chapitre 8: La guerre assassine la paix
La première chose que Neil aperçut quand il revint à lui fut un plafond de pierre. Il était lui-même allongé à même le sol. Il voulut se redresser mais un petit souffle sur son ventre le stoppa aussitôt dans son élan. Le petit Pokémon loup qu'il avait sauvé hier dormait paisiblement sur son ventre. Alors, avec beaucoup de délicatesse, il souleva le Pokémon et le reposa sur le sol sans le réveiller avant de se lever. Il observa alors la caverne où il avait atterri. Elle n'était pas très grande mais l'entrée était partiellement cachée par la végétation. Sur la paroi de l'entrée se trouvait George, la tête baissée, semblait réfléchir. Mais le bruit du jeune homme fit poser le regard du dragon sur le jeune homme.
« Alors ça y est ? T'as émergé ? »
- Où on est ? Balbutia le garçon.
« À environ 80 kilomètres vers le nord de la frontière entre Safaïa et Kalos. J'ai pensé qu'il valait mieux faire profil bas après tout ce qui s'est passé. »
- Comment ça ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
Le Latios le dévisagea longuement, ce qui mit le jeune homme mal à l'aise.
« Tu ne te souviens de rien ? »
- Euh, je me souviens qu'avec Lo on a passé la frontière, on s'est séparé, je suis allé dans un bar après il y a eu une explosion. Je suis retourné dans la ville pour tenter d'aider des gens mais tu as voulu m'en empêcher. Je t'ai pas écouté et j'ai trouvé ce p'tit gars encerclé par des soldats, récita-t-il en montrant du doigt le petit Pokémon qui dormait.
« Pour info, ce Pokémon est un Riolu, un Pokémon aura. Et ce spécimen est rarissime. On peut dire que t'as de la chance d'en avoir croisé un. Et, sinon, tu ne te souviens de rien d'autre ? »
Neil réfléchit mais bizarrement, sa mémoire refusait de fonctionner, il y avait comme un trou noir dans ce coin de ses souvenirs. Il secoua la tête. George ferma les yeux et soupira.
« Ça aurait été plus simple que tu t'en souviennes par toi-même mais je pense que nous n'avons pas le temps pour ça. Il vaut mieux que tu ais conscience de tes actes. »
Ses actes ? Ces mots terrifiaient Neil sans savoir pourquoi. Qu'avait-il fait de si terrible là-bas ? Il avait beau se creuser la cervelle, sa mémoire refusait de lui obéir.
« Tu as, en quelque sorte libéré l'énergie de ta bénédiction. Une énergie terrible, destructrice qui a répondu à ta colère. Et tu as utilisé cette énergie pour éliminer une dizaine de soldats impériaux. »
Éliminer ? Non, ce n'était pas possible. Même si Neil détestait l'empire, jamais il n'aurait pu blesser quelqu'un volontairement, encore moins le tuer. George mentait c'était évident.
« J'aimerais te dire que c'est une blague ou même un cauchemar mais ça a bien eu lieu. Tu les as tués, tous, avant de t'écrouler sous la fatigue »
- J'ai tué... des êtres... humains ?
A cet instant, comme si ces simples mots avaient été une clé, ses souvenirs lui revinrent en mémoire. Il se rappela du sentiment de rage qui s'était emparé de lui, de la puissance qu'il avait acquise. Il avait assassiné tous ces soldats avec une telle facilité et sans ressentir le moindre remords.
Neil, sous le choc, s'effondra sur le sol, la tête dans ses mains, des larmes commençant à couler sur son visage.
- Je suis un monstre, murmura-t-il. Je ne mérite pas de vivre.
George poussa un soupir agacé.
« Bien sûr que non tu n'es pas un monstre. Ces soldats allaient te tuer de toute façon. C'était de la légitime défense. »
- Détruire des hommes en train de fuir c'est de la légitime défense ? Aboya Neil, à la fois furieux et accablé. Te fous pas de ma gueule chui un putain de monstre c'est tout.
« Écoute Neil, crois-moi je comprends ce que tu ressens. C'est toujours dur mais on est en guerre. La loi en vigueur en cette période c'est tuer ou être tué ».
Neil se releva sans dire un mot et frappa le Latios de toutes ses forces. George, surprit, ne se protégea pas et le choc lui fit perdre l'équilibre un moment mais il parvint à rester debout.
- Comment oses-tu me donner des conseils ? Hurla le garçon. Comment oses-tu te mettre à ma place ? Tu ne sais rien de moi, tu n'es pas un être humain ! Tu n'es qu'un Pokémon ! Tu ne peux pas comprendre un centième de ce que je ressens et de ce que je dois faire !
Le regard que le Latios renvoya au jeune homme lui donna envie de fuir très loin. Cette fois, ce fut Neil qui ne vit pas venir le coup de George et cette fois, Neil tomba au sol suite à la violence du coup qui lui fit voir trente-six chandelles. George se plaça au-dessus de lui et le fusilla du regard.
« Ne pas comprendre un centième de ce que tu ressens ? Je ne suis qu'un Pokémon ? C'est toi qui ignore tout de moi. Tu n'es qu'un stupide gamin impulsif qui agit avant de réfléchir un tant soit peu aux conséquences. »
Choqué, Neil n'osa pas répliquer. De toute façon, le Latios ne lui en laissa pas le temps.
« Est-ce que tu as déjà connu la sensation d'un bras transperçant ton corps et te labourant les entrailles de l'intérieur ? La sensation de froid qui t'envahit alors que la vie quitte ton corps ? Le vide qui t'attends quand tu perds conscience ? Je ne crois pas. »
George libéra alors Neil de sa prise et se replaça contre la paroi de la grotte. Neil, les mots du Latios résonnants dans son esprit, se redressa et fixa le Pokémon d'un air horrifié.
- Tu es... mort ?
Une grimace apparut sur le visage de George.
« Ouais. Pas le meilleur moment de ma vie je peux le dire. »
- Mais mais, bafouilla le garçon. Comment ça se fait que tu sois là, en face de moi si tu es mort ?
« Je n'ai pas toujours été un Pokémon. J'ai eu une vie en tant qu'humain, en tant que gardien il y a longtemps. J'ai été arraché à cette vie humaine et je me suis réincarné en Latios. C'est aussi simple que ça. »
Neil comprit alors qu'il avait fait une grosse erreur. En fait, c'était lui qui ne pouvait pas comprendre George.
- Est-ce que c'est un pouvoir que tous les gardiens possèdent ?
Le Latios secoua la tête.
« J'ai été un gardien avec un statut particulier. La déesse qui m'avait béni considérait ses gardiens comme ses enfants. Si l'un d'eux mourrait injustement, elle choisissait de leur donner une seconde vie, en tant que Demi-dieu. Je possède des pouvoirs exceptionnels et je suis immortel mais je ne suis pas assez puissant pour créer des gardiens »
- Ah...
Neil ne pouvait que dire ça, il n'arrivait pas à dire plus.
- Et... Quand t'étais humain, le monde était comment ?
George lui jeta un regard en coin avant de continuer.
« C'est compliqué. Je viens d'une famille très pauvre, qui devait mendier pour survivre. Mais d'un autre côté, j'ai eu la chance d'être choisi pour devenir un gardien, j'ai eu des amis incroyables, une petite-amie parfaite... Et, à partir du moment où tu possédais un Pokémon, tu pouvais explorer le monde, vivre au jour le jour, visiter des lieux inaccessibles, gagner de l'argent en faisant des combats... T'étais libre en quelque sorte. Le monde n'était pas parfait mais au moins, tu pouvais, à partir de rien, recréer le monde. Rien que pour ça il me manque. »
- Et qu'est-ce qui s'est passé ? Demanda Neil, tentant d'imaginer le monde tel que le Latios l'avait décrit. Comment un monde si idyllique avait pu basculé vers cette déchéance ?
« Il y a eu une guerre. Les gardiens ont dû combattre contre une force maléfique qui menaçait de plonger notre univers dans le chaos. Beaucoup de gardiens ont perdu la vie et je fais partie des victimes. J'ai été assassiné par un ennemi devant ma petite amie. Je suis mort dans ses bras, à l'âge de 20 ans il y a plus de huit siècles. »
Le garçon frissonna. Pas étonnant que l'avatar humain du Pokémon soit un jeune adulte. C'était son corps quand il était humain. Il se demanda même comment George avait fait pour ne pas devenir fou, devoir revenir du monde des morts et découvrir que votre corps a changé pour l'éternité. C'en était presque cruel.
« Au final, les gardiens ont remporté la victoire. La menace fut détruite et purifiée. Quant à moi, revenu sous la forme d'un Pokémon, je ne pouvais plus espérer une quelconque histoire avec la fille que j'aimais. Alors je suis devenu son Pokémon, afin de la protéger. »
- Et qu'est-ce qui est arrivé à cette fille ?
« Elle s'est mariée avec mon meilleur ami et ils ont fondé une famille. »
En voyant l'air révolté du jeune homme, le Latios sourit.
« Faut pas lui en vouloir. Elle n'a pas vraiment eu le choix et même si mes sentiments pour elle n'ont pas changé d'un poil, je suis heureux qu'elle ait pu trouver le bonheur avec mon frère de cœur. Avec lui, elle s'est reconstruite, elle a pu sourire à nouveau. Mais ça n'a pas duré. »
- Pourquoi ? Vous aviez éliminé la menace et ramené la paix. Qu'est-ce qui a cloché ?
« Il y a eu un garçon. Un garçon gentil, assez ordinaire, un garçon comme les autres en fait. C'était un dresseur hors pair. Il avait pu défier les plus grands dresseurs de Safaïa tant son talent était grand. Mais il avait un défaut. Il était ambitieux et pensait que le monde dans lequel il vivait pouvait être amélioré. Même s'il ne faisait que penser cela, ces idées étaient quand même au fond de son esprit et le travaillait sans arrêt. Il a fait de nombreuses recherches, exploré de nombreux lieux pour trouver des réponses et un jour, il a trouvé un objet que personne n'aurait dû trouver. »
- C'était quoi comme objet ? Demanda Neil.
« Un orbe. Un orbe spécial. C'était un cristal rond tout simple, transparent et sans défaut, presque une pierre précieuse. Mais à l'intérieur était emprisonné une entité mauvaise, malsaine, une entité qu'il ne fallait surtout pas libérer. J'ignore comment ce garçon a fait mais il 'a libéré et cette entité a pris possession de son âme et de son corps. Il se renomma Mecheva et créa l'empire que tu connais. »
Cette révélation choqua profondément le jeune homme. Neil avait toujours pensé que l'empereur avait été toute sa vie un connard fou à lier mais si ce que George disait se révélait vrai, ce garçon était plus à plaindre qu'à haïr.
- Comment il s'appelait, le garçon possédé ? Demanda le garçon.
Le dragon a forme humaine hésita un moment avant de répondre, choisissant les mots avec soin.
« Il s'appelait Lucien et, durant quelques années, il a été mon disciple. J'ai vu ce gosse grandir et tomber dans l'obscurité sans rien pouvoir faire. »
Neil baissa la tête. Il comprit immédiatement ce que toutes ces révélations pouvaient coûter. Et ce n'était pas étonnant que tout l'empire ne veuille leurs têtes. Il essaya d'imaginer l'empereur, cet homme si détestable, en jeune homme curieux et gentil, recevant les enseignements de ce Latios plus que centenaire, vivant comme n'importe quel mortel dans un monde en paix et empli de liberté. Maintenant qu'il savait cela, il ne voulait plus tuer l'empereur pour mettre fins aux folies d'un homme mauvais mais pour soulager un jeune homme qui aurait pu être lui et qui avait eu la malchance de se faire posséder par quelque chose.
- Mais, Dis-moi, commença Neil, toujours plongé dans ses pensées. Cette entité, qui a pris le contrôle de Lucien, qui est-elle exactement ?
Le Latios souleva un sourcil surpris en entendant le garçon appeler Mecheva par son vrai nom et ses yeux se plongèrent dans le vide, se souvenant d'une quelconque histoire.
« Il existe à Safaïa plusieurs légendes concernant des Pokémons légendaires de moindre importance. Ces Pokémons, trop peu puissants n'ont jamais pu revendiquer la création de gardiens, à l'exception de deux d'entre eux. L'un symbolisait la paix, le calme, la sérénité ainsi que la justice, l'autre, la guerre, le conflit et le chaos. Ils étaient chargés de se combattre éternellement car la paix ne peut être appréciée à sa juste valeur sans la guerre et inversement, on ne peut se rendre compte de la terreur des conflits sans la paix. Mais, un jour, à la fin d'une guerre particulièrement rude entre ces deux divinités, celle de la guerre eut l'ambition d'en finir avec celle de la paix pour que le chaos à l'état pur s'abatte sur le monde, pour devenir le réel dieu. Car la puissance de ces dieux était particulière. Plus de personnes croyaient en eux, plus leur puissance était grande. La guerre tua la paix d'un coup dans le dos. Mais Arceus fut témoin de tout cela. Il se dépêcha de sauver l'esprit de la divinité et plaça celui-ci dans un orbe à la charge d'un gardien, Lancicle. Et, pour la première fois, Arceus entra dans une colère noire. Il pulvérisa la guerre avant que celle-ci ne réalise ce qui lui arrivait et finit lui-aussi dans un orbe surveillé par le frère de Lancicle, Ghoullahad. Arceus prédit que lorsque l'un des deux dieux serait libéré, l'autre se réincarnera dans le cœur d'un mortel et les deux seront condamnés à entre-déchirer jusqu'à ce que l'un ne triomphe. Ensuite, en fonction du vainqueur, le monde sera soit plongé dans le chaos soit libéré de tout conflit et ce, à jamais. »
- Je crois deviner que le dieu de la guerre c'est Mecheva, marmonna Neil.
« Oui. Et l'autre se nomme Angerron. Notre mission en tant que gardien, c'est à la fois d'essayer de vaincre Mecheva et de retrouver Angerron. »
- Et en huit siècle vous ne l'avez pas trouvé ? Il doit rudement bien se cacher.
« Entre autre oui » soupira mentalement le vieux Latios. « Mais nous possédons la certitude que, quelque soit l'endroit où Angerron se trouve, Lancicle sera à ses côtés. Il a été chargé de veiller sur lui, peu importe le prix à payer. Mais je te l'accorde, la paix est difficile à trouver, surtout en ce moment. Mecheva est loin d'être stupide. Dès qu'un gardien est nommé quelque part sur son territoire, il charge une petite troupe de confiance pour les capturer et les exécuter sur place publique, après les avoir torturer pendant des semaines. »
Une grimace dégoûtée apparut sur son visage.
« Les trois quarts des élus n'ont même pas 15 ans. Infliger de tels sévices à de pauvres enfants innocent est répugnant. »
Neil acquiesça. Il avait vu l'un d'entre eux se faire décapiter sous ses yeux. Quand il se leva de nouveau, le jeune homme avait pris sa décision.
- George, j'aimerais que tu m'entraînes. Je veux vous aider à retrouver Angerron et à éliminer Mecheva.
« Pourquoi veux-tu nous aider ? » Demanda le vieux dragon, voulant tester le garçon, comme pendant un entretien d'embauche mais avec des enjeux plus que sérieux.
- Je veux que les guerres cessent. Je veux que le monde redevienne libre et je veux libérer votre ancien disciple du contrôle de Mecheva.
« Tu es conscient qu'après huit siècles, l'esprit de Lucien a perdu toute chance de se reconstruire. »
- Mais on le libérera de sa souffrance. Ce ne sera pas un meurtre mais une délivrance.
George acquiesça et posa une main sur l'épaule de Neil.
« Je ne t'apprendrais pas à combattre avec tes Pokémons car tu en sais déjà beaucoup et que la plupart de l'expérience se fait sur le tas. Je vais t'enseigner le contrôle de tes pouvoirs pour que ce qui est arrivé à la frontière n'arrive plus. »
Le jeune homme tressaillit légèrement en se rappelant encore les horreurs qu'il était capable d'accomplir mais garda la tête haute. Il était prêt.