Chapitre 38 : Nous sommes un
En réalité, mon successeur n'avait pas échoué. Il avait accompli ce qu'il devait, avec ses propres moyens. Tout comme moi je l'ai fait. J'ai simplement été trop aveugle pour le voir. J'aimerais m'excuser devant lui. Mais c'est trop tard, maintenant...
*****
- Amenez les blessés à l'intérieur du palais ! Regroupez les cadavres dans les jardins pour le moment.
- J'ai besoin d'aide ici ! Il y a des survivants !
- Sécurisez le périmètre ! Assurez-vous que tous les prisonniers aient rendus leurs épées.
Leaf avait les oreilles pleines d'ordres et de demandes, mais elle n'aurait pas pu s'éloigner assez pour les fuir. Ce n'était pas qu'à proximité du palais ministériel, mais dans toute la ville. La bataille était finie. Les guerriers de Cinhol s'étaient rendus et les forces coalisées des Adeptes d'Uriel, de Stormy Sky, des armées d'Isgon et de Lyaderix, ainsi que du général Lance de Kanto avaient triomphé. Piètre triomphe, de l'avis de Leaf, et qui n'allait pas durer longtemps.
Tout le monde se serait attendu à ce que les guerriers de Castel se battent jusqu'à la mort. Ils étaient après tout connus pour ça. Mais, dès qu'Enysia était partie dans la dimension d'Arceus, les gens de Cinhol avaient commencé à se désorganiser, à hésiter, même à se demander pourquoi ils se battaient. Enysia avait resserré son contrôle mental sur toute l'armée de Castel, et désormais, ils étaient libres. Quelques uns avaient résisté, mais finalement, la bataille n'avait plus duré longtemps après ça. Deornas, malgré la douleur de la perte de son père, était allé convaincre les officiers de se rendre. La rumeur s'était propagée comme quoi le roi Castel avait été vaincu et était entre la vie et la mort. Indécis, perdus, ne sachant plus à qui ils devaient obéir, les gens de Cinhol avaient préféré se tourner vers des figures connues comme Deornas et Isgon.
Glen Kearney gérait conjointement la crise avec le général Willis. Le général Lance de Kanto apportait son aide, ainsi que Stormy Sky. Leaf n'avait pas encore pu s'entretenir avec son père de tout ce qui s'était passé. Pourtant, il le faudrait bien. Rien n'était terminé, et le plus grave allait se produire. Kearney devait penser qu'il avait repris Bakan des mains de Cinhol ; il s'était largement exposé avec le petit Alroy, pour bien montrer aux guerriers de l'autre monde qu'il avait leur futur roi dans la poche. Leaf n'avait pas oublié la promesse qu'elle avait faite à Nirina au sujet du garçon. Mais ça ne tenait que si le monde survivait. Leaf ne savait pas trop ce qu'il deviendrait si Enysia arrivait à ses fins en éliminant Arceus et en prenant sa place.
Pour l'instant, elle s'efforçait de se rendre utile en utilisant son Mélodelfe et son Grodoudou pour soigner les blessés les moins graves. Les plus atteints, eux, étaient pris en charge par le personnel de Kanto ou de Stormy Sky. Leaf aidait les gens indistinctement ; qu'ils soient des civils, des soldats de Cinhol ou de l'Armée de Libération. Au final, ils étaient tous dans le même panier depuis le début ; des pions pour le jeu grandeur nature d'Enysia la Marquise des Ombres. Comme Castel. Le roi défiguré était gardé par les Stormy Sky, où il bénéficiait de soins intensifs. Mais son visage ne serait plus jamais le même. Adam Velgos était définitivement parti. Leaf l'avait accepté.
Sa recherche de gens à aider l'amena du coté des jardins du palais, là où on avait entassé les corps. Beaucoup de morts. Beaucoup trop, pour un conflit au final totalement absurde, provoqué par les folles ambitions d'une dérangée mentale. Leaf avisa la silhouette de Deornas, penchée sur l'un des cadavres. Il pleurait son père, comme il se devait. Astarias Haldar avait été tué par la lance du faux jeton Adam Haldar, le complice d'Enysia. Leaf s'approcha. Deornas voulait peut-être seul, mais pas elle. Ils avaient besoin les uns les autres pour se soutenir en ses moments difficiles. Leaf remarqua que Metali, le Pokemon d'Astarias, était à présent aux cotés de Deornas. Sans mot dire, Leaf se plaça derrière Deornas et lui posa les mains sur ses épaules.
- Que puis-je faire ? Marmonna Deornas d'une voix d'outre-tombe. La moitié de ma famille se révèlent être des fous dangereux, et l'autre moitié disparait peu à peu. Le nom de Haldar doit être maudit, comme le pensait Nirina. Les malheurs s'abattent continuellement sur cette famille, et débordent sur les autres.
- Il n'y a aucune malédiction, répondit Leaf. Nous le savons maintenant. Enysia. C'était Enysia depuis le tout début. C'est elle la seule responsable. Elle et son maître de la corruption, Horrorscor...
- Je suis si impuissant... Même en sachant cela, je ne peux rien faire. Je voudrais l'arrêter, ou donner ma vie en essayant. Je voudrai venger mon père et passer cet Adam Haldar au fil de l'épée. Mais je ne peux rien faire de tout cela. Je peux que gémir et me morfondre.
Leaf lui serra les épaules et le força à se tourner vers elle.
- Agir ou ne pas agir ne dépend que de nous. Venez. Allons trouver Kearney, Willis, mon père ou qui que ce soit d'autre qui commande ici. Allons leur expliquer ce que nous savons.
Deornas hocha la tête, mais mis un moment à se lever. Ce fut Glen Kearney qu'ils trouvèrent en premier, occupé à faire l'état de la situation en ville avec l'aide de plusieurs hauts fonctionnaires. L'ancien sénateur prenait déjà son aise au commandement. Ça semblait logique après tout ; il était le dernier sénateur de Bakan, élu du peuple, encore en vie. Qu'il devienne le nouveau dirigeant de Bakan ne dérangeait pas Leaf outre mesure. Kearney semblait être un type réglo, contrairement à Karsio. Il était efficace et courageux, et avait l'avantage de la jeunesse. Mais bon... il restait un politicien, et les politiciens ne pensaient rarement à autre chose que leur propre intérêt. Le sénateur leva les yeux quand il les vit arriver.
- Ah, mademoiselle Elson, prince Deornas... J'ai ouï dire que vous étiez présent lors de l'affrontement contre Castel sur la Parade des Preux. Personne ne m'en a encore fait un rapport détaillé. Le jeune Erend est au chevet de son frère, et il ne m'a consenti que quelque mots auxquels je n'ai pas compris grand-chose...
- Comment va Zayne ? L'interrompit Leaf.
Kearney grimaça.
- Les médecins ne sont pas optimistes sur ses chances, je le crains. Ils font ce qu'ils peuvent, mais... Comment a-t-il reçu cette balle ?
- Castel, grommela Leaf. Il n'a même pas eu la décence de le combattre épée contre épée, Dieu Guerrier contre Dieu Guerrier.
Kearney hocha la tête, semblant dire qu'une telle fourberie venant de Castel était naturelle.
- Quelle tragédie pour le jeune Erend... soupira le sénateur. Lui qui a déjà perdu sa mère... Si Zayne vint à mourir, je serai ravi de laisser Erend se charger de l'exécution de ce roi diabolique. Je me demande même pourquoi on gaspille des effectifs à le soigner !
- Tuer Castel ne vous apportera rien, souligna Deornas. Il n'était rien, au final.
Lui et Leaf entreprirent de raconter à Kearney tout ce qu'il s'était passé ; de la révélation d'Enysia à son départ pour la dimension d'Arceus. Kearney avait la tête de celui qui suspectait qu'on se fiche de lui.
- Tuer Dieu ? Quelle est cette folie ?!
- Une folie réalisable, rétorqua Leaf. Enysia semble immortelle et contrôle le Vifacier. Elle peut influer sur le temps, l'espace et les émotions des autres. Sans compter qu'elle a avec elle son Trio des Ombres, et Adam Haldar armé d'Hafodes et de Triseïdon.
- Mais... que se passera-t-il, si cette femme parvient à ses fins ?
- Rien de bon, je le crains, je le redoute, j'en ai peur, dit quelqu'un derrière.
Anis venait d'entrer, sa robe déchirée suite aux combats, mais avec un livre à la main qu'elle lisait tout en répondant à Kearney.
- Personne ne peut prédire avec certitude les conséquences de la mort d'Arceus. Mais une chose est certaine : ça favorisera Horrorscor, surtout si Enysia se prend à jouer les déesses corruptrices.
- Mais qui est ce Horrorscor, exactement ? Voulu savoir Deornas.
- Horrorscor est le Pokemon de la Corruption, expliqua Anis. De tout temps, il a été considéré comme le mal absolu. Il se nourrit du ressentiment des autres, corrompt tout ce qu'il touche et n'a de cesse de provoquer la misère autour de lui. Ses fidèles se nomment les Agents de la Corruption, et sont gouvernés, dirigés, conduits par le Marquis des Ombres. Mais Horrorscor avait une ennemie mortelle : Erubin, le Pokemon de l'Innocence. Ils ont fini par s'entretuer, selon la légende. Mais Horrorscor, qui est un Pokemon Spectre, n'a pas disparu pour autant. Il a trompé la mort. Son corps a bien été détruit, mais son âme aurait éclaté en trois morceaux. L'on dit qu'un des morceaux de l'âme d'Horrorscor se transmet entre les différents Marquis des Ombres. D'après ce qu'elle a raconté, Enysia en avait bien un en elle, mais ce morceau d'âme a changé de corps avant qu'Enysia ne meure pour son plan. Actuellement, il doit y avoir un autre Marquis, quelque part, avec le tiers de l'âme d'Horrorscor en lui. Mais le plus pressant est Enysia. Horrorscor a toujours détesté, haï, méprisé Arceus, et comme il veut un monde sans aucun Pokemon, il est légitime que Dieu soit sa première cible. Nous devons empêcher ça.
- Mais comment faisons nous, m'dame Anis ? Demanda Leaf. Enysia a ouvert une porte vers la dimension d'Arceus grâce à son pouvoir de Vifacier. Même si nous voulions la poursuivre, nous ne pouvons pas !
- C'est inexact. Il nous reste encore du Vifacier dans ce monde.
- La météorite a été vidée... commença Deornas.
- Je ne parle pas de la météorite, mais des épées et des anneaux de transferts. Enysia a dit que c'était Horrorscor et ses sbires qui ont conçu les anneaux à partir de Vifacier. Si une si petite quantité peut permettre de se téléporter dans le monde de Cinhol, le monde d'Arceus n'est en rien hors de notre portée.
- Mais nous ne savons pas comment les anneaux de transferts ont été crées, riposta Leaf.
- En effet, mais nous savons que c'est possible. C'est là qu'intervient Zayne.
- Zayne ? Pourquoi ? Il est à l'article de la mort...
- Zayne Alston a crée un lien entre lui et Triseïdon, expliqua Anis. Un lien qui est inscrit dans la nature même du Vifacier de Triseïdon. Hors, le Vifacier transcende l'espace. Je pense, je crois, je subodore que n'importe où puisse être Triseïdon, Zayne pourra le sentir s'il est en contact avec du Vifacier. Avec une des épées en mains, le Vifacier de Triseïdon pourrait répondre à celui de Zayne, et le passage entre les deux pourraient s'ouvrir.
Anis remonta ses grosses lunettes sur son nez.
- Ce n'est qu'une théorie, bien sûr, mais elle concorde avec ce que m'avait raconté Nirina. Elle me disait que quand elle tenait Meminyar, elle arrivait à quelque sorte à sentir Hafodes s'il était éloigné d'elle. Et pourtant, Nirina n'avait pas un lien aussi fort que celui de Zayne et Triseïdon.
- Fort bien, ça ne coûte rien d'essayer, dit Kearney. Mais même si vous arrivez à poursuivre cette Enysia, comment feriez-vous pour l'arrêter ? D'après ce que vous m'avez dit, elle est désormais l'égale d'une déesse, ou peu s'en faut.
- Effectivement, acquiesça Leaf. Aucun de nous ne peut espérer vaincre Enysia. Je crois qu'en l'état, il ne nous reste plus que la foi.
- La foi ? S'étonna Deornas.
- La foi en la prophétie du Sauveur du Millénaire. Il est censé être choisi par Arceus pour sauver le monde. Je crois que la situation présente s'y prête assez bien.
Leaf hocha la tête, accablée.
- Mais... Zayne est...
- Nous pensions que Zayne était le Sauveur parce que Triseïdon l'a choisi pour maître, coupa Anis. Mais nous n'en avons aucune certitude. Il y a deux descendants d'Uriel à l'heure actuelle.
***
Erend n'avait pas lâché la main de son frère depuis l'arrêt des hostilités. Il l'avait suivi jusqu'au bloc opératoire improvisé des Stormy Sky, et avait refusé de le lâcher alors même que le médecin opérait, pour finalement s'entendre dire que la balle avait touché le cœur, qu'il y avait très peu d'espoir, et qu'Erend devait s'attendre au pire. Ils avaient plongé Zayne dans le coma pour lui éviter la souffrance qu'ils ne pouvaient totalement endiguer, puis étaient partis à la recherche d'autres patients. Depuis, Erend attendait, sa main toujours dans celle, inerte, de Zayne. Il attendait quoi au juste ? Que Zayne meure ? Si cette satanée fin du monde qu'Enysia avait prévue pouvait arriver entre temps, ça l'aurait arrangé.
Erend avait toujours tiré fierté de sa capacité à conserver son raisonnement et sa logique face aux émotions. La mort de sa mère avait été un défi, mais avec Zayne, il l'avait plus ou moins surmontée. Celles de Daniel et Nirina n'avaient fait que fracturer la glace, mais à présent, elle volait en mille morceaux. Ah ça oui, il était facile de rester de marbre quand c'était les autres qui souffraient. Mais quand c'était sur nous que le malheur s'abattait, c'était plus difficile. En plus de l'état de Zayne, Erend avait vu plus tôt, en venant dans ce bloc, pas mal de cadavres des combattants des Adeptes d'Uriel, dont celui d'un de ses amis, Jace. Erend se demandait si c'était une malédiction, s'il attirait le malheur aux gens autour de lui. Erend avait tout perdu de sa capacité de sang-froid, de prendre des décisions, de commander comme il le faisait d'habitude. Il ne savait plus quoi faire. Il ne voulait rien faire, en fait.
Ladytus était à ses cotés, respectant sa douleur en silence. Même elle qui, avec ses attaques Plante et Fée, réputées thérapeutique, elle n'avait rien pu faire pour Zayne. Elle avait bien proposé d'apaiser Erend avec son attaque Doux Parfum, mais Erend ne voulait pas être apaisé. Il voulait ressentir toute la douleur que lui infligeait l'état de Zayne. User de subterfuges pour s'en défausser lui aurait semblait une insulte envers son frère. Au bout d'un moment, Ladytus prit la parole, de sa voix à la fois chantante et sage.
- Erend, je ne crois pas que Zayne aimerait passer ses derniers moments endormi. Il a sans doute... des choses à te dire.
Oui, ça, peut-être bien. Contrairement à Erend, Zayne avait toujours su bien exprimer ses sentiments sans les cacher. Mais Erend aurait été tout à fait incapable de les entendre à présent. Toutefois, c'était ce genre de truc qu'on pouvait regretter toute notre vie. Aussi Erend acquiesça-t-il à Ladytus, qui usa de son Aromathérapie pour tirer Zayne de son coma artificiel. Quand son frère émergea, Erend força son visage à se détendre et à paraître joyeux.
- Erend... je me sens pas super, c'est normal ?
- Tu t'es pris une balle, répondit Erend en tâchant de dire ça avec légèreté. Tu te souviens ?
- Ah ouais, l'autre enflure de Castel... Et ? Comment... je vais ?
Erend étira ses lèvres en un douloureux sourire.
- Très bien. Le... le docteur dis que tu vas t'en tirer...
Zayne ricana faiblement.
- Waouh, tu dis ça avec tellement de conviction...
- Zayne... commença Erend.
- C'est bon, l'interrompit son frère. Pas important. Comment se passe... les choses ?
Erend respira un grand coup pour se reprendre.
- La bataille est gagnée, mais... Enysia st partie pour tuer Arceus, et nous n'avons aucun moyen de l'arrêter.
- Pas cool ça. Triseïdon ? Où est-il ?
- Leol l'a pris avec lui. Je suis désolé...
Zayne soupira. Erend s'en voulu de l'avoir réveillé pour ne lui annoncer que des mauvaises nouvelles. Il se garda bien de lui parler de la mort de Jace. Le regard de Zayne croisa Ladytus.
- C'est qui... ça ?
- Tu me connais, grand-frère d'Erend, déclara Ladytus. Je suis l'évolution de Babytus.
- Ah bon ? Tu as... fichtrement poussé. Et pris des formes. Tu es une fille ?
Un léger sourire naquit sur le visage immaculé du Pokemon.
- J'ai toujours été une femelle. Mais quand j'étais Babytus, ça ne se voyait pas trop.
Zayne et Erend se mirent ensuite à parler de choses plus légères, de tout et de rien, comme si Zayne n'était pas à l'article de la mort, et comme si le monde n'était en rien menacé. Ils continuèrent jusqu'à que Leaf, Anis et Deornas n'arrivent, leur exposant leur plan pour rejoindre la dimension d'Arceus et poursuivre Enysia. Comprenant ce qu'ils attendaient de son frère, Erend protesta.
- Zayne est gravement blessé ! Il doit se reposer, et ce n'est pas en manipulant à nouveau cet horrible métal qu'il...
Mais Zayne l'interrompit en levant la main.
- C'est bon, frangin. Je veux le faire. J'ai servi à rien contre Castel. Si je peux être utile maintenant... Mais... qui allez-vous envoyer arrêter cette femme ? Une armée ?
Anis secoua la tête.
- Nous n'avons pas besoin d'une armée. Il nous faut seulement une personne. Et la bonne.
Le regard de l'historienne croisa celui d'Erend, qui battit en retraite.
- Encore cette histoire de Sauveur du Millénaire ? C'est n'importe quoi.
- La foi est notre dernier espoir, insista Anis. Uriel nous a prouvé que le destin existait. Enysia pense qu'il a servi ses dessins en arrêtant Castel, mais ce n'était pas son but. Il n'a fait qu'accomplir ce qu'Arceus attendait de lui : sauver le monde. Si Nirina disait vrai et si Uriel ne s'est pas trompé, c'est l'un de vous deux, ses descendants, qui doit prendre la relève.
- Moi, je suis hors course, dit inutilement Zayne. Et Erend fera ce qu'il voudra. Mais risquer sa vie sur la base d'une obscure légende et d'un esprit désincarné, si toutefois il n'était pas le fruit de l'imagination de Nirina Haldar...
- En effet, nous ne pouvons être sûr que c'est vrai, dit Anis. Mais en revanche, nous pouvons être sûr que si Enysia arrive à ses fins avec Arceus, le monde tel que nous le connaissons sera irrémédiablement changé, et en mal.
- Il faut tenter le coup, Erend, poursuivit Leaf. Nous avons foi en toi. Et nous t'accompagnerons, tous les trois.
- Tous les quatre, plutôt !
Syal venait d'arriver, escortée par deux de ses soldats.
- Si vous y aller, j'en suis aussi. J'ai toujours à venger l'Amiral Rashok. Cette garce ne s'en sortira pas si facilement.
- Seul Erend devra faire face à Enysia, dit Anis. Mais nous pourrons l'aider à l'atteindre.
- Oui, en combattant Adam Haldar, par exemple, dit Deornas d'un air féroce.
À voir leurs mines déterminées, Erend se tourna vers son frère, incertain. Zayne hocha la tête et lui posa la main sur l'épaule.
- Je ne t'empêcherai pas d'y aller. Déjà, je n'en ai pas le droit, et si c'est réellement ton destin, c'est plutôt ton genre de le prendre par les cornes, non ?
- Je suis quelqu'un de sensé, Zayne, répliqua Erend. Je ne crois pas au destin, et encore moins à cette prophétie de Sauveur du Millénaire. Mais si c'est ce qu'on attend de moi, j'irai. Si la fin du monde est vraiment pour bientôt, alors je n'ai rien à perdre, de toute façon.
Zayne acquiesça avec un sourire.
- Amenez-moi ces foutues épées.
Deornas revint quelques minutes plus tard avec Sifulis et Peine. Enysia ne les avait pas prises avec elle, signe qu'elle les jugeait insignifiantes. Zayne prit faiblement l'épée noire et grimaça à son contact. Puis il ferma les yeux, et se concentra. Son esprit s'ouvrit pleinement au Vifacier corrompu qu'il tenait, pour tenter de localiser celui de Triseïdon. Encore une fois, la souillure de Peine lui soutira des forces. Plus il plongeait son esprit dedans, plus un terrible mal de tête le frappait. Il gémit. Erend ne put le supporter.
- Ça suffit ! Cette épée est en train de le tuer !
Erend voulu la lui arracher des mains, mais Ladytus l'arrêta. Elle lui désigna quelque chose sur Peine. Le bas de la lame, juste au dessus de la garde, était soudainement devenu moins sombre, comme si un léger éclat avait percé la noirceur de l'épée. Un phénomène qui n'avait apparemment rien à voir avec l'ouverture d'une porte inter dimensionnelle. Quand Erend voulu le montrer à Anis, Zayne ouvrit soudainement les yeux.
- Je l'ai ! Je l'ai trouvé. Triseïdon. Il m'a... répondu, je crois...
Pour preuve, Peine s'éleva toute seule dans les airs et sembla trancher quelque chose d'invisible de haut en bas. Quand elle eut terminé, un trait vert apparut au milieu de la pièce, qui s'agrandit et s'ouvrit peu à peu. Le même genre de porte qu'avait crée Enysia, qui donnait vers un endroit plein de couleurs qui semblait flotter dans le néant.
- C'est... la dimension d'Arceus ? Demanda Leaf, incertaine.
- Il semblerait, confirma Anis. Ainsi, comme je le prévoyais, prédisais, suspectais, le lien entre un Dieu Guerrier et son maître transcende même les dimensions.
- Alors allons-y, fit Erend en se levant. Nous n'avons pas beaucoup de temps.
En effet, peut-être Enysia était-elle déjà en train de se battre contre Arceus. Erend empoigna son épée Sifulis, mais Zayne dit :
- Non. Prends la mienne.
- Peine ? Mais...
- Je ne suis pas... arrivé à la maîtriser, à cause de sa corruption. Mais toi, tu le peux. Tu es plus fort que moi. C'est avec... cette épée que notre ancêtre a sauvé le monde. Si le Sauveur du Millénaire existe bien... ce sera cette épée qu'il devra manier, je pense...
Erend hésita, puis pris l'épée noire en main. Il frissonna en sentant la pression de ce Vifacier corrompu. Il lui demandait de se laisser aller, de se noyer dans ses émotions, dans sa haine. L'âme d'Uriel avait été enfermée dedans pendant cinq cent ans. Pas étonnant qu'il ait quelque peu perdu la boule. Mais Erend n'allait pas se faire dominer par une épée. Il fit taire mentalement cette voix qui lui susurrait des horreurs. Après quoi il tendit la poignée de Sifulis à Deornas.
- Vous êtes le seul ici qui sait réellement manier une épée. Je n'en ai pas besoin de deux.
- Je ne peux pas accepter, protesta Deornas. C'est l'épée de votre ancêtre, Sire Igeus. Elle vous revient tout aussi bien que Peine.
- Vous l'avez déjà utilisée il parait. Elle vous sera utile si vous comptez affronter Leol. Prenez-là.
Deornas approcha la main lentement, comme s'il craignait de se brûler. Syal caressa son cuivre enroulé autour de son bras, et Leaf et Anis préparèrent leurs Pokeball. Erend en tête, les cinq compagnons se préparèrent à pénétrer le royaume d'Arceus, pour leur combat final.
***
Castel Haldar nageait dans un océan de douleur. Ses brûlures sur le visage le mettaient au supplice malgré les bandages et les médicaments de ses geôliers, mais ce n'était rien à coté de sa souffrance mentale suite à la trahison d'Enysia. Non, on ne pouvait même pas parler de trahison : au final, elle n'a jamais été de son coté. Pourtant, Castel n'avait vécu que pour elle. Elle avait été sa lumière et son guide, durant l'époque de gloire de Cinhol et sa guerre contre la République. Elle avait porté son fils. Castel n'avait connu que le bonheur à ses cotés. Apprendre que tout cela avait été factice, qu'une illusion pour mieux le manipuler, avait anéanti son monde. Il ne souhaitait plus qu'une chose : disparaître. Il avait vécu plus de cinq cent ans pour rien. Il ne voulait plus que mourir. Mais à chaque fois qu'il essayait de se noyer dans le vide qu'était devenu son esprit, son alter ego, Adam Velgos, ne cessait de le harceler.
- Lâche ! Disait l'autre lui. Tu veux échapper à la douleur par la mort ? Tu vas laisser cette femme impunie après qu'elle nous ait trompés de la sorte ?
- Peu m'importe... J'en ai assez.
Adam Velgos se matérialisa devant lui. Castel avait l'impression de se regarder dans un miroir, mais Adam avait cet air innocent et pur qui avait disparu de chez Castel depuis fort longtemps. Il semblait luire au milieu de cet océan de noirceur qu'était devenue son âme.
- Tout ton être, toute ta folie, l'homme mauvais que tu es devenu, c'est elle qui est la responsable, insista-t-il. Il est temps d'abandonner tout ça, et de redevenir comme avant.
- Avant ? Ricana Castel. Tu veux dire, comme toi ? Je devrai te laisser le contrôle ?
- Non. Aucun de nous ne peut prétendre avoir le contrôle exclusif. Nous continuerons à lutter, et au final, nous serons tous les deux effacés. Je parle du vrai Castel. Nous devons le faire revenir.
- C'est moi, le vrai Castel ! Tu n'es rien d'autre que... que...
Adam sourit.
- Je suis celui que tu étais avant d'avoir connu la guerre et le désespoir. J'ai grandi dans une Académie, dans une ère de paix, élevé par une personne de bien. C'est ainsi que tu serais si tu avais connu le même destin. Je ne suis pas le vrai Castel, mais toi non plus. Toi, tu es le Castel plongé dans les ténèbres, celui qui s'est fait manipuler par Enysia, qui est à demi-noyé dans la folie depuis sa mort.
- Alors... qui est le vrai Castel ?
- Le juste milieu entre l'innocence et la corruption. Celui que tu étais avant qu'Enysia intervienne. Le Castel courageux qui a défié la tyrannie de la République en fondant Cinhol. Le Castel plein d'idéaux qui s'est battu pour les Pokemon et pour ses amis. Et aussi le Castel qui s'est laissé aller au massacre pour servir son idéal. En bref, le Castel Haldar où les ténèbres et la lumière cohabitaient. Je suis sa partie lumineuse. Toi, tu es sa partie ténébreuse. Soyons un à nouveau.
Adam s'approcha de lui. Castel sentit sa lumière le réchauffer, repousser son désespoir.
- Tu es moi, et je suis toi, poursuivit Adam. Nous sommes un.
- Un, répéta Castel. Le seul et l'unique Castel Haldar...
Les deux images de Castel se prirent dans les bras, et fondirent en une seule. Une autre personne émergea, pleine et entière, et le voile de ténèbres et de souffrance se dissipa.