toi du Smogogo. Fracass'Tête !
Le Pokémon de Dimitri lui fonce dessus et le Smogogo tarde pas à tomber dans les vapes. Il s'est amélioré, depuis la dernière fois. Ou bien ces motards idiots sont vraiment des lopettes.
- T'y vas pas avec le dos de la cuillère, toi... Stevie, Séisme, qu'on perde pas de temps.
Ces crétins de motards ont même pas l'air de connaître les capacités de leurs propres Pokémon, puisqu'ils ne réagissent pas. Ils sont bons qu'à se servir de leurs poings, rien de plus. Mon Crocorible se débarrasse de son tas de merde facilement, et le tremblement de terre fait même vaciller ces imbéciles, qui se cassent la gueule au sol. Ils font moins les malins, maintenant, c'est certain.
- On peut passer, maintenant ?
Ils se contentent de nous lancer des regards noirs. Bah, je suppose que ça veut dire oui. Je remonte dans la voiture et Rachel reprend le volant.
- Depuis quand vous vous entendez si bien, tous les deux ? Vous vous êtes pas engueulés !
Je hausse les épaules. Pas envie de parler de mon passé maintenant... tiens, c'est vrai que je lui parlais jamais de Dimitri, à l'époque où on était bons amis. Bah, j'ai dû oublier. Et puis c'est sans importance. On arrive à Rivamar, et comme d'habitude, je regarde pas le paysage de cette foutue ville. Pas le temps, pas l'envie. On va directement à l'hôtel, et pour la troisième soirée consécutive, je m'écroule dans le lit, refusant d'admettre les bons côtés de ce voyage à Sinnoh.