Les rudiments
Erabareta ouvrit les yeux. La chambre était baignée dans la pénombre. Et il devait être tôt... Moins de dix heures en tous cas. Elle en profita pour se remémorer les évènements de la veille. En sortant du tunnel creusé dans la montagne, elle était arrivée dans un village pittoresque qui l'avait charmée au premier regard. Perdu au milieu de nulle part, ou plutôt, au milieu des montagnes, Maréboue était une sorte d'oasis tranquille et apaisante. Dès qu'elle était arrivé là, et malgré sa fatigue, elle s'était sentie reposée. Quelques maisons en bois se disposaient autour d'un étang central, et l'atmosphère était rafraîchie par une végétation imposante : de grands arbres d'un vert profond encerclaient le village, accompagnés d'arbustes bien fournis.
Comme le soleil disparaissait déjà peu à peu, elle avait mis la priorité sur un repos bien mérité (du moins, selon elle), avant de rencontrer le Raoul que son père lui avait conseillé.
Un vieil homme, apparemment étonné de voir un étranger arriver, mais plutôt bienveillant à son égard, lui avait indiqué une maison dans laquelle elle pourrait passer la nuit. En traversant l'étang sur un pont très fin, elle était entrée dans l'établissement qui l'avait accueilli chaleureusement, et lui avait même proposé de soigner son Pokémon en voyant la Pokéball à sa ceinture (elle avait fait rentrer Swing, car lui aussi, il méritait son repos!). Puis elle n'avait pas traînée ni rien fait d'intéressant, mis à part manger et aller se coucher (occupation qu'elle affectionnait, il faut bien l'avouer).
« Erabareta à la conquête d'Aol, jour deux... » se motiva-t-elle.
Elle se rhabilla avec les habits de la veille, qu'on lui avait très gentiment lavés. Cela devait faire plaisir aux tenanciers de s'occuper d'elle, vu qu'elle était la seule étrangère du village, apparemment. Mais loin d'elle l'idée de se plaindre, au contraire ! Elle ne pouvait pas dire qu'elle n'aimait pas être chouchoutée. Elle rassembla ses affaires et quitta la petite chambre.
« Vous partez déjà mam'zelle ? L'interpella l'homme qui s'occupait du bâtiment, une pointe de déception dans la voix.
-Oui, mais ça n'est pas parce que j'ai mal dormi, hein... s'excusa-t-elle presque. Au fait, pourriez-vous m'indiquer où habite un certain Raoul ?
-Ah, tu veux rencontrer le p'tiot ? J'vais t'montrer où est-ce qu'elle est sa maison moi, suis-moi ! »
Et c'est avec entrain que le Maréboueux l'entraîna dehors et s'accroupit à son niveau, avant de pointer du doigt une maison un peu plus grande que les autres, car sûrement plus peuplée, et seule de son côté de l'étang. Remerciant son guide, Erabareta se dirigea donc vers cette maison, avec une petite appréhension. Elle rencontrait si rarement des gens, recluse à Aridossile ! Mais bon... Sa mère lui disait bien qu'elle avait le contact facile, ça ne devait pas être sans fondements ! Elle toqua.
A peine quelques secondes après, elle entendit qu'on s'activait derrière la porte. Porte qui ne tarda pas à s'ouvrir sur une femme au sourire aimable.
« Tiens tiens, on a de la visite ! s'exclama-t-elle. Que viens-tu faire par ici ? Comment t'appelles-tu ? Je te tutoie, ne m'en veux pas ! »
Un peu intimidée devant ce flot de paroles, la jeune fille se reprit :
« Euh... Je suis Erabareta ! Je viens d'Aridossile... On m'a dit de rencontrer Raoul.
-Ah, tu veux voir notre fils ? Je vais le chercher. Tu peux entrer, on ne mord pas ! »
Alors que la femme disparaissait dans sa maison, Erabareta s'introduit dans la pièce de vie. Un homme plutôt banal la salua depuis un canapé avant de continuer à lire son livre (apparemment passionnant, titré « Alpinisme à Aol » selon ce que devinait la jeune fille). Soudain, elle entendit un bruit de pas rapides et impatients dévaler l'escalier. Elle ne tarda pas à voir apparaître un jeune garçon, qui devait avoir son âge à peu près. Pas très grand pour son âge, il avait des cheveux noirs et ébouriffés qui semblaient trahir un aspect peu travaillé. Dans son regard tout aussi sombre, elle crut voir une excitation contenue.
« Hey ! Tu t'appelles Eraba ...Erabareta c'est ça ? Moi c'est Raoul ! »
S'exprimant avec un volume supérieur à celui nécessaire, il reçut un regard noir de son père suite auquel il proposa à l'adolescente de le suivre dehors. Ce qu'elle fit donc sans broncher.
« Alors, pourquoi tu veux me voir ? s'enquit-il. Ça doit être hyper important !
-En fait... C'est mon père qui m'a dit que tu pourrais m'aider à sortir du ravin. Alors je suis venu...
-Ahah... Ça oui je peux t'aider ! Je suis le Roi de l'Escalade moi, héhé! »
Soudain, il prit une petite moue pensive avant de reprendre avec un ton curieux :
« Mais si tu me demandes ça... Je suis sûr que tu vas voyager. Et si tu voyages... Tu as forcément un Pokémon, non ?
-Euh... hésita-t-elle. Oui, mais depuis très peu de temps...
-C'est pas grave ! Je t'aiderai... Mais d'abord, combat ! »
Hein ? Erabareta resta un moment béate. Il venait de lui demander de faire un... de faire quoi ?
« De quoi ?
-Ben enfin... Un combat de Pokémon !
-Mais... bafouilla-t-elle. C'est que... je n'en ai jamais fait ! »
Raoul la regarda avec un petit air amusé, mais elle ne décela pas de moqueries dans son sourire.
« Il faut bien une première fois... Je vais t'apprendre alors !
-Euh... C'est que vraiment... j'ignore tout du combat de Pokémon.
-Bon, écoute-moi, assura-t-il. Il va y avoir un peu de blabla... La base, c'est que ton Pokémon est toujours à ton écoute. Je ne sais pas trop comment, mais les Pokémons parviennent à comprendre ce que tu attends d'eux quand tu leur donnes des ordres et y obéissent généralement.
-Je ne suis pas sûr de comprendre... s'excusa-t-elle. »
Il soupira, et prit une Pokéball. En appuyant sur le bouton, il libéra une gigantesque créature qui devait bien mesurer dans les neuf mètres ou par-là, et s'apparentait à une sorte de serpent au corps composé de rochers gris. Raoul afficha un sourire et reprit :
« Ce Pokémon est un Onix. Je vais te donner un exemple... Les Pokémons apprennent différents moyens de se battre, appelées attaques ou capacités. C'est la base. Pour savoir ce que ton Pokémon peut ou pourra faire, il faut se renseigner sur son espèce... Ou posséder un Pokédex, mais c'est assez rare ! Bref. Regarde maintenant : Onix, attaque Charge sur cet arbre ! »
Et Erabareta put voir le reptile rocheux charger l'innocent végétal. Elle s'exclama :
« Ah ! Je crois que je commence à comprendre... Mon Pokémon connait aussi cette attaque !
-C'est une attaque faible mais courante, lui répondit Raoul. Je te propose de t'essayer au combat ! »
Elle acquiesça. Son Pokémon s'était quand même pas mal endurci sur la route, non ? Elle libéra donc Swing, son hérisson végétal. Et put apprécier l'expression de surprise qui apparut sur le visage de son adversaire :
« Wow ! Je n'ai jamais vu ce Pokémon... Faut dire qu'ils sont tellement nombreux. Allez, essaie de lancer une attaque ! »
Tout de suite, Erabareta pensa à la capacité qui invoquait des feuilles tranchantes. Mais elle remarqua qu'elle n'en connaissait en fait pas le nom... Hésitante, elle finit par dire :
« Euh... Swing, utilise l'attaque avec les feuilles comme la dernière fois ! »
Elle vit le jeune garçon esquisser un sourire devant sa maladresse, mais mine de rien, après seulement quelques secondes de flottement, le Pokémon obtempéra selon l'idée d'Erabareta : une nuée de feuilles tourbillonnantes vint s'abattre sur le Onix qui... s'écroula de tout son long, soulevant un nuage de poussière. Raoul le rappela, dépité.
« Eh ben... Tu l'as entraîné en tous cas. Ah, et l'attaque que tu viens de lancer s'appelle Tranch'herbe, indiqua-t-il. Si elle a abattu mon Pokémon, c'est que c'est une attaque de type Plante. Hors mon Pokémon était de type Roche et Sol : ton attaque était donc beaucoup plus forte ! Pour connaître ce genre de choses, tu dois apprendre une table des types. Bref... C'est pas terminé ! »
Elle le vit soudain prendre une seconde Pokéball après avoir rappelé Onix. Elle s'exclama :
« Mais... C'est pas du jeu, je n'ai qu'un Pokémon moi !
-Ahahah... En combat de Pokémon, tu peux utiliser jusqu'à six Pokémon. Et ce, indépendamment du nombre de Pokémon de l'adversaire ! »
La seconde créature qui fit son apparition ressemblait à un crapaud bipède, bleu, des sortes de bandes blanches sur le ventre. Et une tête qui n'inspirait absolument pas confiance... Le Maréboueux lui apprit que c'était un Cradopaud.
« Allez Swing, Tranch'Herbe ! »
Elle vit son petit protégé renouveler son attaque, mais cette fois-ci, le Cradopaud n'en tint presque pas rigueur. D'incompréhension, elle ne put s'empêcher de lâcher un :
« Hein ?
-Eh oui ! Celui-ci est de type Poison et Combat. Les attaques Plante sont donc très peu utiles face à lui ! Allez, Étonnement ! »
Elle vit l'amphibien bondir vers son Pokémon et le frapper. Elle voulut répliquer en ordonnant une Charge, mais eut la surprise de voir que Swing n'agissait pas.
« Étonnement peut parfois apeurer la cible pendant un court instant, comme maintenant, expliqua Raoul.
-Ah... Je ne pouvais pas savoir !
-Non ! Allez, Coud'Boue !
-Euh... Swing, esquive l'attaque... ordonna-t-elle plus ou moins fermement. »
Elle eut alors la satisfaction de voir son Pokémon bondir de côté pour éviter la boue que lui lançait l'autre. Boue qu'Erabareta faillit recevoir...
« Earabareta... Tu as de l'instinct ! la félicita son professeur. Mais fais attention, un combat reste sérieux !
-Merci du conseil... Maintenant ! Charge !
La violente attaque acheva le crapaud et tira un soupir déçu à son dresseur.
-Je me suis fait battre par une débutante... Faut dire que je n'ai pas beaucoup d'expérience non plus. Et que tu as de bons réflexes ! SI tu veux, je t'apprendrai ce que je sais en route.
-En... En route ?
-Ben... Si tu veux sortir du ravin, il va falloir se rendre au nord du marais que tu as déjà traversé. On ne devrait pas traîner ! »
Aussi se mirent-ils en route et Erabareta reçut sagement les informations que lui transmettait son guide : les talents des Pokémon, les variétés de potentiels, les statuts... Elle avait beaucoup à assimiler et se dit que mieux valait commencer directement.
***
« Au fait, comment as-tu eu tes Pokémons ? questionna soudainement l'adolescente.
-Pourquoi cette question ? C'est mon père qui me les a offerts.
-Ah... Je me demandais, simplement.
-Et non, pour la capture de Pokémon, je ne vais pas pouvoir t'aider ! s'exclama-t-il. Mon truc, c'est le combat. Tiens, on arrive... »
En effet, devant eux se dressait à présent une pente trop abrupte pour être parcourue à pied sans risques. Soudain, une question pourtant essentielle vint la perturber :
« Mais... Comment on va monter ?
-Ahah ! s'enjoua-t-il. Tu vois, si j'ai bien une passion dans ma vie en dehors du combat de Pokémon, c'est l'escalade. Alors si on peut concilier les deux... »
Il fit apparaître son Onix subitement, causant un petit mouvement de recul à Swing qu'Erabareta avait finalement décidé de maintenir à ses côtés.
« Alors je ne m'en prive pas. Monte ! »
Elle le vit se placer à l'avant et s'agripper à la corne du serpent. Un peu hésitante, elle monta également en serrant son Pokémon contre elle et se tint fermement aux aspérités du corps de la créature.
« Et en voiture ! Onix, Escalade ! »
Le Pokémon poussa un cri avant de s'agiter et de commencer l'ascension, plus délicatement sûrement que s'il n'avait pas eu de passagers. Morte de peur, Erabareta était crispée de toutes parts et n'osait surtout pas regarder derrière elle. A vrai dire, elle ne regardait devant que par peur d'être désarçonnée. Mais finalement, ils arrivèrent en haut sans encombre. Elle ne se fit pas prier et descendit.
« C'était... déplaisant, souffla-t-elle.
-Ahah, parce que tu n'as pas l'habitude. Bon sur ce... Je vais rentrer à Maréboue. Je suis content d'avoir pu t'aider... On se reverra j'espère !
-Euh... Sûrement, oui...
-C'est que j'ai une revanche à prendre maintenant. Bon, presse-toi de traverser la route 231 !
-Ah...oui. Merci ! »
Il lui sourit avant d'entreprendre la désescalade. Elle ne le regarda pas trop longtemps, quelque peu proie au vertige. Alors, elle fit face au nord et se raffermit. Hors de question de passer la nuit dehors... Alors elle allait attendre Port-Azur, et aujourd'hui !
C'est cette nouvelle résolution en tête qu'Erabareta leva les yeux vers son nouveau défi. Une pente abrupte, parsemée d'escaliers poussiéreux. Beaucoup d'escaliers. Des tas et des tas de marches. Elle jeta un rapide coup d'œil derrière elle. Il lui avait fallu l'aide d'un serpent de pierre gigantesque pour franchir cette distance. Et il lui faudrait parcourir le quintuple à pied.
"Allez, courage !"
Et la jeune fille en usa, de son courage. Elle avait depuis longtemps arrêté de compter les marches. Elle avançait, tel un automate, un pas après l'autre. Les muscles de ses jambes picotaient et tiraient en même temps, ses pieds l'élançaient et rapidement un vicieux point de douleur s'était logé entre ses côtes.
"Port-Azur.... avant... la fin de la journée. Allez.... Port-Azur avant la fin..."
Elle se le répétait comme un leitmotiv hypnotisant.
Poser le pied sur la dernière marche lui procura une folle sensation d'accomplissement qui lui arracha un sourire au milieu de ses halètements. Erabareta se laissa tomber au sol, sur le dos, les bras en croix, heureuse de pouvoir enfin se reposer sur autre chose que ses jambes exténuées. En attendant de reprendre son souffle, elle laissa son regard se perdre dans le bleu pur du ciel et ne pensa pas à lorgner vers le bas ou s'étendait un grandiose panorama des marais dans lesquels elle avait passé la veille. Et après tout, tant mieux, car les souvenirs de la traversé et du Pokémon insecte étaient assez désagréables pour qu'elle souhaite les oublier.
Elle se releva doucement, chancelant encore de la fatigue, lorsqu'elle entendit la voix du jeune garçon qu'elle avait affronté un peu plus tôt dans la matinée. Raoul apparut, essoufflé, les mains sur les cuisses et le visage rouge.
"Eh ! Era... Erabareta !... Excuse-moi... ah, ah.."
Elle attendit patiemment qu'il retrouve une respiration proche de la normalité.
"J'oubliais... les dresseurs de cette route... sont plutôt balèzes...En plus tu n'as qu'un seul Pokémon...Je te conseil de prendre juste à droite, avant le panneau. Cet itinéraire est très tortueux par contre. À chaque fois que tu vois des escaliers, prend les, tu ne devrais pas te perdre ainsi. Ahah, ne t'inquiète pas, ajouta-t-il en voyant la mine déconfite de son interlocutrice, ils sont beaucoup plus petits. Et tu devrais pouvoir t'entraîner vu que les Pokémons ici ne sont pas très dangereux. Une fois à Port-Azur au nord, tu pourras faire des combats sans risque, vu que tu pourras aller au centre Pokémon de la ville si tu as un souci. Allez, bonne chance !"
Et il disparut aussi vite qu'il était arrivé. Erabareta n'eût même pas le temps de le remercier, à son regret, car les informations qu'il venait de lui donner lui serait très utile pour la suite de son voyage.
Elle se remit en route, un léger sourire aux lèvres et Swing à ses côtés.