Die Sechs Dämonen de Styxi

[Boyce Avenue - Rolling In The Deep (Adele)] > lien YouTube pour écouter la chanson.


Le temps pluvieux ne l'aidait absolument pas à rester serein. Ses cheveux grisonnants étaient déjà trempés et des gouttes ruisselaient des mèches. Il aurait dû se douter qu'il ferait un temps de chien, après avoir consulté la rubrique météo de La Gazette de Mérouville... Pourtant, une part de lui espérait que pour un événement déjà suffisamment atroce, le ciel aurait pu se montrer clément. Mais non. Le seul avantage qu'il trouvait à ces trombes d'eau incessantes était le fait que ses larmes passeraient inaperçues.

Les morts ne sont pas morts, les morts vivent encore
Leurs tombes sont vides, n'enfermant que des corps
Certains ont choisi l'ombre, ils errent et ils souffrent
Attendant un appel pour sortir de leurs gouffres.
Il était le Maître, après tout. Il ne faudrait pas que quiconque le voie pleurer, il passerait alors pour un faible et plus personne ne lui accorderait de crédit. Ce qui serait bien dommage au vu de l'idée qui, depuis quelques jours, ne faisait qu'assaillir son cerveau : la vengeance.

Les autres que l'amour a libérés d'eux-mêmes
Je les sais près de nous et je sais qu'ils nous aiment.
Ne vous lamentez pas, ne pleurez pas sur eux
Dans la lumière du cosmos ils sont heureux.
Pierre regardait, l'œil torve, les gens se rassembler dans le cimetière, un par un, ou bien par groupes. Toutes ces silhouettes vêtues de noir regardaient le sol, un air triste et navré peint sur le visage, sans manquer d'offrir leurs condoléances au jeune homme dévasté. Foutaises que cela. Ils étaient tristes ? Balivernes. Qui, parmi ce bon millier de Mérouvilliens, connaissait personnellement, de près ou de loin, le défunt ? Pas grand monde, assurément.

Les morts ne sont pas morts, ils sont nés à nouveau
Ils sont dans un jardin et non dans un tombeau
Dans cet ailleurs si proche, ils nous voient, nous entendent
Ils ne nous oublient pas, je sais qu'ils nous attendent
Mais bon. Il s'y attendait. L'hypocrisie était monnaie courante dans la métropole, aussi avait-il l'habitude de voir ce genre de comportement assez souvent lors d'enterrements ou de mariages. La cérémonie allait débuter. Il était temps. Cela ne faisait qu'ajouter un peu plus de peine à son cœur déjà meurtri par la perte de son plus proche parent, qui n'avait rendu l'âme que douze ans après sa mère.

L'ami attend l'ami, l'amante attend l'amant
Et le fils sa mère, et la mère ses enfants
Ne vous lamentez pas, près du fleuve de vie
Ils oublient l'errance des âmes asservies.
Et là, c'est comme si une vague déferlante s'était abattue sur lui. Un flot de souvenirs remontait à la surface de son esprit, déjà embrumé par les vagues douleurs du désespoir. Il se rappelait sa mère, Helen Rochard, née Ashworth, toujours souriante, le regard empli d'une tendresse qui n'était réservée à personne. Elle se comportait chaque fois de la même façon, peu importe qui était son interlocuteur. Souriante, serviable, débordante d'énergie et de joie de vivre. Fidèle à elle-même. Ses cheveux... il peinait à s'en souvenir. Si, ça y est. Ils étaient d'un blond clair, très clair, qui par temps ensoleillé semblait blanc... et les souvenirs continuaient d'affluer, rapidement, sûrement, s'insinuant dans les recoins les plus tortueux de son esprit torturé.

Les morts ne sont pas morts, ils sont près de vous
Je sais des soirs troublants où ils viennent vers nous
Leur vie est un firmament ruisselant d'étoiles
Chaque étoile est une âme évadée de sa toile
Puis il se rappela son père, alors qu'il était enfant. Un parent attentionné, ne vivant que pour sa famille. Un jour il eut une idée révolutionnaire, et fonda une société. Devon, qu'elle s'appelait. Au début, personne n'y prêtait attention, ce n'était qu'un local parmi tant d'autre situé au croisement des rues Red et Cresselia, en plein dans le quartier d'affaires de Mérouville. Les gens n'avaient pas le temps de s'en occuper, trop pris par le travail, la vie de famille, la fatigue... Mais la patience à toute épreuve de Robert Rochard avait fini par porter ses fruits. Des postulants se bousculaient au portillon, par Arceus sait quel miracle, pour obtenir un emploi chez Devon. Ce nom était sur toutes les lèvres de la ville, puis bientôt de la région Hoenn. Pour devenir finalement une société internationalement connue. Tout ça en une vingtaine d'années. C'était bien peu, pour un tel succès. Et cela a marqué le renouveau de l'industrie à Hoenn, région réputée pour sa nature luxuriante et très portée sur l'écologie.

Ils ont si soif encore d'un amour infini
Pensez à eux car la vraie tombe c'est l'oubli
Le curé récitait son laïus. Pierre avait insisté pour faire venir un catholique, son père étant porté vers les croyances extérieures au territoire dans lequel il vivait. Arceus n'était, selon lui, un Pokémon, rien de plus. Et puis il fallait dire que Robert Rochard accordait une place particulière pour la culture européenne, qui le fascinait. Les voyages d'affaires dans lesquels il se lançait, accompagné par sa famille, le ravissaient. Le jeune Maître avait eu l'occasion de voir du pays, maintes et maintes fois. Mais jamais il n'y eut un endroit qu'il aimait plus que Hoenn. Bien qu'il partageait les croyances de son père, Hoenn était sa maison.

Ne vous lamentez pas, les pleurs sont des prières
Mais vos douleurs en font des âmes prisonnières.
Il ne pensait plus qu'à ses souvenirs, certains mettant du temps à ressurgir. La cérémonie, le curé, les autres personnes, tout ça ne lui importait plus désormais. Il n'y avait plus que son père et lui, seuls dans un flot de mémoires, loin du temps et de l'espace.

Les morts ne sont pas morts, un soir ils me l'ont dit.

Jean-Paul Sermonte.