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Le sang de la jetée de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 03/12/2015 à 14:38
» Dernière mise à jour le 03/12/2015 à 14:40

» Mots-clés :   Amitié   Drame   Organisation criminelle   Région inventée

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Chapitre 5 : Les larmes de la mer
NOUVELLE ETONNANTE AU PARLEMENT DE SOUKA

Hier, en fin d'après-midi, la jeune députée Alise Degret, âgée de vingt-cinq ans, a annoncé sa démission, causant la stupeur de toute l'assemblée. Elle a invoqué des raisons personnelles et d'après ses propres paroles, sa situation familiale est à l'origine de sa décision.

D'abord peu appréciée dans le monde de la politique pour ses idées d'écologistes extrémistes, Degret avait réussi à gagner en notoriété depuis quelques temps, notamment en apportant son soutien à bon nombre de ses collègues.

Elle s'était d'ailleurs lancée l'imposant défi de faire interdire la traite des staross qui sévit dans la baie de Salencre, un projet qui ne verra désormais jamais le jour, malgré sa popularité récemment acquise.

Interrogée par notre journaliste présent sur place à sa sortie de la Chambre, Alise Degret n'a pas fait mention d'un éventuel retour en politique, mais elle est encore très jeune et a le temps de changer d'avis dans les années à venir.

Elle n'a cependant pas donné davantage d'explication sur sa démission autre que les motifs déjà cités ci-dessus et cela reste d'autant plus étonnant que son mandat se serait achevé dans un peu moins de trois semaines.

"Le Salencrier" demeure à l'affut de la moindre information.

T. J.


- Alors ?

Candice continua d'agiter la page du journal qu'elle avait brandi sous le nez de Mo juste après que celui-ci lui ait ouvert la porte de ses appartements privés à l'Arène. Il peinait à lire sans sauter de ligne à cause de l'énervement de son amie.

- C'est impossible. Rassure-moi, c'est un canular ?
- J'ai pensé exactement la même chose en lisant cet article ce matin, mais le Salencrier est probablement l'un des journaux les plus fiables de Souka.
- Etant donné qu'il est au service de la Main Noire, comme tous les autres, d'ailleurs, j'en doute un peu.
- J'ai appelé Maria Espinez, tout à l'heure. Nous étions à la fac ensemble, avant que je ne décide de renoncer à ma licence pour me consacrer aux Concours. Elle a entendu la nouvelle, ils en ont même parlé à la radio.
- Enfin, c'est absurde, insista Mo en secouant la tête. Si Alise avait dû démissionner de son poste, nous aurions été les premiers à être au courant. Elle nous l'aurait dit et en plus, elle n'aurait jamais fait ça avant que sa loi n'ait été votée.
- Je suis entièrement d'accord, et pourtant... Moi, ce qui me choque le plus, c'est surtout la raison invoquée. Affaires familiales. Elle ne nous a jamais beaucoup parlé de sa famille, mais je sais que sa mère est morte il y a des années et qu'elle ne porte pas son père dans son coeur, du moins d'après ce que j'ai cru comprendre.
- Elle ne t'a pas donné de nouvelles, récemment ?
- Je ne l'ai pas vu depuis trois jours, affirma Candice. Tu imagines bien que, dès que j'ai lu ça, j'ai immédiatement tenté de la contacter, mais elle ne décroche pas son téléphone. Toute cette histoire est vraiment suspecte.
- Ecoute, tu n'as qu'à rentrer et m'attendre dans le salon. Je me dépêche de m'habiller, après quoi nous irons rendre une petite visite à Alise pour lui demander quelques explications. Elle nous doit bien ça.

***
- Alise ! Alise, ouvre cette porte ! Nous savons que tu es là. Alise !

L'intéressée ne bougea pas. Elle était assise sur le sol, dans le couloir, le dos calé contre le mur. Ses yeux étaient rougis, gonflés par les larmes qu'elle n'avait cessé de verser depuis sa démission. Elle portait un vieux survêtement usé, par-dessous un T-shirt trop grand pour elle, et était pieds-nus.

Candice et Mo tambourinaient contre le battant de l'entrée depuis une bonne dizaine de minutes, sans qu'elle ne soit décidée à leur ouvrir. Elle n'avait pas envie de les voir. Ils allaient lui réclamer des comptes, or elle n'avait aucunement l'intention de leur en donner. Seule la vérité pourrait justifier son acte, mais elle n'avait pas le courage de leur la livrer. Quelle personne souhaitait admettre ouvertement qu'elle n'était rien d'autre qu'une menteuse, doublée d'une tricheuse ?

- Alise, je te préviens que si tu ne nous ouvres pas, je demande à Picki d'enfoncer la porte.

Elle leva les yeux au ciel. Voilà que Mo la menaçait, désormais. Ils étaient décidément résolus à ne pas s'en aller tant qu'elle ne leur aurait pas adressé la parole. Tant pis, il lui fallait se sacrifier. C'était le seul moyen qu'elle avait pour qu'ils la laissent à nouveau tranquille.

- Quoi ? demanda-t-elle en déverrouillant le loquet.

Sa voix était rauque, ce qui n'avait rien d'étonnant puisqu'elle n'avait pas prononcé le moindre mot depuis deux jours. Elle affichait une apparence misérable, mal coiffée et les yeux cernés, face à laquelle ses deux amis marquèrent une légère surprise.

- Alise... Que t'arrive-t-il ? interrogea aussitôt Candice en prenant un ton qui se voulait compatissant. Tous ces mois de labeur... Balayés du revers de la main. Enfin ! Qu'est-ce qui t'est passé par la tête ? Pourquoi avoir quitté ton poste de députée ?
- Et surtout, quel est ce motif idiot que tu as présenté ? Raison familiale. Tu n'as pas de mère et tu nous répètes sans cesse que ton père ne rentre jamais de Sinnoh où il travaille.
- Ça ne vous concerne pas.
- Si, justement. Nous t'avons aidée pendant tout ce temps. Nous t'avons soutenue, encouragée et nous avons oeuvré avec autant d'ardeur que toi dans cette lutte anti-Starossier ! protesta Mo. C'est ainsi que tu nous remercies ? En jetant tous nos efforts par la fenêtre sur un coup de tête ?
- Si tu as une explication, nous sommes curieux de l'entendre. Ce n'est pas possible que tu aies agi de la sorte sans motif, surenchérit Candice. Peu importe ce dont il s'agit, tu sais que tu peux nous le dire. Nous sommes tes amis, nous comprendrons.
- Vous comprendrez ? Alors vous comprendrez certainement que j'ai envie de garder certaines choses pour moi, en particulier celle-ci. Ce n'est pas à vous deux, les plus gros cachottiers de Souka, que je vais apprendre ça.

Un silence pesant s'abattit sur le palier, où la coordinatrice et le Champion se mirent à danser d'un pied sur l'autre, mal à l'aise, pendant que le regard sombre d'Alise les scrutait alternativement. Elle n'hésiterait pas à se montrer cruelle si cela s'avérait nécessaire : elle voulait qu'ils partent au plus vite.

- Depuis combien de temps... commença Mo.
- Je vous ai vus, l'autre soir, sur la plage. D'ailleurs, ce serait plutôt à moi de vous poser la question. Nous sommes censés être amis, être soudés, mais vous ne m'avez rien dit. Qu'attendiez-vous ?
- Que ta loi soit adoptée. Nous ne voulions... Nous t'aurions tout avoué à partir du moment où tu aurais déposé ta motion.
- Pourquoi pas avant ? s'enquit-elle, les sourcils froncés.
- Pour que tu n'aies pas à souffrir d'un quelconque élément perturbateur. Nous avions cru bien faire.
- Alors ne croyez plus. En rien.

Alise s'apprêtait à refermer le battant sur le visage déconfit de ses interlocuteurs. Elle préférait qu'ils la pensent en colère. C'était toujours moins dur à encaisser pour elle que de subir leurs expressions désapprobatrices en face s'ils découvraient qu'elle était liée d'aussi près à la Main Noire.

Elle n'eut pas le temps d'achever son geste. Le pied chaussée d'une ballerine de Candice se faufila à l'intérieur afin de bloquer la porte. Elle poussa un soupir exaspéré. Ne renonceraient-ils donc jamais ?

- Explique-nous. Tu nous dois au moins ça.
- Non. Non, je ne vous dois rien du tout. Et si vous avez tenu à m'aider pour recevoir de la gratitude ou de la reconnaissance, c'était une mauvaise idée dès le départ. Je songeais que vous me prêtiez main forte parce qu'il s'agissait de notre cause commune.
- Ça, et aussi parce que tu es notre amie.
- Puisque je suis votre amie, vous devriez comprendre sans peine que je désire rester seule et surtout ne pas avoir à me justifier.

Candice ôta son pied de l'embrasure quand Alise se mit à exécuter une pression plus forte sur le battant, jusqu'à parvenir à le fermer totalement. Une fois cela fait, elle se laissa tomber dos contre lui, l'oreille collée contre le bois. Elle entendit le bruit de leurs pas s'éloigner. Enfin.

***
- Je t'ai fait une promesse, Ucello, et je la tiendrai.

Le stari tira énergiquement le bas de son pantalon. Il émettait des sons discrets, semblables à des sanglots, et Alise dut se résoudre à le prendre dans ses bras afin de le réconforter.

- Non, je ne veux pas que tu viennes avec moi. C'est beaucoup trop risqué. A présent que je sais à quel point les hommes de mon père ne sont pas des enfants de choeur, il est hors de question pour moi de t'exposer au danger.

Ucello échappa à son étreinte, presque avec violence, pour sauter lourdement sur le sol et croiser sur son joyau deux de ses branches dans une attitude boudeuse. La jeune femme secoua la tête, l'air profondément peiné.

- Je sais que tu veux les aider et que tu veux rester avec moi, mais...

Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Le pokémon se saisit d'un pan de sa veste pour la secouer avec véhémence, au point de faire tomber de sa poche intérieure ses pokéball. Il actionna le bouton de la sienne et se fit aspirer dedans, dans un éclair rougeâtre.

- Quel entêté ! murmura Alise en ramassant la sphère pour la presser contre son ventre. Est-ce parce que je t'ai trop bien éduqué ou pas suffisamment que tu me ressembles autant ?

A contrecoeur, elle remit la ball à sa place. Soit. Puisqu'il s'agissait du souhait d'Ucello, elle s'inclinerait. Elle l'emmènerait avec elle, même si elle craignait les répercussions que cela pourrait avoir sur lui.

Elle vérifia le contenu de son sac à dos une dernière fois. Elle possédait une lampe de poche, un grappin, ainsi que divers objets qui pourraient s'avérer utile lors de la mission presque kamikaze qu'elle s'apprêtait à accomplir.

Elle avait l'intention d'embarquer clandestinement à bord du Starossier. Etant donné qu'elle n'avait pas pu mettre légalement un terme à ce commerce et ce massacre immondes, elle allait s'y prendre autrement. Après tout, on ne la considérait pas comme une écologiste extrémiste pour rien.

Dans sa prime jeunesse, elle avait déjà commis des actes répréhensibles pour la nature, à ceci près qu'ils avaient toujours été endigués par la Main Noire afin qu'elle ne soit jamais inculpée. Désormais, c'était contre cette organisation qu'elle avait secrètement servie au cours des dernières années, et inversement, qu'elle s'apprêtait à se battre.

Elle inspira profondément. Elle avait vérifié son matériel en détail à trois reprises. Elle ne saurait être plus prête qu'elle ne l'était déjà. Elle consulta l'horloge murale. Il était près de vingt-deux heures. Lorsqu'elle atteindrait les quais, ceux-ci seraient plongés dans la pénombre. Elle n'aurait aucun mal à monter à bord du bateau sans que quiconque ne la repère.

Elle se mit en route. Elle ne tremblait pas, pas plus qu'elle n'avait peur. Alise possédait des nerfs d'acier, ce qui avait été son atout principal en tant que politicienne. Cette carrière allait lui manquait, car elle n'avait pas l'intention d'y revenir. Elle ne pourrait certainement plus rien faire du tout, d'ailleurs, si son plan se soldait par un succès. Son père s'assurerait par la suite de transformer sa vie en enfer, afin de se venger d'elle.

Il était toujours là, fidèle au poste. Le Starossier. Son immense carcasse métallique, pigmentée de rouille, se découpait dans la pénombre, par-dessus la surface paisible de l'océan. Elle le jaugea du regard, le brava, comme si elle tentait de lui lancer un défi. Elle se battait contre lui depuis si longtemps. Cette nuit, il y aurait enfin un gagnant et un perdant.

Alise s'approcha de lui dans le plus grand silence. Presque parvenue à sa hauteur, elle s'immobilisa pour chercher dans son sac à dos son grappin. Comme il faisait nuit noire et qu'elle avait soigneusement évité la lumière des lampadaires, il lui fallut un certain temps avant de le trouver. Une fois cela fait, elle enroula la corde autour de son poignet et évalua la distance qui la séparait de la proue du bateau.

Celle-ci devait se trouver à une demi-douzaine de mètre au-dessus de sa tête. Ce navire était vraiment gigantesque, assez pour contenir les cadavres massacrés de milliers de pokémon. A cette pensée, elle tressaillit. Quelles horreurs risquait-elle de découvrir une fois à son bord ?

Elle devait chasser cette idée effrayante de son esprit, en dépit de son réalisme. Si elle se focalisait là-dessus, elle ne serait pas concentrée sur sa tâche, or il le fallait impérativement. La moindre erreur lui serait fatale. Elle avait beau être la fille du boss, la Main Noire ne se montrerait pas pour autant clémente envers elle.

Elle inspira profondément, avant de faire tournoyer son solide crochet. Quand elle se sentit prête, elle le lança en l'air de toutes ses forces. Son premier essai fut un échec : elle rata sa cible d'un bon mètre. Par chance, le grappin retomba dans l'eau, ce qui émit moins de bruit que s'il avait atterri sur le quai. Elle le ramena, puis réessaya. Cette fois-ci fut la bonne.

Elle tira sur la corde à deux reprises, afin de s'assurer de sa prise. Elle semblait suffisamment fiable pour qu'elle commence l'escalade. A mi-chemin, sa respiration s'accéléra et le souffle lui manqua. Quelle folie s'apprêtait-elle à commettre ? C'était un crime, or elle avait depuis longtemps renoncé à ces pratiques.

Elle se rassura en se rappelant qu'elle agissait de la meilleure façon possible. Même si elle devrait subir par la suite les conséquences de son acte, cela n'aurait aucune importance à partir du moment où elle réussissait. Cela sauverait la vie des staross restants, déjà en extinction à cause de ce monstrueux trafic.

Elle avait tout calculé avec soin. Le Starossier n'était censé quitter le port avant deux semaines : il n'y aurait donc pas ou peu de monde à son bord, à l'exception des quelques sbires de son père qui montaient certainement la garde, comme c'était le cas sur chacune de ses possessions, qu'elles soient terrestres ou maritimes.

Avec souplesse, elle bascula par-dessus le garde-fou du bateau. A première vue, personne ne se trouvait sur le pont, ce qui était un point positif. Au moins, nul ne l'aurait vu se faufiler ici. Cela lui permettait de conserver l'effet de surprise.

Elle n'avait pas l'intention de blesser quiconque. Autrefois, elle avait contribué l'explosion d'une usine hautement polluante à Sarasky, avec le mouvement écologiste duquel elle était à la tête à l'époque, cependant elle s'était assurée auparavant que les locaux étaient vides. Elle était extrémiste, oui, mais pas une meurtrière, contrairement à son père.

Elle avait à maintes reprises souhaité que les individus voguant sur le Starossier périssent dans les flots avec le cargo de la mort, toutefois elle serait incapable de leur faire du mal autrement qu'en pensée. Alise n'était pas méchante. Juste un peu manipulatrice.

Elle tendit l'oreille. Tout semblait calme. Elle ne percevait pas le moindre bruit de pas, ni de conversation. Elle trouvait cela étrange que le navire soit sans surveillance. Cela ne ressemblait pas à son père, lui qui était d'une prudence extrême. D'un autre côté, elle n'avait pas à s'en plaindre. Moins elle croiserait de monde, plus sa tâche serait facile.

Son plan était, du moins en apparence, extrêmement simple. Dans ses affaires se trouvait un pistolet électrique, qu'elle comptait utiliser afin de paralyser les membres d'équipage, avant de les laisser choir sur le quai. Après cela, elle prendrait les commandes du Starossier et irait le faire couler au large.

La construction d'un bateau comme celui-ci était longue et onéreuse. Même si son père décidait d'en acquérir un nouveau, il lui faudrait des années avant de l'obtenir. D'ici là, elle espérait que les gens, en particulier les Salencriers, se seraient sensibilisés face à cette pratique odieuse.

Alise prévoyait également de disparaître, une fois sa mission accomplie. Elle savait qu'en dépit de sa parole, son père n'hésiterait pas à rendre publique la tricherie dont elle avait usé pour être élue députée de Salencre. A ce moment-là, si elle était encore présente à Souka, elle ne pourrait jamais plus se promener dans les rues sans être devenir le souffre-douleur de tous les habitants de la région. Ils se feraient une joie d'avoir une raison de la traiter plus bas que terre, ainsi qu'ils en avaient toujours rêvé.

Elle venait d'atteindre la cabine, à présent. Des murmures s'en élevaient. Elle tenta de distinguer le nombre de voix qu'elle pouvait percevoir. Une, deux, trois... Elle écarquilla les yeux. Douze ? C'était beaucoup plus que ce à quoi elle s'était attendue. Pas de garde, mais autant de monde réunit dans cet espace exigu ? C'était à n'y rien comprendre.

Un hublot crasseux sur l'intérieur de la petite pièce. Discrètement, elle jeta un oeil au travers. Ce qu'elle découvrit la fit pâlir : onze hommes de main de son père se trouvaient là, en plus du boss de la Main Noire en personne. Que faisait-il à bord du Starossier ? D'ordinaire, il évitait de s'impliquer directement dans ses affaires, préférant laisser ses sous-fifres transmettre ses instructions et les gérer depuis son QG de Milicent.

- A cause de l'argent qu'Alise nous a fait perdre avec cette maudite loi sur l'import de luxe, il est devenu absolument nécessaire de rentabiliser ce vieux rafiot d'une autre façon, affirma M. Degret en frappant du poing sur la table ronde à laquelle ils étaient tous accoudés.
- De quel façon comptez-vous vous y prendre, patron ?
- En remplissant la cale du Starossier... avant qu'il ne quitte le port. Andréa, s'il vous plaît.

Un homme se leva pour aller suspendre au mur un schéma esquissé sur une immense feuille. De là où elle était, Alise ne pouvait distinguer ce qui était représenté dessus. Rien de bon, elle en était convaincue.

- Vivien, mon homme de confiance à Gardénia, m'a soumis cette idée il y a de cela quelques jours, et la met en pratique à l'heure où nous parlons. Il existe, là-bas, des espèces de pokémon relativement courantes à Souka, mais exceptionnellement rares dans les autres régions, comme les dracoli. Des collectionneurs ou même simplement de riches investisseurs payeraient une fortune pour obtenir quelques-uns de ces spécimens. Vivien et ses acolytes en ont déjà capturé une dizaine, qu'ils nous apporteront demain soir au port, dans le plus grande discrétion bien sûr. Vous les embarquerez à bord du Starossier et vous les conduirez à Johto, où d'autres hommes de main vous attendront sur place avec la liste des clients. Lorsque vous leur aurez confiés, les pokémon, vous repartirez capturer les staross dans la mer du sud. Vous reviendrez ensuite à Souka. Cette expédition vous prendra une semaine supplémentaire, raison pour laquelle je vous ai tous convoqués dès aujourd'hui, afin de ne pas prendre de retard sur nos livraisons de joyaux.

Alise se mordit la lèvre, répugnée. Le massacre des staross ne suffisait plus à son père pour assouvir sa soif d'argent : il éprouvait en plus de cela le besoin de transporter des pokémon en contrebande d'une région à l'autre, sans se soucier des souffrances que cela pourrait leur causer.

Que pouvait-elle faire ? Ils étaient bien trop nombreux. Elle devait renoncer à son plan, car elle ne ferait pas le poids face aux hommes de son père, et encore moins face à M. Degret lui-même. Si elle abandonnait, toutefois, qui les empêcherait de mener à terme leurs atroces desseins ?

Elle recula d'un pas en réfléchissant à la question, mais s'entrava par inadvertance dans un objet métallique. Elle bascula vers l'arrière pour atterrir sur le pont dans un bruit sourd, qui alerta la Main Noire. La porte de la cabine s'ouvrit à la volée, laissant apparaître une armoire à glace dans l'encadrement.

- Tiens, tiens... Qui est assez fou pour nous es... Alise ?

Si elle ne connaissait pas tous les sbires de l'organisation, son identité n'était en revanche inconnue pour aucun d'entre eux. En tant que fille du boss, sa notoriété était presque aussi grande que celle de son père.

- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je...

La jeune femme s'empressa de se redresser. Sa main, fermement serrée autour de son taser, qu'elle n'hésiterait pas à utiliser en cas de menace. Elle n'eut pas le temps de répondre que son interlocuteur fut brutalement repoussé loin du chambranle par M. Degret, qui se positionna à sa place.

- J'étais convaincu que tu ne pourrais pas t'empêcher de mettre ton nez dans mes affaires, malgré les menaces. Ta démission n'était qu'un leurre, n'est-ce pas ? Tu avais l'intention de me faire croire que tu capitulais, alors que tu fomentais simplement un autre plan pour me contrer. Comment as-tu l'intention de t'y prendre, Alise ? Je suis curieux de le savoir. Nous dénoncer ? La Main Noire est la seule vraie autorité qui règne à Salencre. Quant au Parlement, il a toujours été à notre merci... en partie grâce à toi.
- Papa... Quel genre de monstre es-tu ? Comment peux-tu... Si tu m'aimais... Si tu m'aimais vraiment, tu n'agirais pas de la sorte. Comment oses-tu persécuter les pokémon quand je me suis toujours élevée en défenseur de leur cause ?
- Alise, tu es la chair de ma chair et je tiens à toi, mais... Les affaires sont les affaires. L'argent importe plus à mes yeux que toi. Ça n'a rien de personnel, mais tu ne me laisses pas le choix. Je ne peux pas courir le risque de te voir me mettre à nouveau des bâtons dans les roues. Vous deux, ordonna-t-il en pointant successivement du regard deux hommes, attrapez-la.
- Quoi ? Tu...

Alise observait son père sans ciller. Elle n'en revenait pas. Même s'il avait toujours été froid et distant avec elle depuis qu'elle était enfant, ce qu'elle avait mis sur le compte de la disparition tragique de sa mère, elle ne l'aurait jamais cru capable d'un agissement aussi ignoble. S'il était capable de torturer et de tuer des créatures par centaines, cependant, elle ne devait pas s'attendre à ce qu'il éprouve le moindre soupçon de pitié à l'égard de sa propre fille.

Un sbire fondit sur elle, mais elle pointa immédiatement son pistolet électrique sur lui. Une décharge se diffusa dans l'ensemble de son corps tandis qu'il s'effondrait à terre, les muscles paralysés. Le second put anticiper son acte et évita l'onde statique pour l'agripper par le bras.

Elle se débattit, néanmoins c'était à un véritable colosse qu'elle avait affaire. M. Degret observait la scène avec une parfaite neutralité. Il ne semblait pas ressentir un seul remord par rapport à ce qu'il faisait subir à son unique enfant.

Alise fut frappée au visage par le mafieux qui la cramponnait et alla heurter le mur de la cabine, contre laquelle elle se cogna violemment la tête. Le choc flouta sa vision pendant plusieurs minutes, au cours desquels le boss de la Main Noire vint se placer face à elle, les mains dans les poches de son veston.

- Tu sais que je n'accorde pas de seconde chance, Alise. Si tu étais un sbire normal, tu payerais très cher ton attitude, en dépit de tes nombreuses années de service. Sauf que tu n'es pas un sbire normal. Tu es ma fille. Pars loin d'ici, quitte Souka et tire un trait sur ta vie d'avant, ainsi que sur tes liens avec moi. Je te donnerai assez d'argent pour que tu puisses commencer une nouvelle vie, dans une autre région. Je n'aurai ainsi pas le désagrément de devoir me battre contre toi et, de ton côté, tu n'interféreras plus dans mes projets.
- Et si je refuse ? le brava-t-elle en soufflant sur une mèche de cheveux qui lui barrait le visage.
- Il vaut mieux pour toi que non, sans quoi tu passeras un très mauvais moment. Alors ?
- Alors...

Sa voix était si basse qu'elle se perdit dans un murmure. Alise esquissa un geste de soumission, uniquement dans le but d'attraper une pokéball dans la poche de sa veste et de la jeter devant elle. Elle se redressa d'un bond, en dépit de la douloureuse migraine qui la lançait, pendant qu'un long serpent de mer aux écailles rutilantes et à la grâce exceptionnelle se matérialisait devant elle.

- Milo !
- Tu es sérieuse, Alise ? répliqua M. Degret. Tu as vraiment l'intention de te battre contre moi ? Tu es seule contre nous tous. Tu n'as aucune chance.
- Peut-être, mais j'essaie, au moins. Je préfère perdre avec dignité que triompher avec couardise... comme toi !
- Moi ? Un couard ? rugit-il. Tout ce que j'ai accompli pour cette région, c'est à la force de mes mains.
- Et je t'y ai aidé, parce qu'à l'origine, nous servions un même idéal. Celui d'une région où nous ferions régner l'ordre et l'équité. Sauf qu'aujourd'hui, nos chemins se séparent. Il est temps que je suive ma propre voie, même si elle doit couper la tienne.

Pendant qu'Alise s'égosillait, deux hommes de main de son père avaient également fait appel à leur pokémon. Un nidoking et un nosféralto se dressaient devant sa milobellus. Le premier n'allait pas représenté de réelle menace : la plupart de ses attaques sol seraient inutilisables sur un bateau, au risque de lui causer de sérieux dégâts.

Un Hydrocanon suffit à se débarasser du colosse rosâtre, mais pendant que Vénus se concentrait sur lui, elle fut empoisonnée par la chauve-souris. Si, au début, elle lutta contre le poison, celui-ci ne tarda pas à l'affaiblir grièvement. Une Lame d'Air eut raison d'elle, avant qu'elle ne puisse venir à bout de son second adversaire.

Alise allait attraper une autre pokéball mais, comme la splendide créature ne se dressait plus devant elle en rempart, une sbire fondit sur elle pour l'attraper par les poignets et lui tordre les mains dans le dos. Des mèches de cheveux éparses tombaient devant ses yeux, qui jetaient des éclairs.

- Sais-tu ce qu'est la Main Noire ? s'enquit M. Degret en venant se poster face à elle. Une immense famille. Et toi, tu n'en fais plus partie. Je regrette sincèrement que tu aies fait ce choix, mais puisque telle est ta décision...

Un sourire mauvais étira ses lèvres, tandis qu'Alise crachait dans sa direction. Pas des assassins. La mafia n'était pas des assassins, répétait-elle constamment à Mo et Candice. Comment avait-elle pu croire elle-même à ce mensonge ? Son père n'avait pas du se contenter de pots-de-vin pour atteindre ses objectifs, et ce depuis le début. Elle avait été aveugle. Pire, elle avait été complice.

- Je vais malgré cela te faire un dernier cadeau. En souvenir de ta mère. J'ignore quel charme vous avez pu trouver à l'océan, toi, elle, et ses parents avant vous, surtout quand on sait qu'il vous mène inéluctablement à votre perte. Toujours est-il que, puisque tu l'aimes tant que cela, ce sont ses flots qui vont t'engloutir. J'imagine qu'il n'y aura pas, pour toi, de mort plus honorable que celle-ci.
- Tu as vraiment l'intention de tuer ta propre fille ?
- Je n'en ai pas que l'intention. Je vais le faire. Et dès qu'un malheureux pêcheur aura retrouvé ton corps, le Salencrier titrera le tragique suicide de l'ex-députée Alise Degret.

L'intéressée secoua la tête. Elle n'avait ni peur, ni peine. Elle éprouvait seulement de la rage. L'envie de tout détruire sur son passage, tel un léviator furieux. Si elle avait été un pokémon, en cet instant, elle aurait sûrement déversé toute sa colère sur ces hommes, mais elle était une humaine. Une humaine qui avait toujours voulu agir pour le bien de la nature.

Le Starossier se mit en mouvement. L'un des acolytes de son père était descendu dans la salle des machines le mettre en route. Elle savait que rien ne ferait changer M. Degret d'avis et, de toute manière, elle n'en avait pas envie. Elle ne voulait pas voir de la compassion sur ses traits à présent qu'elle découvrait son véritable visage. Elle voulait le haïr jusqu'à la toute dernière seconde, qui arriverait bien vite si elle n'agissait pas.

Elle n'eut pas besoin de le faire. Le boss, alors que le cargo de la mort s'éloignait de la côte, s'était retirée dans la cabine et les sbires avaient détourné son attention d'elle après l'avoir solidement ligotée et adossée au garde-fou. Dans sa poche intérieure, elle sentit une pokéball frémir, puis s'agiter avec violence, au point de s'échapper du compartiment en toile. Elle roula sur le pont du bateau, jusqu'à ce que la créature contenue dedans ne s'en échappe.

- Ucello ! souffla-t-elle aussitôt à voix très basse. Ucello, détache-moi vite, s'il te plaît.

L'étoile de mer marron s'empressa de lui obéir. Avec l'une de ses pointes, il trancha le noeud qui maintenait les mains de sa maîtresse prisonnière, et elle se hâta de libérer ses jambes. Par chance, personne n'avait rien remarqué. Tous les mafieux présents sur le pont lui tournait le dos et discutait avec animation.

Elle se mit debout dans le plus grand silence et jeta un regard en direction de la baie. Ils étaient à plusieurs miles nautiques de Salencre, autrement dit ils approchaient de la limite des eaux territoriales, là où ils ne seraient soumis aux lois d'aucune région. C'était certainement à cet endroit qu'ils avaient l'intention de se débarrasser définitivement d'elle.

Rapidement, elle chercha du regard le pistolet électrique que les hommes lui avaient dérobés. L'un d'eux le portait à la ceinture. Alise ignorait cependant comme s'en emparer sans attirer l'attention des deux autres. Face à leur carrure, elle ne saurait avoir le dessus. Elle s'était déjà faite jetée deux fois au tapis, elle ne tenait pas à recommencer. Son corps était suffisamment endolori ainsi.

Ses yeux se posèrent alternativement sur le trio, puis sur Ucello. Une attaque de son pokémon pourrait suffire à les assommer, toutefois le bruit donnerait également l'alerte. Si elle parvenait à mettre hors d'état de nuire ces trois-là par surprise, elle n'aurait pas la même chance contre les autres. Sa milobellus inconsciente, il ne lui restait en plus de son stari qu'un têtarte vieillissant, Ubu, qu'elle avait recueilli après que son ancien dresseur l'ait abandonné. Son équipe n'était et n'avait jamais été taillée pour le combat.

Elle connaissait néanmoins le sort auquel on la destinait si elle ne tentait pas pour le tout. Quitte à échouer, autant échouer avec dignité, en cherchant la moindre issue. Elle fit signe à Ucello de se préparer et, au moment où il bondissait sur les mafieux, ordonna :

- Tour Rapide !

La créature se mit à tournoyer sur elle-même, si vite qu'elle se transforma en une tache floue qui fondait sur leurs ennemis. Avant que ceux-ci n'aient eu l'occasion de comprendre ce qui se passait, l'un d'eux fut projeté contre le garde-fou, un autre alla s'assommer contre un tonneau et le troisième s'évanouit après que le stari l'avait atteint à la tête.

Comme il s'agissait de celui qui portait le taser, Alise fondit sur lui dans le but de le récupérer. Ce fut une bonne initiative, puisque deux autres sbires, avertis comme elle s'y attendait par les cris de leurs collègues, firent irruption. Ucello s'occupa de l'un d'eux, pendant qu'elle paralysait le deuxième à l'aide de son accessoire.

- Il faut partir d'ici ! s'exclama-t-elle précipitamment à l'intention de son pokémon.

Elle jetait des regards anxieux autour d'elle, dans la crainte de voir surgir de nouveaux sbires de son père. Son plan était un échec total. Non seulement elle ne détruirait pas le Starossier cette nuit-là, mais elle n'était pas encore tirée d'affaire. Son entreprise risquait fort de lui coûter la vie.

Elle se dirigea vers le parapet. La surface de l'eau était agitée et les vagues s'écrasaient avec puissance sur la coque du cargo. Jamais elle ne pourrait gagner la rive dans une telle tempête, même assistée par ses pokémon. Ils mourraient d'épuisement avant d'avoir parcouru la moitié du chemin.

Des canots de sauvetage se trouvaient à bord du navire, cependant en dérober un lui prendrait trop de temps, or elle devait fuir au plus vite. Elle n'avait pas d'autre solution : elle devait sauter et prier pour que l'océan s'apaise rapidement.

- Lugia, je t'en supplie... Ne m'abandonne pas... souffla-t-elle, les paupières mi-closes.

Elle aurait enjambé le garde-fou si, au même moment, Ucello ne l'avait pas retenu en coinçant l'une de ses branches dans l'ourlet de son pantalon. Il poussa un cri strident, qu'elle fut incapable de traduire.

- Quoi ? Tu as peur ? Ne t'inquiète pas, il faut croire en notre bonne étoile. La justice divine existe, j'en suis convaincue. Avec tout ce que j'ai fait pour cet océan, il peut bien m'offrir son aide en retour.
- Ri, réfuta immédiatement l'étoile de mer.
- Comment ça ?

Alise mit un moment à comprendre où il voulait en venir. En fait, il n'avait aucunement l'intention de quitter le Starossier. Il venait mener leur tâche à bien, autrement dit le fracasser contre les récifs, ainsi qu'elle l'avait prévue au départ.

- Le statu quo a changé, les choses jouent en notre défaveur, à présent. Nous sommes encore loin des rochers et, sans Vénus, nous ne rejoindrons jamais Salencre, déjà que je doute que nous puissions y parvenir. Et puis... Il ne devait y avoir personne à bord. Je ne suis pas une meurtrière. Je ne...
- Stari ! insista-t-il.

La jeune femme s'immobilisa, pour contempler longuement son pokémon. Il semblait déterminé. Quand elle réussit à détourner les yeux de lui, ce fut pour les fixer sur l'océan, dont la surface était recouverte d'argent par la pâle lueur de la lune. Toutes ces créatures qui étaient mortes, dans l'unique but de satisfaire les désirs d'humains abjects...

Elle était un peu coupable, d'une certaine façon. Elle était la fille d'un monstre. Pire, elle avait servi un monstre, sans même avoir réellement conscience des répercussions de ses actions. Comment pourrait-elle vivre avec cela sur la conscience ? Comment pourrait-elle regagner Salencre, ou n'importe quelle autre ville, qu'elle soit à Souka ou ailleurs, et tenter de reprendre une existence normale ? Cela lui serait impossible.

Était-elle pour autant prête à agir ainsi que paraissait le souhaiter Ucello ? Toute sa famille avait été massacrée à cause de son propre père. Elle lui devait bien cela. Elle n'était pas Arceus, ni Lugia, cependant. Elle ne pouvait décemment décider du droit de vie et du droit de mort d'un homme, aussi abominable soit-il. C'était du ressort des dieux, pas du sien. Il lui était interdit d'essayer de s'élever à leur hauteur en se faisant justice par le sang.

- Mais si le Starossier coule... murmura-t-elle, perdue dans ses réflexions. Ce sera l'océan qui les noiera. Moi... Moi, je me serai contentée de le jeter contre les rochers, n'est-ce pas ?

Son stari l'approuva avec vivacité. Elle eut beau se répéter mentalement ces paroles tandis qu'elle se dirigeait vers l'escalier qui conduisait dans les entrailles du navire, elle ne parvenait pas à s'en convaincre. Les pokémon ou les humains ? Les humains ou les pokémon ? De retour à quai, la mafia continuerait à les torturer jusqu'au dernier. Leurs pratiques n'allaient plus se limiter aux staross, désormais.

- Je... Ucello, c'est...

Elle se figea sur les marches, la main crispée sur la rampe. Comment, d'une simple loi, en était-elle arrivée là ? Comment, d'une motion qui aurait dû être votée par le Parlement de Souka tout entier, se retrouvait-elle à bord du cargo de la mort, sur le point de provoquer la mort certaine de douze hommes ?

- Stari...

Si l'étoile de mer avait eu des yeux, elle aurait certainement pu lire sa peine et son chagrin. Il était prêt à se sacrifier, à rester seul à bord pour mener à bien la croisade dans laquelle ils s'étaient lancés ensemble. Alise secoua la tête.

- Pas question. Je t'ai fait une promesse, après tout... Je dois la tenir. Je... Je ne dois simplement pas penser aux conséquences... Pour l'instant.

Elle avait dû mal à respirer. Un noeud atrocement douloureux lui tordait l'estomac et de la sueur suintait sur son front. Elle se sentait terriblement mal. Dire qu'elle avait simplement voulu agir pour le bien... Mais le bien n'existait pas en ce bas-monde. Si tel avait été le cas, elle ne serait pas là.

Trois hommes étaient déjà inconscients sur le pont. Il en restait huit autres, éparpillés à bord du Starossier, en plus de son père. Aurait-elle le temps de mener le bateau à sa perte avant qu'ils ne comprennent qu'elle était son plan réel ?

Au bout d'un couloir austère et exigu, duquel s'élevait une odeur putride de poisson pourri, elle trouva une lourde porte en métal qui conduisait dans la salle des machines. Un hublot lui permettait d'observer l'intérieur, ce qu'elle fit. Deux sbires étaient aux commandes. Comme les gonds du battant étaient rouillés, ils l'entendraient forcément entrer.

Si Alise n'était pas une dresseuse d'exception comme pouvait l'être Mo, elle était relativement maligne, un atout dans la profession qu'elle avait été contrainte d'abandonner. Elle avait un plan.

- Eh, mais... s'exclama l'un des mafieux, surpris, lorsqu'elle tira la porte. La gamine s'est échappée. Prév...
- Ubu, Hypnose !

Elle s'écarta de l'encadrement pour laisser son têtarte bondir de l'autre côté du seuil. La spirale dessinée sur son ventre se mit aussitôt à tournoyer sur elle-même, dans une danse capable d'assoupir temporairement quiconque la fixait avec trop d'insistance. Moins d'une minute plus tard, les hommes de main s'effondraient à terre dans un concert de ronflements.

Alise bondit par-dessus leurs corps inconscients. Le poste de commandes, auquel elle faisait face, était gigantesque. Il comprenait près d'une cinquantaine de boutons divers et une bonne douzaine de manettes. Comment savoir lesquels servaient à diriger cette énorme carcasse métallique ?

- Ubu, monte la garde. Je risque d'en avoir pour un petit moment. Si jamais quelqu'un s'approche, hypnotise-le sans hésiter.

Le pokémon à l'épiderme bleuté se posta aussitôt dans l'encadrement de la porte restée ouverte pendant qu'Ucello venait se nicher sur l'épaule de sa maîtresse. Tout en continuant de triturer nerveusement le tableau électronique devant elle, elle lui jeta un regard angoissé :

- Dès qu'ils vont s'apercevoir que le bateau a changé de cap, ils vont accourir ici. Le sommeil d'Ubu ne les retiendra pas tous éternellement. Ce vieux cargo n'avance pas vite, il me faudra un bon quart d'heure avant d'atteindre les récifs... à condition que j'y parvienne. Cette machine est plus complexe qu'un ordinateur de bord !

Malgré l'intelligence qu'elle possédait, Alise ne n'entendait rien au pilotage d'un navire de ce genre. Elle observa longuement un écran circulaire éteint, avant de comprendre ce dont il s'agissait. Un sonar. Au début, elle n'en vit pas l'utilité, mais elle comprit rapidement qu'il lui permettrait peut-être d'obtenir ses coordonnées maritimes.

Elle le mit en route. Un faisceau vert balayait un quadrillage en émettant un son régulier. Rapidement, elle mémorisa sa position. Si le pavé numérique à sa gauche fonctionnait de la façon qu'elle soupçonnait, alors il lui suffisait de rentrer de nouvelles techniques, plus à l'est, pour changer la direction du navire sans avoir besoin de se servir des commandes manuelles.

Elle s'apprêtait à le faire quand des bruits de pas la ramenèrent à l'instant présent. Ubu lui jeta un regard angoissé par-dessus son épaule, pendant qu'Ucello, lui, se mettait à frissonner de rage. Elle le connaissait par coeur, elle pouvait sentir sa rage. Il aurait sûrement tué tous les mafieux à bord si cela n'avait pas été contraire aux préceptes d'Alise.

La jeune femme adressa un signe de la main à son têtarte et, tous les trois, ils se tapirent derrière le battant de la porte. Retenant leur souffle, ils attendirent en silence. Apparemment, une seule personne approchait.

- Steve ? Albert ? Tout se passe comme vous le voulez ?

Le sbire aurait certainement poursuivi sa route s'il avait obtenu une réponse rassurante de la part de ses acolytes, mais à part des ronflements, ceux-ci n'étaient pas en état de prononcer le moindre mot. Il s'avança donc dans le chambranle, mais Alise repoussa de toute ses forces le vantail sur lui, pour l'assommer violemment. Le nez en sang, il s'effondra sur le sol dans un bruit sourd.

- Tirez-le à l'intérieur et attachez-les tous ensemble, vite !

Six... La moitié des hommes présents à bord ne risquait plus de lui nuire. La partie restante, toutefois, incluait son père, qui était sans nul doute le plus retors et le plus dangereux d'entre eux tous. Après tout, il n'était pas leur chef pour rien.

- Lorsque nous en aurons terminé ici, nous nous efforcerons d'attirer les autres sur le pont afin de les éloigner de cette salle. Nous devrons faire diversion jusqu'à ce que ce bateau ait atteint son objectif.

Ucello approuva ses propos en agitant sa branche frontale d'un air affirmatif et le têtarte l'imita presque aussitôt. Ensemble, ils trouvèrent une corde dans un placard crasseux, avec laquelle Ubu ligota leurs trois victimes. Alise, pendant ce temps, acheva de rentrer les coordonnées de la nouvelle destination -la dernière, si son plan n'échouait pas une seconde fois consécutive- du Starossier.

- J'ai terminé ! s'exclama-t-elle au moment où le pokémon bipède achevait de serrer les noeuds. Allons-y.

Alise fit signe à ses deux partenaires de lui emboîter le pas. De retour dans le corridor, ils firent volontairement un vacarme infernal, afin d'alerter les sbires restants. Ce stratagème fonctionna, puisque les cinq derniers hommes de main de son père jaillirent hors de deux cabines distinctes pour se ruer vers elle.

- Ubu, tu sais ce que tu dois faire !

Le têtarte acquiesça. Un mafieux supplémentaire succomba à son attaque, mais elle n'eut aucun effet sur les autres. Ses muscles ventraux, qu'il mobilisait pour faire tournoyer la spirale de son abdomen, s'épuisaient à force qu'il le sollicite.

- Ce n'est pas grave. Remontons sur le pont !

Elle attrapa la créature aux écailles bleutées par la main, tandis qu'Ucello sautait sur son épaule. Elle gravit quatre à quatre les marches qui la séparaient de la surface pendant que l'étoile de mer marron frappait à distance l'un de leurs poursuivants avec un Vibraqua.

Plus que trois... Cette pensée ne la rassurait pas pour autant. M. Degret, lui, était toujours en bas. Ceci n'était peut-être qu'un stratagème. Pendant qu'elle affrontait ses sbires, il était libre de se rendre à son tour dans la salle des machines et de contrecarrer son plan savamment calculé.

- Ubu, Torgnoles !

L'intéressé attendit patiemment que le premier homme achève de grimper à son tour les marches pour le frapper au visage. Au terme d'une série de trois gifles, il s'effondra sur le sol, sonné. Ucello eut raison d'un autre, qu'il chargea de toutes ses forces pour le projeter contre la paroi de la cabine principale. Alise, quant à elle, s'occupa du dernier. Avec l'aide d'un objet contondant, elle le frappa derrière la nuque. Il s'effondra à ses pieds, vaincu.

- Tel père, telle fille, n'est-ce pas ?

Elle sursauta. M. Degret venait d'apparaître dans l'encadrement de l'escalier en frappant dans ses mains, comme s'il applaudissait. Il enjamba sans aucune compassion le corps inconscient de l'un de ses acolytes, tandis que la jeune femme reculait d'un pas, sur ses gardes.

- Je ne suis pas comme toi, rétorqua-t-elle, l'oeil mauvais. Je ne serai jamais comme toi.
- Tout ce que j'ai accompli, je ne l'aurais pas fait sans toi, Alise. Quoi que tu fasses désormais pour tenter de te redonner bonne conscience, cela ne servira à rien. Tu devras toujours vivre avec ce poids. Quelque part, tu as toi aussi le sang des Staross sur les mains.
- Non... Non ! J'aime l'océan, comme maman avant moi ! Je lui ressemble à elle, pas à toi.
- L'océan nous l'a prise, Alise. J'aurais aimé que tu t'en aperçoives.
- Comment l'aurais-je pu, puisque tu ne m'as jamais parlé d'elle ?

Des larmes coulaient le long de ses yeux. Sa mère était morte sur un bateau... Sur cette étendue azure qu'elle adorait tant... Alise avait beau être au courant de cette tragique vérité, désormais, elle ne parvenait pas à en vouloir à l'océan pour autant. Il était une partie d'elle. Dans ses veines coulait certainement plus d'eau iodée que de sang.

- Elle n'aurait pas voulu que je le haïsse.
- Comment peux-tu en être sûre, puisque les abysses ne t'ont pas laissé l'occasion de la connaître ?
- Parce que je me plais à croire qu'elle était une femme bonne et bienveillante, et qu'elle savait pardonner. En cela, toutefois, je ne lui ressemble pas du tout. Je ne pourrais jamais cesser de t'en vouloir. Ucello ! Ubu ! A vous de jouer !

Tandis qu'elle exhortait ses pokémon à l'action, son père libéra un dimoret et un vibraninf. Elle avait beau les avoir connus alors qu'elle n'était qu'une enfant, elle savait qu'ils ne l'épargneraient pas pour autant si leur maître leur en donner l'ordre.

- Laser-Glace ! Gyroballe !

Les deux attaques d'Alise ratèrent leur cible. Les pokémon de son père étaient agiles et rapides. Sur ce point, Ubu ne parviendrait jamais à lutter contre eux. Quant à Ucello, il possédait une fougue juvénile qui ne lui serait pas d'une très grande aide face à des combattants aussi aguerris.

Par chance, elle anticipa l'Ultralaser que le dragon adverse était en train de charger, ce qui lui permit de se jeter sur son têtarte afin de l'éloigner de sa ligne de mire. Le puissant rayon perfora un trou dans le sol du navire, qui fit serrer les dents à M. Degret.

- Est-ce cela, ton but ? M'emmener à détruire de mon propre chef ce bateau qui te déplait tant ?

Alise ne releva pas. Elle devait gagner du temps avec ce combat et, pour cela, il lui fallait rester concentrée. Si seulement elle s'était intéressée davantage aux notions de stratégie que Mo avait tenté de lui apprendre par le passé... Au lieu de cela, elle avait décrété qu'elle n'en aurait jamais l'utilité, contrairement à Candice qui avait bu ses paroles. Finalement, il était sans doute plus heureux avec elle qu'il n'aurait pu l'être avec Alise.

Une attaque Tranche-Nuit jaillit des ténèbres pour la frapper de plein fouet, en même temps que son pokémon. Elle hurla de douleur, le bras entaillé. Du sang imbiba rapidement sa chemise, tandis qu'elle s'efforçait de se redresser. Ubu chancelait sur ses jambes. Ucello, quant à lui, fut plus réactif, car il bombarda le dimoret qui venait de les blesser de ses météores.

Alise jeta un regard anxieux par-dessus son épaule. Ils étaient encore passablement loin des récifs. Si son père comprenait son dessein, elle serait perdue. Sa diversion, cependant, ne tiendrait pas longtemps. Ses pokémon n'allaient pas tarder à fatiguer, à condition que leurs adversaires ne les mettent pas au tapis avant.

- Ubu, Abri !

Une barrière protectrice se dressa devant eux au moment où le vibraninf crachait dans leur direction un Dracosouffle incandescent. Il rebondit sur la paroi translucide, qui le renvoya à son hauteur. Celui-ci poussa un hurlement de douleur lorsqu'il fut victime de sa propre action.

Alise devait cesser de lancer des coups d'oeil paniqués dans son dos, sans quoi le boss allait finir par se douter de quelque chose. Elle avait blêmi et tout son corps tremblait. Ce n'était plus qu'une question de minutes, désormais. Bientôt, le Starossier s'écraserait et les flots l'engloutiraient pour de bon, lui et son équipage de meurtriers.

Un Vent-Glace propulsa Ucello vers l'arrière, qui heurta douloureusement le buste de sa maîtresse, debout en retrait, au point de lui couper le souffle. La respiration saccadée, elle massa ses côtes endolories pendant que son pokémon se préparait déjà à répliquer. Leurs attaques échouaient presque toujours, toutefois ils ne renonçaient pas pour autant.

- Têt ! s'exclama soudain Ubu.

C'était l'alerte. Ils touchaient au but. Alise afficha un air de profond soulagement lorsqu'elle vit les premiers rochers se dresser devant le Starossier. Son père, lui, écarquilla les yeux de terreur.

- Non... Pauvre folle ! Qu'as-tu fait ? Tu vas tous nous tuer !
- Pas moi. L'océan. Lugia punit les pêcheurs, papa, et c'est ce que vous êtes. Son royaume rendra son jugement, celui que vous avez voulu teindre de sang.
- Espèce de sale petite garce !
- Ubu, Ucello, sautez ! Vénus, toi aussi !

La milobellus avait profité de ce bref répit pour revenir à elle, en sécurité dans sa pokéball. Alise espérait qu'elle aurait recouvré assez d'énergie, en dépit du combat qu'elle avait mené et des blessures qui lui avaient été infligés, pour affronter les vagues agitées.

- Tu n'iras nulle part ! gronda M. Degret en la voyant s'élancer à la suite de son équipe. Laser-Glace !

L'attaque l'atteignit à la jambe, pour souder celle-ci au pont dans un bloc frigorifié. Ubu afficha aussitôt une expression horrifiée, pendant qu'Ucello poussait un hurlement sonore. Sa colère lui permit de donner naissance à un Vibraqua démesuré, qu'il décida de lancer directement sur le chef de la Main Noire plutôt que sur son dimoret.

La bouche de celui-ci s'ouvrit, mais aucun son n'en sortit lorsqu'il vit l'onde aquatique déferler sur lui. Un cri lui aurait certainement échappé si la force de l'attaque ne l'avait pas propulsé par-dessus le bastingage avant. Il atterrit dans l'eau dans un bruit d'éclaboussure, tandis que le navire se fracassait de façon tonitruante sur les récifs.

Comprenant que quelque chose de grave se passait, le vibraninf prit immédiatement son envol tandis que le dimoret bondissait à son tour par-dessus le bord, afin de fuir au plus vite cette gigantesque carcasse métallique. Les pokémon d'Alise, eux, ne bougèrent pas.

- Partez ! s'écria Alise en les voyant hésiter. Partez, je vous rejoins !

Elle disait cela pour les rassurer, bien sûr, car elle voyait mal comment elle allait parvenir à se libérer. La glace l'immobilisait totalement, du pied à la cuisse, l'empêchant de s'échapper à son tour. Elle frappa dessus de toutes ses forces, hélas elle était bien trop solide pour parvenir à être ébranlée.

- Allez-vous-en ! s'époumona-t-elle. C'est un ordre.

Ubu et Vénus l'observèrent longuement, sans bouger, et Ucello ignora totalement ses instructions pour se précipiter vers elle. Avec l'une de ses pointes, il tenta d'entamer le bloc translucide, en vain. Quatre coup suffirent à peine à le fendiller. Pour réussir à le briser, il aurait fallu un choc beaucoup plus violent.
- Vous ne pouvez rien faire pour moi... souffla-t-elle, les larmes aux yeux. Partez, regagnez la côte de Souka. Retrouvez Candice et Mo. Ils prendront soin de vous.

Ucello n'avait pas dit son dernier mot. Il se tourna en direction de la milobellus, qui rampa vers lui. Alise les scruta, à la fois intriguée et terrifiée. Pourquoi ne s'enfuyaient-ils pas ? Qu'avaient-ils l'intention de faire ?

Le Starossier s'enfonçait dangereusement dans les flots, au fur et à mesure que l'eau s'engouffrait dans la coque, aux endroits où les récifs l'avaient perforée. Bientôt, il serait non seulement submergé, mais il les happerait également avec lui sous la surface.

Contre toute attente, Vénus vint s'enrouler autour de morceau de gel qui l'emprisonnait. Les muscles de son corps sinueux se contractèrent de toutes leurs forces. Lorsque le bloc de glace vola en éclats, sous son étreinte, Alise poussa un hurlement. Afin de la délivrer, sa pokémon n'avait pas eu d'autre choix que celui de lui briser la jambe.

Elle s'effondra sur le sol, incapable de demeurer debout. Ce fut cette fois au tour d'Ubu de se précipiter vers elle afin de la soutenir. Péniblement, il réussit à la conduire jusqu'au garde-fou, qu'il l'aida à enjamber avec précautions.

- Il va falloir nous éloigner très vite. Quand le bateau aura été englouti, il va créer une aspiration qui risque de nous entraîner dans les profondeurs.

Ses trois partenaires acquiescèrent d'un mouvement de tête. Vénus plongea la première, afin de l'attendre dans l'eau, puis Ucello et Ubu la suivirent. La température était glacée et Alise sentit immédiatement ses muscles s'engourdirent. Elle devait rapidement se mettre à nager, sans quoi le froid allait les paralyser, cependant elle avait toutes les peines du monde à y parvenir à cause de ses os cassés.

La milobellus l'attrapa par le poignet pour la tirer vers l'avant, pendant que le têtarte se glissait sous son autre bras pour l'aider à flotter. Ils parcoururent quelques mètres ainsi, alors que le Starossier continuait à s'enfoncer dans les entrailles de l'océan, mais ils durent bien vite ralentir leur rythme. Les pokémon étaient éreintés.

- Attention !

Ils eurent juste le temps de disparaître sous l'eau qu'un Ultralaser frappait l'endroit où ils dérivaient quelques secondes auparavant. Le vibraninf de M. Degret était toujours là, quelque part, tapi dans la pénombre du ciel.

Alise, qui n'avait pas eu le temps de prendre une profonde inspiration, dut rapidement remonter à la surface, en nageant uniquement à la force de ses bras. Elle haleta bruyamment, pendant qu'Ucello montait la garde à ses côtés. Malgré ses précautions, un Dracosouffle parut jaillir de nulle part pour le heurter au niveau de son joyau.

Dans la panique, Ubu et Vénus s'étaient retrouvés séparés d'eux. Lorsqu'ils réapparurent, ils étaient trop loin d'Alise pour la rejoindre. Elle poussa un hurlement strident lorsque, en pivotant sur elle-même pour tenter de localiser son stari que le choc avait propulsé vers l'arrière, elle se retrouva quasiment nez à nez avec son père.

- Si je dois couler avec mon navire, tu viendras avec nous ! s'écria-t-il férocement.
- Non !

Elle tenta de lui échapper, mais en vain. Contrairement à elle, il disposait de toutes ses facultés physiques. Il lui fallut moins d'une minute pour l'attraper et presser le sommet de son crâne afin de lui enfoncer la tête sous l'eau. Alise résista, jusqu'à ce que ses dernières forces l'abandonnent. Le dernier assaut de son père fut fatidique. Elle sombra sous la surface, complètement épuisée.

Les paupières closes, car le sel lui brûlait les yeux, elle laissa les courants sous-marin l'emporter vers les profondeurs. Elle était calme, elle n'avait pas peur. Son corps était plongé dans une totale léthargie et son cerveau semblait s'endormir progressivement, lui aussi. L'eau iodée s'infiltrait peu à peu dans ses poumons.

La mort me guette, et pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi sereine qu'en cet instant. J'ai l'impression d'être chez moi, enfin, après toutes ces années. Si j'avais eu l'occasion de réfléchir avant à la façon dont je mourrais, je n'en aurais pas souhaité une autre que celle-ci, emportée dans les bras de l'océan. Il y a dans cette eau une partie de l'âme de ma mère. J'arrive, maman...

Alise entrouvrit les yeux. La surface paraissait si lointaine, à présent. Rien ne bougeait autour d'elle, à l'exception de cette petite silhouette en forme d'étoile qui fondait sur elle. Ucello.

Quand il l'atteignit, il lui fit signe de se raccrocher à lui, ce qu'elle refusa. Elle avait accompli sa mission, la tâche à laquelle elle s'était astreinte. Elle avait arrêté le Starossier. A présent, elle n'avait plus rien d'autre à faire sur cette terre.

Ne t'inquiète pas. Je vais bien. Je ne me suis même jamais sentie aussi bien.

Alise était incapable de parler, mais son regard suffit à exprimer le message qu'elle tentait de lui faire passer, car il cessa aussitôt de nager. Dans un ultime effort, elle arracha le médaillon ayant appartenu à sa mère qu'elle avait gardé autour de son cou tout au long de sa vie pour le lui tendre. Ucello passa la chaîne autour de l'une de ses branches.

- Adieu... murmura-t-elle avant que les profondeurs ne l'engloutissent, à l'instar du Cargo de la mort contre lequel elle avait lutté avec tant de vaillance.

Leur histoire s'arrêtait ici, à l'un comme à l'autre.