Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Emporia's de BioShocker



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : BioShocker - Voir le profil
» Créé le 14/12/2015 à 21:08
» Dernière mise à jour le 15/12/2015 à 17:43

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
001 : Welcome to Emporia's
"Le cirque, c'est un rond de paradis dans un monde dur et dément."
- Annie Fratellini



Le paysage qui s'étendait devant ses yeux, composé d'une part de massifs montagneux relativement éloignés et d'une rivière toute proche, ne le distrayait même plus. Il le trouvait terriblement monotone, alors même que partir sur les routes l'avait enthousiasmé au départ. Le vent désordonnait ses cheveux noirs et sa cravate se balançait dans tous les sens. Son regard d'un gris métallique ne bougeait pas, fixé sur un endroit précis qu'il regardait sans vraiment le voir. Il réfléchissait. A la suite des événements. A ses erreurs. A tout ce qu'il avait laissé derrière lui en décidant de quitter sa famille il y a de cela six jours, pour partir démarrer une nouvelle vie.

Un soupir s'échappa de ses lèvres et il se releva, grimaça un peu en s'appuyant sur son genou douloureux, puis se saisit de ses deux valises volumineuses. Sur son épaule vint se hisser un petit primate d'une couleur violacée, dont les pattes, le museau, le bout de la queue et le ventre étaient d'un jaune pâle. Une fois paré à partir, il jeta un dernier coup d'œil au paysage et se remit à longer machinalement la ligne de chemin de fer qu'il suivait depuis ces six derniers jours. Le poids des bagages, il ne le ressentait que trop bien. Ses mains endolories devenaient rougies à force d'être en contact avec le cuir chaud et il peinait à garder un rythme de marche suffisamment rapide. De plus, son vieux problème articulaire ne l'aidait pas, bien au contraire. La chaleur étouffante du début de cet été 1959 contribuait également à son agacement et, surtout, à son épuisement.

Ce jeune homme-là, comme beaucoup d'autres depuis près de six mois, venait de quitter père et mère pour tenter d'avoir une vie meilleure. Le krach boursier survenu en décembre 1958 avait considérablement amenuisé les ressources de la classe moyenne de la région, si bien que seuls les riches pouvaient encore prétendre à une belle vie. Suite à cette crise économique qui perdurait, on avait également établi une loi interdisant purement et simplement la consommation d'alcool. Quelque chose qui ne s'était jamais vu depuis les années trente aux Etats-Unis, et qui avait le don d'en frustrer plus d'un.

Mais revenons-en à cet homme. Oscar Keitel, vingt-trois ans au compteur, fraîchement diplômé en droit de l'université de Joliberges, était quelqu'un de tout à fait respectable ; il ne buvait pas et ne contrevenait aucunement à la loi. Il ne se faisait pas d'illusions. Dans cette période de crise, être quelqu'un d'honnête n'avait pas une si grande importance. Si on n'avait pas d'argent, on n'était pas digne d'avoir une vie agréable. Et si on en était arrivé là, c'était en grande partie la faute de tous ces courtiers en bourse qui jouaient avec les finances dans leurs gigantesques bureaux d'Unionpolis. Rien de plus, rien de moins.

Oscar Keitel, donc, marchait d'un pas lourd quoique décidé en direction de son avenir. Avenir qui ne s'était pas manifesté en six jours de marche dans la nature, passés à longer une voie de chemin de fer où aucun train ne passait. Evidemment, les transports se voyaient aussi atteints par la crise économique. Pas d'argent, pas de clients pour prendre le train, et donc, à terme, plus de trains du tout. Il avait entendu dire qu'il y en avait encore qui sillonnaient le pays, mais visiblement, ils se faisaient rare ces temps-ci. Le Capumain perché sur son épaule commença à s'agiter, pour une raison obscure. D'abord, il se mit à baragouiner dans son langage des choses que son maître ne pouvaient comprendre. Puis, réalisant son erreur, il se tourna dans la direction opposée en montrant quelque chose d'invisible avec sa queue.

- Mais enfin, qu'est-ce qu'il y a ?! souffla le jeune homme, lassé.

Le petit singe violet désigna son oreille pour indiquer à Oscar d'écouter attentivement. Le jeune homme haussa les sourcils et tendit l'oreille, peu convaincu. Au début, il ne remarqua rien d'inhabituel, mais en se concentrant un peu, il put distinguer un son qui était tout sauf naturel. Un son de machine. Lentement, il avait perdu espoir et avait maintes fois songé à retourner chez lui, à Joliberges. Même si la façon dont il avait quitté la maison familiale, six jours avant, n'était pas des plus cordiales, il s'était surpris à regretter son geste plus tôt qu'escompté. Mais là, alors que le son semblait de plus en plus fort, de plus en plus proche, cet espoir perdu commençait à renaître en lui.

Alors il le vit. Le train. Il arrivait, roulant à une allure modérée, dans sa direction. Prêt à l'accueillir. Son visage se fendit d'un grand sourire et il remercia son Capumain d'une tape amicale. Il empoigna bien fermement ses valises et se mit à courir, faisant fi de la fatigue et de la douleur qui assaillait son genou gauche. Tant pis pour son articulation, il aviserait plus tard. Son avenir lui importait plus que tout cela. Le véhicule avançait, et il espérait sincèrement avoir le temps de s'y embarquer. Confiant, il lança l'une de ses valises à bord, au bout du train, et s'accrocha à l'une des rambardes présentes sur les côtés. Il posa son autre valise à proximité de l'autre et se laissa tomber sur le plancher. Le vent lui fouettait le visage et ses cheveux partaient en tous sens, indomptables. Mais il y croyait de nouveau. L'avenir était enfin venu à lui. Oscar prit son Capumain et le tendit devant lui, à bout de bras, un grand sourire peint sur son visage fatigué.

- Mon vieux, je l'aurais raté, ce train ! Qu'est-ce que je ferais sans toi...

Le petit primate, pour répondre, se contenta d'un cri joyeux. Le dresseur se releva péniblement, son genou endolori à cause de sa course effrénée, et se saisit de ses valises. Se trouvant complètement à l'arrière du train, il allait devoir se frayer un chemin à l'intérieur. Il ouvrit la porte et eut à peine le temps de faire quelques pas dans un wagon obscur, qu'il sentit un coup porté à sa tête et ne tarda pas à perdre connaissance, s'écroulant, dans un bruit étouffé, sur le sol.


*
* *


Ses yeux papillonnaient, il ne parvenait pas à les maintenir ouverts plus d'une seconde. La lumière, bien que faible, l'aveuglait complètement. Il avait beau essayer de remuer ses bras ou ses jambes, rien ne se passait. Il sentait vaguement quelque chose enserrer ses mains, mais comme ça, il ne saurait dire ce que c'était. Prisonnier. Il devait être prisonnier. Il se rappelait être monté dans ce train, avoir ouvert la porte, et puis après, plus rien. Sans doute qu'on l'avait assommé, mais là encore, il ne voyait aucune logique à cela. Qu'avait-il fait, après tout ? Peut-être bien que des gens à bord n'appréciaient pas les clandestins, mais il n'avait pas trop le choix. Il avait dilapidé le peu d'argent qu'il possédait en nourriture. Il ne lui restait guère plus de vingt pokédollars, et avec une telle somme, il était impossible de payer le train.

Oscar tenta une nouvelle fois d'ouvrir les yeux. Cette fois-ci, il eut le temps d'apercevoir une silhouette en face de lui. Puis une voix féminine se fit entendre. C'était une voix douce mais ferme, suave et dure à la fois. Quelqu'un qui savait se faire respecter.

- Alors, on est réveillé, mon mignon ?

Il aurait bien aimé pouvoir répondre, mais sa gorge était trop sèche pour le lui permettre. Il ne réussit qu'à émettre un léger grognement. Il entendit la femme se lever et faire quelques pas, puis le son d'un liquide. Probablement qu'elle lui versait de l'eau. Cette thèse fut confirmée lorsqu'elle détacha ce qui retenait ses mains et lui tendit un verre. Le contact de ses doigts brûlants et du récipient froid le fit frissonner. Il ouvrit les yeux et cette fois, parvint à les garder plus ou moins ouverts. Tout en vidant son verre pour se réhydrater, il observa la femme. Très belle. Ses longs cheveux blonds qui flottaient dans son dos, son sourire avenant et ses yeux noisettes, pétillants de malice, ne le laissèrent pas indifférent. Elle était vêtue d'une tenue plus pratique qu'élégante ; une chemise blanche et un pantalon de toile qu'elle avait rentré dans ses bottes cirées noires, qui lui arrivaient à hauteur de genou. Malgré cela, elle restait d'une beauté à couper le souffle.

- Bon, reprit-elle. Je ne sais pas qui tu es, alors la moindre des choses serait de te présenter. Tu veux bien ?

Le jeune homme hocha la tête et s'en mordit vite les doigts. Son cou le faisait souffrir, probablement à cause du coup qu'il avait reçu peu de temps auparavant.

- Je suis Oscar Keitel.

Après avoir entendu sa réponse, la blonde haussa les sourcils, dubitative, et se tint le menton, comme pour réfléchir, les jambes croisées, assise sur une caisse en bois. Le train était toujours en mouvement, il pouvait le sentir.

- T'es bien gentil, mais ça ne m'aide pas beaucoup. Je ne sais pas... d'où tu viens ? Tu travailles pour qui ?

Oscar fronça les sourcils. Elle était bien curieuse, cette femme-là. Tout à coup, il se rendit compte de l'absence de son Capumain.

- Où est mon Capumain ?

- Eh là, tout doux ! sourit la femme en levant les mains. Je répondrai à tes questions, si tu réponds aux miennes.

Elle avisa son interlocuteur, qui avait les jambes ficelées à une chaise.

- ...et je crois que tu n'es pas en position de refuser, je me trompe ?

Le jeune adulte se contenta de grommeler dans sa barbe naissante et se gratta la tête. Il considéra un moment la situation et donna bien vite raison à cette belle inconnue qui le dévisageait. Mieux valait se plier à ses exigences pour le moment.

- Je viens de Joliberges. Je suis diplômé de l'université là-bas. En droit. Suite à... au krach boursier de 58, ma famille perdait peu à peu ses moyens, alors j'ai décidé de quitter la maison il y a six jours, et... et me voilà.

Ce récit atypique ne sembla pas attendrir la femme, quoiqu'elle eut un léger sourire et un regard un tantinet compatissant.

- Donc, t'as pas d'argent, si je résume bien.

Oscar grimaça. Elle venait de toucher du doigt le problème qui pourrait bien lui coûter sa place dans ce train. Or, s'il avait bien besoin d'une chose, c'était de rester à l'intérieur jusqu'à trouver une destination qui lui assurerait du succès. Rivamar, par exemple, où la vie était probablement plus facile qu'à Joliberges.

- J'ai pas d'argent... mais je peux peut-être me rendre utile ?

- Oh tu sais, ça, ce n'est pas à moi d'en juger, ce n'est pas mon train. Mortimer n'aime pas les clandestins... enfin quoi qu'il en soit, tu n'as rien à faire ici. Si encore tu avais de l'argent, on aurait pu en discuter...

Le jeune homme soupira. A ce rythme-là, il allait se faire éjecter du train avec ses valises vite fait. Il fallait qu'il trouve quelque chose.

- S'il vous plaît... vous n'auriez aucun moyen de me garder ? Juste un peu ? Où il va, ce train ?

La blonde décroisa ses jambes et se leva pour s'approcher d'Oscar, qui serra les dents. Il la voyait déjà le traîner dehors et le jeter par dessus-bord. Surtout que du haut de son mètre soixante-dix, il n'était pas très impressionnant, en plus d'être de carrure mince. Elle serait tout à fait capable de le pousser sans problème.

- Ecoute-moi, mon mignon. Avant de sauter dans un train, pense à lire ce qui peut être écrit dessus. Nous, on est le cirque Emporia's. Le cirque le plus renommé de la région, rien que ça ! Je m'étonne que tu n'aies jamais entendu parler de nous...

- Disons que... je ne m'intéresse pas de très près au cirque... mais dites, vous n'auriez pas un poste à pourvoir ? Dans un cirque, c'est toujours bon de recruter du monde, non ?

Elle sourit et éclata d'un rire franc. Il ignorait pourquoi sa remarque lui faisait cet effet-là.

- Oh si tu savais comme on se démène, certains jours... quoi qu'il en soit, tu me plais bien ! Je vais essayer de te trouver un truc à faire, mais crois-moi, ce sera pas une partie de plaisir. Tu récupéreras ton Pokémon dans peu de temps.

Sur ces bonnes paroles, elle détacha le jeune homme de sa chaise. Ses jambes endolories lui faisaient encore plus mal qu'avant. Ils n'avaient pas lésiné sur la qualité des nœuds, visiblement. Oscar s'étonna lorsqu'elle lui tendit la main.

- Au fait, moi c'est Lindsay Eaton. Mais tout le monde ici m'appelle Linda. Bienvenue à l'Emporia's, mon grand !

Le sourire chaleureux qu'elle lui adressa fut si communicatif qu'il se surprit à sourire, lui aussi. Finalement, peut-être bien que sa nouvelle vie allait commencer.


*
* *


Impressionné... non, émerveillé. Tel était, alors qu'il descendit du train, l'état d'esprit d'Oscar Keitel. Son Capumain sur l'épaule, il traversa l'immense plaine verte qui s'étendait à perte de vue, où déjà des tentes commençaient à affluer. Les artistes se préparaient sans doute pour le spectacle à venir. Alors qu'il se dirigea, par curiosité, vers l'une d'elles, un homme le força presque à se saisir d'une sorte de batte en bois.

- Euh... merci, mais...

L'homme ne le regarda même pas.

- Tout le monde bosse, ducon, toi aussi, aide à monter le chapiteau ! Crois-moi, ça va pas se faire tout seul !

Oscar cligna des yeux plusieurs fois, se les frotta pour s'assurer qu'il ne rêvait pas et contempla la batte qu'il tenait dans ses mains. Apparemment, ce type-là ne faisait pas la différence entre un clandestin qui venait juste d'embarquer et un véritable employé du cirque. Certes, au vu de sa chemise sale et de la sueur qui coulait sur son front suite aux événements récents, il passait pour n'importe quel travailleur ordinaire. Et puis, son visage relativement banal n'aidait pas non plus. Confiant, il se dirigea vers un groupe déjà occupé à planter un piquet, et se mit lui aussi au travail, donnant des coups de batte réguliers. Etrangement, l'adrénaline monta vite en lui, la satisfaction d'accomplir quelque chose l'envahit et la fatigue disparut en grande partie, laissant sa place à l'enthousiasme. Il n'avait pas travaillé depuis six jours et il avait l'impression de renaître. Son Capumain, toujours perché sur son épaule, souriait.

Le chapiteau monté, il n'avait plus rien à faire. Linda ne lui avait donné aucune autre consigne, aussi se contenta-t-il de flâner aux alentours. Il risqua même un œil à l'intérieur du chapiteau, et ce qu'il y vit lui plut au premier regard. Sur un Galopa en marche, la belle blonde enchaînait les figures acrobatiques périlleuses, sur un fond de musique jazzy, alors que les funambules s'évertuaient à garder l'équilibre sur la corde raide. L'excitation, la joie et le goût du risque, ainsi mêlés, étaient d'une beauté incomparable.

Oscar dût s'arracher à cette vision extatique lorsqu'on lui donna une tape dans le dos. Il se retourna pour découvrir un homme, qui ne devait guère avoir plus de trente ans. Celui-ci contrastait, de par son élégance et sa propreté, avec tous les baltringues qui travaillaient au montage du chapiteau un peu plus tôt. Rasé de près, les cheveux courts bruns impeccables, les yeux d'un bleu pâle envoûtant, il y avait quelque chose de séduisant chez ce type au sourire avenant. Sa chemise rayée et son pantalon étaient parfaitement propres, si bien que lui se sentait sale en comparaison. Enfin, ses six jours de voyage pouvaient excuser cette situation. L'homme désigna d'un signe de tête le train et annonça :

- Je ne voudrais pas te faire peur, mais je me vois obligé de te conduire chez le patron.

Il sourit.

- Tu viens ?