Rage.
Née au creux de mon ventre dans une explosion cataclysmique et surchargée, elle bouillonna dans mes entrailles et remonta le long de ma gorge en un dévastateur torrent de lave en fusion. Un déferlement aveugle, rouge de sang, de haine, de fureur, qui effaça tout le reste, oblitéra toute pensée. Une houle qui enfla et enfla sans pouvoir s'épancher, l'énergie s'accumulant en moi sans trouver d'exutoire, ne pouvant s'exprimer autrement que sous la forme d'un tremblement continu qui me prit des pieds à la tête.
Rage brûlante, dévorante, incendiaire.
Je baignais dedans, tout mon être saturé par cette chose viscérale et incandescente qui faisait vaciller ma réalité et bordait ma vision de pourpre. Comme si quelqu'un s'était amusé à tripoter les réglages de mes émotions, les mettant toutes à 0, sauf la rage, poussée à 100 %. Ou 200. 500. 1000 ? En vérité, j'ignorais quel aurait été le nombre approprié pour exprimer ce que je ressentais. Peut-être n'était-ce tout simplement pas quantifiable.
Rage, rage, rage.
Je ne criai pas.
Je ne pleurai pas.
Je demeurai simplement immobile, à genoux, prise dans l'étau d'une seule et unique émotion suffocante, alors que je contemplais mon frère.
Ou plutôt, son cadavre.
Il était tombé dos contre terre, les bras écartés de manière à former une croix, les jambes à demi-repliées sous lui. Étrangement vulnérable dans cette position. Le trou dans sa poitrine fumait encore, la chair brûlée, carbonisée au-delà de tout espoir. Là où aurait dû battre son cœur ne se trouvait plus qu'un immonde cratère noir, avec, ça et là, quelques morceaux sanglants qui pendaient en lambeaux déchiquetés.
Mes mains étaient crispées dans ce qui restait de son T-shirt, de part et d'autre de la blessure béante qui lui avait ôté la vie. Elles étaient si serrées que je ne les sentais plus. Je ne me rappelais pas non plus comment elles étaient arrivées là car je n'avais aucun souvenir d'avoir tenté d'agripper ses vêtements. Peut-être avais-je essayé de le retenir alors qu'il s'écroulait.
Les yeux de Vivian étaient grand ouverts face à la mort, et vides de toute expression. Comme la première fois. Du bleu donnant sur l'infini. Je les fixai durant un temps, image familière, bien trop familière, avant de revenir à mes mains. Elles tremblaient toujours.
Je tremblais toujours.
Rictus de dents serrées.
Épaules secouées de convulsions incontrôlables.
Le monde extérieur en arrière-plan, comme une pensée à demi-oubliée, qui ne valait pas la peine qu'on tente de la rattraper.
Une voix parlait dans ma tête, mais je ne l'écoutais pas.
Une main m'agrippait le bras, mais je n'y prêtais pas attention.
Même la liane qui vint doucement s'enrouler autour de ma taille manqua de me faire réagir.
La rage... emplissait mon univers.
Tout mon univers.
Et puis... le temps s'écoula. Il me fallut une poignée de minutes, ou bien une éternité, et je finis par lever les yeux sur la créature, qui, par deux fois, avait fait de moi une enfant unique. Son regard d'un violet abyssal rencontra le mien, et je lus le triomphe au fond de ses pupilles. Le triomphe, ainsi que la certitude d'une supériorité écrasante, et la morgue sans borne de celui qui sait qu'il a gagné. Que plus rien ni personne ne peut s'opposer à lui. Sa voix retentit encore dans ma tête, sans que je prête la moindre attention aux mots. Le ton suffisait pour comprendre le message : vantardise, vantardise, vantardise.
Je sus alors que je n'allais pas tuer Mewtwo.
Oh, non.
La mort serait une solution bien trop douce pour lui. J'allais lui réserver un sort mille fois pire.
Avec cette décision, le monde se remit en place autour de moi d'un claquement sec. J'eus l'impression singulière de revenir à moi, de réintégrer un corps que j'avais laissé partir à la dérive un instant. Ou bien de crever la surface de l'eau après une très longue remontée en apnée depuis les profondeurs.
Lentement, j'ouvris les mains, relâchant mon emprise sur la chose qui avait été mon frère mais qui ne l'était plus, qui n'était plus rien désormais, juste un morceau de viande vide de toute signification, puis je me relevai, faisant face au Pokémon responsable.
- Tu l'as tué.
Une phrase que j'aurais dû prononcer d'un ton accusateur, ou vengeur, ou larmoyant peut-être. Une phrase qui méritait d'être hurlée de toute la force de mes poumons, jetée à la figure du psy en une rafale de mots haineux, avec une ou deux injures bien salées en prime. Mais il n'en était rien. Elle sortit de ma bouche dénuée de toute inflexion, énonçant simplement l'évidence. La réalité que personne ne pouvait nier.
Oui, je l'ai tué, répondit le Pokémon psy, sa voix emplissant chaque recoin de mon esprit.
Et tu es la suivante sur la liste. Toi, ton ami humain, et tous vos esclaves pitoyables.Je sentis Zack se crisper à mes côtés, encore davantage qu'il ne l'était déjà. Mes Pokémon réagirent également, se rapprochant de nous, prenant place de part et d'autre, nous protégeant. Salade à ma gauche, sa liane touchant mon épaule de façon rassurante, Vésuve décalé de quelques pas sur ma droite, la chaleur de ses flammes m'atteignant, supprimant mes frissons, Fulgure posé sur l'arbre-fleur de Salade, prêt à fondre sur Mewtwo, et Plouf et Pleind'Soupe prenant position derrière nous, géants imposants formant une arrière-garde prête à bondir au premier rang en cas de besoin.
Un front uni, tous décidés à donner cher de leur peau malgré leurs blessures.
Mais nous n'aurions pas besoin de combattre à nouveau. Pas si mon plan marchait.
- Pourquoi ? demandai-je, m'adressant toujours à mon adversaire.
Que voilà une question stupide, s'amusa Mewtwo.
Vous m'avez attaqué au cœur même de ma puissance, vous attendiez-vous à ce que je me laisse abattre sans résistance ?Il baissa ses iris violets sur le cadavre de mon frère et son regard s'étrécit.
Le sacrifice de celui-ci aura été bien inutile. Mais il ne restait plus grand chose en lui de toute façon. Sa coquille est à peine plus vide qu'avant.Je mis mon bras droit dans mon dos.
- Tu n'as donc aucun regret ? Aucune excuse à me présenter ?
Un rire glacial résonna dans ma tête, comme autant de milliers de clochettes sonnant le glas de mon existence.
Si c'est ce que tu souhaites, tu attendras très longtemps, joueuse.- Oh, ça, je n'en suis pas certaine...
J'ouvris la main qui se trouvait dans mon dos, mes doigts se dépliant lentement.
- Tu me qualifies de joueuse... continuai-je, évitant de finir ma phrase de façon délibérée.
Parce que c'était ça qui le faisait mordre à l'hameçon. Ce bâtard aimait parler, et pendant qu'il déblatérait, il ne pensait pas à autre chose.
Plus précisément, tu es à la fois une joueuse et l'un de ses jouets, répondit-il, sa voix mentale pleine de dédain.
Un pari qui échouera une fois de plus, tous comme les précédents. J'ignore vraiment pourquoi il s'obstine, c'en est assez pathétique...Je sentis un objet froid atterrir dans ma paume. Rond, léger, métallique. Les doigts de Zack s'attardèrent un instant contre mon poignet, caresse frôlée. Je le remerciai en silence, ainsi que Salade qui avait tout à fait compris ce que j'attendais de lui.
Ma main se referma autour de la solution à tous mes problèmes.
- De qui vous parlez ? fis-je mine de m'intéresser.
Et une fraction de seconde plus tard, alors qu'il devait commencer à envisager sa réponse, je la lançai.
La Master Ball.
Elle fila droit sur lui, décrivant une trajectoire purement horizontale, comme une flèche tirée depuis l'arc de ma haine. Mes dents se découvrirent dans un rictus de rage alors que la
ball volait.
Prends-toi ça, pourriture.Nos regards se croisèrent soudain, et celui de Mewtwo étincela, un brasier s'enflammant au fond de ses pupilles. Quelque chose qui n'avait pas de nom bouillonna aux portes de ma conscience, avant de forcer le passage et de s'engouffrer à l'intérieur, inondant mon esprit. Il y eut un flash, un instant où le monde s'effaça complètement et où je pus contempler le blanc le plus blanc qu'il m'ait jamais été donné de voir.
Et puis...
- Chaaaarge yaaaah !
Une tête percute son flanc droit et il roule dans l'herbe. Il se redresse aussitôt, s'aidant de sa liane.
- À mon tour ! hurle une voix, venue de la gauche cette fois.
Impact, choc, et le revoilà à terre. Il grogne et décoche un regard frustré à ses deux compagnons de jeu.
- C'est deux contre un maintenant ? demande-t-il.
- Fais pas la tête, gronchon, rétorque Carapuce en lui flanquant un nouveau coup de tête - amical, celui-là. T'auras l'occasion de prendre ta revanche.
- Et puis tu dis ça uniquement parce que t'es pas du côté des vainqueurs, renchérit Salamèche. Je me rappelle pas que tu sois très réticent l'autre jour quand tu t'es allié avec Carapuce contre moi.
Oh, il a du cran d'utiliser ça comme argument.
- Il s'agissait de circonstances tout à fait exceptionnelles, se défend le Bulbizarre.
- Admets que t'aimes pas perdre ! le provoque son ami orange.
- En même temps, qui aime perdre, hein ? intervient Carapuce. Personne !
Il est bien obligé d'acquiescer. Puis il se relève encore.
- Deuxième round ? propose-t-il. Et pas d'alliances cette fois !
- Chuis prête !
- Et moi prêt !
- Alors c'est parti ! déclare le Bulbizarre.
L'après-midi s'écoule au rythme de leurs jeux, comme tant d'autres auparavant.
La vie est simple.
Il passe son temps à s'amuser avec ses amis dans le jardin, à manger, à dormir, à grandir. Il y a mille manières de se distraire et son monde n'est qu'un vaste terrain de jeu. Ses compagnons partagent son existence faite de course-poursuites, de fausses bagarres, de fou rires et de longues siestes au soleil.
La vie est belle.
Il sait qu'un jour, cela changera. Le jour où un dresseur le choisira. Il devra alors l'épauler, et faire de son mieux pour l'aider à surmonter toutes les épreuves qu'il rencontrera. Il ignore s'il en sera capable. Il ne peut que l'espérer.
Il sait que c'est son destin.
- J'ai trop hâte qu'un dresseur me choisisse ! lui confie un jour Carapuce.
Il hoche la tête, essaye un instant d'imaginer quelle tête aura son dresseur, avant de renoncer car il n'est parvenu qu'à visualiser un mélange entre le professeur qui s'occupe d'eux et l'autre humain qui l'aide souvent, et leur donne parfois à manger quand le professeur est trop occupé.
- Tu crois que ton dresseur et le mien voyageront ensemble ? interroge-t-il.
- C'est obligé, non ? Ils vont pas nous séparer.
Une touche d'inquiétude s'est glissée dans la voix de son amie.
- Non, sûrement pas, s'empresse-t-il de répondre d'un ton rassurant.
La vérité, c'est qu'il n'en sait rien. Il ne peut qu'espérer. Carapuce lui sourit.
- Copains pour la vie ! clame-t-elle joyeusement.
- Copains pour la vie ! réplique-t-il avec le même enthousiasme.
Enfin arrive le jour où ils vont être choisis. Le professeur leur a demandé de rentrer dans leurs boules-maisons, et il attend sagement, assis dans la prairie qu'il connaît si bien. Son dresseur... Il va rencontrer son dresseur ! Il s'inspecte une ultime fois afin de s'assurer qu'il est bien propre et présentable. Hé, est-ce que c'est une tache d'herbe, ça ?
Tout à coup, il sent une chaleur se répandre dans toute sa boule-maison. Un flash illumine le ciel au-dessus de lui, et lui passe au travers. Il se secoue, surpris. Bien qu'il ne se sente pas différent, il sait que quelque chose a changé. À jamais.
Et puis soudain, il est de retour à l'extérieur. Face à Salamèche, tiens donc.
- Coucou ! lui lance-t-il joyeusement.
L'autre lui renvoie un regard mesuré. Pas coucou ?
Du coup, il se retourne, et, oh... sa dresseuse ! Tout est logique, maintenant. L'humaine aux cheveux marrons est sa dresseuse. Il doit la protéger. Il doit lui obéir. Il doit tout faire pour elle. Lorsqu'elle lui parle, il comprend que Salamèche et lui vont se battre, et qu'il faut qu'il gagne. Il donne tout ce dont il est capable durant le combat, qui est très différent des gentilles bagarres auxquelles ils se livrent habituellement. Au final, il en sort vainqueur.
Puis il quitte le jardin qu'il a toujours connu, pour s'aventurer dans le vaste monde en compagnie de son humaine.
Et quel vaste monde. Il voit des merveilles et des horreurs, se fait plusieurs nouveaux amis, triomphe de quantité d'obstacles et connaît des moments de joie comme de peine. Il grandit davantage, devient plus fort, apprend des capacités dont il n'aurait jamais soupçonné l'existence. Tout ça toujours aux côtés de sa dresseuse.
Il croise Salamèche à plusieurs reprises, mais ils n'échangent que très peu de paroles, du moins jusqu'au moment où leurs dresseurs respectifs décident de voyager ensemble pour un temps.
- Tu as revu Carapuce ? lui demande-t-il lors d'une halte au bord de l'eau.
- Elle est encore dans le jardin, lui répond Salamèche qui est désormais Dracaufeu. Aucun dresseur n'est venu la choisir.
Cela l'attriste, et il se considère soudain chanceux d'avoir une dresseuse aussi formidable que la sienne.
Leur aventure continue. Son humaine mène l'équipe à la victoire, encore et encore, et même lorsqu'ils perdent la Teigne, il sait que c'était le bon choix. Lorsqu'elle explique ensuite venir d'un monde différent du leur, et vouloir rentrer chez elle, cela ne change rien. Il la suivrait jusqu'au bout de ce monde, ou d'un autre.
Et il mourrait pour elle.Vacillement.
Bref instant de confusion - qui, que, quoi, où ? - où je fus tiraillée entre les souvenirs de Salade et ma propre conscience, avant que je ne récupère la pleine possession de mon esprit. Pour découvrir un monde figé, comme mis en pause. La Master Ball était toujours dans les airs, à mi-chemin de Mewtwo. Immobile. Tout comme les particules de poussière que je pouvais voir en suspension entre lui et moi.
Mes yeux dans les siens.
Impossible de bouger.
Une seule minuscule fraction de temps, un millième de milliseconde, que le psy avait isolé et qu'il utilisait pour... quoi ? Quel intérêt de me montrer ça ?
C'est un cadeau que je te fais, joueuse... me répondit-il aussitôt, sa voix s'infiltrant dans ma tête tel un liquide insidieux.
Contemple tout l'amour et la confiance que te portent tes Pokémon... et songe à la profondeur de la trahison qui les attends, lorsqu'ils mourront tous, par ta faute. Car ils mourront, je te le promets. Ou bien crois-tu vraiment que ta jolie Master Ball sera à même de m'arrêter ? Non... Ne t'inquiète pas, nous avons tout le temps du monde... La vitesse de la pensée est incroyable, tu ne trouves pas ?Je répliquai avec la première insulte qui me vint à l'esprit. Le psy eut un rire.
Passons au suivant.Il y eut un flash de blanc...
Ce sont des cris qui le sortent de son sommeil.
Des cris d'affolement et de confusion.
- Alerte !
- Ils sont revenus !
- Sauvez-vous, vite !
Autour de lui, c'est le chaos. Ses congénères s'enfuient dans tous les sens, alors qu'un vent de panique souffle sur le banc. Mais lui ne peut pas laisser la terreur le gagner. Il a un devoir à accomplir.
Il agite ses nageoires et cherche les petits du regard. Là ! Ils sont tapis dans la vase, essayant de se camoufler tant bien que mal. Il s'empresse de les rejoindre, se faisant bousculer à plusieurs reprises par d'autres Magicarpes qui ont laissé la peur devenir leur guide. Il peut les comprendre. Lui-même doit faire des efforts de concentration pour ne pas céder à son instinct et filer vers des eaux plus calmes, en sécurité, loin de tous ces remous et des prédateurs.
Sauf que les petits ont besoin de lui.
- Ne restez pas là, c'est dangereux ! leur crie-t-il en arrivant au-dessus d'eux.
- On fait quoi, on fait quoi ? demande l'un d'entre eux, émergeant de la vase et agitant ses petites nageoires de façon frénétique.
- J'ai peur ! couine un autre.
- Tout va bien aller, suivez-moi ! leur assure-t-il.
Du coin de l'œil, il voit arriver une ombre et se retourne vers la menace, prêt à défendre ses protégés. Le soulagement l'envahit lorsqu'il s'aperçoit qu'il s'agit d'un de ses amis, assignés lui aussi à la défense des petits. Ils devraient normalement être bien plus nombreux que ça, mais les autres ont dû déguerpir, oubliant leur devoir face à la panique.
- Le gros rocher avec les algues est pas très loin, ça fera une bonne cachette ! déclare le nouvel arrivant.
Avec son aide, rassembler les petits et les aider à nager vers la cachette se fait rapidement. Son ami ouvre la voie tandis que lui demeure en arrière-garde de leur groupe. Les profondeurs sont toujours agitées autours d'eux, et des cris leur parviennent régulièrement tandis qu'ils avancent aussi vite que possible, rasant les fonds afin d'offrir une cible moins tentante.
Tout à coup, un tentacule venu d'en haut déchire les eaux, cherchant à agripper un petit. Ça, pas question ! Un vigoureux coup de nageoire le propulse en avant et l'envoie percuter la cible du tentacule. Le petit est poussé en avant, pas de beaucoup, mais suffisamment pour qu'il ne soit plus sur la trajectoire du danger. Lui a à peine le temps de s'en féliciter qu'il sent quelque chose le saisir et s'enrouler autour de sa taille.
Les petits piaillent de terreur.
- Continue sans moi ! hurle-t-il à son congénère adulte qui l'observe, impuissant. Mets-les en sûreté !
L'autre réagit aussitôt et force les petits à avancer à nouveau, vers la cachette où ils seront en sûreté. Lui se débat, sans aucun succès, tandis que le tentacule l'emmène inexorablement vers la surface. Il peut contempler le groupe des petits qui arrive enfin au rocher et y trouve refuge avant que leur image ne se trouble, et que, soudain, il soit arraché à son eau natale.
Quelques instants de confusion passent. Le tentacule le serre davantage, et il y a un flash énorme de lumière rouge qui semble l'engloutir.
Tout disparaît brusquement.
Il se retrouve alors dans une eau qu'il ne connaît pas. A-t-il réussi à s'échapper ? Mais ici, c'est calme et dénoué de remous... et il n'y a personne. Désorienté, désireux de comprendre où il est, il explore les environs. Très rapidement, il se rend compte qu'il tourne en rond. Où qu'il nage, il ne parvient à aller nulle part.
D'abord frustré par la situation, son énervement se change petit à petit en apathie au fur et à mesure que le temps passe. Et passe encore. Il reste seul dans l'eau-prison, à barboter sans rien faire. Il ne comprend pas. Quelquefois, il sent que des choses se passent à l'extérieur de cet endroit dont il ne peut s'enfuir, car il entend des bruits et voit parfois des ombres passer dans le ciel. Mais rien ne change.
Jusqu'à ce qu'un jour, un flash rouge éclaire le ciel, et qu'il soit soudain allongé sur une surface dure. Au dehors !
- Je suis libre ! s'écrie-t-il.
Il y a des formes immenses autour de lui, qui s'agitent. Beaucoup de bruit, aussi. Tout à coup, il sent qu'on le tapote.
- Ne me touchez pas ! se défend-il.
Il s'agite pour faire comprendre à ses adversaires qu'il se battra si nécessaire. Ce n'est cependant pas du tout ce qui se passe, et avant qu'il n'ait pu protester, il est de nouveau dans son eau-prison. Cette fois-ci, il y reste moins longtemps, et lorsqu'il ressort à nouveau, il a le droit à des explications. Ce sont les autres Pokémon de l'équipe qui lui parlent de sa nouvelle dresseuse, de la quête qu'elle a entreprise, et de ce qu'on attend désormais de lui.
Une quête, que, petit à petit, il fait sienne. Des co-équipiers, qui, peu à peu, deviennent des amis. Et une humaine qui est très différente de ceux qui l'ont arraché à ses eaux natales et le maintenaient enfermés dans sa prison.
Un jour, il se rend compte qu'il pourrait partir, s'il le désirait. Qu'il est suffisamment fort pour s'en aller, et que personne ne pourrait le retenir.
Mais il décide de rester.
Il a trouvé de nouveaux petits à protéger.Le monde revint, retrouvant toutes les couleurs qui manquaient à la vision d'un Léviator.
Quelle loyauté à ton égard chez celui-là, joueuse, se moqua Mewtwo.
C'en serait presque admirable si ce n'était pas aussi pitoyable.[/i]
Le seul qui est pitoyable ici, c'est toi[/i], rétorquai-je avec hargne.
Et je crois que tu le sais...Un nouveau flash me plongea dans les souvenirs du Pokémon suivant...
Il dort.
Tranquille, ventre plein, confort.
Il déroule le Rêve, le construisant avec sa patience habituelle, mettant chaque pièce en place avec satisfaction. Une ici, une autre là, une énième encore par là-bas...
Le processus est déjà bien entamé lorsqu'il sent quelque chose à la lisière de son rêve. Une intrusion ? Il l'ignore et continue à faire progresser le Rêve. Mais la chose revient, et persiste. Elle déséquilibre toute l'harmonie du Rêve, et l'empêche d'atteindre la sérénité requise pour continuer.
Il abandonne donc le Rêve à regret pour aller identifier le problème. Le réveil est dur. Cela faisait longtemps qu'il somnolait, et le retour à la réalité du non-Rêve est un passage abrupt qu'il lui serait plus facile d'encaisser s'il avait quelques années de moins.
Une fois sorti du sommeil et relevé sur ses deux pattes, le problème est apparent : une petite humaine et son équipe de Pokémon, qui ont réussi à provoquer une perturbation suffisante pour déranger le Rêve ! Voilà qui n'est pas commun. Il s'avoue impressionné.
Un pas en avant, et il les voit encore mieux. Mais tout à coup, l'humaine donne un ordre et ils se précipitent sur lui ! Ah, les humains... ils ne prennent jamais le temps de comprendre entièrement la situation, toujours trop pressés... Et lui est bien trop lent pour éviter l'attaque qui le touche aux jambes, le déséquilibre, et le fait chuter.
Tout s'écroule sous lui.
Puis il se retrouve dans l'eau, et il coule. Il coule à pic. S'agiter pour remonter à la surface est une priorité. C'est ce qu'il s'apprête à faire, lorsqu'il sent, de l'autre côté de la barrière, que le Rêve est devenu instable. Son départ précipité a créé une faille, qui pourrait s'étendre et menacer une partie important de la structure. Ce serait alors un travail de plusieurs séquences de rêves qui cesserait d'exister. Il ne peut pas le permettre.
Il se jette dans le Rêve, car rien n'est plus important. Juste avant qu'il n'y entre, une sensation familière le secoue. Ah. C'est quelque chose qu'il reconnaît, bien qu'il n'aurait pas pensé le ressentir à nouveau un jour. L'humaine l'a capturé.
Il se laisse aller dans le Rêve, en songeant que cela va changer les choses.
Les jours suivants lui donnent raison. Il retrouve la trépidation des combats contre d'autres Pokémon, et la compagnie des membres de l'équipe de l'humaine. Cela faisait bien longtemps que l'un comme l'autre lui étaient devenus étrangers... depuis que le petit humain l'avait laissé partir, il y a de cela bien des Rêves. Par bien des aspects, l'humaine lui ressemble beaucoup...
Il retrouve également le plaisir de ne plus avoir à se déplacer pour se nourrir. Il avait oublié à quel point c'était pratique, de simplement passer son temps dans la boule rouge, et puis d'être servi à manger à intervalles réguliers. Et beaucoup de nourriture, autant qu'il lui en faut !
- C'est vraiment TROP BON ! fait-il remarquer à ses nouveaux coéquipiers lors d'un repas pris au bord de l'eau.
- Notre dresseuse prend soin de nous, lui répond le Florizarre.
- Bof, ça pourrait être meilleur, rétorque la Persian, bien qu'elle ait déjà terminé sa part depuis longtemps.
- T'es jamais contente de toute façon toi, grogne la Colossinge.
Ah, voilà qui ne lui avait pas manqué, les frictions au sein d'un groupe... Mais il y a bien plus d'avantages que d'inconvénients, et il reste donc avec l'humaine. Il l'aide dans ses combats lorsqu'elle en a besoin, il se lie d'amitié avec ses compagnons, il se goinfre des délicieuses croquettes qu'elle leur procure, et, bien sûr, il continuer à construire le Rêve. Il y ajoute d'ailleurs toutes ses nouvelles expériences, et elles font briller le Rêve comme cela n'avait pas été le cas depuis bien longtemps.
Il est heureux.
Il sait que bientôt son Rêve sera fini, et viendra alors le temps pour lui de revenir au Grand Tout... mais en attendant, il restera là, aux côtés de l'humaine.Le retour à la réalité fut plus lent cette fois. J'aurais voulu cligner des yeux, mais le temps était toujours figé, mis en pause sur l'instant présent. Je n'avais aucun contrôle sur mon corps. Aucun contrôle sur la situation, en fait.
J'espère que tu apprécies mes efforts, joueuse, fit Mewtwo sans se départir de son ton nonchalamment hautain.
Fouiller les esprits étriqués de tes esclaves est un travail déjà bien assez ingrat...
Pourquoi t'emmerder à le faire, alors ? rétorquai-je de façon acerbe.
Ou bien est-ce que tu prends trop ton pied avec cette démonstration sadique ? Tu peux juste pas t'empêcher de vouloir me faire souffrir davantage, c'est ça ? Pourriture...Je me tus, me forçant à m'arrêter là, car si je continuais, ce serait un flot d'insultes sans fin qui m'échapperait.
Je tiens à ce que tu réalises l'ampleur de ton échec, fut sa réponse.
Le dernier mot résonna fort dans mon esprit. Échec. Un coup de plus porté à mon moral.
Mais non, je ne devais pas me laisser abattre. La Master Ball allait capturer le psy et mettre fin à ma quête... régler tous mes problèmes... non ? Elle avait été conçue pour ça, après tout. Je la voyais du coin de l'œil, cette petite boule rose et violette capable de me sauver la mise. Pourquoi échouerait-elle face à un Pokémon, serait-ce le plus puissant de tous ? Et pourtant... Mewtwo semblait tellement sûr de lui, et je sentais qu'il y avait quelque chose qui m'échappait... quelque chose d'important... de crucial, même. Sauf que je n'avais pas la moindre idée de ce que ça pouvait bien être.
Le doute s'était infiltré en moi et je ne savais plus que penser.
J'ai déjà gagné, joueuse, asséna Mewtwo.
Ne m'en veux pas si je fais durer le plaisir...Avant que je ne puisse répondre, la scène changea...
Ailes écartées, déployées au maximum, bec pointé en direction du sol, le vent qui lui file entre les plumes et la terre qui se précipite vers lui, à toute vitesse...
Tombant, tombant, tombant...
Aussi silencieux que son ombre qui va s'agrandissant à la surface de la prairie, et qui, comme lui, ne sera remarquée trop tard.
Oui, bien trop tard.
Lorsque le Rattata lève la tête, il n'a plus aucune chance de s'en sortir. Basculement du corps au dernier moment, serres tendues vers l'avant, et le coup fait mouche. Sa proie n'a pas le temps de couiner, à peine celui de sursauter. Un unique tressaillement plus tard, c'est terminé.
Le dîner est servi.
- J'aurais pu l'avoir, déclare Plumes-d'Orage en atterrissant gracieusement à ses côtés, quelques secondes après.
- Tu feras le prochain, lui répond-il.
Il coupe le Rattata en deux d'un claquement de bec, et ils ont tôt fait de l'engloutir. Ensuite, il entreprend de faire sa toilette, tandis que Plumes-d'Orage, qui a mangé plus proprement, se contente d'un seul lissage de plumes. Elle a toujours été la plus propre de leur nichée.
- J'arriverai avant toi au nid ! s'exclame-t-elle sur un ton de défi.
- C'est ce qu'on va voir ! rétorque-t-il en déployant ses ailes.
Ils prennent leur essor quasiment en même temps, mais bien vite, c'est Plumes-d'Orage qui se retrouve en tête. Il a beau faire tous les efforts possibles, elle le devance. C'est le cas depuis toujours, d'ailleurs, car elle est sortie de son œuf avant lui et tous leurs autres frères et sœurs, il y a de cela des années déjà.
- T'es lent, Bleork ! lance-t-elle avant d'effectuer un looping, cette frimeuse.
- M'appelle pas comme ça ! proteste-t-il, le vieux surnom dont il n'a jamais su la provenance l'énervant toujours autant qu'à l'époque où ils étaient petits Piafabecs.
Il l'entend répondre d'un rire.
Et puis tout à coup, la tranquillité du début d'après-midi est brisée par un coup de tonnerre, simultané à l'éclair qui monte du sol en une ligne embrasée et vient frapper Plumes-d'Orage. Elle chute sans un bruit dans une dégringolade désordonnée de plumes marron.
- Plumes ! s'écrie-t-il, impuissant.
Il plonge vers le sol, mais avant qu'il ne puisse la rattraper, elle disparaît soudain dans une lueur rouge. Partagé encore colère et incompréhension, il scanne les environs du regard, et aperçoit le coupable : un humain, accompagné d'un Pokémon dressé qu'il ne reconnaît pas, mais dont la longue queue en forme d'éclair laisse peu de doute sur la provenance de l'attaque que vient de subir Plumes-d'Orage. Dans la main de l'humain se trouve une boule rouge et blanche. Il n'en a jamais vu en vrai, mais il reconnaît immédiatement l'œuf-prison des histoires racontées au coin du nid, tard le soir. L'humain a capturé Plumes-d'Orage ! Et il compte lui faire subir le même sort qu'au Pokémon à ses côtés, l'obliger à le servir en lui retirant toute sa volonté. Ça, pas question !
Un cri inarticulé s'échappe de sa gorge tandis qu'il fond sur eux.
Il ne voit pas l'éclair lui arriver dessus. Ses muscles se crispent sous la décharge électrique, une immense douleur le prend entre ses mâchoires, le broie tout entier, et le monde s'éteint.
Lorsqu'il revient à la conscience, il est seul. L'herbe a été piétinée autour de lui, et c'est l'unique trace qui subsiste de ce qui s'est passé. L'humain ou son Pokémon ne sont nulle part en vue. Plumes-d'Orage non plus.
Il la cherche, bien sûr. Il parcourt toute l'île, de long en large, de droite à gauche, inspecte chaque recoin, chaque endroit, aussi improbable soit-il. Lorsqu'il se fait chasser du territoire d'un Magmar en colère pour la quatrième fois, et qu'il rentre au nid familial les rémiges calcinées, il admet enfin ce qu'il a toujours su : l'humain a quitté l'île, emmenant sa sœur avec lui.
- On ne la reverra pas, déclare l'un de ses frères lorsqu'il aborde le sujet. Faut t'y faire, c'est comme ça. Elle est avec les humains maintenant, comme Maman.
Passée la phase de refus vient l'acceptation, et il se met à déprimer. Il envisage à un moment de partir à sa recherche au-delà de l'île, de quitter tout ce qu'il a jamais connu pour s'aventurer en territoire inconnu, mais la pensée de ce qui est arrivé à leur père le retient. Lorsque leur mère a disparu, sans doute capturée par un humain bien qu'ils n'aient jamais pu avoir de preuve, il s'est lancé à sa recherche dans le vaste monde. Ni l'une ni l'autre n'ont jamais été revus.
Il reste donc. Les jours passent, et pour oublier il s'investit dans la protection de leur territoire face aux nichées rivales. La moitié de son temps, il le passe à se battre. L'autre, à dormir.
Un jour, presque une année entière après l'incident, sa routine est brisée. Il croit rêver lorsque Plumes-d'Orage en personne se pose sur la branche où il somnolait.
- Salut, Bleork, lui lance-t-elle comme si de rien n'était.
Il lui faut environ vingt minutes pour se calmer et être capable de s'exprimer de façon cohérente. Passés les coups de bec pour vérifier qu'elle est bien réelle, les échanges physiques d'affection, et les quelques insultes qu'il ne peut s'empêcher de lui balancer, elle lui explique enfin la situation. L'humain la traite bien, d'après elle, et ils sont même devenus amis (ça, il a quand même beaucoup de mal à y croire...). Il est revenu sur l'île afin de s'entraîner pour une sorte de concours qui approche, et il compte y rester quelques jours. Ensuite, il repartira, et elle avec.
Il ne comprend pas. Pourquoi ne resterait-elle pas ? Il suffirait d'aller briser l'œuf-prison qui la lie à l'humain, et... Elle l'interrompt avant qu'il ne puisse exposer son plan en entier, et lui explique qu'elle suit l'humain de son plein gré. Qu'elle est heureuse avec lui, qu'elle se sent utile, et qu'elle s'est fait plein de nouveaux amis. Lui est sceptique. Il tente, bien sûr, de la faire changer d'avis, mais Plumes-d'Orage a toujours été plus têtue que lui, et ne veut rien entendre. Au final, c'est elle qui a le dernier mot.
Il profite donc de sa présence durant ces quelques jours, et rattrape une année de retard de chasses et de jeux. Puis elle quitte à nouveau l'île, enfermée dans l'œuf-prison alors que l'humain embarque sur la machine qui traverse les océans. Il a songé à l'accompagner, décidé que ce n'était pas sa place. Il risquerait de plus de se faire capturer par un autre humain, et ils seraient alors séparés pour de bon sans possibilité de se revoir. Elle lui a promis de revenir dès qu'elle le pourrait.
Il attend donc.
Un mois seulement s'est écoulé lorsque quelqu'un l'appelle à nouveau Bleork. C'est un Roucarnage, qui l'interrompt lors d'une chasse et lui fait manquer son Rattata. En temps normal, il serait furieux, mais là, il laisse filer sa proie sans même un regard en arrière.
- Tu connais Plumes-d'Orage ? lui demande-t-il alors que l'autre a à peine replié ses ailes.
Le Roucarnage incline la tête.
- Elle m'a chargé de te transmettre un message.
Un instant de silence, trop lourd. Il le brise.
- Alors ?
- Elle... te demande d'être heureux, et de ne pas chercher à la venger. C'était son choix, et quoi qu'il puisse arriver... qu'il soit arrivé... elle ne regrette rien.
- Je ne comprends pas... Tu parles d'elle comme si elle était...
Le Roucarnage baisse encore davantage la tête, sans croiser son regard.
- Elle a succombé suite à un combat contre un adversaire de notre dresseur... explique-t-il d'une voix douce. Elle...
Incapable d'en supporter davantage, lui s'envole sans entendre la suite. Il monte haut dans le ciel, très haut, et crie sa peine jusqu'aux étoiles. Longtemps, jusqu'à ce qu'il soit forcé de se poser, trop épuisé pour continuer à voler.
Il vit les jours, les mois suivants dans un brouillard. Il accomplit tout mécaniquement, chassant uniquement quand la faim devient insupportable, n'échangeant que de rares paroles avec ses autres frères et sœurs, ne se souciant plus aucunement du territoire à défendre. Il se sent vide et inutile. Plus rien n'a d'intérêt, ou d'importance.
C'est dans cet état d'esprit-là qu'il se trouve lorsque sa route croise celle de deux humains. De deux dresseurs, plus précisément. C'est la première fois qu'il en voit depuis qu'il a appris la mort de Plumes-d'Orage, et il sent une rage soudaine l'envahir. Sans réfléchir, il plonge. Son bec fend l'air. Au tout dernier instant, il dévie sa trajectoire, et reprend son essor avec le sac de l'un des dresseurs comme butin. Tuer n'est pas la solution Plumes-d'Orage n'aurait pas voulu ça. Il se contente donc de voler les possessions des humains.
Mais les humains en question tiennent apparemment à leurs biens, et il se retrouve poursuivi. Lâchant sa proie, il fait demi-tour. Très bien, ils veulent un combat, ils vont en avoir un ! Il fonce à nouveau vers le premier dresseur, qui est une dresseuse tout compte fait. Ses Pokémon s'agitent autour d'elle. Le grand bleu lui balance un jet d'eau, puis le gros vert avec une fleur ridicule lui projette une de ses lianes. Ni l'un ni l'autre ne le gênent tant que ça. Par contre, le jet de flammes qui lui arrive en pleine figure, lui, le prend complètement par surprise et le fait s'écraser à terre.
Et le voilà capturé.
Il passe des heures enfermé dans l'œuf-prison. Petit à petit, sa fureur retombe, et disparaît. Il réfléchit. Ce n'est pas l'humaine qui vient de le capturer le problème. Ou même celui qui avait capturé Plumes-d'Orage. Non, le problème, c'est qu'il ne reverra plus jamais sa sœur. Et il n'existe pas de solution. Alors... pourquoi pas, après tout ? Pourquoi ne pas faire comme Plumes-d'Orage et accepter cette nouvelle vie qui s'offre à lui ? Ce serait un peu comme suivre ses traces de serre...
Au cours des jours qui suivent, il découvre les autres Pokémon de la dresseuse. Ils sont tous convaincus que c'est la meilleure des dresseuses qui ait jamais existé. Lui la trouve un peu dingue, et même des fois franchement débile, et puis il y a l'autre folle de Colossinge qui semble avoir une sérieuse dent contre lui, mais il peut vivre avec.
Et il n'a rien de mieux à faire.
Alors autant rester.
Des couleurs, à nouveau.Cette plongée dans l'esprit de Fulgure m'aurait presque arraché un sourire si j'avais été capable d'en esquisser un. Depuis le temps que je m'interrogeais sur ce qui se passait sous le crâne de cet oiseau... Tout s'expliquait. Cela m'aurait bien aidé si j'avais pu savoir ça dès le début, et m'aurait épargné nombre de frustrations et de questionnements sur mes propres compétences.
Le pauvre avait subi une tragédie qui m'était hélas plus que familière, et au final, je comprenais tout à fait son point de vue. Même la partie où il me jugeait franchement débile. Je n'avais jamais prétendu le contraire... J'étais stupide, à être venue affronter Mewtwo dans son antre en pensant que je pouvais m'en tirer. Stupide d'avoir cru que je pouvais vaincre le Pokémon le plus puissant du monde... Stupide, et... quel était l'autre mot qu'il avait employé ? Ah oui, dingue... Là aussi, en plein dans le mille.
Je regardai la Master Ball figée dans les airs, parfaite illustration de ce dernier point. Un dernier recours aussi dingue qu'improbable... Quoi que ? Présage avait bien vu la réussite de cette tactique, sauf qu'il avait également prédit la mort de tous ceux qui m'accompagnaient - dont l'une qui s'était déjà réalisée. Peut-être qu'en fait je...
La vague de souvenirs suivants m'emporta avant d'avoir pu achever ma pensée.
Tout ce que la lumière illumine constitue son royaume.
C'est une philosophie simple, transmise au sein de son clan de générations en générations. Durant la journée, les rayons de l'orbe divine baignent son territoire, et lorsque la nuit tombe, les flammes de son corps repoussent l'obscurité. La lumière, sa lumière, est toute puissante, et les ténèbres ne peuvent que s'effacer face à elle.
Il règne sur les terres qui lui appartiennent avec sagesse et force, chassant les intrus qui n'ont rien à faire là (les Racaillou et ces vauriens de Piafabec qui lui chipent tout le temps sa nourriture), tolérant la présence de quelques Pokémon dignes de traverser temporairement son fief (les Galopa et Ponyta qui courent de toute façon trop vite pour qu'il prenne la peine de les chasser, et ce Machoc sympa dont il ne connaît pas le nom mais qui ne refuse jamais une petite bagarre revigorante), et vérifiant que tout se passe généralement bien.
Il est justement occupé à surveiller l'ensemble de son royaume lorsqu'il détecte une intrusion. Une Pokémon qu'il n'a jamais vue auparavant, au corps rond recouvert de fourrure beige, s'avance d'un pas assuré dans ses herbes. Quel culot ! N'a-t-elle donc pas vu que tous les alentours étaient illuminés par sa lumière, et qu'en conséquence tout ici lui appartenait ? Il va rabrouer cette intruse arrogante, vite fait, bien fait, aussi vrai que sa queue est enflammée !
- C'est mon territoire, arrière ! hurle-t-il en se ruant sur l'ennemie.
- Ton territoire ? répond-elle. Mes fesses, oui !
Il la percute avec puissance et l'impact la déséquilibre suffisamment pour l'envoyer rouler au sol. Satisfait de cette ouverture qui ne fait qu'annoncer la suite des choses, il se relève pour prendre davantage d'élan, et lui balance un coup de poing qui...
...qui se retrouve bloqué ? Qu'est-ce que...
La riposte de l'intruse est foudroyante et il s'écroule, sonné. Waouh. Jamais il n'a connu une défaite pareille.
- Moi c'est Teigne, lui annonce la responsable bien plus tard, après que tout lui ait été expliqué. Je suis celle qui tape le plus fort de l'équipe, alors t'en fais pas, c'est normal que je t'ai écrasé.
- Tu devais être la meilleure de ton clan, lui répond-il, toujours aussi impressionné.
- Pas trop, nan, grogne-t-elle. C'est surtout depuis que je suis avec notre humaine que je cartonne. Et ce sera pareil pour toi si tu restes, face de bec.
- Tu m'apprendras ? demande-t-il avec espoir.
La Colossinge lui décoche un coup dans le ventre à bout portant. Il vacille, grognant sous la douleur. Alors que Teigne le considère d'un œil critique, il riposte. Son poing se fait intercepter, une nouvelle pique de souffrance lui vrille l'épaule, et il se retrouve le bec dans l'herbe, avec Teigne assise sur lui.
- Ouais, t'as du potentiel... déclare la Colossinge sans bouger de sa position, lui maintenant le bras dans le dos sans sembler faire aucun effort.
- Ne sois pas trop dur avec le nouveau ! gronde une nouvelle voix, celle du grand Florizarre.
- Mais non, c'était à peine une petite tapette de rien du tout ! répond Teigne en le laissant se relever. Même la pleurnicheuse de Feunard aurait pu l'encaisser ! Bon, en tout cas, t'as déjà compris la stratégie de base, c'est une bonne chose, ajoute-t-elle à son intention. La meilleure défense, c'est l'attaque !
Ses flammes flamboient. Puis il réalise que Teigne ne comprendra peut-être pas ce que cela signifie, et dit à haute voix :
- Je suis d'accord.
- Parfait ! On commence ton entraînement alors ?
Le grand Léviator qui somnole non loin de là intervient d'une voix posée :
- Ne la laisse pas te mener par le bout du bec. Si elle t'embête trop, dis-le-nous, et on s'occupera d'elle.
- Rien ne t'oblige à te battre, renchérit le Florizarre.
Il est heureux de voir que ses nouveaux co-équipiers se soucient de lui, même si leur inquiétude n'est pas de mise.
- Teigne ne m'embête pas, leur assure-t-il. Ce sera un plaisir et un honneur de m'entraîner avec elle.
- Z'avez entendu ? Un plaisir et un honneur ! répète la Colossinge. Haha ! Tu vas faire un excellent disciple, face de bec !
- Par contre, est-ce que je pourrais avoir un autre surn...
Sa phrase est coupée par une exclamation poussé par leur dresseuse.
- À taaaaaaaaable !
- Ah ! s'exclame Teigne, une lueur s'allumant dans son regard alors que les autres se lèvent lentement. Bon, on commencera après la bouffe !
Il la suit tandis qu'elle s'élance en sautillant vers leur dresseuse, réfléchissant à ce qui l'attend. Il a perdu son royaume, mais il a gagné des amis et une maîtresse du combat qui va l'aider à gagner en puissance. Si on lui posait la question de savoir si c'était un échange équitable, il répondrait qu'il ne regrette rien.
Absolument rien....oui. Oui, ça devait être ça.
J'avais compris. Compris ce que Mewtwo essayait de faire. Oh, c'était malin de sa part, je devais le reconnaître. Et tout à fait logique de la part d'un Pokémon de type psy.
C'était bien tenté, lui dis-je mentalement.
Non, vraiment. Bonne stratégie que de me montrer des morceaux de la vie de mes Pokémon chéris... pile au moment où je vais tout perdre, ça rend vraiment ma défaire amère.
Leur mort sera lente et douloureuse, me répondit Mewtwo,
et surviendra uniquement car ils ont croisé ta route. Ils te maudiront avant de rendre leur dernier souffle. Toute cette confiance qu'ils te portent, trahie... Tu mourras en dernière, bien entendu, afin que tu entendre leurs derniers cris et voir la vie quitter leurs yeux.
Sauf que... ça va au-delà de ça, n'est-ce pas ? Au-delà d'une simple volonté de démoraliser l'adversaire pour ton propre plaisir sadique. Pourquoi t'emmerder à me flinguer alors que je suis déjà à terre et que tu as gagné ? La réponse à ça est simple... t'as peur que je me relève. Ce qui signifie que j'en suis capable. Que je peux triompher. Et je sais comment.Je fis apparaître l'image de la Master Ball dans mon esprit. Un ricanement y résonna en retour.
Décidément, tu t'obstines... Je t'ai déjà expliqué que cette boule de métal n'a aucun pouvoir sur moi.
Pourquoi avoir choisi le moment précis où elle te fonce dessus pour envahir ma tête, dans ce cas ? rétorquai-je.
Non, j'ai compris comment ça marche... enfin compris, je devrais dire. J'ai mis du temps, il m'a fallu cinq flashbacks... Mais j'ai pigé. C'est mon état d'esprit qui compte. C'est pour ça que tu t'évertues à me descendre le moral en flèche. Si je crois que ça va marcher, si j'en suis persuadée à 100%, alors la Master Ball va t'avoir.
Une pitoyable théorie née d'un dernier sursaut de ta bonne conscience, me répondit Mewtwo.
C'est une théorie qui s'est déjà vérifiée une fois, avec Salade, contrai-je.
Je voulais qu'il revienne à la vie, et c'est ce qui s'est passé. Parce que tu l'as dit toi-même, je suis une joueuse. C'est ma partie. Et toi, t'es qu'un putain de Pokémon qui va passer le restant de ses jours à moisir dans la Master Ball.
Tu vas finir comme ton idiot de frère, avec un trou fumant en plein milieu de la poitrine.
Vas-y, répliquai-je d'un ton qui suintait la rage.
Prouve-moi que j'ai tort. Sors de ma tête.
Si tu es si pressée de mourir...Tout à coup, je pus cligner des yeux. La Master Ball continua son vol vers Mewtwo, et cracha un rayon de lumière rouge qui vint le toucher. Le Pokémon psy fut absorbé dans la ball. Elle retomba au sol en émettant un bruit métallique qui résonna sous la voûte de la caverne. Un, deux, trois balancements. Puis plus rien.
Voilà.
C'était terminé.
Je laissai échapper un drôle de bruit, mélange de sanglots contenus, de soulagement, et de rage qui n'avait plus nulle part où aller, puis me retournai pour enlacer Zack. Ses bras se refermèrent autour de moi en une forte étreinte.
- On l'a eu... soufflai-je en posant ma tête contre son épaule.
- Euh, Léa...
La panique dans sa voix m'alerta. Je vis volte-face en un éclair. La Master Ball luisait tel un soleil miniature, d'un éclat si aveuglant qu'il fit perler des larmes aux coins de mes yeux. Je sentis mon cœur s'arrêter de battre.
- Non... Non, c'est impossible...
- On a perdu... murmura Zack d'une voix amère.
- Non ! hurlai-je à la Master Ball qui pulsait de vagues de lumière incandescente de plus en plus rapprochées.
Et puis elle explosa. L'onde de choc me frappa avec la violence d'un coup de marteau en pleine poitrine, et je fus projetée au sol. L'impact fit claquer mes dents, je manquai de me mordre la langue et roulai plusieurs fois sur moi-même, avant d'être finalement arrêtée par une excroissance rocheuse que je percutai de plein fouet. L'air quitta mes poumons dans un sifflement rauque.
Le souffle coupé, les yeux larmoyants, je redressai la tête.
Cherchai la Master Ball du regard, pour trouver Mewtwo à la place.
Le Pokémon psy se tenait triomphalement sur ses pattes arrière, et me toisait d'un regard supérieur. Sa voix mentale martela mon esprit :
Contemple ta défaite, joueuse.Je hoquetai de douleur, crachant du sang. Non... Ça ne pouvait pas se passer comme ça... Ça ne pouvait pas...
Maintenant, lequel d'entre vous vais-je tuer en premier ? demanda Mewtwo, faisant apparaître une boule d'énergie noire entre ses doigts.
- Zarre ! gronda Salade.
Mes autres Pokémon crièrent également leurs noms, chacun répondant à la question du psy, le défiant ou s'offrant comme première victime pour donner plus de temps aux autres. Je me tournai à moitié pour les contempler, réprimant un cri face à la pique de souffrance qui me vrilla les côtes. Ils portaient tous les blessures du combat contre Mewtwo qui les avait laissés sévèrement ensanglantés. Et malgré cela, ils me protégeaient encore... Mais moi, je ne pouvais plus les protéger.
Que de candidats... ricana le psy.
Mais je suis surpris, j'aurais pensé que l'humain restant se serait également proposé...Seul le silence lui répondit. Je scrutai les environs, cherchant...
- Zack ?
La première fois, mes yeux durent glisser sur lui sans le voir, car ce n'est que lorsqu'une liane de Salade me l'indiqua que je le repérai. Il gisait au sol, dans l'ombre d'un rocher, immobile. Une large tache sombre s'étendait sous sa tête.
- Zack ! m'écriai-je.
Une lueur violette l'entoura alors que Mewtwo le soulevait télékinétiquement. Sa tête pendait sur sa poitrine, dodelinant de droite à gauche lorsque le Pokémon le secoua. Une vague de nausée terrible m'envahit lorsque je réalisai que son crâne... son crâne était ouvert. Je pouvais voir son cerveau.
Quel dommage. J'aurais beaucoup aimé commencer par lui... Bon, eh bien je vais me contenter du Florizarre.Il rejeta Zack à terre négligemment, et je m'entendis pousser un cri étranglé qui ne changeait plus rien à rien. Son corps heurta la roche avec un bruit mou, glissant sur quelques mètres, laissant dans son sillage une traînée rouge-noire.
- Non... reviens... reviens... murmurai-je sans le quitter des yeux.
Le bruit grésillant d'une boule d'énergie qui fendait l'air suivi du cri atroce de Salade me fit tourner à la tête, juste à temps pour voir mon Florizarre s'effondrer. Une seconde boule suivit, qui lui tira uniquement un sursaut, puis une troisième qui ne provoqua pas la moindre réaction.
- Non...
Machinalement, ma main alla chercher sa Pokéball à ma ceinture. Je pouvais encore le rappeler, je pouvais encore... Je sursautai lorsque l'énergie violette se manifesta autour de ma taille. En une fraction de seconde, ma ceinture me fut arrachée puis projetée au loin, dans les eaux noires de la caverne.
- Non... répétai-je.
Mon trop-plein de larmes me brouillait la vue. Je martelai le sol de mon poing.
Au suivant... indiqua Mewtwo dans mon esprit.
Il lança un triplé de balles d'énergie noire sur Plouf, qui tenta de répliquer faiblement d'un jet d'eau, avant de s'affaisser lui aussi. Et d'arrêter de respirer. Je l'imaginai vivant à nouveau, de toutes mes forces. Ça pouvait marcher, ça avait déjà marché... Je les imaginai tous vivants alors que la fourrure de Pleind'Soupe se trouvait criblée d'impacts et que son ventre cessait de se soulever, alors que Fulgure s'affalait au sol, ses ailes brûlées repliées contre lui dans une dernière tentative de se protéger, alors que Vésuve bondissait dans un dernier effort pour trouver son élan coupé par une volée de balles grésillantes qui le fauchèrent avec brutalité.
Je continuai à les imaginer tous en pleine forme lorsque Mewtwo s'approcha de moi à pas lents, pour venir me surplomber de toute sa hauteur.
- Je veux qu'ils soient tous vivants... je veux qu'ils soient tous vivants... répétai-je en boucle.
Tu as perdu... joueuse...- Je veux qu'ils... quoi ? m'interrompis-je soudain.
Tu as perdu, réitéra le Pokémon psy avec dédain.
Ces trois mots remuèrent quelque chose en moi. Quelqu'un m'avait dit ça récemment... On a perdu, voilà quelles avaient été les paroles de Zack lorsque la Master Ball avait failli. Mais ce n'était pas logique, pas venant de la part d'un type qui refusait d'admettre la défaite alors même que son Salamèche combattait sous une pluie torrentielle et se trouvait déjà à moitié agonisant... Pas logique du tout...
Sauf si...
Prête à rejoindre tes Pokémon ?- ...on est toujours dans ma tête.
Qu'est-ce que tu racontes ?- On est toujours dans ma tête ! Rien de tout ça n'est réel, c'est encore un de tes sales tours !
Tu as perdu l'esprit, répliqua-t-il.
- SORS DE MA TÊTE ! explosai-je. SORS DE MA TÊTE, SORS DE MA TÊTE !
Je lui balançai toute ma rage à la figure, toute ma frustration, tout mon chagrin et mon désespoir, tout ce qu'il m'avait fait ressentir au cours de la dernière heure, toutes les émotions qui m'avaient déchiré le cœur et qui avaient bien failli me briser complètement. Je déversai tout ça dans un torrent qui n'en finissait pas, jaillissant de moi tel le sang hors de mes plaies dans lequel j'espérais noyer le psy. Aucun mot, juste un pur concentré d'émotions négatives.
Je vis Mewtwo reculer d'un pas, et tout à coup, sans aucune forme de transition, je me retrouvai debout, tandis que la Master Ball fusait dans les airs, droit vers le Pokémon psy qui avait repris sa place initiale.
J'avais eu raison !
J'avais eu raison, putain !
Et je n'avais jamais été aussi heureuse de toute ma vie.
- Haha, oui ! m'exclamai-je, bondissant dans les airs tout en serrant les poings. Oui, putain, oui !
Je regardai la Master Ball engloutir mon ennemi avec bonheur, certaine que cette fois, c'était la bonne. Trois balancements, une poignée de secondes qui s'écoulèrent et aucune explosion. Conclusion en deux mots : Mewtwo, capturé.
Enfin.
- C'est terminé... murmura Zack dans mon dos d'une voix soulagée et un rien incrédule.
Je me tournai vers lui et l'embrassai, sûrement plus soulagée que lui. Je ne l'avais pas perdu... Je n'avais rien perdu de plus que ce qui m'avait déjà été arraché aujourd'hui. D'abord surpris, il s'adapta rapidement en me rendant mon baiser.
- Terminé, confirmai-je alors que ses bras se refermaient sur moi dans une étreinte rassurante.
Je m'autorisai à rester un moment blottie contre lui, savourant le calme, son odeur, la chaleur de son corps... puis je m'obligeai à faire face à nouveau à la Master Ball, qui se trouvait toujours au sol, là où elle était tombée.
- Je croyais que tu ne voulais pas t'en servir, fit remarquer Zack, son souffle chaud venant me chatouiller l'oreille.
- L'alternative était bien pire... Déjà, ce qui s'est passé...
Je secouai la tête alors que mes yeux dérivaient vers le corps de Vivian, à moins d'un mètre de nous. Voilà où on en était arrivé... Mewtwo maîtrisé, au prix de mon frère mort. Défaite, victoire... Je n'aurais su qualifier la situation de l'un de ces deux mots. "Contradictoire" convenait bien, à l'instar des émotions qui s'affrontaient en moi, le soulagement se mêlant à la rage, la tristesse au bonheur. Mon frère avait obtenu son but, après tout, bien qu'il ait dû le payer de sa vie. Et j'avais beau le détester pour ce qu'il m'avait fait, pour tous ses mensonges et ses magouilles à n'en plus finir, il restait mon frère. Le perdre une seconde fois faisait mal.
- Il savait ce qu'on risquait, me répondit Zack. Ils le savaient tous...
Sa réplique me donna un petit coup au cœur et j'observai vivement les alentours. Mon regard s'arrêta sur une forme orangée qui gisait au sol.
- Oh non... Dracaufeu ?
Je sentis le soupir de Zack plus que je ne l'entendis.
- Il a voulu sauver Salade, ce bêta, et...
- Zarre, émit tristement le concerné, tandis qu'une de ses lianes allait toucher Dracaufeu.
Ce dernier demeura inerte. Je ne pouvais pas voir l'endroit où la lance d'énergie de Mewtwo l'avait frappé, mais la flamme de sa queue, éteinte, suffisait pour arriver à la conclusion inévitable. Un soupir m'échappa à mon tour... avant qu'une idée ne germe dans ma tête. Ça avait bien marché une fois... Alors pourquoi pas deux ?
J'agrippai le bras de Zack et le regardai dans les yeux.
- Je vais tenter un truc, d'accord ?
Il hocha la tête, mais je ne pensais pas qu'il avait compris de quoi je parlais. Pas encore. Je m'approchai lentement du corps de Dracaufeu, et m'agenouillai près de lui, posant une main sur son flanc. Il était encore chaud...
Fermant les yeux, je me concentrai.
- Je veux qu'il soit vivant, déclarai-je.
Rien ne se passa.
- Je veux que Dracaufeu soit vivant, répétai-je, fixant dans mon esprit l'image du Pokémon feu en pleine forme.
Toujours rien. Je m'obstinais, encore et encore. Répétant la même demande sur des tons différents, de manières variées, tandis que la frustration et la colère montaient en moi. Pourquoi ça ne marchait pas ? J'avais bien réussi avec Salade... Il n'y avait rien de différent, ça aurait dû fonctionner !
- Léa... fit Zack à côté de moi.
Je ne l'avais pas entendu approcher. Il me prit doucement la main, l'écartant du corps de Dracaufeu.
- J'ai pas fini, attends ! Je peux y arriver ! protestai-je.
- Ça fait plus d'un quart d'heure que t'essaies... Il faut qu'on se fasse une raison.
Son regard était dur, mais résolu. Mes épaules s'affaissèrent alors que j'admettais ma défaite.
- Je ne comprends pas, c'est pas logique... murmurai-je tristement.
- Je ne comprends même pas pourquoi Salade est revenu, moi, me répondit Zack. Mais ne va pas te sentir coupable de ne pas pouvoir accomplir un miracle une seconde fois... Si les morts pouvaient revenir à la vie de manière logique, ça se saurait, tu sais...
- Ouais... acquiesçai-je faiblement, sans pouvoir m'empêcher de jeter un coup d'œil au corps de Vivian. Je suppose... qu'il ne te reste plus qu'à lui dire au revoir, alors, ajoutai-je.
J'ôtai le Scope Sylphe que je trimballais toujours autour de mon cou et le lui remis.
- Au moins tu pourras lui parler...
Il prit les lunettes avec un simple hochement de tête, et m'aida à me relever. J'essayai de lui sourire, sans trop y parvenir. Je m'éloignai ensuite de quelques pas afin de le laisser discuter en privé avec son premier Pokémon. Le mien vint poser une liane réconfortante sur mes épaules, tandis que le reste de mon équipe venait m'encercler. Plouf abaissa sa grosse tête à mon niveau, et Pleind'Soupe fit l'effort de s'asseoir, tandis que Fulgure et Vésuve interrompaient leur conversation pour me regarder. Je leur adressai un sourire.
- On a réussi, les amis, leur dis-je à voix basse. On a réussi... Vous avez été tellement formidables...
Je gratifiai Plouf d'une caresse sur ses écailles. Salade se rapprocha de moi encore davantage avec un grondement grave :
- Flori, zarre ?
- C'était ce qui était prévu... lui répondis-je. Mais je ne suis plus tellement sûre que c'est ce que je veux...
J'ignorais d'ailleurs pourquoi j'étais encore là, dans le monde Pokémon, alors que j'avais capturé Mewtwo. J'avais remporté la partie, j'aurais donc dû avoir eu l'opportunité de faire mon choix, d'après ce que m'avait dit la Chieuse. Et pourtant rien ne s'était passé. Je jetai un regard aux alentours comme si je m'attendais à ce que l'esprit de la cartouche se manifeste face à moi. Évidemment, rien. Bon, peut-être qu'il fallait que je le dise à voix haute... Dans ce cas, ça m'arrangeait, car je n'étais pas obligée de décider immédiatement...
- Qu'est-ce que vous en pensez ? demandai-je à mes Pokémon. Vous voulez que je reste, vous, hein ?
- Ronfleeex ! répondit Pleind'Soupe en premier, ce qui était pour le moins surprenant. Ron, Ronflex !
Et c'était un oui.
- Mag, indiqua ensuite Vésuve, sa queue s'agitant derrière lui.
Je remarquai qu'il respirait difficilement, mais je ne pouvais rien faire pour lui, pas pour le moment. Mes potions que Mewtwo avait fait disparaître plus tôt de lors de notre combat n'étaient pas réapparues. Heureusement, il n'y avait plus de danger.
- D'accord, lui répondis-je, comprenant qu'il m'avait plus ou moins répondu "C'est toi qui vois".
Ce fut également ce que me signifia Plouf, sans même émettre un son, simplement d'un mouvement de tête. Enfin, du moins le pensais-je... Mais j'étais devenue forte pour juger des expressions de mes Pokémon.
- Rapasdepic, pic, indiqua Fulgure, ouvrant son bec pour le refermer brusquement dans un claquement.
- Ah... tu me trouves stupide de vouloir partir ?
- Pic ! confirma-t-il.
- Et toi, Salade ? m'enquis-je en m'adressant au Florizarre qui était demeuré silencieux jusque là.
Il avança doucement une de ses lianes vers moi, et vint tapoter ma poitrine à un endroit bien précis.
- Zarre, dit-il uniquement.
Je souris en recouvrant sa liane de ma main. Écouter ce que me disait mon cœur... Mon bulbe vert était toujours de très bon conseil.
- Entendu, murmurai-je.
Je me retournai ensuite pour vérifier où en était Zack. De ce que je voyais, il était toujours en train de discuter avec Dracaufeu. Mes yeux se portèrent plus loin, au-delà de sa silhouette solitaire, et allèrent se poser sur la Master Ball qui m'attendait toujours, posée au sol comme n'importe quelle
ball après la capture d'un Pokémon. Je ne l'avais toujours pas ramassée... Un instant, je m'imaginais la laisser là, simplement. M'en aller sans la récupérer. Ça aurait résolu le problème de la Chieuse : sans Mewtwo à ses ordres, elle ne pouvait pas exister. Mais aussi tentant que ça puisse être, c'était trop dangereux. Ça revenait à laisser un missile nucléaire en pleine nature, et même si parvenir jusqu'au fond de cette grotte n'était pas une promenade de santé, n'importe qui avec des Pokémon suffisamment puissants pouvait le faire. Je n'allais pas prendre ce risque.
Mes yeux revinrent sur Zack. Il étreignait son Dracaufeu, sûrement pour lui dire adieu. Alors que je le regardais, il recula, puis sembla contempler le vide devant lui. Enfin, il ôta le Scope Sylphe, et d'un geste presque machinal, utilisa la Pokéball de Dracaufeu pour rappeler son corps à l'intérieur. Il demeura silencieux en revenant vers moi.
Le Scope Sylphe changea de mains à nouveau.
- Singe ! m'assaillit Teigne, les lunettes à peine enfilées.
Elle bondit plusieurs fois d'un air joyeux, gesticulant en direction de la Master Ball.
- Eh oui, on l'a eu... C'est une victoire totale pour toi, hein ?
- Colossinge ! acquiesça-t-elle immédiatement, ses grands yeux marrons brillant de fierté comme au temps où elle était encore vivante et venait de terrasser un adversaire.
Je souris malgré moi. Teigne restait Teigne, quoi qu'il arrive...
- Colo, Colossinge, ajouta-t-elle ensuite, prenant un air plus sérieux. Singe.
- Tu vas y aller ? D'accord... Merci pour tout, ma Teigne... lui soufflai-je, un ton plus bas. T'étais la meilleure, tu le sais, ça ?
- Singe ! acquiesça-t-elle d'un air très satisfait.
Elle balaya des yeux toute l'équipe à mes côtés, son regard nous englobant.
- Singe singe.
- Elle vous dit au revoir... leur transmis-je.
- Zarre, répondit Salade.
- Magmar...
- Rapas, depic.
- Leviatorrr.
- Ronflex...
- Au revoir...
Lentement, la silhouette de Teigne perdit en substance, s'éparpillant un million, un milliard de paillettes argentées qui furent emportées au loin comme par un vent venu de nulle part. Scintillants petits morceaux d'une Colossinge si brave et si féroce qu'il n'y en aurait pas une autre comme ça avant très très longtemps...
Je laissai échapper un soupir en ôtant le Scope Sylphe, et le regardai pendre autour de mon cou un instant. Puis je levai le regard, mes yeux croisant ceux de Zack. Ses pupilles marrons recelaient le même espoir que j'y avais entrevu un peu plus tôt, durant le bref instant d'accalmie entre la supposée défaite de Mewtwo et son retour meurtrier. L'espoir que je reste...
- À quoi tu penses ? me demanda-t-il dans un murmure.
Je lui tendis la main. Il la prit, et je la serrai fort. Puis je me tournai vers la Master Ball qui m'attendait. Vers ma décision. Zack suivit mon mouvement et nous contemplâmes un instant la ball en silence, reliés par nos mains enlacées.
- J'étais en train de me dire, répondis-je avec retard, que ça y est, on est arrivés à la fin... La dernière page du livre...
- Y pourrait y avoir une suite. Un tome deux.
- "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ?" tentai-je de plaisanter alors que mon cœur balançait comme jamais.
Partir, rester... Partir ? Rester ?
- Si t'en veux beaucoup, ouais, me répondit Zack. Perso moi je crois qu'on aurait assez à faire avec un ou deux, surtout s'ils prennent de toi niveau caractère.
- Hé, tu peux parler ! ... remarque, si c'est un garçon et qu'il a tes cheveux, on va se ruiner en gel coiffant...
- Nan, ça tient tout seul. J'ai des gènes capillaires extraordinaires.
- Au moins on peut être sûr que nos enfants seront modestes, me moquai-je.
- "Seront ?" releva Zack, avec l'air de celui qui vient de tomber sur un Pokémon ultra rare après avoir crapahuté durant des heures jusque dans les moindres recoins du Parc Safari. Pas "seraient" ?
- Euh...
Merci, cerveau, pour ce lapsus magnifique qui ne va pas être du tout difficile à justifier... non non...- Moi ça m'irait, continua Zack sans se départir de son air satisfait. Bien sûr, c'est toi qui vois...
Je pris une grande inspiration. Oui, c'était ma décision... Partir... Rester ?
- Je... commençai-je.
Et parce que le destin me haïssait, et qu'il avait tendance à me faire chier pile au moment où fallait pas, il y eut une interruption, comme la dernière fois où Mewtwo avait coupé court à ma conversation avec Zack.
Des applaudissements.
Un
clap clap clap posé qui retentit dans toute la caverne.
Mon échine fut parcourue d'un frisson, et je revis dans mon esprit la scène que m'avait montrée Présage. Ce futur où tout le monde mourrait n'avait finalement pas eu lieu, mais il semblait que les applaudissements, eux, je ne pouvais pas y échapper.
Zack et moi nous tournâmes ensemble d'un même mouvement pour découvrir...
- Alec ? m'exclamai-je.
L'ancien champion se tenait sur le rivage opposé de l'île, à une vingtaine de mètres de là. Il m'adressa un sourire, ses yeux gris argentés fixés sur moi, sans cesser d'applaudir de sa manière bien trop théâtrale. Son Akwakwak se tenait à ses côtés : il avait dû arriver en surfant sans que nous ne l'ayons entendu... Et mes Pokémon qui se trouvaient derrière nous et du mauvais côté n'avaient rien remarqué non plus.
- Léa, je me dois de te féliciter, vraiment, fit-il en cessant enfin ses applaudissements. Tu viens d'accomplir quelque chose d'absolument remarquable.
- ...merci, répondis-je, car il semblait attendre une réaction de ma part.
Zack n'avait pas lâché ma main et je sentais la tension qui l'habitait. J'étais également sur mes gardes : qu'est-ce qu'Alec pouvait bien faire là ? Il avait voulu me parler lorsqu'on l'avait croisé la veille, mais Vivian l'avait convaincu d'attendre, et ça n'avait pas paru le gêner. Avait-il changé d'avis ? Mais comment il avait su où on était ?
- Capturer le Pokémon le plus puissant qui existe, ce n'est pas rien, continua-t-il. Même avec l'aide de la Master Ball. Et avec seulement deux pertes, ajouta-t-il tandis que son regard glissait sur les corps de Vivian et de Dracaufeu, et ton équipe intacte. Vraiment remarquable. J'aurais cependant une...
- Qu'est-ce que tu veux ? le coupa Zack d'une voix sèche.
- Interrompre quelqu'un qui est en train de parler n'est pas poli, rétorqua Alec avec une froideur glaciale, ses yeux transperçant l'intéressé. Comme je le disais, reprit-il en revenant à moi, j'ai une question à te poser. Pourquoi avoir autant attendu pour utiliser la Master Ball ?
- J'avais mes raisons, indiquai-je.
Ce qui n'était pas une réponse en soi, mais comment ne serait-ce que commencer à expliquer la Chieuse et ma peur terrible de me changer en elle ? Il aurait fallu tout lui exposer depuis le début... et j'avais d'autres trucs beaucoup plus urgents à régler que de me préoccuper des incompréhensions d'Alec.
- Maintenant si vous pouviez vous casser, j'apprécierai, parce que j'étais un peu occupée à essayer de prendre la décision la plus importante de ma vie, et ça fait juste deux fois de suite qu'on m'interrompt, alors ça commence à bien faire.
Tout ça était sorti d'une traite, et oui, c'était malpoli, mais vu la journée que je venais de me taper, où dès le matin j'avais eu une vision où tout le monde mourrait, puis un après-midi passé à marcher durant des heures dans le noir en parcourant des tunnels remplis de monstres dangereux, suivi d'un combat acharné contre le plus dangereux de tous, auquel venaient s'ajouter la perte de mon frère puis un duel mental avec Mewtwo où il avait failli me rendre complètement folle, j'estimais que j'avais le droit de me montrer cassante.
- Malheureusement, je me dois de décliner, répondit Alec sans se départir de son sourire. Du moins tant que je n'aurais pas obtenu ça.
Il désigna la Master Ball d'un mouvement de tête. Ah. Ça répondait à la question de sa présence ici... mais pas question qu'il pose un seul de ses doigts de magouilleur sur cette ball.
- Bah bien sûr, comme si j'allais vous refiler Mewtwo... grinçai-je avec sarcasme. Non, il va moisir dans le PC jusqu'à la fin de ses jours. Il est bien trop dangereux, pas question que quiconque ne l'utilise.
- Quel gâchis... estima l'ancien champion. Quand on sait qu'avec un Pokémon pareil, son propriétaire serait invincible. C'est tout simplement le meilleur du jeu.
- Du... ? répétai-je par réflexe, tout en sachant que j'avais très bien entendu ce qu'il avait dit.
- Attend une seconde... émit Zack, sa main se resserrant davantage sur la mienne. C'est lui...
Alec haussa un sourcil, sans sembler saisir la remarque. Moi, par contre...
- Le premier joueur... c'était vous, complétai-je, alors que toutes les pièces du puzzle s'assemblaient enfin.
- Effectivement, confirma l'intéressé. Je suis le premier à avoir été aspiré par la cartouche... et au début, je ne pensais pas qu'il y en aurait d'autres. J'ai vite compris que si je finissais le jeu, je reviendrais à la vie normale, et j'ai décidé que rester ici était bien préférable à vivre dans un monde sans Pokémon, où j'étais cloué au lit depuis mes dix ans à cause d'un accident... Je n'ai donc jamais essayé d'affronter Mewtwo, bien que la tentation d'obtenir un Pokémon aussi puissant m'ait démangé sans cesse. Et puis ton frère est arrivé, Léa, et tout a changé.
Il s'est interrompu un instant, avant de reprendre :
- La cartouche s'est remise à zéro pour ce nouveau joueur, et tous les problèmes que j'avais réglés sont réapparus. Mais j'y ai vu une opportunité, celle d'enfin pouvoir capturer Mewtwo, puisque je n'était plus le joueur actif de la partie. Je me suis donc arrangé pour me procurer la Master Ball, et je l'ai utilisée sur Mewtwo... sauf qu'elle n'a pas fonctionné. Plus tard, alors que je pansais mes plaies, j'ai compris pourquoi. La seule explication logique à mon échec. La Master Ball ne peut marcher que si c'est le joueur actif qui s'en sert. Ce qui, dans le cas présent, signifie toi.
Ça expliquait les dires de Vivian concernant sa Master Ball qu'il avait cru avoir perdue... Il n'avait rien perdu du tout, Alec la lui avait volée.
- Qu'est-ce que vous voulez faire avec Mewtwo ? demandai-je.
À cette question, une nouvelle intensité fit son apparition dans ses yeux argentés.
- Tout ce dont j'ai envie, répondit-il simplement.
C'était cependant suffisant pour imaginer le pire. Je n'avais pas vu grand chose du caractère d'Alec, mais le peu que je connaissais me permettait de savoir que lui plus Mewtwo, ça ne donnerait pas un bon résultat. Déjà que je ne me faisais pas confiance avec le Pokémon psy, alors le laisser entre les mains d'une autre personne... Zack, peut-être, s'il avait vraiment fallu... mais certainement pas Alec.
Je secouai la tête, soutenant le regard de l'ancien champion.
- Non. Comme je l'ai déjà dit, la place de Mewtwo est dans le PC, et nulle part ailleurs.
- Ah, laissa tomber Alec, sans sembler nullement affecté par mon refus. Fort heureusement, j'avais prévu cette éventualité...
- Si vous voulez régler ça par un duel, allons-y, le défiai-je.
J'avais remarqué qu'il n'avait qu'une seule Pokéball à sa ceinture, celle de son Akwakwak, et même si mon équipe était lessivée, ils devraient pouvoir en venir à bout tous ensemble. Son sourire s'accentua à ma proposition.
- J'ai une meilleure idée, répondit-il.
Le coup de feu me fit sursauter.
Mon cerveau déroula sa litanie de
non, non, non, alors même que la main de Zack se crispait dans un spasme autour de la mienne, qu'il basculait en arrière, qu'une large tâche rouge fleurissait sur sa poitrine et que je criai son nom sans qu'aucun son ne veuille quitter ma gorge.
Durant un instant, je perdis le fil de la réalité, et lorsque je le retrouvais, nous étions tous les deux au sol, sans que sa main ait lâché la mienne.
Non non non non non...L'horreur le disputait au choc en moi. Je n'entendais plus que le rythme effréné de mon cœur battre à mes oreilles, quoique j'étais vaguement consciente d'autres sons en arrière-plan. Mais ils n'avaient pas d'importance. Seul le sang qui imprégnait de plus en plus le T-shirt de Zack occupait mes pensées. J'appuyai une main tremblante sur la blessure, tentant d'endiguer le flot de liquide écarlate.
...non non non...Du rouge, du rouge partout... qui jaillissait sans s'arrêter... J'appuyai plus fort, et une main vint faiblement se poser sur la mienne. La poitrine de Zack eut un soubresaut alors qu'il toussait. Davantage de sang coula entre mes doigts.
...non, non, non...Un cri monstrueux crissa soudain contre mes sens, tranchant net à travers le brouillard de mon esprit. Je relevai la tête.
Salade.
C'était Salade qui rugissait alors qu'il se ruait à l'assaut d'Alec. Ses lianes sifflèrent, mais elles ne touchèrent que l'Akwakwak qui s'était mise en travers de leur chemin. Mon Florizarre gronda, soulevant complètement la Pokémon aquatique dans les airs avant de la projeter au loin dans l'eau.
Nouveau coup de feu.
Nouvelle vague de panique qui me submergea, m'étreignit la gorge, me paralysa le cerveau...
...avant que je ne me rende compte qu'Alec n'avait fait que tirer en l'air.
- Ça suffit, décréta-t-il.
Sa voix glacialement calme portait autant que le bruit de son arme.
- Retiens tes Pokémon ou la prochaine balle ne partira pas dans le vide, fut sa phrase suivante, et il l'eut à peine finie que je criais déjà à Salade d'arrêter, d'arrêter tout de suite, et de rester sans bouger.
Mon Florizarre me regarda d'un air incertain.
- Zarre ?
- Ne tente rien, lui répétai-je d'une voix éraillée, les nerfs à vif, le cœur battant follement alors que l'adrénaline enflammait toujours mes veines. Personne... personne ne bouge, ajoutai-je à l'intention de mes autres Pokémon qui s'étaient également avancés vers Alec, prêts à intervenir.
Ils n'étaient pas assez rapides. Pas autant qu'une balle en tout cas. Et même s'ils s'y mettaient tous ensemble... Alec aurait quand même le temps de tirer. Il toucherait Zack... ou moi. Dans les deux cas... Je ne pouvais pas perdre Zack. Je ne
pouvais pas. Mes mains compressèrent sa blessure plus fort alors qu'un sanglot remontait dans ma gorge. Elles tremblaient. Tout mon corps tremblait.
Alec parla à nouveau, mais j'entendais ses paroles comme à travers un mur d'ouate. Tout était étouffé et rien n'avait de sens. Je me forçai à me concentrer sur lui.
- ...si tu coopères, Léa, j'ai quelque chose pour toi, disait-il, en me montrant un objet.
Mon cœur fit un bond lorsque je reconnus ce que c'était. La bouteille bleue d'une potion. Une potion pour Pokémon, d'accord, mais elles marchaient également sur les humains. Elle marcherait sur Zack.
- Léa... grogna ce dernier, sa main serrant faiblement la mienne. Ne lui...
Une quinte de toux l'interrompit et il cracha encore du sang. Son visage se tordit sous la douleur.
- Ne parle pas, conserve tes forces, lui chuchotai-je. Ça va aller...
Avant de m'adresser à Alec :
- D'accord. La Master Ball contre la potion.
- Marché conclu, répondit-il. Mais je vais avoir besoin d'une garantie d'abord. Rappelle tes Pokémon.
- Zarre ! protesta Salade, demeurant toutefois immobile.
Je secouai la tête à son encontre, tandis que d'une main tremblante j'allais chercher sa Pokéball.
- C'est la meilleure solution... et ça va aller... ça va aller...
- Zarre... émit le Florizarre, baissant le regard.
Il n'était pas d'accord, mais il s'en remettait à ma décision, ce qui me suffisait. Je le rappelai dans sa
ball, replaçant l'objet maculé du sang de Zack à ma ceinture.
- Les autres aussi, indiqua Alec.
J'obtempérai, rappelant un à un Plouf, Pleind'Soupe, Fulgure et Vésuve. Ils ne me résistèrent pas non plus. Ils comprenaient... ils savaient que c'était la seule manière de sauver Zack...
- Lance-moi ta ceinture. Celle de ton ami aussi.
Zack grimaça lorsque je lui ôtai sa ceinture de Pokéballs. Son visage était crispé par la douleur, ses lèvres pâles, serrées, et sa peau couverte de sueur. Il me fixa d'un air indéchiffrable sans rien dire alors que je rassemblai nos deux ceintures et les lançai en direction d'Alec. Elles heurtèrent le sol non loin de ses pieds.
- Bien, fit l'ex-champion en les ramassant. Il faut que je te remercie à nouveau, Léa, continua-t-il en prenant une Pokéball qu'il lança au loin, dans l'eau.
Je tressaillis en le regardant faire, tandis que une à une, nos Pokéballs furent expédiées au fin fond du lac de la caverne.
- C'est vraiment gentil d'avoir épuisé tes Pokémon pour moi, reprit-il. En temps normal, ils auraient peut-être pu se libérer... mais là, dans leur état physique et avec la pression de l'eau en plus, aucune chance.
Ses mains à lui étaient rouges également... rouges d'avoir manipulé les Pokéballs maculées de fluide vital.
- Et maintenant, la Master Ball...
Il s'avança d'un pas assuré vers la
ball qui contenait Mewtwo. La main de Zack se crispa davantage sur mon bras.
- Léa...
- Tiens bon... lui soufflai-je.
Je regardai Alec ramasser la Master Ball. Il la porta à hauteur de ses yeux et la contempla durant quelques secondes, un sourire satisfait aux lèvres. Il murmura quelque chose que je n'entendis pas.
- Vous avez ce que vous voulez, l'interpellai-je. Remplissez votre part du marché.
Ma voix ne tremblait pas, mais tout le reste de mon corps, si. Alec m'adressa un hochement de tête.
- Comme convenu, déclara-t-il en me lançant la bouteille bleue.
À l'instant où je l'attrapai, mes entrailles se glacèrent d'effroi. Elle était légère. Trop légère. Je la secouai et cela confirma toutes mes craintes.
Vide.
Complètement vide.
Je levai un regard enragé sur Alec.
- Vous... Espèce de salaud ! lui hurlai-je à la figure.
- Je n'ai jamais dit qu'elle était pleine, contra-t-il, toujours souriant. Dommage que tu n'aies pas pensé à le préciser dans les termes de notre marché, non ?
- Vous pouvez pas faire ça, il va mourir ! protestai-je, ma voix s'étranglant.
- Je crois que le terme que tu cherches est "se faire effacer". Ce n'est qu'un programme, après tout.
Zack eut un soubresaut alors qu'il lâchait un gargouillis. J'appuyai plus fort sur sa plaie, lui tirant une grimace.
- Et moi ? C'est me condamner à mort si je reste là ! argumentai-je, jouant sur un autre angle.
- Bien sûr que non... tu as fini le jeu, non ? Tu as capturé Mewtwo... me rappela-t-il en agitant la Master Ball. Le retour à la réalité n'a pas l'air d'être automatique, je suppose donc qu'il y a quelque chose qui te retient ici ? Mais logiquement, il suffit que tu décides de partir, et tu quitteras la cartouche. Rentre chez toi, Léa. Tu l'as bien mérité.
Un éclair lumineux de couleur bleue illumina soudain la grotte, et Alec disparut avec.
Nous étions désormais seuls sur l'île.
Seuls et sans aucun moyen de retour, tandis que sous Zack, la flaque de sang s'étendait encore et encore...
***
Pardon pardon pardon pour le cliffhanger, il était prévu de longue date. Normalement le prochain chapitre est le dernier, et ensuite y a un épilogue en trois parties.
Je vais essayer de pas vous relaisser un an sur ce cliff. xDÉquipe actuelle :

Salade

Plouf

Pleind'Soupe

Fulgure

Vésuve
Cimetière :

Ficelle

Touffu

Souris

Poilue

Poilu

Princesse

Grignotte

Teigne