Épisode 20 : Dernier jour avant la fin du monde
OUI le chapitre est en retard. Mais seulement de deux jours ! NON ne lynchez pas l'auteure !
Le titre est une référence à "dernier pub avant la fin du monde", mais aucune apocalypse n'est prévue dans la fic ! Du moins… pas avant l’épisode 34. o/ Et l’apocalypse finale du 56. Bref !
Il fait 28 pages, j'ai cru ne jamais en voir le bout. Bonne lecture. XD
(Escapade, fuite... mais non, repli stratégique !)
La fine fleur du forsythia avait cédé mollement. Une perle de rosée. Un éclat jaune au cœur de sa paume. Elle avait porté les pétales embués à ses narines, trépidante, attendant nerveusement un ami. Mais la petite fleur n'avait pas d'odeur. Elle avait vite été oubliée, jetée à même l'herbe dès le premier aperçu d'une casquette blanche. Tignasse châtaine.
Avaient-ils autant aimé ce jour qu'elle ? Se rappelaient-ils encore de l'innocence, de l'anxiété et de l'enthousiasme suprême ? Les secondes qui s'égrenaient, les espoirs fleurissants s'étaient profondément imprimés dans sa chair, dans son cœur. Chérissaient-ils autant le début de leur aventure ?
Bianca avait tant changé... pourtant, défiant les années qui l'écrasaient impitoyablement, cette journée restait la même. Elle conservait la même fraîcheur émouvante dans son esprit.
Tcheren l'avait aidée à l'époque. Il avait supporté les changements brusques dans ses avis et envies, sa timidité, sa peur presque phobique des matchs d'Arène. Enfin, « supporté »… peut-être n'était-ce pas le bon terme... la plupart du temps, le jeune Leblanc n'avait fait que lui balancer une remarque sarcastique et la laisser se débrouiller. Lutter contre elle-même.
Alors qu'aujourd'hui... aujourd'hui, héhé... eh bien comme diraient la Crikzik et la Fermite, les rapports de force s'étaient inversés... Son ami luttait contre son embarras, le rougeoiement de ses joues visible même à l'écran. Et Bianca arquait un sourcil désabusé.
— Donc, résuma-t-elle le plus neutrement possible, tu ne veux pas parler à White.
— Non ! s'écria Tcheren, lâchant ensuite un grand « euuuuh » et bafouillant carrément.
... Un silence plana.
... Bianca n'avait pas très bien compris ce que son ami voulait dire.
— Non, tu ne veux pas la voir, ou non, tu ne veux pas ne pas la voir ? hasarda-t-elle, lasse.
— Non mais tu comprends rien ! rétorqua Tcheren.
— Sois plus clair !
— Sois plus vive !
Les mots claquèrent imprudemment par la connexion satellite. Brusquement, le rappel poétique de la première journée de son aventure s'évanouit. Quoi ? Quoi ? Plus « vive » ? Soudain les traits de Bianca se marquèrent de colère—elle devint aussi rouge que son ami, jurant méchamment. Quoi ! Elle passait son temps, elle perdait son temps à démêler les soucis amoureux de ses amis et voilà de quelle manière on la traitait !
— J'aipeurdedérangerWhite, tupensesquejeladérangerais ? marmonna cependant Tcheren, trop plongé dans ses soucis pour remarquer la mine orageuse de Bianca, fixant plutôt ses chaussures avec l'air d'être au trente-sixième dessous.
C'est Bianca qui avait annoncé à Écho que non, Mélis ne l'aimait pas—tout cela parce que ce-dernier avait la flemme de le faire lui-même, quelle honte ! C'est Bianca qui protégeait le secret de Tcheren—secret que lui-même ignorait car il était comme un blaireau obtus tous avec ses sentiments, quelle honte ! Alors oui elle voulait un peu de reconnaissance, s'indignait qu'on la traite comme une idiote, que diable !
— Très-bien-tu-ne-veux-pas-lui-parler, siffla-t-elle d'une voix spectrale, sa chevelure blonde voletant, sa peau pourtant laiteuse suintant d'une aura noire.
Mais Tcheren rougit.
Mais Tcheren hésita.
— Euuuh m-m-mais non !
... Un silence plana.
Loin des déboires amicaux de Bianca, Mélis ronflait paisiblement. La chambre d'ami dans laquelle il se trouvait, perdue dans un coin de l'appartement d'Artie, était bien trop lumineuse pour qu'un être normal puisse dormir, surtout que la tête de Mélis était orientée en plein vers la fenêtre ouverte. En plus, même à cette hauteur, il faisait chaud—Volucité se trouvait tout de même à côté d'un désert. Mais Mélis n'était pas un être normal. Il était un surhomme. Un professionnel. Un persévérant.
Ainsi il se tournait et il se retournait, s'enfonçant profondément dans ses épaisses couvertures, sans transpirer une seule goutte. Son esprit était enveloppé dans un brouillard de sommeil... il rêvait de Kokiyas.... Rien ne le dérangeait...
Mélis Grey avait largement mérité son surnom de Zensei pro.
Sauf qu'il n'avait pas prévu l'intervention d'Élineera Hei, ou, comme il serait nommé plus tard par un grand nombre de spécialistes, le Facteur Hei.
Mais revenons un peu en arrière.
La blonde avait émergé dans une ambiance maussade. Pourtant elle était tout sourire et pensait déjà avec enthousiasme à leur journée ! Seulement personne ne remarqua sa bonne humeur. Elsa et Oscar discutaient à voix basse, accroupis dans un coin de la pièce. Les cheveux du garçon étaient à peine attachés ; plusieurs mèches soyeuses retombaient sur ses yeux moroses.
Syd scrutait Volucité d'un regard d'acier, à l'écart. Il était à demi-caché par un rideau pour ne pas laisser trop de lumière rentrer dans la pièce, mais Élin pouvait remarquer depuis l'autre côté de la pièce combien ses épaules étaient tendues et sa posture rigide.
Aussi elle se leva d'un bond, se rua vers lui et l'emporta dans un immense câlin ! Sauf qu'elle n'avait pas prévu que la force de sa frappe le fasse à ce point vaciller… et que, les yeux écarquillés par la surprise et la peur, il agrippe par réflexe ses bras ainsi que le rideau pour se retenir... Syd, pauvre victime, bascula brutalement en arrière, entraînant avec lui la masse considérable d'Élin et l'intégralité du store.
Oscar et Elsa tournèrent brusquement leurs regards ébahis vers la paire quand un déversement de lumière blanche les inonda et des cris étouffés frappèrent leurs oreilles... Ils se précipitèrent vers leurs amis.
Sous le rideau, étouffés de chaleur et d'embarras, Syd comprenait lentement qu'Élin était assise sur lui... l'enfourchant... et si la fille de douze ans, complètement coupée des réalités du monde durant son enfance, ne semblait pas du tout se soucier de leur position, lui en avait treize et se trouvait bien plus embarrassé ! Treize ans ! Il était un grand !
— É-Élin... balbutia-t-il légèrement, détournant son regard et piquant un fard violent. T-Tu veux pas te... relever ?
— Quoi ? s'offensa la blonde avec un sourire. Chuis si lourde que ça ?
— Euuuuh...
Il sentit sa poitrine se compresser, entrer dans une danse follement embarrassante, et ses yeux éloignés au maximum de la silhouette de son amie le brûlaient, pourtant il tentait de ne pas détailler son corps, ni même y jeter un coup d'œil !
— C-C'est pas ça ! bafouilla-t-il précipitamment.
C'est à cet instant qu'Oscar retira brusquement le rideau. Élin se baissa vivement pour ne pas être emportée par l'étoffe, collant son menton à la poitrine de Syd avec un regard pétillant. Il rougit encore plus et déglutit.
Brusquement leurs silhouettes furent dégagées du tissu.
Il y eut un silence abasourdi.
Élin roula à terre en ricanant, respiration sifflante. Oscar s'écroula aussi à terre en ricanant d'un air un peu plus énervé, lançant un regard meurtrier à un Syd embarrassé.
— C-C'est ! C'est pas ce que vous croyez !
Et Elsa de compléter d'une voix monocorde :
— Non, non. Elle a comme par hasard atterrit sur toi. Dans votre chute hasardeuse.
— Voilàtoutàfait !
Il remarqua bien trop tard l'étincelle amusée dans les prunelles bleutées de son amie. Pendant ce temps, Élin tapotait le dos d'Oscar qui s'étranglait peu à peu—même ses petites tapes ressemblaient plus à de grandes claques. Elle pouffait toujours et Syd, se relevant maladroitement, ne sut plus vraiment si la gamine était si ignorante que cela.
— Tiens, y a des crackers pour toi, lui indiqua-t-il brusquement, de mauvaise humeur.
Silence de nouveau. Syd se demanda s'il avait dit quelque chose de mal. C'était juste des... des crackers... Un ricanement s'échappa d'Elsa, cette fois. Mais Élin ne fit qu'innocemment hausser deux sourcils :
— Oh ! Que c'est gentil de ta part !
Tandis qu'elle s'éloignait des trois, grimpant par-dessus leur montagne d'oreillers pour atteindre les barres de céréales, l'ambiance maussade retomba. Syd hasarda un coup d'œil à Elsa, qui était maintenant appuyée contre le mur, calme. Vu d'en-dessous, son visage creusé prenait presque un air aristocratique.
Il hésita.
Puis souffla d'une voix bourrue :
— Je suis content que tu ne bégaies plus. Enfin, content pour toi.
Elle lui offrit un sourire.
Oscar détourna le regard.
— Tu sais comment ça se fait ?
Cette fois, l'expression de son amie se fit mystérieuse, presque peinée. Elle porta ses yeux vers les tours distantes de Volucité, son expression sage, âgée, en brutale dissonance avec la ville de son enfance. Ce bouleversement résonna en Syd, propagé par des frissons d'un temps passé.
— Je crois que le Ferry nous a tous beaucoup changé.
« Bienvenue à la Team Plasma. »
Cette fois ce fut à Syd de fixer ses pieds, luttant contre un malaise froid, un malaise qui plombait sa gorge et ses entrailles. Son sourire, la fierté qu'il ressentait à l'égard d'Elsa, fondirent soudainement, comme une seconde peau qui se décolla de sa chair, oubliée. Seule restait le mot « Otis », sonnant faussement. Seule restait la peur. Il avait entendu parler de Nikolaï pour la première fois au Ranch. Il avait fait des recherches—des recherches—plein de recherches. Et Elsa avait entendu sa conversation avec Aloé... Il avait nié tout intérêt porté à la Team Plasma, il lui avait crié dessus... Pouvait-elle deviner le pacte qu'il avait noué sur le Ferry, si elle creusait un peu ? (Otis).
Ce fut à cet instant qu'Élineera revint, parlant la bouche pleine !
— Mais hey ! Pourquoi z'avez l'air si triste, c'est une nouvelle journée qui commence vous savez ?
— T'as une mémoire de Poichigeon ou quoi ? lui renvoya Syd, le sarcasme cachant à peine sa peur. On s'est fait attaquer y a deux jours et on peut toujours pas sortir de c't'appart !
— Ça va être coton pour rejoindre nos parents, d'ailleurs... sourit Oscar avec espoir.
Mais un regard sérieux d'Elsa eut le don de le faire taire, et son bec claqua fermement. Élin s'était aussi arrêtée de parler—la bouche ouverte, des restes de céréales entre ses dents, prunelles noires étincelantes, elle semblait comme saisie d'une illumination divine... Syd eut soudain un très mauvais pressentiment...
— Et si on sortait de l'appart sans prévenir personne ? s'écria la jeune fille en un cri surexcité.
La chaleur de son idée s'évapora rapidement dans la fraîcheur de la climatisation.
— Ouais... nan, répondit un Oscar éloquent.
— Ils vont croire qu'on a été kidnappés, observa Elsa. Mauvaise idée.
Syd ne fit que lever les yeux au ciel. Cependant Élin refusait de se laisser abattre... Elle ne pouvait tout simplement pas attendre toute la journée dans une ambiance aussi maussade—et puis d'ailleurs ses amis non plus, il fallait les secouer ! Sauf que... Bianca ne les laisserait jamais partir... à moins que...
— Et si on sortait de l'appart sans prévenir personne sauf Mélis ?
Cette fois ses amis considérèrent sa remarque avec bien plus d'attention. Elle attendit en frissonnant d'enthousiasme, son regard balayant une Elsa appuyée contre le mur, et deux garçons aux expressions marquées, assis en tailleur. La climatisation caressait sa nuque de sa morsure gelée, là où ses mèches blondes avaient été montées en queue-de-cheval. Volucité ondulait sous le soleil d’été au-delà des grandes fenêtres.
Finalement elle ne put attendre plus longtemps.
— Pensez-y ! harangua-t-elle ses amis avec ferveur. Il doit dormir à cette heure—puisqu'il dort tout le temps, vous avez vu hein, chuis logique—et donc il va dire oui à tout et n'importe quoi pourvu qu'on promette de le laisser tranquille ! Du coup, vu que c'est Bianca qui l'a choisi pour nous chaperonner, elle ne pourra s'en prendre qu'à elle-même !
Hm. La gamine était sacrément maligne et tordue quand même. Les suspicions de Syd étaient maintenant confirmées—en le chevauchant sous le rideau, la gamine savait parfaitement ce qu'elle faisait ! Il piqua brusquement un fard en réalisant les implications de sa déduction. C-Car... ç-ça voulait donc dire que...
Bien loin de ces considérations abracadabrantesques—comme dirait un certain ex-président tombé dans l'oubli—Oscar tirait des brins de moquette avec une grimace morose. Il ne voulait pas sortir. Il ne voulait pas approcher du moment où il parlerait avec ses parents. Cependant Elsa avait été assez claire tout à l'heure.
Et la voix légère de son amie résonna bien avant la sienne.
— Cela permettra à Oscar et moi de voir nos parents. Donc ça me va.
Quand le regard sombre d'Élin se posa sur lui, il hocha de la tête sans rencontrer son regard.
Syd fut un peu plus difficile à convaincre. Il hésita, pesant le pour, le contre. S'ils s'évadaient—cela le rendrait suspicieux aux yeux des adultes, peut-être qu'on découvrirait son lien avec la Team Plasma, qu'on—puis s'ils étaient punis, ne pouvaient plus sortir pendant des jours… et si Syd ratait son rendez-vous à la Mélodie du Répit ? Ce serait... une catastrophe...
— Oh alleeez 'spèce de grincheux...
— Ça va ! claqua-t-il, saisi d'une peur irrationnelle. Ça va, j'te suis, on y va !
Le sourire joyeux et reconnaissant qui illumina la frimousse d'Élin ne fut pas suffisant pour calmer ses peurs.
Ils l'aidèrent à localiser Mélis à travers l'appartement tentaculaire d'Artie—appartement qui devait d'ailleurs occuper l'étage entier ! Le Champion ornait son domaine avec des meubles de bambou et de métal, le bois coupé et poli tantôt peint comme de l'encre, tantôt doré. Partout des baies vitrées étincelaient sous le soleil de Volucité. Les rayons jouaient le long des portes coulissantes et du parquet, se reflétant parfois dans leurs yeux et les aveuglant.
Élin. Syd, Oscar. Elsa. Cette dernière souriait tranquillement, parlait parfois, aidant la blonde à accomplir sa quête loufoque sans commentaire sage ou sérieux. Un instant, ses amis tournèrent à un embranchement qui menait à la salle des climatisations, dans une partie reculée de l'appartement. Elsa laissa leurs voix s'éloigner de sa fine silhouette, leurs éclats joyeux se fondre dans le silence ambiant.
Elle se faufila derrière une alcôve cachée par des rideaux, s'accouda au rebord d'un étrange œil de bœuf. La jeune fille étudia les gratte-ciels miroitants, les écrans publicitaires pendus aux autoroutes ariennes. Ses prunelles caressèrent le verre, le béton, s'accrochèrent aux arabesques complexes de poussière et pollution. À cette heure de la journée, sa ville avait un air gris, les couleurs chatoyantes des voitures et des centaines d'affiches contrastant d'une façon presque grotesque avec la pâleur ambiante.
Elsa plissa ses yeux, pour lutter contre le soleil mais aussi pour repérer l'immeuble de son père, enclavé entre les prémices des banlieues et le désert. Cependant elle ne parvenait pas le distinguer.
Une vague de nostalgie s'empara de la jeune fille. Elle se prit la tête entre les mains, tira sur ses boucles d'encre.
C'était la première émotion qu'elle ressentait de la journée. La première émotion qui frappait au-delà de sa carapace, résonnait en profondeur, la première qui dépassait quelques caresses à la surface de sa conscience !
Elsa avait mal. C'était la première fois, depuis la veille, qu'elle en prenait conscience. Ce n'était pas une peur passagère. C'était la peur d'avoir rompu pour de bon avec la jeune fille qu'elle était. Une douleur qui sifflait au rythme des paroles de sa mère.
« Les bègues ne chantent pas. »
— Hé !
Elle se redressa brusquement et fit volte-face. Un pas en dehors des rideaux et une masse pressée manqua de la percuter, s'écroulant à la place contre une commode laquée.
— WOUARPS !
— Oscar ? s'enquit-elle en haussant les sourcils.
La douleur était toujours là. Un roc entre sa poitrine. Mais elle pouvait la dépasser, elle ne butait plus contre cette barrière mentale, cette bulle qui avait déformé sa voix pendant des années. Maintenant la douleur était enfouie. Personne ne pourrait la déceler.
— Ils ont trouvé Mélis ! s'exclama avec fierté la jeune garçon en se redressant, essoufflé.
Elsa arqua un sourcil et attendit le reste de l'explication.
La clarification ne fut pas longue à venir, mais ce n'est pas Oscar qui la compléta. Élin déboula par un coin du couloir, tout sourire, suivie de près par un Syd blasé. Elle pila net devant Elsa, jeta un regard conspirateur aux alentours du couloir désert, et poussa la jeune fille ainsi qu'un Oscar étourdi derrière le rideau.
— En fait... débuta-t-elle malicieusement.
Ils avaient ouvert toutes les portes du couloir et avaient finis par trouver Mélis dans une des chambres d'amis, écroulé sous de couettes à carreaux épaisse, du genre Ranch d'Amaillide. Le dresseur ronflait paisiblement malgré le ronronnement hachuré des climatisations, qui avaient été entreposées sur l'immense balcon de cette chambre, et malgré la lumière crue du soleil qui se déversait droit sa faaaace.
Sauf qu'il n'avait pas prévu le Facteur Hei, bien évidemment.
Aussi dès qu'elle le trouva, elle s'écria non seulement « MÉLIIIIS » ce qui ne réveilla tout de même pas le Zensei Pro, mais elle lui sauta dessus—l'enfourchant—et se mit à le chatouiller. Cela mit quelques minutes à le faire réagir, durant lesquelles Syd et Oscar observèrent la gamine surexcitée s'activer au-dessus du jeune homme apathique. Ils traversèrent sans doute plusieurs crises existentielles pendant ces cent-quatre-vingt secondes.
Puis Mélis finit par émerger, et balbutia quelque chose comme « REUUHWAH Kokiyaas... », ce que ne manqua pas de remarquer Élin.
— Oh, tu rêves de Kokiyas ? demanda-t-elle innocemment. C'est chou.
C'est en entendant sa voix que Mélis se réveilla finalement.
Les prunelles écarquillées par l'horreur.
— ÉLIN ? Ah—HAAA mais pourquoi t'es assise sur moi ?!
Le dresseur était habituellement neurasthénique. Cependant sentir la masse chaude de son amie d'enfance représentait pour lui un cas de force majeur—aussi il s'ébroua avec la force d'un Galopa enragé et la gamine valdingua, s'écroulant à terre au pied du lit en marmonnant un vague « ahh ça n’arrive qu’à moiiiii ».
Il y eut un grand silence. Mélis frissonna. Les garçons restèrent en mode gobe-mouche. Puis les trois se regardèrent et l’adulte tressaillit.
— RAH mais c'est pas possible ! Oubliez ce voyage ! Je veux ne jamais vous revoir ! Ni être votre gardien légal ! s'écria-t-il d'une voix suraigüe, s'enfouissant dans les couettes comme si ne pas voir son audience pouvait la faire disparaître de son existence.
Apparemment certains Pokémon peu intelligents comme les Doduo se comportaient ainsi, plongeant leurs têtes dans le sol pour ignorer le danger.
Dans tous les cas, cet interlude gênant permit Syd et Oscar échangèrent un regard désabusé. Ils se dirent que comme gardien légal, protecteur de voyage, on pouvait faire mieux... Puis le dresseur aux iris verdoyantes alla s'asseoir au bord du lit, ce qui arracha un juron à l'adulte, et débuta d'une voix sucrée :
— Monsieur le Kokiyas...
— J'm'appelle Mélis !
— ... on a une, juste une faveur à vous demander...
— Juste une ? vint de nouveau la voix étouffée par les draps, cette fois emplie d'espoir. Oscar jeta un coup d'œil à Syd, qui prit sur lui d'intervenir sérieusement.
— Oui. Une seule, et après cela, nous vous laissons dormir. Nous pensons tous comme vous, euh… le sommeil est très important.
— Accordée.
... Un ange passa.
— Accordée ? s'enquit Oscar.
— OUI ! Je dis OUI d'avance maintenant parteeeez...
Ce fut à cet instant qu'Élin se releva, sa queue-de-cheval à moitié détruite, son esprit encore à moitié étourdi. Malgré la brutalité de la chute, elle avait pu distinguer la totalité de l'échange—aussi elle sauta à ses pieds, manqua de retomber, et lâcha un « YEAAAAH » bestial.
Oscar, effrayé, venait de remarquer l'absence d'Elsa et profita de cette distraction pour s'enfuir, l'absence le taraudant.
À ce même instant, Mélis, bien au chaud et plongé dans des ténèbres reposantes, fut saisi d'un doute. D'un affreux doute. Il pointa sa tête au-dessus des draps, demandant avec méfiance « c'est quoi cette faveur en fait ? ».
Manque de bol, Élin et les deux autres garçons avaient déjà disparus. Bon, il n'avait plus qu'à s'enfouir de nouveau sur les draps et espérer qu'on ne le trouve pas... Comme Tcheren fuyant White, par orgueil, il allait nommer cet échec un Repli Stratégique.
(Elsa l'exploratrice)
— Oui, oui on va vous faire visiter !
C'était Elsa qui avait finalement lâché cette phrase—légèrement teintée d'un soupçon imperceptible irritation—après que le groupe se soit faufilé par la porte de derrière. Il y avait beaucoup trop de journalistes et de tabloïdes présents devant l'immeuble, même si Élin insistait qu'elle pourrait facilement les faire dégager puisqu'elle les « connaissait très bien ». Syd avait théâtralement levé les yeux au ciel avant de se rappeler que la gamine blonde qui parlait la bouche ouverte et l'insultait souvent très grossièrement était aussi... la fille du dresseur légendaire Black...
À présent le groupe était caché derrière une benne à ordures, partagé entre l'atroce puanteur et la peur des Miamiasme. Élin faisait un grand sourire et Oscar et Elsa se consultaient à voix basse, étant les seuls à connaître la ville. Finalement, le garçon à la queue-de-cheval lâcha un petit ricanement et se traîna vers les formes accroupies d'Élin et de Syd.
— Je sais ce qu'elle va choisir ! lança-t-il avec satisfaction à Elsa, qui le suivait.
— On va faire un vote démocratique, répondit celle-ci avec une expression de calme défiance.
Ils se plantèrent devant les deux étrangers en une posture impérieuse—enfin, autant que faire se peut à quatre pattes—émergeant glorieusement de l'ombre des poubelles. Leurs grimaces orgueilleuses... cette odeur pestilentielle... tout cela rappelait à Syd la nuit du pacte, où lui et Élin s'étaient faits saucissonnés bien serrés ! Ses yeux s'écarquillèrent et il déglutit, reculant déjà prudemment.
Cependant Elsa avait un tout autre projet en tête. Elle leva son menton et proposa calmement, gentiment :
— Le district des artistes ou la Baston SARL ?
Silence. Syd semblait terrifié pour elle-ne-savait-quelle-raison. Élin semblait carrément réfléchir, comme si elle n'avait pas compris les paroles de la brune. Finalement Oscar, se pinçant le nez, s'impatienta et grommela :
— Elle veut dire, un endroit où on regarde des peintures ou un endroit où on affronte d'autres dresseurs ?
— Aaaaah ! ... BASTON SARL GOO !
Évidemment, personne n'eut besoin de localiser l'origine du cri pour comprendre qui l'avait émis. Syd se rapprocha de nouveau des trois, s'agrippant au seul petit buisson qui poussait dans la sombre allée.
— Personnellement je préfère le district des artistes.
— Ahh... soupira Elsa, faussement soulagée. Tu sais quoi, c'est dingue mais moi aussi !
Venant d'elle, une remarque ironique... Syd ne sut que répondre, perturbé par la transformation de son amie. C'était seulement le deuxième jour après l'attaque, mais il avait l'impression qu'il prendrait du temps à s'adapter.
— Personnellement... je ne sais que choisir... minauda ensuite Oscar, se fondant dans une pose de diva tout en gardant son index et son pouce fermement serrés autour de ses narines.
Trois regards blasés se tournèrent vers lui, et son fier sourire se transforma en sombre grimace.
— Ok ok, c'est faux ! Allons au district des artistes !
Il ne fallut pas plus d'un instant pour qu'un hurlement s'échappe des alentours de la benne, quelque chose en rapport avec « j'irai toute seule à la Baston SARL si c'est ça ! ». Tous les habitants du quartier accoururent à leurs fenêtres et balcons, effrayés—mais ils ne remarquèrent pas les trois furtives silhouettes qui éclipsaient un quatrième corps furieux.
Une rumeur plana de longues années dans le quartier Moderie de Volucité : la benne à ordure de l'immeuble du Champion était hantée.
[...]
Après quelques temps Élin eut marre de se faire porter—en plus ça avait l'air trop suspicieux—et insista pour marcher, ce qu'on lui accorda à condition qu'elle ne s'enfuie pas. Bon, elle essaya bien quelques fois. Mais à chaque délit de fuite Baggy lui-même collait un Balayage à sa dresseuse, las de ses bouffées révolutionnaires.
Les amis longèrent longtemps l'immense Rue Vogue, qui avait gardé son nom d'origine mais méritait à présent plutôt le titre d'Avenue. Des quatre, seul Syd détaillait chaque immeuble avec de grands yeux, s'imprégnant avec défiance et admiration des bruits de la foule, de la danse des grands chênes. Lui qui venait de Maillard, ville de taille modérée, remontait maintenant une des voies les plus connues de Volucité... Cela ne le choquait pas non plus, laissons les stéréotypes des ploucs provinciaux de côté ! Mais il se sentait totalement dépaysé.
C'était tout le contraire de ce que ressentaient Oscar et Elsa. Les deux surtout se fondaient dans la foule instinctivement, connaissaient parfaitement les codes de la danse urbaine. Le soleil qui les caressait doucement, le ciel presque gris, les racines des arbres centenaires qui déformaient le trottoir bétonné… c'était leur enfance. Replonger dedans après des semaines de voyage, des expériences bouleversantes, leur laissait un goût amer, un profond malaise. Ils pensaient à leurs parents.
Élin ne connaissait pas les trottoirs de la ville. Elle avait grandi en appartement. Alors elle boudait superficiellement, cachant son émerveillement et ses regrets de ne découvrir les rues de Volucité que maintenant. Elle sortit de sa grogne quand Elsa leur indiqua la petite allée où ils allaient tourner, celle où se trouvait une perle rare, sa galerie d'Art préférée.
— Au fil du temps, la rue a pris le nom de La Glorieuse, mais à l'origine c'était la Rue du Dernier Jour d'Été, leur informa Elsa tandis qu'ils détaillaient les balcons envahis de fleurs, les pavés poussiéreux de l'allée. Par dernier jour d'été, ils voulaient dire le 31 Aout, car les anciens ne faisaient pas durer la saison jusqu'à l'équinoxe d'Automne.
C'est alors qu'Élin s'illumina, n'écoutant même pas la fin de la phrase. Le dernier jour d'été ? C'était le jour où elle avait été déposée chez son père.
— Le 31 Aout c'est mon anniversaire ! Et Unys a été unifiée le même jour que ma naissance !
— Ou plutôt, tu es née le jour de l'unification d'Unys... grommela Syd, levant les yeux au ciel. Ça s'est passé y a plus d'un millénaire, tu sais.
Pour lui, le 31 Aout avait une signification différente. C'était le jour où son frère avait été percuté par un camion livreur, quand il avait six ans. Un beau dimanche de fin d'été. Le distrayant de ces sombres pensées, Élin rétorqua légèrement :
— Pfft qu'est-ce que t'en sais, que j'étais pas née il y a un millénaire ? J'ai été adoptée alors si ça se trouve...
— Oui si ça se trouve t'es la fille d'Arceus ! enchaîna-t-il de son côté. Waouh ! Tu devrais tout de suite aller prier au temple pour vérifier !
Les deux se chamaillèrent davantage, mais avec le sourire. Ils se disputaient plus par nostalgie que par colère… et même Oscar et Elsa appréciaient les accents familiers de leur lutte. Finalement les adolescents s'arrêtèrent devant un bâtiment modeste, qui ne comportait ni vitrines, ni une porte décorée. Seule une fine plaque noire et blanche ornait la portée d’entrée, titrée « Galeries des Légendes ».
— C'est une galerie dédiée aux réinterprétations de l'histoire d'Unys, les informa sobrement Elsa.
Avec un sourire la brune tint la porte à ses amis, qui pénétrèrent dans une petite salle aux tons blancs, légèrement climatisée. Un tintement de cloche cristallin résonna quand Elsa referma la porte, l'instrument attaché à la poignée en un nœud typique des temps anciens.
Un jeune homme faisait office de réceptionniste et leur vendit quatre tickets « jeunesse » à moitié prix quand ils montrèrent leurs cartes de dresseur. Oscar et Elsa eurent même droit à la moitié de cela quand ils sortirent leurs cartes scolaires de Volucité ! Puis, leur recommandant de ne pas parler trop fort, l'employé leur souhaita une bonne visite.
Le silence était surréaliste, ainsi que la pâleur des pièces qu'ils visitaient. Aucune lumière artificielle. Les propriétaires avaient choisi d’éclairer le bâtiment grâce aux larges fenêtres qui ornaient chaque pièce, chaque ouverture s'ouvrant sur une cours centrale agrémentée d'une simple fontaine. Toutes les peintures, souvent des fresques murales qui prenaient toute la largeur d'un mur ou de complexes mosaïques, dépeignaient les périodes successives de l'histoire d'Unys.
D'abord, l'obscurité qui avait précédé la création du Royaume Unifié. Ces temps sauvages aux couleurs sombres montraient des hommes et des femmes assoiffés de sang, silhouettes rachitiques incapables de vivre en paix avec les Pokémon.
Le groupe rencontra ensuite une fresque aux couleurs brutales. En son centre se tordait un immense dragon, noir, blanc et gris, son corps se déchirant en une éruption lumineuse. En-dessous de sa carcasse volante se défiaient les masses noires et menaçante de deux armées. Elles étaient menées respectivement d'un homme tout de rouge vêtu, et d'un autre paré de bleu... Cette peinture était intitulée « Le dragon dans le ciel ».
Élin frissonna, et porta ses yeux vers la seule autre fresque de cette salle. L'artiste qui avait réalisé cette œuvre était de toute évidence la même que celle qui avait dépeint l'explosion—aucun détail, simplement des angles durs et des positions théâtrales, grotesques. Ici, deux dragons immenses semblaient s'entre-tuer en compagnie des chefs de guerre ; un noir, un blanc... Zekrom et Reshiram.
Ils passèrent à une autre salle, depuis laquelle on pouvait entendre le clapotis de la fontaine. Elle comportait une unique mosaïque dont les tons ocres ne permettaient pas de distinguer grand chose... Simplement l'expression amère et terrifiée d'une Pokémon—des yeux bleus, une crinière verte...
— Meloetta, leur expliqua simplement Elsa.
Derrière la frêle figure de la Pokémon se dressait la seule partie de la mosaïque qui n'était pas rouge ou orangée… la masse imposante d'une bête argentée. Une bête argentée à l'expression folle d'une faim disproportionnée. Élin fronça les sourcils. Non, pas possible, là c'était elle qui extrapolait...
Mais elle ne put ignorer le froid soudain qui la saisit.
Aussi elle refusa de regarder une autre peinture de l'heure, ignorant les exclamations admiratives de ses amis, qui étudiaient à présent des œuvres se rapportant à l'histoire contemporaine d'Unys. De loin, la blonde ne pouvait que distinguer les postures aristocratiques de la Lignée Harmonia, leurs toisons vertes aussi étincelantes que leurs sceptres d’émeraude. L'on disait justement qu'ils régnaient par l'autorité de Méloetta...
Des aquarelles fantasmagoriques abordaient les luttes successives contre la Team Plasma, celles d'il y a dix ans et d'il y a sept ans. Élin aperçut son père torse-nu sur une peinture et fit une crise cardiaque—seul Oscar sut la réanimer. Syd put remarquer sa tante protégeant férocement son musée. Heureusement, l'existence des galets n'avaient jamais été révélées au grand public pour éviter que des bandits s'en emparent. S'ils tombaient entre de mauvaises mains, ce serait catastrophique. Seules certaines familles de champions étaient au courant, notamment les Redding-Park, car Aloé leur faisait une confiance absolue. Chez eux, la famille était sacrée... le cœur de Syd se serra. Pour se distraire, il laissa glisser ses yeux vers Élin. Et elle, était-elle au courant ? Black lui avait-il expliqué l'existence des Galets ?
Quoique, s'il ne parlait pas...
Finalement ce fut trop d'émotions pour le groupe, et ils se hâtèrent de sortir du bâtiment, Elsa se trouvant légèrement déçue, mais restant silencieuse. La pièce finale débouchait sur une autre allée, celle-ci assez large pour laisser passer des voitures, et les adolescents plissèrent les yeux contre la lumière aveuglante qui reluisaient sur leurs carrosseries.
On se demanda quoi explorer, maintenant—chacun ignorant scrupuleusement les cris d'Élin qui voulait se rendre à la Baston SARL séance tenante. Heureusement Oscar avait une autre idée. Le garçon aux iris verdoyantes sourit malicieusement, et déclara :
— Si vous voulez bien me suivre, je connais le parfait endroit où se relaxer...
(When you shoot across the sky like a broken arrow... you fall off course...)
Matis avait été exclu de la conférence des Champions. Il se frotta brusquement la nuque, tirant ses mèches de jais avec un air meurtrier. La vue majestueuse de Volucité ne pouvait le calmer et les doux canapés le repoussaient ; les reflets irisés du métal et les motifs ethniques des tissus l'assommaient d'un mal de crâne monstre. On l'avait traité comme un enragé inintéressant, comme un plouc. Tout juste savait-il que les Sbires avaient perdu la mémoire ! (On lui avait décrit brièvement leur état : hébétés, parlant à peine et bavant parfois, ils ne pouvaient plus manger et se laver seuls... Matis ne ressentait aucune compassion à leur égard, c'était bien fait pour eux.) Mais les Grands et Majestueux Champions, investis d'une fonction officielle et donc se la pétant plus haut que leurs céans, refusaient de divulguer d'autres informations. Quelles décisions seraient-elles prises à la suite de cette Attaque ? Chasserait-on Anto ? Traquerait-on Ghetis, qui ne s'était toujours pas dévoilé ? Matis n'en savait rien, il faisait face au néant glacé !
Pourtant il avait aidé à le libérer ce fichu Ferry. Pourtant il avait déjà défait la Team Plasma une fois, presque à mains nues alors qu'il n'avait que quatorze ans. Matis et sa famille en avaient bavé plus que tous, ils n'étaient qu’un foyer modeste et sans carnet d'adresse, après tout.
Le grand dresseur serra les dents, portant un regard aussi noir que sa crinière à l'horizon, où il pouvait distinguer la mer étincelante entre deux tours de métal. Dans son esprit, la litanie des reproches, le grondement de sa colère se poursuivait incessamment, écrasant toute autre pensée avec la force d'un rouleau compresseur. Il était pourtant hébergé chez Artie en tant que témoin prioritaire ! Il avait pourtant été entendu par le Conseil Quatre ce matin-même ! Il connaissait pourtant très bien Tcheren ! Il se trouvait même dans la listes des « dresseurs alliés » d'Iris !
Apparemment, cela ne suffisait pas pour le corps professionnel et soumis des Champions. La loi d'Unys était la leur, alors ils avaient froidement lâché le couperet. Artie lui avait lancé un regard contrit mais ferme. Tcheren avait détourné les yeux, reléguant l'indignation de Matis à l'arrière-plan. Rah ! Si c'était ainsi qu'ils le remerciaient, ils avaient intérêt à ne plus avoir besoin de lui, ces—ces—
Finalement le dresseur tendu s'écroula sur un pouf multicolore, se prenant la tête entre les mains et massant de nouveau sa nuque. Il sentait ses mains dures, des mains qui avaient travaillé autant que ses Pokémon. Il sentait la chair plus soyeuse de son poignet glisser le long de ses joues. Ses pensées destructrices se consumaient vivement, ne devenant qu'un brasier chaotique, une souche grouillante de vers informes. Des cendres. Il soupira, brutalement las. Se dirigeant vers des raisonnements plus constructifs.
Ce qu'avait raconté Élineera ne présageait rien de bon. Le teint cadavérique de Watson avait pâli plus que raison quand Artie avait mentionné ces détails. Le savant s'était empressé de demander des précisions, des descriptions minutieuses, même si sa mâchoire brusquement tendue lui permettait à peine de parler. Le vieux Champion rougissait facilement quand il s'énervait ou s'effrayait—ce fait n'avait pas échappé aux spectateurs. Autre réaction : il avait violemment grimacé quand Matis lui avait conté combien le Maelström était vite disparu après leur intervention. Ses traits aristocratiques ruinés.
Cependant, il avait gardé ses réflexions détaillées pour le corps restreint des Champions.
... Non, Matis ne devait pas enchaîner son esprit à une colère aussi inutile. Déterminé, le jeune homme expulsa sa fureur en un souffle lent... tenta de dissiper la tension dans ses muscles. Il ferma même les yeux, adoptant une position de méditation, telle que lui avait appris sa mère éprise par les religions « exotiques »—en tailleur, décontracté. Une image de sa sœur levant les yeux au ciel s'imprima, furtivement, sur ses paupières tremblantes. Sa cadette grandissant, leur relation se faisait de plus en plus conflictuelle. Il chassa donc le souvenir. Puis il pensa à Bianca, qui s'était enfermée dans son bureau pour travailler. Il pensa à Écho, qu'il n'avait pas vu depuis l'aube.
Une porte s'ouvrit discrètement, son grincement suivi par le roulement d'une valise.
Matis sursauta et fit volte-face—il se trouva justement face à son amie d'enfance, en jogging de voyage. Si les traits caractériels de Matis marquèrent fortement leur surprise, le visage pâle de son amie ne fit que se contracter, luttant pour ne rien laisser filtrer. La jeune femme avait toujours été si fermée, si distinguée, après tout. Il la renvoyait en train d’étudier avec acharnement le peu de connaissances qui lui avaient échappé, spectrale autour du feu de camp—elle voulait toujours donner le meilleur d'elle-même, en toute occasion. Elle se retrouvait toujours déconcertée quand elle combattait Mélis... lui qui triomphait sans travailler. Lui qui demeurait envers et contre tout totalement désintéressé, aveugle à l'anxiété de la jeune dresseuse. Matis cligna des yeux, rejetant ces réminiscences vers les abysses de sa conscience. Il avait mieux à faire. Comme...
— Mais t-tu... c'est pour quoi ta valise ? balbutia-t-il en comprenant pour la première fois ce qu'il voyait au juste—son amie trainait un gros bagage derrière elle—et si—si elle était habillée en jogging, c'était forcément pour voyager, car Écho détestait se vêtir négligemment...
Elle lui offrit un sourire triste.
— Je pars.
L'esprit de Matis nia ses mots en bloc. Et il la fixa d'un oeil vide. Mais il fallait croire que sa voix trouvait sa source à un point encore actif de son cerveau, car sans même réfléchir, il protesta :
— Mais nous sommes toujours considérés comme témoins prioritaires !
... en tout cas, quand son cerveau réagissait, c'était toujours pour dire des conneries. Il se figea, bouche ouverte, la honte aux joues... Et son sourire le transperça tandis qu'elle rejetait une mèche soyeuse par-dessus son épaule, se dirigeait doucement vers la porte de l'appartement. Il fut saisi par son profil résigné, tracé à l'or du soleil.
— Oui, mais ce n'est qu'une formalité, répondit-elle, posant sur la porte d'entrée sa main blanche, délicate. J'ai déjà fait mon rapport aux Champions ce matin.
À cette réplique, la peine l’étreignit. Matis n'hésita plus. Il franchit vivement la pièce, engloutissant la distance qui les séparait, et plaça sa main plus sombre, matte, sur ses longs doigts. Son corps, ses membres, semblaient trop forts et grossiers à côté de sa silhouette gracieuse. Contrairement à White ou Bianca, Écho n'avait jamais cherché à développer ses muscles, à renforcer son corps. Elle disait se cultiver l'esprit.
— Écho, tu pars où ? s'enquit-il, enroué, ne dissimulant pas un tremblement déçu.
— Sinnoh.
Un mot. Facile à comprendre. Difficile à digérer.
Il retira sa main.
— C'est à cause de Mélis ?
— … En partie…
Un monde de nervosité, de blessures dissimulées défila derrière ses prunelles grises, plus sombres que les iris lunaires de Matis. Il se frotta brusquement la nuque. Pensa aux railleries de White. À la fausse gentillesse, aux durs sentiments de Bianca. Black avait été très correct, ne se mêlant pas d'histoires sordides, mais il ne disait jamais rien, ne faisait rien pour corriger les travers des autres. Tcheren était indifférent. Mélis était con.
Quelle bande de merde.
Grimaçant de nouveau férocement, Matis ne s'adoucit que sous le regard calme de son amie, qui l'attendait, habituée à ses réactions fortes. Matis mettait toujours du temps à réfléchir, à maîtriser ses émotions—on le prenait pour quelqu'un de frustre. Elle savait que c'était autrement. Finalement, il consentit à lui ouvrir la porte, appuyant sur la fine main de son amie, sur ses longs doigts agrippés à la moite poignée...
— Je t'accompagne au taxi.
Il ne vit pas le fantôme d'un sourire se dessiner sur les joues pâles d'Écho, mais sentit son bras se glisser dans le sien tandis qu'elle traînait sa valise et refermait la porte derrière eux.
(YEAH!)
Ils sortirent du gratte-ciel honni avec des tendons arrachés, des os brisés, des veines éclatées et quelques petites courbatures. Syd toussait, rouge, et se tenait comme un vieil homme—Élin tentait de marcher sur les mains mais s'écroulait pitoyablement sous les yeux des passants catastrophés—et même Elsa semblait souffrir un peu. Seul Oscar et les Pokémon rayonnaient, leurs corps élastiques éclatants de santé et de lumière.
— Aaah, qu'est-ce que ça fait du biieen, un bon massage kantonnais...
Baggy semblait du même avis, donnant des petits coups de pieds à sa pauvre dresseuse, qui bavait sur le trottoir. Probablement qu'il la traitait de petite chochotte en langage Pokémon, elle et ses entraînements « à la dure ».
— Tu rigoles ! s'étouffa Syd, jetant un regard noir au beau-gosse. Ça se voit que c'était originellement des massages pour Pokémon oui !
— Roh mais non, pas du tout, elle vous a juste totalement dénoué les boules de nerfs... souffla Oscar, balayant les complaintes de ses amis d'un geste léger. C'est bon pour la santé, ça va vous faire vivre plus longtemps !
— Oh ça c'est sûr, quand elle m'a marché sur la gorge j'ai bien senti que c'était bon pour ma santé... siffla Syd.
— C'était pour t'enlever les glaires... répondit son ami avec le sourire, imperturbable.
Leur discussion s'arrêta quand Elsa parvint à remettre Élin sur ses pieds—après de nombreuses péripéties qu'il ne vaut mieux pas mentionner pour la dignité des filles. La blonde, à peine sortie de l'immeuble, oubliait déjà sa douleur. Elle pointa un attroupement bariolé à quelques dizaines de mètres d’un geste théâtral. Ils plissèrent tous les yeux, tentant de distinguer ce qui pouvait bien falloir qu'on s'attarde ainsi. Il leur semblait qu'une queue considérable s'étalait devant un stand aux sombres draperies, derrière lequel était assis un vieil homme aux aires sévères.
— Aah, je le reconnais, réalisa enfin Elsa. C'est le Spécialistes de Noms ! Depuis quelques temps il s'est pourvu d'une échoppe ambulante.
— Oooh, c'est quoi un spécialiste de noms ? s'enquit Élin avec de grands yeux.
— C'est un professionnel qui juge les surnoms donnés aux Pokémon, expliqua la brune, ramenant une boucle d'encre derrière son oreille.
Ils considérèrent cette possibilité de carrière pendant un instant. Quand même ça semblait fumeux… gagner de l'argent juste pour donner son avis à des ploucs crédules ? Quoique c'était bien l'équivalent d'un « coach de vie » non ? Puis un grand sourire éclata sur la frimousse d'Élin.
— Cool ! J'ai hâte de voir ce qu'il a à dire sur Baggy et Lucky et Hope !
Elle ne fut pas déçue. Déjà, ils durent supporter une longue queue au soleil—pour une raison quelconque, l'avenue de l'Arène ne comportait pas d'arbre—et lutter pour s'entendre par-dessus le bruit de la foule. De temps en temps, des cris outragés s'élevaient au-devant de la file, et des dresseurs repartaient avec une mine tantôt furieuse, tantôt affligée. Certaines de leurs Pokémon pleuraient. Syd commençait à s'inquiéter. Un peu.
Finalement ce fut à leur tour.
Ils s'approchèrent d'un homme qui semblait vieux, mais qui n'arborait pas une seule ride. Son visage lisse et luisant était figé dans une expression austère, encadrée de pattes de mouche d'un blanc étincelant. Il les détailla d'un œil indifférent, puis pointa Syd.
— TOI.
Le groupe tressaillit au son de sa voix, un timbre crissant comme du métal ou une craie sur un tableau—Syd déglutit. Néanmoins, il prit son courage à deux mains ! Et répondit, bafouillant...
— Je… je… ne donne pas de surnom...
L'homme se figea. Syd se figea. L'homme le regarda. Syd le regarda. Puis, les traits anciens du Spécialiste, tannés comme du cuir mais aussi souples que du Nubuk, se tordirent de déplaisir. Une grimace bestiale s'approcha des prunelles écarquillées de Syd.
— Qu'est-ce quissé passé ? Gnein ? souffla l'homme par ses larges nasaux, accrochant ses iris noirâtres aux lèvres de Syd. Ta petite-amie t'a fait du Mal ?
Un silence effaré plana quelque temps entre les adolescents, souriant comme un habitué.
— ... H-Hein ? balbutia Syd.
— Pour ne pas sus-nommer ses Pokémon, siffla le vieux, faut avoir subi un tchoc. Un chtraumatisme.
— M-Mais... N'importe quoi. Vous délirez.
Le visage de Syd se ferma. Mais l'homme ne lui offrit qu'un rictus, soulevant légèrement sa rangée supérieure de dents de façon à laisser voir les noires entrailles de sa bouche, et un début de langue rouge sang. L'éclat malin de ses yeux brillait méchamment sous ses fins sourcils.
— Ne mens pas. Tu as des problèmes à tch'attacher.
Syd reçut cette affirmation comme un coup de fouet—mais il était déjà loin. Il avait déjà reformé ses murailles, remonté le pont levis. Et, se remarqua-t-il sombrement, il avait intérêt à ne plus jamais l'abaisser. Pendant ce temps Élin se moquait...
— Haha ! En plus c'est vrai, nananananèreuuh !
... et le vieil homme s'écriait...
— SUIVANT.
Mais il ne voyait rien. Il s'était éloigné, et il ne se retournerait plus. Le Spécialiste des Noms avait justement désigné Élin, son sourire ancien se faisant narquois. Ce ne fit en rien peur à la jeune fille ignorante qui, encore plongée dans le monde des bisous et de l'amour, s'élança, les étoiles aux yeux :
— Baggy pour le Baggiguane, Lucky pour le Ponchien et Hope pour le Caninos !
— NUL. SUIVANT.
— ... H-Hein ? balbutia la gamine.
Les yeux du vieil homme s'étaient posés sur Oscar, qui du coup n'osait s'avancer, scrutait son amie blonde avec méfiance. Il sentait l'orage arriver. Mieux valait rester à distance de son épicentre. —telle était la sagesse d'Oscar le grand—
— Mais mes surnoms sont géniaux ! s'écria la jeune fille d'une voix vibrante de déception, secouant une main furieuse devant les prunelles du vieil homme qui refusait de la regarder.
C'était comme si elle était transparente ! Non mais n'importe quoi ! Quel scandale ! Ses surnoms avaient chacun une signification importante, rappelaient combien Élin aimait ses Pokémon ! Les moquer si brutalement était un manque de considération non seulement pour sa personne, mais aussi pour ses Pokémon innocents !
— Mais arrêtez de m'ignorer ! ordonna-t-elle, indignée, griffant presque l'homme avec ses ongles.
Elsa et Oscar la retinrent. Elle cria. Il continua à l'ignorer avec un grand sourire. Finalement Élin fut sortie de la file sans autre forme de procès et atterrit à côté de Syd, sur ses fesses.
— Jeans, Aiden et A-Amagara... bafouilla timidement Oscar, ne rencontrant pas les yeux du Spécialiste.
— NUL, jugea tout de suite le professionnel de sa voix métallique. SUIVANT.
Oscar recula brusquement, titubant, comme giflé. Elsa le dépassa avec un regard réservé mais sympathique, l'aidant à regagner son équilibre d'une main fermé, puis se tint devant l'étal aux tentures sombres du Spécialiste, les yeux plissés.
— Amaryllis, annonça-t-elle.
Contrairement aux précédentes consultations, l'homme prit le temps de réfléchir. Il plissa ses yeux tout fins, scruta Elsa de haut en bas, et remarqua avec intérêt l'unique Pokéball à sa ceinture. Il souffla.
— Un seul Pokémon. T'y portes du soin. C'est chbien.
Un court silence s'écoula.
— BEAU. SUIVANT.
Cette fois le silence s'étira, s'étala sur toute la foule. Les hommes, les femmes, les gamines et les gamins fixèrent Elsa avec des regards ébahis tandis qu'elle rejoignit ses amis. La file entière se fendit en deux pour la laisser passer, telle une messie. La brune garda la tête haute, un sourire calme aux lèvres. Étrangement, quand elle rejoint les autres, Élin fut tout de suite un peu jalouse—elle lui tira la langue !
Tout le monde fut d'accord pour fuir spécialiste de l'enfer. Oscar, traumatisé, ne put reprendre son rôle de guide et le groupe dériva. Élin et Syd tournaient en ronds comme es bons touristes qu'ils étaient. Heureusement, Elsa parvint à calmer tous les quatre d'un seul coup—elle proposa de retourner rapidement à la Rue Volute et de manger des glaces ! Évidemment, chacun s'enthousiasma.
Une fois au stand des Glaces Volutes, les quatre constatèrent avec étonnement qu'ils étaient les seuls clients… aucun couple âgé, aucune famille, aucun adolescent à l'horizon... au contraire, tout une petite foule semblait s'attrouper devant un restaurant qui disait vendre des salades de nouilles. Élin semblait trouver le concept amusant. Elsa lui expliqua d'un ton blasé que les nouilles de riz étaient une spécialité de Kanto et se mariaient très bien avec porc, menthe et coriandre. Ceci piqua l'intérêt de Syd, qui écouta avec attention les détails de la recette, ne touchant son sorbet citron que du bout de la langue...
Cependant, le véritable drame ne survint que lorsque les adolescents dépassèrent l'échoppe de Kanto. Élin se plaignait de ce con d'Spécialiste auprès d'Oscar... d'une voix particulièrement forte. Lancée, elle s'exclama sans réfléchir : « puis s'il critiquait nos prénoms, tu penses que nos darons seraient contents peut-être ? Ou même s'il critiquait nos noms de famille t'imagines ! J'vois bien la tête de mon père s'il dénigre la famille Hei ! Mon père il parle peut-être pas mais quand il te regarde mal, tu le sens passer ! ».
Si sa voix avait été un peu moins portante... si elle n'avait pas atteint la gamine qui payait sa salade de nouille, tout au-devant de la file... si les nouilles n'étaient pas tombées par terre, provoquant un silence surpris... l'attroupement entier n'aurait peut-être pas entendu ce cri ébahi :
— T'es la fille de Black, le vrai BLACK HEI ? J'a-dore son style de combat ! Sa puissance ! KEAIII j'peux avoir un autographe ?!!
Élin s’arrêta. Plus d'une cinquantaine de paires d'yeux calculateurs se braquèrent soudainement sur elle. Oscar et Syd se rapprochèrent de sa silhouette surprise en un mouvement protecteur, que la gamine ne remarqua absolument pas, figée en plein léchage de glace, lèvres entrouvertes, sourcils haussés avec incrédulité.
La jeune fille qui l'avait entendue, peau noire, couettes roses, se rapprocha avec un air de Grahyena affamée. La foule entière se traîna avec une fausse discrétion vers le groupe en un essaim sombre et compact. Les yeux de ses trois amis se posèrent sur la cible de tout ce beau monde, hésitants.
— Élin... chuchota Syd d'une voix inconfortablement forte dans le silence surnaturel. Que fait-on ?
Et la gamine figée, surprise, se détendit brusquement, recouvrant le sourire avec un naturel désarçonnant. Elle n’était que trop habituée à ce genre de situation.
— Quelle question ! On COURT !
D'un coup elle s'enfuit à la vitesse d'un Latias, éclair blond se fondant au loin. Syd, Elsa, Oscar n'eurent d'autres choix que de la suivre le plus vite possible pour échapper à la presse vengeresse, au flot humain indigné ! Sauvant tant bien que mal leurs boules de glaces d'une chute fatale sur le trottoir, ils filèrent à gauche, puis à droite, doublant passants et cafés, esquivant taxis et racines d'arbres centenaires, brusquement engloutis dans la cacophonie urbaine !
Ils dépassèrent un rond-point où dansaient des clowns, manquèrent de se faire écraser, hors d'haleine, dégoulinants de sueur, submergés par le roulis des voitures, des motos et vélos qui se faufilaient dangereusement sur routes et chaussés, étourdis par la danse des passants pressés. Chaque minuscule mouvement de la tête ou des pupilles les confrontaient à de nouvelles formes et couleurs ; klaxons et injures fouettaient leurs tympans comme chaque odeur et courant d'air marquaient leur chair.
Essoufflé après leur longue cavalcade, le groupe s'appuya contre les murs d'obsidienne d'un immense gratte-ciel. Syd leva le regard, soufflant fortement, fatigué, mais tranquille, se sentant purgé de toute émotion. Un fin ruban de ciel ambré s'imprima sur sa rétine accablée. Un fin ruban, déchiré par la découpe mathématique des immeubles de plexiglas.
— Oh, êtes-vous aussi là pour la fête ? Il sera si content de vous voir !
Une jeune femme leur souriait d'un air reconnaissant, mêlant airs cosmopolites à un accent bourgeois, étoffes bigarrées de Maillard et maquillage raffiné. Ils rencontrèrent ses yeux bleus en un silence interdit—elle devait les avoir confondus avec d'autre, ce n'était pas...
— Oh b-bah bien sûr ! envoya Oscar avec un sourire charmeur.
— Mais t'es malade ? lui siffla Elsa tandis qu'ils pénétraient dans le hall lumineux de l'immeuble, submergés dans une vague blanche.
La jeune femme passa une main dans ses cours cheveux blonds, discuta avec un grand vigil qui bloquait l'accès aux portes d'ascenseur. L’homme vérifia sa liste d'invités les sourcils froncés, utilisant une règle pour relire chaque nom avec attention. Élin l’ignora, considérant la grande pièce avec attention, émerveillée par le luxe visible du bâtiment, son atmosphère chic ; Syd et Elsa foudroyèrent Oscar du regard.
— Et si on se fait jeter ? poursuivit la jeune fille d'un ton bas, jetant un regard méfiant à la folle qui les avaient accueillis.
— Pas grave... assura la cible de leur colère tranquillement. J'me suis déjà fait virer de plein de boîtes de nuit, je sais comment ça se passe !
— En tout cas, pas d'alcool pour Élin, ordonna fermement Syd.
— Quoi ? répondit la gamine avec les yeux ronds, écoutant soudain et comme par hasard la conversation.
Une dispute aurait pu naître mais soudain une voix forte les interrompit. Ils se tournèrent en un seul battement de cœur vers le vigil, stressés. Un de ses épais sourcils était arqué et il semblait leur avoir posé une question ! Mais les adolescents n'avaient rien entendu, trop occupés à discuter ! Oscar, se mordant la lèvre, sentant les yeux pesants d'Elsa et de Syd fixés sur lui, jeta un coup d'œil au visage toujours souriant de la jeune femme qui les avait invités, et hasarda...
— ... oui ?
Un ange passa en grandes pompes.
Puis le vigil s'écarta, laissant place à leur reflets fantomatiques sur la surface métallique de l'ascenseur. Leur hôte temporaire leur fit signe de la suivre, souriant et s’exclamant « oh je suis sûre qu'il sera râ-vi de voir le nombre in-cro-yââble de cadeaux que vous lui avez apporté ! C'est merveilleux ! ».
Ceci ne laissa pas d'augmenter la gêne des adolescents, qui portèrent des regards orageux sur Oscar et maintinrent un silence méfiant. Les murs miroitants de la cage d'ascenseur leur renvoyaient des expressions à la fois inquiètes et curieuses. La montée s'éternisa, leur hôte bavarda. L’embarras fut si fort qu’Elsa se retrouva à pouffer légèrement et Syd se surprit à sourire. Au 47e étage, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent en douceur.
Ils pénétrèrent dans un monde étrange aux musiques épicées, aux sombres saveurs.
Des néons grésillaient en chœur avec cris assourdissants de la chanteuse.
Une nuée de corps chamarrés se déhanchaient au creux de paillettes fantomatiques.
Partout régnait une obscurité chromée.
Élin se fit aussitôt happer par le flot de la musique et des chants, par les vagues de joies qui dansaient au cœur de la fête. Elle accrocha rapidement un serveur, lui demandant une bière, dissolvant ses doutes au sujet de sa majorité avec un sourire malicieux. Syd courut après elle et lui retira la chope mousseuse avec un regard sévère, lançant une réprimande qu'elle n'entendit même pas, engloutie par la musique. Elle lui disputa la boisson, arrachant le liquide ambré de ses mains austères, fascinée par les reflets roses, violets, verts qu'il prenait au rythme des néons.
Elsa croisa ses bras, sentant les maigres membres enserrer un début de courbe, seul signe de la puberté. Oscar lui sourit et délia l’unique indice de son malaise, lui montra comment mal danser avec un sourire détendu, lui arrachant un rire cristallin. D'autres fêtards se mêlèrent à leur valse d’amateurs, gesticulant de la manière négligée que parfait l'alcool ; on leur en proposa d'ailleurs bien vite. Elsa but en rougissant et se sentit brusquement au chaud, se sentit brusquement fondre avec le reste de la salle.
Syd vint aussi lui arracher des mains, tirant Élin par un bras—elle profitait de son autre membre pour finir sa bière quand il ne la regardait pas ! De nouveau ses reproches furent absorbés par la musique. Il se fit ignorer, ses réprimandes oubliées dans la joie du groupe... Ils restèrent gais quand Syd les tira jusqu’à l'ascenseur, gais malgré le regard menaçant que leur jeta le vigil ; gais jusque dans le froid du crépuscule, leurs joues brûlantes se faisant rouges au contact de la fraîcheur nocturne.
Un vieil homme sortit d'un immeuble, son corps ancien, courbé. Il semblait aveugle, ses mains ridées et creusées s’agrippant convulsivement à une vieille canne en fer. Une Noctali malingre aux anneaux luisants le guidait, ses yeux jaunes brillant dans la nuit. Une Shiney.
Malgré leur cécité, les prunelles laiteuses de l'ancien se fixèrent sur Élin, et il l'agrippa d'une poigne étonnamment forte.
— Tiens, chuchota-t-il, entendu seul de la blonde.
Les yeux de Syd s'agrandirent légèrement. Il se tendit imperceptiblement, eut un mouvement protecteur vers son amie. Élin souriait à la Pièce Rune glacée qui avait été pressée dans sa paume, ne comprenant pas, l'esprit encore perdu au 47e étage de Volucité.
— Tu en auras besoin, chevrota l'homme. Mais pas dans son sens traditionnel...
Aucun des adolescents ne pouvait savoir combien de fois cette affirmation se vérifierait... Aucun ne sut comment leurs destins étaient déjà irrémédiablement liés à cette rune et à Unys. Le glas de leur dernière journée de liberté résonna dans la nuit, pur et mélancolique, sans qu’un seul des jeunes ne puisse en distinguer les échos.
(Oops)
Bianca avait finalement fini de résumer tout ce que les adolescents lui avaient raconté sur leurs Pokémon—elle avait compilé toutes les notes et schémas qu’ils avaient réunis et avait visionné toutes les photos et vidéos d'Oscar. Il y en avait encore peu et elles étaient curieusement mal cadrées, certaines zoomant inutilement sur les moues agacées de Syd, mais c'était mieux que rien !
Exécuter un travail qui n'était pas lié à la Team Plasma où à son passé détendait la scientifique. Elle était à présent exténuée mais sereine. Elle observa un instant le soleil tâcher de sang l'horizon miroitante de Volucité... Souriante, elle se traîna de son bureau vers la porte, sentant les courbatures provoquées par toute une journée passée assise.
Justement, pourquoi pas aller les trouver, les gamins ? Peut-être leur proposer de leur préparer un petit quelque chose, Bianca voulait se rattraper de son comportement d'hier... en criant sur Mélis elle avait dû leur faire peur... Bon, en même temps il l'avait mérité, huhu.
Et puis ça faisait du bien de se défouler de temps en temps ! Elle avait mal de jouer l'assistante sociale avec ses amis, Tcheren ou autre ! Et toc !
Quand elle ouvrit la porte de la chambre du groupe, celle où les adolescents avaient entassé nuages de couettes et coussins, Bianca la trouva vide.
Seul les rayons carmins du soleil se nichaient dans les draps.
Surprise, elle se rendit au salon. Surprise, elle se rendit à la cuisine. Surprise, elle alla même vérifier la salle-de-bain. Rien. Visiophone ? Non ! Mais alors où pouvaient-ils être ? Où se trouvaient les adolescents ? Elle serra la table en bambou de la salle à manger d'une poigne blanche quand l'idée la frappa brusquement. Mélis.
Pâle, elle se rua jusque dans la chambre où elle l'avait vu se traîner à l'aube. Jurant violemment, sifflant des insultes magnifique créatives, elle tambourina sur la porte… et tenta d'ignorer le roc inquiet qui gelait ses entrailles.
— Mélis ?
Évidemment il ronflait encore, enfoui comme une limace sous ses draps. Serrant les dents, elle tira son crâne hors des draps, l'agrippant par les cheveux. Le jeune brun marmonna quelque chose de surpris dans son sommeil, un mot qui ressemblait à « Kokignaaas », mais qui ne fit rien pour assagir l'impatience de Bianca.
La thésarde lui fila une petite claque. Puis un grande.
— Mélis !
— M'quoii... murmura-t-il, semblant toujours dormir, son état de conscience ambigu.
— Où est Élin ? lui lança-t-elle d’une voix suraiguë, lui colla une nouvelle tarte. Et Syd ? Et Elsa ? Et Oscar ?
Finalement Mélis entrouvrit un œil presque bleu, prunelle encroutée par les cristaux du sommeil, encore embrumée par rêves et coquillages. Il semblait revenir d'une mer lointaine.
— Bahh j'les ai laissé sss... zzz...
— Laissé quoi ?!
— Sssortir...
Le sang de Bianca se glaça.
— Sortir... dehors ?
— Bah où t’veux sortir s’non... siffla le jeune homme en réponse, prenant presque un air mauvais, frustré que cette personne pourtant éveillée soit si lente à comprendre. Il fit même l'erreur d'ajouter d'un air suffisant : ‘sont partis d'puis c'matin...
Toute âme esseulée errant dans l'appartement labyrinthique d'Artie eut le plaisir d'entendre un furieux « QUOI ? » résonner avec menace entre les murs.
(Dernières heures avant la fin du monde)
Évidemment ils finirent par tomber dans les égouts.
Oscar s'était pris les pieds dans une plaque ouverte, traînée au loin par des ouvrières fatiguées. Élin, qui fonçait comme un boulet pour échapper à la colère de Syd, avait buté droit dans le jeune homme, qui vacillait déjà au bord de la plaque avec désespoir. Les deux autres adolescents tournaient à peine à l'angle de la rue qu'ils s'écrasèrent contre leurs amis, et fatalement, tout ce petit monde chuta.
Et chuta.
Ils s'écrasèrent violemment dans l'eau visqueuse des égouts, d'abord Oscar, puis Élin et Syd et Elsa, chacun luttant pour émerger de la purée glaciale ! Elsa faillit s'étouffer quand elle atteint la surface tant l'air était épais et nauséabond ; elle se tira tant bien que mal jusqu'aux rebords métalliques du canal, peau de bananes, croquettes Pokémon et mouchoirs usagés s'accrochant à sa fine chevelure.
Toussant, elle s'appuya contre les murs gelés de l'égout et appela Amaryllis.
— R-r-aaah s'il-te-plaît, nettoie-nous, supplia-t-elle, grelottant, désignant aussi ses amis qui se tiraient à peine hors de la mélasse.
Sa Starter lui offrit une grimace malicieuse mais réellement dégoûtée, sa truffe frémissant avec horreur et son poil bleuté se hérissant légèrement. Elle obéit avec joie, se ramassant comme un prédateur en chasse et tendant tous ses muscles avant de cracher une immense gerbe d'eau.
— GEUUWAH ! hurla Oscar, paniqué, manquant de retomber dans la boue toxique.
Élin et Syd s'élancèrent et le rattrapèrent par les bras, tout aussi traumatisés le dresseur de Maillard. Elsa fermait les yeux, pilonnée par l'attaque glacée de sa Pokémon, sentant un nombre incalculable de déchets s'arracher à sa silhouette. Elle serra les dents, recrachant un peu d'eau pure et remerciant faiblement Amaryllis une fois le nettoyage fini.
Ils se scrutèrent lentement, comprenant peu à peu l'horreur de leur situation. Syd leva vivement le menton, plissant les yeux pour discerner la lointaine bouche d'égout qui avait amené leur perte.
— Merde ! siffla-t-il en détaillant les murs lisses des canalisations, remarquant l'absence totale d'échelles ou d'escaliers.
— On peut pas sortir, c'est ça... réalisa Élin à contretemps, d'une voix presque incrédule. On est coincés dans les égouts !
Oscar et Elsa, natifs de Volucité, échangèrent un coup d'œil résigné, chacun se confirmant silencieusement qu'ils ne connaissaient pas de moyen miracle pour s'extraire de la décharge labyrinthique. Et évitant de penser à toutes les histoires d’horreur qu’ils avaient entendu sur le dédale.
— On va devoir marcher, annonça fatalement Elsa.
Cette affirmation fut accueillie par un silence glacé.
— Hey... Hey, vous inquiétez pas... tenta faiblement Oscar. Plein de locaux se promènent dans les égouts, y a même des dresseurs et des Pokémon rares...
Ceci intéressa un peu Élin… mais ses prunelles noires se refixèrent bien vites sur ses pompes ruinées, et elle grimaça.
En plus il faisait super froid.
— C'est... cool ! ... termina pitoyablement Oscar.
N'est-ce-pas.
En réalité, la marche fut longue et misérable. Les égouts étaient si noirs que Syd dû sortir son Grotichon ; mais même alors, les ténèbres semblaient dévorer les flammes du Pokémon, léchant chaque creux de son épaisse silhouette. Les murs, les sols, étaient ruisselants d'eau nauséabonde, presque huileuse tant elle était épaisse—ils manquèrent souvent de tomber dans de nouveaux canaux tant les berges de métal étaient étroites et glissantes. Le groupe grelottait. Le voyage s'éternisait.
Un groupe de gens louches les remarquèrent à une intersection, criant « HEP les mioches ! », et les adolescents échangèrent un regard effrayé avant de fuir d'un commun accord, engloutis par les ombres. Décidemment ils avaient fort à courir aujourd'hui ! Ce que la galerie d'art leur semblait lointaine !
C'est alors qu'ils se retrouvèrent essoufflés, effrayés, acculés dans une impasse répugnante et toujours talonnés par les loubards, qu'Oscar La vit. La SORTIE.
— Vite ! haleta-t-il, désignant avec urgence un fin interstice dans le mur, par laquelle filtrait une lumière sanguine.
Leurs regards étourdis s'accrochèrent à son index tendu et ils se ruèrent simultanément vers la fente, se cognant violemment.
— Putain ! Vas-y mais passe Élin !
— Mais y a Oscar qui bloque !
— AH les mafieux arrivent !
Finalement la blonde se serra dans le trou, puis l'adolescent aux yeux verts et enfin Elsa et Syd, qui se fit presque attraper par un loubard enragé. Ils se retrouvèrent dans un canal parallèle, suintant de jus de poubelle. L'on pouvait toujours entendre les menaces des adultes (« OUAIS j'te coup'rai la queue comme à un Ramoloss p'tit con ! »).
À leur droite se trouvait une échelle qui menait à une nouvelle plaque d'égout, tout aussi ouverte que celle qui avait causé leur perte—les éboueurs avaient vraiment un problème de mémoire dans cette ville, de vrais dangers publics—. Par l'ouverture se déversait une clarté ambrée, mouchetée d'ombres dansantes. Sans réfléchir les adolescents s'élancèrent vers l'échelle et éclatèrent avec soulagement à l'air libre, refermant brusquement la plaque derrière eux.
— J'vais t'la souder tiens, grogna Syd, ordonnant à son vaillant Grotichon de faire fondre le métal comme il se devait.
Bientôt une odeur de brûlé les prit aux narines, et la plaque chauffa à blanc, ramollissant fortement sous l'effet de la chaleur. Oscar, Elsa et Élin s'étaient immobilisés, buvant le décor de leurs prunelles écarquillés, exténués.
Ils étaient dans un parc. Un parc avec de grands chênes verdoyants, de mystérieuses hautes herbes, des allées de graviers ratissés et des sentiers rebelles et ombragés. Un parc dont les arbres semblaient curieusement malingres, éclipsés par les gratte-ciels miroitants de Volucité. Une bulle de nature au cœur de la ville, une goulée désespérée d'oxygène.
L'unique parc de Volucité. Oscar et Elsa n'y avaient jamais été de leur vie, tant il était passé dans la légende.
Au bout d’une voie construite de gros galets, l'immeuble d'Artie ruisselait d'or et de sang, aveuglant sous le soleil du soir.
— Wah... soupira Élin, s'écroulant à même l'herbe, se sentant brusquement très sobre. B'jour la journée de dingue...
Syd, éreinté, rappela Grotichon et échoua sur un banc de bois composté, une merveille du recyclage moderne. Elsa le suivit avec un petit sourire, lui prenant la main, et Oscar, se détendant, s'assis aux côtés d'Élin. Un silence apaisé plana.
Puis un fou rire les prit ! Cela commença curieusement avec Syd qui, repensant aux menaces des loubards, vira du blanc au vert et laissa éclater un ricanement gêné. Oscar, l'esprit particulièrement porté sur le mot « queue », trouva en effet le souvenir très drôle. Et les filles suivirent, leur esprit filant de la galerie d'art au massage, au spécialiste des noms, aux Glaces Volute, à la fête improvisée et aux égouts...
— B'jour la ville de dingues ! rajouta Élin, pouffant.
— Hey, on est pas tous comme eux ! répliqua Oscar en désigna les souterrains d'un index. Peace, bruh !
— Mec, j'suis une fille... rétorqua la blonde d'une moue désapprobatrice.
— Ahh euuh faut que je dise quoi alors, « sistah » ?
— Si ça vous intéresse, l'immeuble d'Artie est à l'autre bout du parc... indiqua Elsa avec ironie.
Syd se leva en s'étirant, lâchant la main de la brune avec un sourire.
— D'ailleurs on devrait rentrer...
— Maiiis j'veux rester dehors...
— Pas question, tu veux rencontrer d'autres mafieux ?
— Bien sûr !
— Oui bah moi je tiens à ma—bref—
Ils s'enfoncèrent ensemble dans les bois. Le soleil brûlant dessinait des arabesques sanguines, langoureuses, sur l'écorce ancienne des arbres. Leurs racines se creusaient d'encre noire. La canopée luisait d'or. Rien ne rappelait les nuances vertes de la nature ; elles étaient éclipsées par l'heure tardive...
La paix.
Soudainement un boulet de canon percuta la face d'Oscar de plein fouet, toutes griffes enfoncées dans sa chevelure soyeuse ! L'adolescent glapit et attrapa la bête en un geste paniqué mais elle se débattit férocement, lâchant un cri furieux. Les trois autres dresseurs se figèrent, stupéfaits.
— ... un Évoli ! articula Elsa, surprise. C'est vrai qu'on en trouve dans le parc mais ils sont normalement rares...
— Syd, sors une Pokéball ! hurla quant à elle Élin, qui n'en trouvait pas dans ses poches et s'élançait déjà vers le Pokémon.
Pokémon qui parvint soudain à se libérer de l'emprise d'Oscar et se rua droit dans les bras de la blonde surprise. Elle jura et plongea ses yeux noirs dans les iris tout aussi sombres de la bête. La bête grogna, mécontente.
— Oooooooops !
Puis un brusque rayon rouge absorba le Pokémon farouche, détruisant sa matière, le réduisant à un faisceau de données, à un état immatériel facilement absorbé, rangé. La Pokéball chuta à même l'herbe, se perdit entre les brins rêches ; chaque adolescent se pencha dangereusement pour la suivre des yeux, retenant son souffle...
Et elle s'immobilisa. Syd sourit avec superbe, l'attrapa calmement et la fit rouler dans sa paume lisse.
— Cool, j'ai toujours voulu un Phyllali.
— Tu rigoles ? envoya aussitôt Élin, déçue. Un Voltali c'est beaucoup plus classe !
— Mais j'ai toujours voulu un Phyllali.
— Mais ça sert à rien, les Phyllatruc !
— Tant pis, c'est moi qui l'ai capturé.
— Sauf que tu ne l'aurais jamais capturé sans mon aide, la preuve, c'est moi qui l'ai retenu ! Dans mes propres bras !
La gamine se pointa, puis indiqua chacun de ses membres pour bien se faire comprendre, levant fièrement le menton. Syd, pas impressionné pour deux sous, arqua un sourcil élégant.
— La plus belle des évolutions est le Pyroli.
C'était Oscar qui venait de parler, des étoiles aux yeux. Il tenait deux mains devant lui en signe de prière, ignorant totalement l'exclamation scandalisée d'Élin.
— J'ai aussi aidé : j'ai retenu l'Évoli avec mes beaux cheveux soyeux et il m'a même griffé ! poursuivit plaintivement le garçon à la queue de cheval, indiquant ses profondes blessures de guerre. Ici ! et là !
— Sans moi vous ne seriez jamais sortis de votre stupeur... sourit Elsa. Je préfère Aquali.
— J'ai la Pokéball, c'est moi qui décide... grommela Syd en réponse.
— C'est une capture collective ! rétorquèrent les trois autres.
Chacun porta sur le reste du groupe un regard dangereux ; mais finalement c'est sûr Syd que convergèrent les menaces implicites. Il fit un pas en arrière, serrant fermement sa nouvelle Pokéball.
— Moi, commença fièrement Élin, je dis : Évoli choisira lui-même en quoi il évoluera. Et bim !
— Grave ! approuva Oscar. Puisqu'Évoli est à nous tous, il ne sera à personne !
— Vous voulez quoi, changer la Pokéball de ceinture tous les jours ? soufflait Syd, tentant de s'accaparer le Pokémon.
— Non, répondit Elsa vivement, concise. Mais il sera la mascotte du groupe.
De larges sourires éclatèrent sur les frimousses d'Élin et d'Oscar, accablant encore plus le pauvre Syd qui voulait une relation exclusive avec ce magnifique Évoli ! Elsa le fixa d'un regard calme, mais implacable. Il trembla, semblant se fondre encore plus aux ombres des chênes.
— Boooon... Ok...
— YAY !!
Ce cri enthousiaste, aux accents féminins et masculins mêlées, résonna avec bonheur dans le parc languissant, se répercutant longuement sur les faces miroitantes des buildings.
[...]
Élin et Syd s'élevaient lentement dans l'ascenseur en verre d'Artie, la première s'endormant presque sur les épaules du second. Évoli reposait entre leurs hanches. L'ambiance était creuse et calme...
[...]
Elsa pénétra dans l'appartement où elle avait passé son enfance à l'heure où une dernière braise se mourrait dans le ciel. Son père l'attendait, son père tête en l'air aux cheveux poivre-et-sel, aux lunettes carrées.
— Papa, souffla-t-elle. Je ne bégaie plus.
[...]
Quand Oscar rentra, il trouva leur duplex entièrement vide. Chose étrange, tous les meubles qu'il connaissait, les photos de famille, qu'il chérissait, avaient été retirées... L'appartement était vacant... Toute trace de vie avait disparue. Un bruit le surprit.
Il n'aperçut que la silhouette d'un étrange Pokémon, puis fut téléporté en un flash aveuglant.
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