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Echos Infinis de Icej



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Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 31/08/2015 à 12:13
» Dernière mise à jour le 09/12/2017 à 10:05

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 19 : En suspens
Voilà le dernier chapitre avant la rentrée. Le précédent épisode n'a pas obtenu beaucoup de réactions, mais je suis curieuse de savoir ce que vous en avez pensé, ainsi que votre avis sur le plus récent épisode !
En tout cas je tenais à vous signaler que :

1) Avec la rentrée, le rythme de parution des épisodes passera à un par mois, minimum. Si je fais plus, tant mieux, en tout cas j'essaierai de ne pas faire moins. Il y en aura un en plus toutes les vacances scolaires, ce qui fait que deux chapitres seront publiés en octobre, en décembre, en février, et en avril normalement.

2) J'ai prévu toute la découpe de l'arc 2, scène par scène, et je devrais terminer l'arc en juillet prochain en suivant le rythme précédemment édicté. Toutes les questions concernant Rixi, San, les MystèreBall, ainsi que White seront résolues dans l'arc 2.

3) J'ai rajouté les origines de certains noms de famille dans l'article de blog : Tout sur Échos Infinis - waouw ! -.

Voici le premier chapitre de l'arc II, l'épisode 19 : En suspens. Enjoy :)

(Edit du 24/06/2017 : MOuahaha qu'est-ce que j'étais naïve de croire que les updates allaient être régulières.)


ÉPISODE 19 – EN SUSPENS


(Anything you do... I'll do better than you!)
Elle sursauta. Ses muscles éreintés, raides, protestèrent violemment quand elle se redressa. Assise. Une sueur dégoûtante ruissela lentement entre ses seins naissants, ses omoplates, mais elle frissonna comme si on l'avait plongée dans de l'eau gelée. Ses prunelles ne distinguaient rien, pas même ses poings crispés, ses pensées étaient emmêlées par le peur que chaque ombre floue de la chambre ravivait cruellement—

Elle se retourna. Ok—ok, ses Pokéball reposaient toujours dans la taie de son oreiller. Mais elles n'étaient que d'inertes boules de métal, elles ne pouvaient pas la rassurer comme elle en avait besoin... elle voulait... elle voulait son papa, qui l'avait toujours enlacée muettement, un soutien indéfectible... Aux côtés d'Élin dormait paisiblement une masse chaude, lovée en boule, dans un creux de leur pile de couettes. Elle la secoua faiblement, ses yeux enfiévrés perçant l'obscurité avec désespoir pour distinguer les traits rassurants de son visage.

— S-Syd ! chuchota-t-elle d'une voix rauque. Syd, j'ai fait un cauchemar...

Elle ne se souvenait plus de ce dont elle avait rêvé, exactement. Elle ne s'en souvenait jamais. Pourtant elle collectionnait les histoires de ses songes colorés avec avidité, elle adorait les raconter à son père, elle en avait même décrit un à Oscar et il avait été captivé. Les étranges, les drôles, les attendrissants, les mystérieux.
Mais pas les cauchemars. Ils ne la laissaient que tremblante, saisie d'une solitude immense. De la peur de l'abandon.

— Syd... réessaya-t-elle, vulnérable, toujours étouffée par le songe effrayant.

Le visage du garçon se ferma, ses muscles se tendirent d'un seul coup sous les doigts incertains d'Élin, et il se retourna brusquement. Lui tournant le dos. La blonde ramena sa main à ses côtés, refroidie. Son cœur ralentit jusqu'à la bercer d'un tempo calme, ne serait-ce qu'un peu vexé.

Abruptement elle se leva. Ses yeux noirs cherchèrent les figures de ses amis, tous endormis sur l’énorme tas de coussins et de couettes qu'ils avaient construits à la va-vite avec l'aide d'Artie. Le Champion avait accueilli toute la troupe dans son immense appartement car les logements des autres secouristes étaient envahis par des reporters. Que de journalistes qu'Élin connaissait pas leurs ptits noms, à force de se faire harceler...

La gamine frissonna.

Elle ne pouvait pas rester dans cette chambre noire et étouffante. Elle avait besoin de partir, de... C'était comme si sa peur la collait, ruisselait dans chaque pli de sa peau en même temps que la sueur—
Vivement elle attrapa son oreiller et ouvrit la porte, la claquant un peu trop fort en pénétrant dans le couloir, paniquée. Les Pokéball de la taie se heurtèrent en un tintamarre métallique, brisant froidement le silence du passage.

Le corridor était, comme le reste de l'appartement, peint en tons clairs et habillé de meubles ultra-design alliant bois et métal. Une faible lueur se faufilait parmi les aspérités des murs, venant de l'étage inférieur du duplex. Élin s'en approcha à pas légers, comme hypnotisée, fixant d'un regard hébété le salon cathédral aux larges canapés, entièrement silencieux.

Elle hésita au bord de la première marche. Puis elle se laissa doucement glisser le long de la rampe, chevauchant son oreiller, se sentant épuisée et vide. Seuls les néons des gratte-ciels éclairaient l'immense pièce, ne parvenant à atteindre les niches et les coins de leurs rayons bleutés. Les angles de la pièce restaient inondés de ténèbres. Des éclats de voix lui parvenaient du bureau, Bianca, Artie, des voix étouffées par le bois.

— ... perdu la mémoire...
— ... poursuivre... voyage...

Que des prises de têtes typiquement adultes.

Élin s'installa sur un pouf multicolore aux motifs anciens, venant probablement du Désert Délassant, se roulant en boule. Seules ses prunelles noires trahissaient une conscience éveillée. Les pupilles dilatées se traînèrent doucement vers les immenses baies vitrées qui formaient tout un mur du salon, à travers les ondes de l'obscurité, les formes vagues des meubles. De l'autre côté, Volucité.

Volucité obscure.
Volucité illuminée.

D'immenses gratte-ciels aux puissants éclairages colorés s'élevaient vers le ciel, nuages de clarté dans l'encre perfide de la nuit. Certains immeubles étaient recouverts de publicités animées, de pétales de roses, de Superpotions. D'autres se paraient de coiffes d'or et d'argent comme des pyramides de métal ou des piscines suspendues à quatre-vingt-douze étages. Élin ne reconnaissait aucun immeuble, car avant son voyage, elle n'était jamais de sa vie sortie de la Ville Noire.

Mais bien qu'elle soit habituée aux cités nocturnes, l'enfant observait, sentait une différence dans l'architecture des immeubles et l'agencement des lumières, les formes et couleurs de la ville. La mégalopole où elle avait grandi était bien plus artificielle, organisée, les immeubles d'un quartier construits de la même manière et avec les mêmes couleurs, le plus souvent bleu et noir. Ici... Volucité était bien plus complexe, variée, anarchique. Tellement plus originale que la Ville Noire.

Élin se sentit soudainement émue, le cœur gros. Son Voyage... son Voyage lui faisait voir tellement de choses, découvrir tant de nouvelles personnes...

Je veux tout voir, tout toucher et tout sentir ! pensa-t-elle farouchement. Malgré le danger. Malgré la Team Plasma. L'organisation, elle voulait l'oublier, l'ignorer, elle refusait de s'arrêter à cause de ce risque supplémentaire, car si l'on cédait à chacune de ses peurs comment vivrait-on ?

Et si l'on vivait perclus de regrets comment vivrait-on ? Porté par ses échecs, l'amertume des espoirs reniés. Voilà ce qu'elle jeta à son cauchemar, à sa fièvre, à son cœur gros. La gamine se redressa, se sentant soudain légère, brûlante d'envie de marcher encore et encore.

Élin avait été nulle sur le Ferry, soit, elle le savait. Elle avait paniqué, la seule chose qu'elle avait accompli c'est trouver Capitaine et Syd sur un rafiot mais sans pouvoir les aider une fois cela fait... elle n'avait eu aucune chance d'exercer ses talents de dresseuse, elle s'était retrouvée complètement prise au dépourvu. Alors même que son père avait affronté la Team Plasma au même âge.

Tandis que Syd n'avait jamais paniqué, avait accompli sa mission sans broncher. Son rival.

Alors... C'était décidé. La prochaine fois, elle serait préparée, se jura-t-elle naïvement. Maintenant qu'elle connaissait réellement l'urgence, la peur, elle n'allait plus y céder... elle entraînerait ses Pokémon sans faillir, elle courrait, libre. Fièrement, Élin se jeta sur sa taie d'oreiller, y trouvant ses Pokéball lisses et chaudes. Comme si ses compagnons savaient déjà qu'elle allait les appeler.

Souriante, bloquant les voix houleuses qui lui parvenaient du bureau, Élin sortit Baggy, Lucky et Hope, et leur chuchota sa nouvelle résolution.

(Il existe beaucoup de mystères dans le monde, de contrées oubliées et de légendes enfouies sous les poussières de l'âge. Mais la plus grande aventure qu’on puisse entamer, le plus profond mystère qui demeure à percer, c'est le conte féérique des Pokémon !)


(What's the story? Morning Gory)
La porte claqua. Elsa ouvrit brutalement les yeux, arrachée à ses rêves trop vifs, fouillant l'obscurité comme si elle était aveugle. Hagarde, ravalant de la bile acide. Assise, elle se retrouva assaillie par une nausée virulente et—le vertige—la dresseuse sentait Oscar contre le bas de son dos, ronflant allégrement, sa masse chaude la collant de trop prêt—

Elsa se rua vers la salle-de-bain et en un seul battement de cœur referma la porte, referma le verrou, s'écroulant tel un pantin désarticulé sur le carrelage froid. La pièce était belle. Chaque mur était entièrement recouvert de pâles mosaïques bleutées, qui reflétaient doucement le fantôme de la lune et les danses des néons. Du verre et du métal se joignaient en une douche et un lavabo modernes. Un tapis tressé s'étendait vers l'unique fenêtre. Mais la brune ne remarqua aucun de ces détails.

« Les bègues ne chantent pas. »

Devant ses yeux tombait un Sbire, son corps s'étalant sur le sol brûlant et disparaissant à moitié dans la vapeur étouffante mais elle savait qu'il était là—sa nuque son dos ses seins s’étaient barbouillés d'une sueur bouillonnante et elle le frappait de son tuyau de fer ! Une fois sur les reins en espérant que son organe éclate de l'intérieur. Une fois sur la chair de son mollet pour sectionner, sectionner ses artères—

Une fois sur le genou ou sur les côtes—pour pilonner l'os—

ENCORE SUR LES CÔTES—

Une fois sur l'intérieur du coude pour trancher le membre—
Une fois sur la gorge pour faire de la bouillie faire de la bouillie !

Et oh... une autre Sbire... et un sourire macabre sur les lèvres rouges d'Elsa...

Elle se sentait écorchée, brûlée de l'intérieur par une violence incroyablement puissante, dans laquelle elle s'oubliait totalement. Avec délice et rancune. Elle sentait encore la grimace tordre chaque muscle de son visage et de sa gorge et se voyait encore masser les nerfs déformés de ses doigts pour leur faire reprendre une position normale, se sentant toujours disjonctée et sauvage. Sauvage, consumée par l'envie de griffer et d'écraser les corps des Sbires.

Toute la nuit, elle avait été torturée par ces rêves, inondant les couettes mal étendues de sueur et de pleurs. Les sécrétions de son corps lui collaient à présent à la peau, chaque repli de chair encore humide, des cristaux jaunâtres s'accrochant aux coins de ses yeux. Mais si chaque songe était illustré de couleurs vives, si chaque envie était ressentie aussi intensément que ce jour-là, au cœur de ses rêves il n'y avait jamais de son. Jamais elle n'entendait le bruit mat du tuyau contre la chair. Ni le craquement follement désiré d'un os, d'un genou ou d'une clavicule sous le métal...

Peut-être le silence était son salut, peut-être était-ce l'unique manière de déceler si ces rêves étaient réellement artificiels, s’ils n'étaient pas des souvenirs, si elle n'avait réellement pas battu des Sbires à mort... ? Désir et souvenirs se confondaient, tout se brouillait dans son esprit aussi sale et fatigué que son corps courbaturé. Aussi faible.

Finalement, la seule chose qui lui restait, propre et étincelante, s'enfonçant dans son diaphragme comme pour lui couper le souffle, c'était la peur.
La peur de ses envies.
La peur de sa grimace sauvage.
La peur de la colère et de la rancune qu'elle avait soudainement relâché avec un plaisir sadique.

Mais face à cette onde glacée, il n'y avait que le silence.

« Les bègues ne chantent pas. »

Et dans le silence ses pensées s'enflammaient. Toute cette colère devait venir de son enfance, toute cettee colère devait venir de la mort de sa mère, toute cette colère devait venir de sa solitude, du fait qu'on oublie si facilement son nom—oui, ce ressentiment devait bien venir de quelque part, mais d'où ? D'où ! Quand l'avait-on blessée au point qu'elle développe des envies, des fantasmes de violence et de meurtre ? Était-elle anormale, c'était donc ça ?

Elsa se sentait comme un monstre. Elle avait l'impression d'être devenue un monstre.
Elle était un monstre !

Voilà, c'était cela l'affreuse vérité ! Voilà pourquoi les autres enfants la détestaient et l'ignoraient, ses pairs avaient dû inconsciemment deviner, quelque part, que tant de malheur allait engendrer un monstre ! Tant de malheur ? Mais pfft quelle excuse ! Une enfance normale, même un peu solitaire, n'engendrait pas tant de violence, Elsa avait été élevée par un père aimant et dans un cadre tout à fait normal ! Elle n’avait aucune excuse !

C'était le Voyage Initiatique qui avait tout bousculé, qui avait renversé cette lourde pierre qui avait dû, quelque part, endiguer la brutalité durant son enfance. À la première occasion, cette barbarie avait éclaté au grand jour et avait pris le dessus. Dire que durant l'attaque, Elsa n'avait jamais ressenti de peur, seulement un amusement et un émerveillement tenace… C'était cela, l'inconscience commune aux psychopathes.

Et ressentait-elle le moindre remord d'avoir frappé ces Sbires, était-elle seulement capable de se rappeler ce qu'elle leur avait fait ? Non ! NON ! Voilà qui était la preuve de son empathie atrophiée !
Mais c'était la faute du Voyage non, Elsa elle était normale, elle était gentille, c'était comme une maladie cette affaire, ce n'était pas là depuis sa naissance !
Elle n'était pas sortie du ventre de sa mère l'esprit déjà déformé, monstrueux, non ? Non ?!

Tragiquement, la seule réponse qu'elle possédait à cette question cruciale, c'était le silence.
Transpercée de part en part par cette peur brûlante, Elsa marmonna fiévreusement : « Je ne veux plus être dresseuse... »

Puis elle cria.


(Recroqueville)
C'est le hurlement étouffé qui le résigna finalement à se lever. Il avait sciemment résisté aux supplications d'Élin, malgré le sommeil qui berçait encore son esprit. Il avait résolu de lui tourner le dos à travers les brumes de ses songes, et avant tenter de se rendormir, oubliant cette honte qui l'avait pourchassé jusque dans ses rêves. Cette honte qu'il avait compressée, rangée dans un coin de son cerveau sur le Ferry, mais qui éclatait maintenant dans chacune de ses synapses. Cependant il n'avait pas pu s'absoudre, car le ton vulnérable de son amie l'écorchait et la culpabilité de ne pas l'aider, de ne pas la rassurer, se rajoutait à l'infamie d'avoir trahi...

Syd travaillait pour les Plasma.

Et le murmure doux et gelé qui avait infiltré chacun de ses rêves, suintant, suppurant par toutes les niches de son inconscient, lui revint, le fouetta en même temps que ce hurlement étouffé.

« Bienvenue à la Team Plasma. »

Il se redressa d'un bond. Il abandonna toute idée de sommeil. Oscar ronflait toujours allégrement à ses côtés—il ne distinguait pas Elsa dans les ténèbres mais supposait qu'elle devait se cacher sous une pile d'oreillers... effrayée. Lui se sentait collant, de sueur, de honte.

Il n'était pas de la Team Plasma. NON.
Syd n'était pas un Sbire.

Ce n'était pas possible. Il était... Il était quelqu'un de bien. Pas un Plasma. Les deux idées, les concepts de sa personne et d'un criminel de l'organisation, étaient si diamétralement opposées dans son esprit, jaunes et violettes, noires et blanches, qu'elles ne pouvaient se mêler, se rejetaient comme huile et vinaigre.
Ces ingrédients ne se mélangeaient pas. Il était noir, il était le bien, le devoir et la famille, et l'organisation était blanche, le froid glacial, le meurtre ; elle représentait le mal. Et pourtant... et pourtant...

Il se raidit en un battement de cœur, et s'élança vers le couloir, tentant en un geste désespéré de s'arracher à ces pensées effrayantes, de les abandonner aux ténèbres. Mais une fois dans la pénombre du corridor, sa silhouette esquissée de filigranes d'or... Il se rendit compte que c'était impossible.

Syd allait devoir vivre avec cette culpabilité aussi longtemps que durerait sa mission.
Et cette honte était de son propre fait.

Serrant les dents, le dresseur se dirigea vers les escaliers. Il fallait penser à autre chose. Puisque le passé était douloureux, il devait se concentrer sur l'avenir, ignorer ses accents mornes pour ne voir qu'Otis, la guérison d'Otis. C'était la seule manière de rester normal et humain—il refusait le qualificatif de Sbire car il n'en était pas un, il collaborait malgré lui.

Car il avait besoin de Nikolaï. Voilà.
Voilà.

Soupirant, se détendant d'un seul coup, comme un ballon brûlant qu'on aurait percé de la plus minuscule aiguille, Syd dévala les marches. Son dilemme n'arrêtait malheureusement pas le cours du temps, alors il fallait qu'il soit opérationnel pour la vie de tous les jours, il fallait que l'adolescent réduise, oublie son anxiété... Fatigué, Syd jeta un vague coup d'œil au salon cathédrale, à la vue infinie qu'il donnait de Volucité—tiens, une publicité avec le visage d'Artie… comment ce devait être de voir son visage tous les jours aux côtés d'un parfum « Râle Mâle » ?

Puis il remarqua Élin et la culpabilité revint. Elle était roulée en boule sur un pouf coloré, entourée de ses trois Pokémon. Il supposait que ce n'était qu'ainsi qu'elle avait pu trouver la paix... d'ailleurs, elle arborait l'expression déterminée et malicieuse qu'il avait appris à craindre autant qu'à apprécier. Cela lui arracha un petit sourire, réticent. Élin était son amie... cette pensée étrangère s'imprima en lui comme une douloureuse réalité. Il respectait la gamine puérile, bornée. Malgré tous ses défauts, il l'estimait.

Brusquement Baggy ouvrit un œil d'iguane. Il ne bougea pas mais le fixa avec méfiance. Syd sursauta. C'était comme si le starter perspicace devinait que le compagnon de sa dresseuse était devenu un danger pour elle... mais il n'était pas un danger, il n'était pas un Sbire !

— Tu te trompes... maugréa Syd à l'adresse du Pokémon, tentant de paraître intimidant. Rendors-toi.

Mais Baggy ne fit qu'ouvrir son deuxième œil jaunâtre, lui offrant cette fois une expression cynique. Affirmant son indépendance revêche. Rah, toujours à faire le contraire de ce qu'on leur demandait, Élin et Baggy incarnaient littéralement l'esprit de contradiction ! Agacé, Syd tourna le dos au groupe, et s'avança vers l'unique porte fermée de la pièce, encadrements illuminés par une faible lumière.

Sans réfléchir, sans entendre les voix étouffées par la cloison, il l'ouvrit grand.

Et se retrouva face à Zhu, Matis, Écho, Artie et Bianca, de toute évidence épuisés, n'ayant probablement par dormi de la nuit. Les trois premiers regardaient la télévision, qui avait été branchée sur une chaîne d'infos continues, affalés apathiquement sur le canapé. Les deux derniers débattaient férocement autour d'une table de métal, sourcils froncés et regards orageux, le Champion tirant brutalement sur ses boucles brunes pour se réveiller.

Ils le regardèrent, il les regarda. Ils le regardèrent. Il les regarda.

« Prise d'otages du Ferry entre Ondes-sur-mer et Volucité : c'était l'enfer, un cauchemar. Certaines victimes prises en otage par la Team Plasma ont accepté de nous raconter le déroulement de l'attaque. De la stupeur des débuts de l'ouragan au soulagement de leur libération, leurs récits décrit des scènes d'angoisse qui les marqueront à vie. »

Sur un ordinateur dernier cri s'affichait en majuscules :

« Plus de deux-cents Pokémon « libérés » : la Team Plasma revendique l'assaut du Ferry dans une vidéo déjà diffusée sur les réseaux sociaux. »

Et sur un autre ordinateur, et sur un autre...

« QUATRE ADOLESCENTS AIDENT ZHU À SAUVER LES PASSAGERS DU FERRY ! »

— S-Syd, balbutia soudainement Bianca, perçant le mur de la surprise.

La scientifique se dressa et fit un pas vers l’adolescent, confuse. Elle jeta un coup d'œil dépassé vers une baie vitrée, constatant que le jour n'était pas encore levé, que Volucité scintillait toujours dans la nuit. Comment se faisait-il que les enfants se lèvent si tôt ? Des cauchemars ?

Syd ne comprit pas l'attitude interdite de l'adulte. Il se figea, immédiatement et prit douloureusement conscience de son nouveau statut—travaillant pour les Plasma, il devenait ennemis des autorités, de Bianca, d'Artie, de... de sa tante Aloé. Effrayé, il se dit—et si je suis suspect, et s'ils devinent, et s'ils devinent ?
Artie, assis à table, jeta un coup d'œil à sa montre phosphorescente, arquant un sourcil incrédule.

— Je constate que vous êtes toujours abonnés aux réveils brutaux... commenta-t-il avec un amusement sec, renvoyant brutalement Syd à ses souvenirs du Pokéwood, à leur arrivée si mouvementée.
— Je veux parler à ma famille... souffla l'adolescent, las.
— On les a prévenus que tu étais en sécurité hier soir, tu sais... lui expliqua gentiment Bianca.

Syd écarquilla les yeux et une vague de soulagement le piqua comme une lame de fond. Ils ne devinaient pas. Ils ne devenaient pas. Les adultes pensaient juste qu’il était un gamin inoffensif qui avait fait des cauchemars et qu’il était venu chercher du réconfort auprès des autorités compétentes—i-ils n’avaient aucune idée de…

Et... sa famille... les parents étaient prévenus... Eh bien il supposait que c'était une bonne chose de faite... Mais—allez, il fallait qu'il se concentre—mais, cela n'empêchait que ses parents et ses cousins et ses oncles et ses tantes voudraient entendre qu'il allait bien de sa propre bouche. Cela n'empêchait que sa mère et son père voudrait le voir. Et puis, Otis. Et puis Syd avait besoin de voir Otis.

— Je vais quand même les appeler, décida-t-il fermement, tenant à paraître normal. De toute façon, je suis sûr qu'ils sont réveillés.

La réponse résonna dans un silence tendu. Artie haussa les épaules. Un soupir parcourut les trois sur le canapé, qui se désintéressèrent totalement de la conversation. Bianca cependant, arborait une mine soucieuse... le cœur de Syd battit férocement, apeuré...

— Mais Capitaine occupe déjà la place, il parle à Strykna...

… Ah. Ce n'était que ça !
Juste ça !
Il fallait qu'il se calme !

— J'ai un deuxième visiophone, intervint Artie. Laisse-le l'utiliser.
— Je n'ai jamais été contre qu'il appelle sa famille si c'est possible, rétorqua Bianca avec agacement.
— Très bien, super ! souffla le Champion. Petit, prends la porte à gauche au fond du couloir.

Syd eut grand peine à retenir un soupir de soulagement, ruisselant plus que jamais de transpiration. Il s'efforça de ne pas se précipiter vers la sortie, lança d'abord un dernier coup d'œil aux figures raides des adultes. Puis s'avança vers le couloir sombre, dépassant la table, la télé, le mot « Plasma ». Il se sentait prêt à éclater de panique et de tension mais heureusement l’expérience était finie et—Bianca le rappela, méfiante.

Il se figea, halluciné, sentant presque une crise cardiaque l'assaillir.

Si, en cet instant, Bianca avait posé la bonne question, avait énoncé un commentaire suffisamment ambigu... Syd aurait craqué. Il n'avait pas eu le temps de reconstruire les murs autour de son cœur, de tresser de nouveaux barbelés—le lendemain de l'attaque, alors que la montre d'Artie n'affichait que 5:00, Syd était vulnérable. Qui sait, Bianca aurait peut-être pu empêcher le terrible destin qui les attendait ? Mais comment deviner qu'un adolescent effrayé, si frêle et ignorant en cette aube vacillante, avait passé un pacte avec les Plasma ?

— Syd, je vais devoir vous parler, énonça simplement Bianca, lasse. À vous quatre.

Et Syd de se détendre, de marmonner un « oui madame », et de s'éclipser sous l'œil vigilant et intrigué d'Artie. Lui non plus, malgré toute sa sagacité, malgré l'étrange comportement de l'adolescent, ne pouvait soupçonner une trahison de cette ampleur. C'était tout bonnement impensable.

Le neveu d'Aloé.

[...]

Syd fit coulisser une élégante porte de métal et se retrouva... dans la Chambre à coucher d'Artie. Il rougit violemment, se rappelant que selon les tabloïds comme Le Soleil—c'était sa mère et son frère qui les adoraient hein, lui ne les avait jamais lus de son plein grès, il le jurait !—bref que selon Le Soleil, toutes les plus belles femmes d'Unys étaient passées dans ce lit. Inezia, Carolina, White... Sans parler des hommes, car on suspectait qu'Artie avait des tendances gays ! Amana ! Yaoi ! Qui font COUIC COUIC.

Enfin BREF.

Syd tenta au mieux d'ignorer le lit trompeusement simple et étroit qui avait été repoussé dans un coin de la pièce. Il s'assit au bureau privé du Champion, dans la chaise moelleuse, et tenta un instant de s'imaginer ce que c'était d'être si célèbre... Puis frissonna. Cela devait être effrayant, quand même. Le jeune dresseur espérait qu'on ne révèle pas leurs prénoms à la presse, que la seule chose qui filtre soit « quatre adolescents »... Sinon ils seraient pourchassés.

Là, Syd trembla carrément.

Mais plutôt que de céder à la peur, à la panique, il s'arma d'une chrysalide de métal et alluma le visiophone. Tapa le numéro de ses parents. Attendit patiemment. Une sonnerie. Deux sonneries.

— J'écoute ! lança une voix craquelant de fatigue, de nervosité.

Sa mère apparut à l'écran, ses cheveux non lissés et son visage non maquillé, entourée de son frère, son père, sa tante. Ils poussèrent un soupir de soulagement en le voyant, leurs figures éreintées s'illuminant de sourires tendres, éclatants. Syd inhala profondément, son cœur gros se compressant à la vue de sa famille, retenant des larmes.

— C-C'est moi, annonça-t-il, quelque peu inutilement.
— On en était pas tout à fait sûrs, blagua faiblement sa mère, passant une main sur ses prunelles humides.
— Syd, Otis veut savoir si tu vas bien, intervint son père avec un fin sourire. On veut tous savoir si tu vas bien, à vrai dire.
— Je n'ai aucune blessure, soupira le dresseur en réponse, soulagé. Côté mental, je tiens le coup, en fait je suis plus inquiet pour mes amis...
— Pense à toi-même un peu, le prévint Aloé, tranchante.
— Raconte-nous tout ! demanda ensuite sa mère, secouant la tête avec incrédulité.

Dire que son fils de treize ans s'était retrouvé en danger de mort...

— E-Eh bien, les quatre adolescents qui ont assisté Zhu... débuta maladroitement Syd, détournant son regard.
— Non... souffla Aloé, éberluée.
— C'était nous, termina Syd, confirmant les soupçons de sa famille, ravivant une incrédulité mêlée d'effroi et de fierté.

Il leur raconta tout. Les débuts de l'ouragan, les vagues qui fouettaient même les ponts supérieurs du Ferry. La Sbire qui les avait dirigés jusqu'à leur chambre, menaçant d'étrangler Oscar et Elsa, l'arrivée de Zhu. Ensuite, leurs missions respectives, les combats, le danger... Mais il omit d'expliquer qu'il avait menacé des Sbires avec ses Pokémon, qu'il avait assommé des Sbires, qu'il avait étranglé des Sbires. Il omit de parler de son pacte avec le chef, ne lançant qu'un coup d'œil empreint de culpabilité et d'adoration à Otis, poursuivant son récit comme si de rien n'était.
Un silence abasourdi plana longtemps avec la douce extinction de sa voix.

Puis le timbre de sa tante résonna, si clair, tranchant. Les accents riches et humbles de Syd venaient de son père, et non pas des deux aînées de sa famille, aux voix si fortes et claires et lumineuses.

— C'est à tes parents de décider si tu peux continuer ce voyage ou non. Mais je souhaite les prévenir, et te prévenir également, qu'en tant que mon neveu tu seras une cible prioritaire pour les Plasma. D'autant plus que tu as déjà été mêlé à deux de leurs attaques.

Ses yeux électriques se posèrent un instant sur chaque membre de la famille, sérieux, intransigeants. Ils hochèrent tous la tête avec respect, reconnaissant la carrière extraordinaire de leur parente, entre archéologie et Championnat d'Arène. Ils savaient qu'elle ne parlait pas légèrement, que ses mots exprimaient une réelle crainte.

Cependant Syd n'était pas prêt d'abandonner son Voyage. Il refusait de rentrer chez lui alors que pour la première fois, il avait une chance de sauver Otis ! De réussir là où sa famille avait toujours échoué, se bornant à discuter et discuter encore avec des médecins impuissants ! Il... et puis il avait pris le goût de l'indépendance, de la vie sur les routes, cela faisait plusieurs semaines qu'il n'était plus un poids pour personne et accomplissait son devoir... Il avait des amis !

— Je ne cherche pas à devenir un héros, ni à me sacrifier, mentit-il gravement. Je me protège et je fais toujours attention sur les routes. En plus, les deux fois où nous nous sommes faits attaquer, j'ai su me défendre efficacement, sans prendre de risques inutiles !
— Syd... intervint son père, prudent.
— Je ne veux pas arrêter ce Voyage, continua Syd sans l'entendre, ses mains se resserrant en poing déterminés, ses sourcils se fronçant résolument.
— Attends...

Il serra brusquement ses dents, se taisant. Rebelle mais silencieux, révolté mais stratégique. Et sa mère put parler, jaugeant le fils qu'elle n'avait jamais réellement su comprendre, tentant, avec son regard clair, de dépasser le visage dur et impassible de sa progéniture. Comme un fossé peut séparer une famille, comme la douleur peut creuser des tombes.
L'incertitude l'assommait, leur filait des maux de crânes terribles... mais elle décida, de laisser une chance, une chance pure et belle à son fils.

— Qu'en dit Madame Lenoir ?
— Elle veut nous en parler quand les autres seront réveillés.

Un silence embêté plana tandis que Syd serrait les dents, mesurait ce qu'il devait dire, incertain. Les adultes échangeaient des regards inquiets. Lâcher leur fils de treize ans sur les Routes alors que la Team Plasma se reformait ? Certes, il n'était pas le seul en Voyage Initiatique, et certainement pas le plus jeune à sillonner Unys, mais...

Le cœur de Syd rata un battement quand son père fronça les sourcils, ses yeux se concentrant soudainement sur sa tablette électronique.

— Pardon, j'ai encore oublié mes yeux... marmonna-t-il, parlant sans doute de ses lunettes. Il déchiffra lentement : Otis dit qu'il vote pour que tu puisses continuer ton voyage.
— Ce n'est pas un vote ! intervint tout de suite sa tante.

Mais Syd avait compris le soutien inconditionnel de son frère et lui envoya un sourire reconnaissant, qui fut reçut avec un clignement complice de l'œil. De douces réminiscences l'étreignirent... les barres de pâtes d'amande que lui glissait son grand-frère à l'insu de ses parents qui faisaient la guerre au sucre, les après-midis passées au parc de skate avec les amis pourtant plus âgés d'Otis... le grand n'avait jamais honte de son petit-frère, il s'occupait toujours de lui. Aussi... Syd savait, et saurait toute sa vie, qu'il ne se battait pas pour rien. Il se battait pour Otis.

— Bon... et si tu nous rappelais plus tard ? souffla finalement sa mère, fatiguée. Oui, rappelle-nous quand Madame Lenoir aura eu une bonne discussion avec vous...

Il le promit et l'appel se termina. Il faudrait lutter pour continuer leur voyage, ça, Syd le savait...
Car il venait de comprendre la lugubre demande de Mme Lenoir, l'avertissement qu'elle lui avait donné.
La scientifique désirait arrêter le voyage.


(Lights on, words back)
Oscar se réveilla heureux. Paradoxal. Mais ce matin-là, quand le beau-gosse bailla et ouvrit trèèès lentement ses lourdes paupières, il se sentait reposé. Apaisé. Il s'étira avec bonheur sur son tas de coussins... Des rayons de lumière dorée filtraient à travers les bordures des rideaux, esquissant avec langueur les niches et les recoins de la chambre d'ami, le lit qu'ils avaient refusé d'utiliser, préférant dormir tous ensemble par terre.

D'ailleurs... où pouvaient bien se trouver les autres... dormaient-ils encore ?

L'adolescent se tourna lentement sur les couettes chaudes, exposant son dos à la morsure de la climatisation, et constata avec une légère déception que la pièce était vide. Bon... ils étaient sûrement descendus prendre un petit-déjeuner bien mérité… il suffisait de se lever, de rejoindre le salon pour se dresser à nouveau aux côtés de ses amis... (de ses compagnons d'arme !).

Seulement, Oscar avait la flemme. Alors il se languit quelques minutes de plus sur les draps, étendu sur son ventre, inspirant ses chaudes exhalations par les narines. À travers une légère fente dans les rideaux, il pouvait L'apercevoir… colorée, ses plus hautes tours perçant jusque le smog qui masquait le soleil, Volucité. La ville de son enfance, tentaculaire, grise et brune, règne des riches aux gras replis, sèche et poussiéreuse pour le commun des mortels. Volucité dans toute sa splendeur. Joie.
Grimaçant, le dresseur de Jeans se résigna à se lever, et se traîna même jusqu'à la salle-de-bain, prévoyant de se débarbouiller quelque peu.

Il ouvrit la porte.

Et percuta le corps endormi d'Elsa sanuisetteremontaitjusqu'àsataille GAH il voyait sa culotte ! Oscar piqua un fard et recula en balbutiant, ne parvenant pas à arracher ses yeux à la fine silhouette, la peau laiteuse de son amie—qui se réveilla brusquement, complètement perdue—et rencontra les prunelles indiscrètes d'Oscar juste à temps pour qu'il tombe sur ses fesses—

— AHHHHahahhhhahaaaaah je suis d-désolé ! bredouilla le garçon avec l’énergie du désespoir. Je savais pas que t'étais là-dedans ! Je savais pas !

D’abord Elsa eut l’air confuse. Elle se demanda sûrement pourquoi son ami était aussi gêné. Puis elle baissa les yeux vers son entrejambe exposée. Et elle rougit tout aussi violemment que son ami, rabattant sa nuisette sur ses cuisses, se redressant et plaçant deux mains protectives devant ses parties intimes !

— RAH mais tu pourrais faire attention quand même ! s'emporta-t-elle, embarrassée. Tu connais pas le verbe « toquer » ou quoi ?

À ces mots un silence abasourdi frappa les deux adolescents. Oscar leva deux prunelles effarées vers la jeune fille qui se dressait devant lui, et farouche et écarlate.

— T-Tu ! Tu ne bégaies plus !

Paradoxalement, en cet instant, c'était lui qui bafouillait, comme si son amie lui avait refilé son handicap.

Les yeux d'Elsa s'écarquillèrent, ses lèvres vermeilles s'entrouvrant sous le choc. Elle y porta ses doigts de fée comme si elle essayait de déceler ce qui avait bien plus changer dans les nerfs et les gerçures... puis ses paumes chaudes descendirent à sa gorge sèche, et elle pensa à sa grimace, elle pensa à tous ses muscles qui s'étaient tordus dans des directions si différentes. Pourtant, on lui avait toujours dit que son bégaiement avait des origines psychologiques...

— C'est vrai... s'entendit-elle répondre à Oscar, comme dans un rêve.

C'est à cet instant que Syd ouvrit la porte de leur chambre en un claquement cataclysmique. Il posa un regard urgent sur eux, semblant vouloir déclarer quelque chose de grave mais s'arrêtant avec incertitude. Car un éclair de soulagement venait d'étreindre les enfants avec tendresse… ils sentaient la joie de s'être retrouvés sains et saufs. Un instant s’écoula et ils le savourèrent avec un sourire, Oscar frissonnant.

Cependant le cours du temps reprit, sans aucune sympathie ou pitié pour les esprits fatigués.

— Venez, vite, la Team Plasma a piraté Unys 1 !

Le cœur des adolescents bondit jusqu'à leur gorge comme un oiseau affolé tentant désespérément de voler loin de ce chaos. Ils s’élancèrent à la suite de Syd, dévalant les marches des escaliers. Capitaine, Zhu, Artie, Écho, Matis, Bianca, Élin, enfin tout le monde était réuni devant une immense télévision à écran plasma—sans mauvais jeux de mots—et à l'écran apparaissait la frimousse arrogante du chef de l'attaque, yeux de givre, voix suave.

Syd eut soudainement l'impression qu'on l'avait plongé dans un bain glacé. Il était monté chercher Oscar et Elsa au moment où le logo de la Team Plasma était apparu et n’avait pas su quelle Sbire ou Sage se ferait le porte-parole de la Team. Mais à présent, devant le visage du commandant, il se trouvait pétrifié… Saisit de sueurs froides, transpercé par la peur d'être découvert, lui le corps étranger au beau milieu de la foule loyale et inquiète.
À ses oreilles bourdonnantes, Écho marmonna avec rancune :

— Anto...

Le prénom le frappa comme une lame gelée. Il eut le souffle coupé. Ainsi... c'était comme cela qu'il s'appelait... sa seule chance de rencontrer Nikolaï... « Bienvenue à la Team Plasma. »

« Bonjour à toutes et à tous, sourit le beau visage à l'écran. Hier, notre organisation a frappé en plein cœur deux-cents esclavagistes et a Libéré plus de deux-cents Pokémon. Après une longue captivité, ceux-ci accèdent enfin à l'État de Droit. »

Une coupure, montrant des Pokémon heureux, se promenant sans chaînes et sans supervision dans un immense hangar... Dans l'appartement d'Artie, chaque humain se tendit, sortant muettement ses Pokémon pour qu'ils assistent au spectacle. Les espèces se mêlèrent, leurs corps s'effleurant ou s'étreignant, écailles, peaux, fourrures froides ou chaleureuses s’enlaçant. On partageait incertitudes, amour. Hope tremblait dans les bras d'une Élin stupéfaite.

— C'est pas possible qu'ils soient heureux, d'avoir été arrachés à leur dresseur... nia-t-elle en un murmure étranglé.

Bianca lui serra l'épaule, la rassurant silencieusement, elle-même si tendue qu'elle pourrait tomber en morceaux tel un pantin désarticulé. Toutes ses recherches étaient fondées sur l'effet des humains sur les Pokémon—elle ne pouvait imaginer que les premiers étaient néfastes pour les merveilleuses créatures qu'ils élevaient... ce constat détruirait, balayerait les fondements de sa vie. Mais la Team n'en avait que faire des peurs de chacun. Et à l'écran, Anto poursuivait en souriant.

« Vous ne nous connaissiez peut-être pas hier. Ou alors on vous avait décrit notre organisation comme criminelle, sectaire et extrémiste... Ceci est uniquement car nous allons à l'encontre des intérêts des grands de ce monde, ceci est uniquement car nous nous soucions des honnêtes gens et Pokémon avant toute chose. »

Avant la paix d’Unys.

« Nous sommes la Team Plasma ! Nous sommes déjà parmi vous ! Luttant pour les droits des Pokémon. Luttant pour leur libération. »

— Il parle comme s'ils n'avaient jamais subi de défaite... commenta Matis avec hargne, serrant la main d'une Écho méfiante.

Le reste des humains et des Pokémon gênés observaient l'écran géant avec de grands yeux, des yeux ronds, innocents. Buvant les paroles du jeune homme avec peur et défiance, serrant malgré eux les dents et secouant leurs têtes, perturbés. Les Pokémon étaient déjà heureux, non ? Les humains interrogeaient leurs compagnons du regard : tu es heureux, non ?
Artie signala à Matis de se taire avec un geste agacé.

« Si vous aussi avez honte de vos privilèges, et souhaitez avec ardeur délivrer les Pokémon de leur asservissement, rejoignez-nous. Entrez au service du Seigneur Ghetis et des six sages ! »

L'image se fit d'un coup totalement noire. Les ondes captèrent de nouveau un signal normal et dépeignirent la mine médusée d'une Clara Chasal pixélisée, muette sur un plateau télé désorganisé. Si la Team avait réussi à capter les ondes d'un chaîne aussi importante, c'est qu'elle possédait des techniciens qualifiés, capables de brouiller les signaux, d’hacker sans laisser de trace. Si elle osait faire campagne aussi publiquement, c'est qu'elle préparait un plan de grande envergure... Les implications étaient terrifiantes.
Artie coupa immédiatement le son, se tournant vers le reste des dresseurs et les scrutant sévèrement.

— Je vais devoir aller parler à la presse, et j'ai besoin de plusieurs infos. Écho, tu reconnais formellement cet homme ?
— Oui, répondit l'interpellée, d'une voix discrète mais ferme. Il se fait appeler Anto. Il doit avoir entre dix-huit et vingt ans, probablement le même âge que Matis, Mélis et moi-même. Je l'ai rencontré plusieurs fois au cours de mes démêlés avec la Team, entre '93 et '95, mais il ne m'a jamais affrontée en combat Pokémon.
— Je confirme, ajouta Matis avec rancœur.

Artie digéra tout ceci, sourcils froncés. Chacun opta pour le silence afin de le laisser travailler, réfléchir à une manière de présenter la vérité tout en rassurant. Il fallait rester calme ; c’était une question de respect. Mais une voix résolue éclata, attirant l'attention de toute la pièce.

— Moi je l'ai vu sur le bateau. C'est lui qui a assommé Capitaine.

Élin. Syd soupira, partagé entre l’irritation et le soulagement. Elle prolongeait une discussion qui était pour lui angoissante… Mais au moins n’était-il pas l’adolescent à confirmer la présence d’Anto sur le Ferry. Si on lui avait demandé, il n'aurait vraiment pas su quoi répondre... Car nier aurait été suspect, mais en confirmant il aurait dû décrire les circonstances de leur rencontre. « Bienvenue à la Team Plasma. »

— Sans doute, réfléchit de son côté le marin, caressant sa barbe de trois jours. Enfin j'ai rien pu voir de mon côté… ce salaud m'a frappé alors que je lui tournait le dos.
— C'est son genre, souffla Matis.
— Vous saviez qu'il avait des pouvoirs ? demanda quant à elle Élin, sourcils froncés.

Un silence confus suivit cette question.

— D-Des pouvoirs ? balbutia Bianca, haussant les sourcils.
— C'est pas le moment de blaguer, Élineera ! la prévint sèchement Artie.
— Hey, j'm'appelle Élin pas Élineera ! rétorqua la blonde.

Un soupir agacé parcourut l'entièreté des humains, plus Baggy qui fixa sa dresseuse d'un air absolument blasé. Mais la gamine butée poursuivit, imperturbable :

Bah si, j'vous jure, moi je l'ai vu de très près donc je sais de quoi je parle. C'est lui qui a créé le Maelström, les vents suivaient les mouvements de ses bras et même que son corps entier luisait. Un peu comme les vampires dans ce film pourri, là...
— Crépuscule ? hasarda Oscar, choqué qu'on puisse appeler son film préféré un navet.

Il avait a-do-ré l'histoire d'amour entre Belle et Édouard il avait même lu tous les romans de l'auteure—les seuls livres qu'il ait jamais finis !—mais bon, là n'était pas le problème... Le problème était plutôt que personne ne croyait Élin, sauf Syd qui se trouvait soudainement saisi d'effroi. Les adultes échangèrent un regard méfiant, Bianca marmonnant « peut-être qu'avec leurs expériences inhumaines... » mais n'allant pas plus loin.

Le témoignage serait débattu plus tard, entre anciens combattants, entre Champions… à huit-clos. En attendant, on ordonna à Élineera de ne pas répéter à trop de monde ce qu'elle avait vu, et la gamine, agacée, rétorqua qu'elle raconterait cette histoire à qui elle voudrait et puis que d'abord elle s'appelait Élin pas Élinee—

— Bon. Je vais affronter la presse, la coupa Artie.

Cependant il ne se tira pas si bien d'affaire.

— Attends ! s'écria Élin, repartant à l'attaque, imperturbable. Malgré la consternation générale et la puérilité de la remarque, elle lança : Je te défie.

Chacun soupira avec agacement. Syd, Oscar et Elsa se rappelèrent premier jour de leur voyage initiatique avec des émotions variées. Bianca y repensa avec lassitude et tristesse. Artie arqua un sourcil incrédule. Cette demande était ridicule, il avait bien d'autres choses à faire que d'affronter les gamins, et l'Arène avait d'ores et déjà été fermée pour une semaine, si ce n'est plus. L'effet principal de la réplique fut uniquement de rappeler à son bon souvenir cette adolescente aux boucles d'encre, avec qui il avait conversé à Ondes-sur-mer... Elsa... et il la trouva de ses prunelles lumineuses, s'excusant en ignorant le reste de la pièce.

— Demoiselle, je t'aurais combattu avec plaisir, mais je n'ai tout simplement pas le temps. Vous pourrez revenir me défier quand vous le voudrez à la fin de cette période trouble...

L'adolescente secoua muettement la tête, lui donnant l'absolution, et le Champion sourit brièvement. Élin ne fit que serrer les dents, bouillonnante, mais s'attendant déjà à ce refus. C'était tout simplement injuste que le destin leur tombe dessus comme ça... Artie les salua, s'élançant vers la porte. Il tourna la poignée en un mouvement brusque, lançant tout de même un dernier regard vigilant au groupe.

— Je vous rappelle que vous n'avez pas le droit de quitter cet appartement pour l'instant. Vous êtes encore considérés comme témoins prioritaires par Iris et cela ne devrait pas changer avant la fin de la journée.

Plus tard, en affrontant tous les flashs, les photos, assailli par les questions sans fin des journalistes, Artie se ferait la réflexion que les dresseurs avaient bien de la chance de ne pas quitter sa demeure. Là-haut, au soixantième étage d'une des seules tours de Volucité à donner sur le parc, ils étaient tous protégés. Préservés de l'ouragan de panique à l'extérieur, flottant à l'intérieur d'une bulle certes étouffante, mais épaisse, bloquant tous les cris et les angoisses d'Unys.

Là-haut, tout était en suspens.

Cette gratitude n'était pas partagée par les résidents de la bulle. Entre les quatre murs de l'appartement, chacun croulait sous l'atmosphère chargée de non-dits, échangeant des regards lourds de méfiance. Syd gardait ses yeux vissés sur ses chaussettes. Finalement, ce fut Zhu le premier à quitter la pièce, haussant les épaules et lançant un glacial :

— Peu importe mon statut, je serai parti à la fin de la journée.

Capitaine, Écho et Matis ne tardèrent pas à se retirer avec un salut fatigué à l'adresse de chaque adolescent. Le dernier du groupe, cerné, toison de jais semblant avoir été victime d'un bombardement en règle, s'arrêta néanmoins devant la digne figure d'Élin et lui saisit les épaules, souriant.

— J'suis content que tu ailles bien, petite peste.

Élin lui offrit une moue défiante, ils se firent un câlin, partageant des souvenirs d’enfance, de l’époque où Élin avait huit ans et rencontrait les amis de son père, de l’époque où Matis avait quatorze ans et peinait sous les projecteurs d’Unys… L'aîné lui glissa discrètement :

— Mélis veille White à l'hôpital. Le connaissant il doit s'être endormi, mais au moins elle n'est pas seule.

La gamine lui offrit un sourire reconnaissait, se jetant dans un dernier câlin—et écrasant un Hope gêné dans ses bras—avant de relâcher son ami d'enfance. Matis avait toujours agi comme un grand-frère, l'emmenant dans de nombreuses aventures « interdites aux adultes » en compagnie de Mélis... Malgré son côté tête-brûlée et son caractère de cochon, Matis avait toujours eu un petit faible pour la petite Hei.

Quand Bianca et les adolescents furent seuls dans le salon l’ambiance devint intolérable. Tous les enfants décelèrent la mélancolie dans les yeux bleus de Bianca. Tous les enfants reconnurent l’expression d’un parent qui s’apprête à « dire non » au voyage à Disneyland ou au dernier vœu de sa progéniture. Aussi, quand la scientifique invita les enfants à s'asseoir, seule Elsa le fit. Elle obéit en pensant à autre chose, s'accrochant à la pensée qu'elle avait vraiment besoin de passer quelques jours chez son père.

— Bon... débuta doucement Bianca. J-Je suis très heureuse de voir que vous allez tous bien, et je suis très fière de vous...
— Ouais, c'est ça, souffla brusquement Élin. Après le refus d'Artie, elle avait froidement pri conscience de la situation. Aussi poursuivit-t-elle : je parie que tu vas nous dire d'arrêter notre voyage !

Ceci réveilla même Elsa, chez qui l'annonce provoqua un soulagement coupable. Arrêter le voyage... lui permettrait peut-être d'oublier, de redevenir normale...
Ce n'était pas du tout le sentiment des trois autres adolescents, qui firent bloc de leurs corps tendus.
Bianca remarqua cette résistance et fronça les sourcils.

— C'est dangereux, asséna-t-elle.
— On s'est défendus très efficacement ! protesta Oscar. Deux fois même !
— Voilà le problème ! rétorqua Bianca. Vous attirez la Team Plasma comme des Teddiursa avec du miel !
— Et alors, ce n’est pas de notre faute ! s'agaça Élin. Nous on travaille hyper dur, on sauve même deux-cents personnes et tu voudrais nous punir ?
— Ce n'est pas une punition, trancha la scientifique avec un regard glacé. C'est pour votre sécurité.
— Ma famille est d'accord pour que je continue mon voyage, avertit Syd, avec un ton très calme et très froid.

L'annonce eut l'effet d'une claque. Bianca blanchit, sembla chercher ses mots puis se pencha vers le dresseur renfermé, grimaçant.

— T-Ton père ?
— Oui.
— Ta mère ?
— Oui.
Même Aloé ?
— ... Oui.

Ce mensonge était nécessaire. Syd devait sauver Otis. Il devait rencontrer la belle musicienne à la Mélodie du Répit. Il devait accomplir sa mission pour la Team Plasma. Et pour cela le voyage initiatique devait continuer, peu importe les coûts ou les obstacles.

En face de lui, la thésarde resta muette, ne décelant pas la supercherie. Elle s'écroula dans un fauteuil rouge, ses yeux perdus se dirigeant vers les immenses baies vitrées. Chaque adolescent se tendit. Elsa cacha sa déception, serrant les bras autour de sa cage thoracique. Seul Oscar réagit, se disant qu’il fallait profiter de l’avantage tant qu’ils le tenaient.

— Mes parents aussi sont… commença-t-il nonchalamment.

Il avait parlé sans réfléchir trop intensément, comme à son habitude, et avait oublié les conséquences que pouvaient entraîner le sujet « famille & cie ». Élin se figea, prit une expression vulnérable bien trop familière au beau-gosse.

— … On va devoir appeler mon père ?

Cette fois ce fut à Bianca de pâlir, si bien que l'on eut dit un cadavre. Elle se releva d’un bon, se tourna vers la blonde et se lança dans une tirade gênée.

— W-White ne l'a pas prévenu de l'attaque, o-on lui en parlera après l-là ce s-serait gênant que tu lui annonces, tu comprends ! E-Et puis il est en pleine ligue de Kalos...

Élin se décrispa sous les yeux soulagés d’Oscar. Mais au moment où la liesse l’envahit ses neurones s’activèrent, et elle comprit qu’elle pouvait exploiter l’embarras de l’adulte. Aussi versa quelques larmes et servit sa meilleure moue blessée la scientifique, qui fut réduite à des bafouillements catastrophés.

— Écoute j-je s-suis désolée...

Mais bientôt, elle se reprit, mobilisant son intelligence et ses nerfs d'acier, scrutant sévèrement les deux adolescents restants.

— Et vous ? J'imagine que vous n'avez pas encore parlé à vos parents ? Il faudrait savoir ce qu'ils en disent !
— Oh, les miens seront d'accord, intervint tout de suite Oscar, répétant ce qu’il avait souhaité dire quelques instants plus tôt.
— Ah oui ? Comment peux-tu le savoir ? rétorqua la scientifique, tranchante. En réponse, elle n'obtint qu'un haussement des épaules et un sombre constat :
— Ils sont toujours d'accord. Pour tout.

Resta Elsa, l'adolescente aux boucles d'encre proprement assise sur le canapé, ses prunelles deux lagunes de tranquillité. De quoi perturber le reste des intervenants.

— Je parlerai à mon père demain. D'ailleurs, je passerai quelques jours chez lui.

Élin, Syd et Bianca fixèrent la dresseuse d'Amaryllis avec stupeur, et même Oscar s'émerveilla de sa diction alors qu'il était déjà au courant. C'était sûr. Elsa ne bégayait plus. D'ailleurs, ce fut exactement ce qu'Élin constata, brusquement saisie d'Intelligence...

— Hey, tu parles normalement tout à coup !

Chacun digéra cette information. À des vitesses variées.
Oscar sourit, ému.
Élin haussa les épaules et se dit que c’était tant mieux pour la brune.
Syd fut d’abord horrifié par cette conséquence de l’attaque, qui rendait leurs actes sur le Ferry d’autant plus réels.

Bianca réalisa que le voyage avait réellement été bénéfique pour les adolescents, qu’il avait permi à une jeune fille de prendre confiance. Elle se rappela ses propres années passées à sillonner Unys. Elle vit les traits bourrus de son père qui lui criait de rentrer, de rentrer, de rentrer, que sa place n’était pas là-dehors au loin, mais en sécurité. Elle aussi s’était construite grâce à son V.I.E… sans lui, elle serait restée une adolescente de province qui se trouvait trop grosse, trop bête… se voyant comme le faire-valoir de son groupe d’amis. Perdue dans ses souvenirs à la fois doux et amers, la scientifique serra les dents. Elle observa les adolescents devant elle, leurs bouilles rondes mais déterminées, et se sentit d’autant plus coupable de vouloir annuler le voyage.

Ce fut à cet instant que Mélis Grey entra dans l'appartement, tournant très difficilement les clefs que lui avait prêté Artie dans le verrou. Il s'écroula sur l'épais tapis du salon, ronflant déjà à moitié... et fut victime de ce que l'on appelle un incroyable coup du sort.

Si Mélis n'était pas arrivé à cet instant là... Si Elsa bégayait encore, si Bianca ne se retrouvait pas dans la jeune fille… leur avenir aurait été bien différent. Mais il ne sert à rien de construire un monde avec des si, et grâce à Mélis Grey Bianca eut une idée ab-so-lu-ment magique.

Revenons un peu en arrière. Mélis, les cheveux en bataille, le cerveau embrouillé, épuisé par sa journée merdique, avait veillé White depuis son admission à l'hôpital la veille au soir jusqu’à quatorze heures le lendemain. Enfin, « veillé » il avait plutôt dormi la moitié du temps, tête protégée par ses bras croisés, nichée dans ce cocon protecteur sur le lit d'hôpital, aux côtés d'une White inconsciente. Soit dit en passant, les draps blancs puaient les médicaments et la Bétadine. Cela avait grandement dérangé le flemmard, qui du coup, avait fait des cauchemars.

Voilà la raison qui l'avait poussé à s'arracher à la figure endormie de celle qui le considérait comme un « petit-frère ». Pas les reporters des tabloïds, leurs cris et leurs flashs, nooon—Mélis était capable de dormir dans absolument toutes les conditions possibles et imaginables, dans des positions très incongrues, mais il avait le nez trop sensible et détestait les mauvaises odeurs. Voilà tout.

Il était donc rentré à l'appartement d'Artie... nageant à travers un océan de journaliste en gardant un air perdu, dans la lune, imperturbable... Tout cela pour lutter avec le verrou, puis s'écrouler sur le tapis du salon en ne ressentant même pas la douleur, trop dans les vapes. Cependant, le dresseur de légende était arrivé au mauvais moment. Il aurait dû le savoir. Franchement, peu importe que ce soit dans ses actions ou ses paroles, Mélis était le Roi du mauvais timing.

Aussi il entendit lointainement Bianca s'écrier d'une voix suraigüe :

— VOILÀ ! Mélis va vous accompagner durant votre Voyage Initiatique pour vous protéger !

Au début, le jeune homme slash mollusque ne réagit pas. Puis, quand il se rendit compte qu'on parlait de lui, et il se redressa d'un bond et s'élança par réflexe vers la sortie de secours.
Mais un Mégapagos massif apparut brusquement devant lui, faisant crier le parquet. La bête grogna et pencha son museau menaçant vers le frêle humain, repoussant toute sa toison emmêlée d'un seul souffle chaud. Mélis se figea.

— H-Hey c'est peut-être pas bien de le sortir en appart' qui sait il pourrait faire craquer le plancheeer... marmonna-t-il, effrayé. Laisse-moi te rappeler qu'on est au soixantième éta-AH-ge...

Bianca ricana sinistrement.

— Mélis-chou, je te rappelle que tu me dois une faveur liée à Écho depuis un an et que tu m'as promis de faire ce que je voulais pour me repayer...
— Dans les limites du possible ! protesta le jeune adulte faiblement. Et ça, c'est pas possible !
— Si.
— Non !
Si.
— Non !
SI !
— Ok ok !

Carapagos, satisfait, put se redresser et s'occuper à lécher ses belles écailles bleues, couvé par le sourire machiavélique de sa dresseuse. La scientifique rappela son Pokémon après un nouveau craquement sinistre du plancher. Elle se tourna vers les adolescents, croisant ses bras avec menace.

— Vous êtes d'accord, je présume ? grinça-t-elle, implacable.

Il fallut que les quatre échanges des regards perdus, tentant d'ignorer le désespoir visible de Mélis le flemmard, et répondent avec incertitude...

— Euuuuuuuh... ouii ?


(En suspens)
Élin était assise devant la rambarde en fer forgé, Hope dans les bras, ses pieds ballant dans un vide de plus de soixante étages. Syd se tenait recroquevillé à ses côtés, sourcils froncés, clairement ailleurs. Elsa soupirait, appuyée contre le mur de l'immeuble... et Oscar restait maladroitement debout entre les trois, caressant la tête de Jeans avec nervosité.

Les Champions se tenaient en pleine vidéo conférence. Zhu leur fit un signe à travers la porte vitrée, leur ararchant un sursaut—Oscar cria « AYAA »—et disparut dans un nuage bleuté. Probablement qu'ils ne le reverraient pas avant longtemps.

— Décidemment il est vraiment bizarre... maugréa Élin.

Mais après l'attaque, ils ne pouvaient que retenir une affection certaine pour le quinquagénaire.

Devant eux Volucité s'étendait, baignée de sang et de safran. Lentement les néons s'éveillaient, ne rivalisant pourtant pas encore avec la splendeur du soleil. À travers quelques craquelures dans l'horizon hérissé de gratte-ciels s'étalait la mer étincelante au creux de laquelle ils avaient été pris en otage, avaient brusquement été forcés de se transformer et de grandir...

— Demain nous rendrons visite à nos parents, murmura Elsa à l'adresse d'Oscar.

Les trois autres sursautèrent à l'entente de sa voix débarrassée de timidité et de handicap, qui résonnait si nettement en ce silence surnaturel du soixantième étage. Loin des cris parasites de la ville. Le timbre d'Elsa était plus clair encore que celui de Syd, moins riche et plus aigu, comme du cristal.

Oscar soupira.

— Ouais, je suppose...

Ce qu'ils avaient vu et vécu durant l'attaque resta le secret de chacun. Ils ne pouvaient pas encore se le partager, c'était trop tôt. La blessure leur brûlait encore, suppurant d'inquiétudes et de peur. Cependant, ils sentaient qu'en la présence de leurs amis, lové dans leur groupe protecteur, ils pouvaient être en paix.

— C'est dingue qu'on voyage avec Mélis quand même...

Ils étaient en paix malgré leurs transformations brutales, les changements imprévus. Malgré la houle qui les poussait à grandir et emprunter des chemins si sombres et tortueux.

Leurs vies restaient, ne serait-ce qu'un instant, en suspens.