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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:13
» Dernière mise à jour le 16/07/2019 à 10:53

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 17 : Au coeur du Maelström (2/2)
Rah il fait 34 pages au lieu de vinggggt DDX T_T
LE VOILÀ. Avec beaucoup de retard.

SINON, à propos des changements/réécriture. Rien dans l'intrigue n'a changé. Donc si vous ne voulez pas relire, ce n'est pas obligatoire, cependant je vous conseille de regarder ce qui pourrait vous intéresser en diagonale, car j'ai passé beaucoup plus de temps sur les personnages et leurs relations entre-eux.
Seul passage très important : dernière scène du chapitre 08, Catharsis. À la toute fin.

Bonne lecture.

(The Help)

Strykna affrontait un Venalgue et sa dresseuse toute vêtue de noir, qui arborait une frange violette en guise d'unique tâche de couleur. La jeune femme se battait à coups de nuages d'encre, se dérobant aux yeux pourtant entraînés de Smogo, l'assaillant vivement dès que le Pokémon boule de gaz avait le dos tourné. Strykna tentait de déstabiliser son adversaire. Mais le cœur n'y était à moitié.

Elle céda son Badge Toxique avec un soupir agacé, marmonna un vague « Congrats, challenger Carla », et s'enferma à l'arrière de l'arène. La pièce n’était un réduit poussiéreux de la taille d'un placard, possédant pour seule source de lumière une fenêtre ravagée par le temps. Mais c'était ici que se trouvait l'unique poste de radio de l'Arène. La Championne ne l'utilisait pour ainsi dire jamais—elle se demandait d'ailleurs souvent quelle âme en peine avait bien pu lui apporter cette chose.

Ranàfoutre du monde et des actualités quoi !

Sauf que. Sauf que Fara était repartie et le quotidien de Strykna était soudain devenu un peu vide. Sauf que la veille elle avait fait un cauchemar.

Alors elle alluma la radio, et le vieil appareil couvert de crottes d'insectes et de poussière s'étouffa à moitié. Furant de longues minutes il crachota, avant de finalement produire un son correct. Et atroce. Un connard l'avait branchée sur une chaîne de poprock, cette immonde genre musical qui jamais n'aurait dû exister, la voix nasillarde d'une chanteuse écervelée lui vrilla les oreilles ! D'un geste rageur la Championne changea de fréquence, tombant sur une chaîne de musique classique—une mélodie qu'elle tolérait—et lâcha un soupir de soulagement quand soudain le ballet s'interrompit. Mais la mélopée laissa place à une voix enrouée, désespérée.

Une voix qu'elle connaissait.

« À toutes les r-radios d-d'Unys, ici le F-Ferry d'Ondes-sur-mer, nous avons été pris en otages je répète nous avons été pris en otages, c'est euh.... C'est, c'est... c'est la Team Plasma ! Y a un genre de trou géant dans la mer, on va mourir hein. Hein ! On a besoin d'aide ! »

Le sang de Strykna ne fit qu'un tour. Elle lâcha un juron incrédule puis s'élança vers son stock de Pokéball, ah mais c'était sûr qu'elle avait un Tentacruel, il pourrait la transporter jusqu'au Ferry ils allaient voir ces connards —mais, la Team Plasma ?!

Oh merde elle aurait fouiller sa ville, elle aurait pu empêcher un attentat !

Une fureur qui la dépassait totalement la frappa à ce constat. Elle oublia tout. Jusqu'à son identité. Tout son être fut consumé dans la recherche de cette putain de Pokéball où était-elle. La Championne éventra des cartons, s'accroupit sous le bureau de la pièce et frappa même son PC mais elle ne trouvait pas, rien à faire le débarras était trop sombre, où était le putain d'interrupteur pour la lumière ?

Soudain son Vokit sonna, elle décrocha sans réfléchir et ce fut la voix d'Iris.

— Strykna.

Battement de cœur féroce.

— Il n'est pas question que tu y ailles.

La Maîtresse de Ligue possédait une voix intimidante, tranchante.
Pas assez pour effrayante Strykna.

— Non mais tu rêves toi ! répliqua la rockeuse d'une voix fébrile, se penchant dans un énième carton, lançant un regard halluciné à travers la pièce.
— Non.
— Y a mon putain de père là-dessus !
Justement ! Justement Strykna ! Imagine que les Plasma fassent sauter le bateau ! Imagine !

La Championne se figea. Son sang se glaça.

— Non mais ils ne feraient pas ça, articula-t-elle pâteusement. Comme dans un rêve.
— Strykna, l'attentat suicide est une possibilité évoquée par la ministre de l'intérieur. C'est pour ça qu'elle envoie des négociateurs. J'ai promis que mes Champions n'interféreraient pas.

Connasse. Ce fut le premier mot qui surgit, avec la fureur, dans l'esprit noir de Strykna, l'idée que l'on avait fait une promesse sans son accord, qu'on l'avait trahie. Pas qu'elle s'attendait à autre chose venant de sa supérieure hiérarchique.

— Strykna, tu n'interviendras pas. Vous n'interviendrez pas. Il faut laisser les forces spéciales s'en occuper.

En une conversation, comment immobiliser toute une équipe de Champions.

[...]

White Bai avait fait la fête la veille de l'attaque. Aussi son premier réflexe, quand son réveil matin sonna, déchirant en lambeaux douloureux son sommeil réparateur, fut de violemment balancer l'engin honni à terre. L'appareil percuta sa baie vitrée en un « CLANG ! » furieux, récoltant une nouvelle blessure de guerre le long de sa coque grise, mais se taisant heureusement pendant quelques minutes.

La dresseuse de légende se serait rendormie, encore dans les vapes, si sa gorge ne lui brûlait pas autant. À l'aveugle, elle tendit une main vers sa table de chevet, frissonnant quand la climatisation surpuissante enveloppa son membre d'un souffle glacé. Cependant, aucune bouteille d'eau ne répondit à sa recherche désespérée. Merde, elle avait dû oublier la carafe sur sa commode la veille...

Grognant et marmonnant des jurons, elle retira son doux masque de sommeil, se confrontant à la blanche lumière qui s'écoulait à travers ses rideaux mal fermés. Rah, c'était vraiment trop chiant de se réveiller. Le monde était trop chiant quoi.

Vaillamment la plus grande dresseuse d'Unys se traîna hors de ses draps doux et chauds, la tiédeur de son corps dévêtu se dissolvant au contact de la fraîcheur de la chambre. White tituba vers l'eau et en but des gorgées glacées, son esprit s'éclaircissant peu à peu... Au moins n'avait-elle pas de gueule de bois. Mais après tout elle n'en avait jamais. La jeune adulte était fière de sa descente incroyable d'alcool et de sa santé de fer ; seul quelques évanouissements d'origine inconnue avaient troublé la paix de son corps récemment.

La dresseuse reposa sa bouteille sur la commode, et ce fut ce moment que son réveil choisit pour l'agresser de nouveau. Comme à chaque seconde sonnerie, l'appareil était programmé pour diffuser une chaîne d'informations.

Cependant ce que White entendit ce 18 juin ne concernait pas la bourse ou l'immigration ou la misogynie ambiante.
Le message était anormal et désespéré et touchait un sujet qui lui était intimement lié.

« À toutes les r-radios d-d'Unys, ici le F-Ferry d'Ondes-sur-mer, nous avons été pris en otages je répète nous avons été pris en otages, c'est euh.... C'est, c'est... c'est la Team Plasma ! »

La Team Plasma.

« Y a un genre de trou géant dans la mer, on va mourir hein. Hein ! »

White se figea.

« On a besoin d'aide... »

Puis elle jura.
Son premier réflexe fut de se jeter vers son portable.

[...]

Tcheren avait reçu l'ordre d'Iris avec stoïcisme. La décision était rationnelle, logique ; bien que puissants, les Champions n'avaient aucune formation dans l'action contre-terroriste. Cependant il avait pris la peine de vérifier les noms des passagers. Et il était tombé sur un billet enregistré au nom d'une certaine Élineera Hei.

La nouvelle l'avait ébranlé. Et à l'instant où se posait le cruel dilemme d'intervenir ou non, de laisser la survie d'Élin au hasard, on l'avait appelé.
La voix à l'autre bout du fil était familière, certainement pas douce, mais ténue de colère et d'énergie contenue. Cette voix et cette énergie n'avaient jamais cessé de le fasciner et l'oppresser à la fois.

— Tcheren, Élin avait prévenu Bianca qu'elle serait sur le Ferry le 18.

Les mots le frappèrent comme un coup de fouet, il se sentit trembler, cependant son corps était comme déconnecté de son esprit, il s'observait frissonner comme il l'aurait fait avec un curieux étranger... Tcheren était bien loin de la rage bestiale de White, celle qui faisait sa force et sa réputation en combat.

— Je sais, dit-il d'une voix rauque.
— Alors retrouve-moi au Quai Prime dans une heure. J'appelle les autres.

Oh oui, les autres, leur bande extraordinaire, les « Anciens Combattants » d'Unys... ceux qui avaient lutté seuls contre la Team Plasma quand la police et les Champions s'étaient retrouvés dépassés, des dresseurs inscrits dans l'histoire d'Unys et dans sa chair. Tcheren avait fait partie de ce groupe, il avait grandi dedans. Cependant, aujourd'hui... tout était différent.

— Non, s'entendit-il répondre, d'un ton trop aigu cette fois, mais toujours aussi lointain.

Il plana un silence méchamment incrédule à l'autre bout du fil. Le silence vicieux effleura tous leurs souvenirs, leurs promesses, où la présence écrasante de White était indispensable, omniprésente. Tcheren ne pouvait pas se rappeler un seul instant de sa vie qui n'avait pas été influencé par White, après tout.

— Comment ça ? siffla la dresseuse de légende, sa voix s'échappant comme du combiné un nuage brûlant, toxique. Je crois que je ne t'ai pas bien entendu.
— Je ne viendrai pas, réitéra l'intellectuel sans aucune émotion.

Cependant cette réponse ne fut pas assez pour faire taire son amie d'enfance si farouche. Elle l'assaillit, l'assaillit.

— Tu ne veux pas sauver Élin ? T'es prêt à donner la fille de Black aux Plasma ? Tche, réveille-toi, ils attaquent encore, tu comprends ça ?
— Je ne peux pas venir. J'ai reçu un ordre direct de ma supérieure.
— Iris... cracha White.

Mais cela ne l'exemptait pas pour autant, il pouvait désobéir oh, écouter une cheffe plutôt qu'une autre... un appel impérieux, une loyauté éternelle plutôt que l'ordre bureaucratique et le corps professionnel et soumis des Champions. Tcheren était coupable. Aussi... la sentence fut bien vite rendue.

— T'es vraiment qu'une merde depuis que t'es Champion.

Cependant ce que White ne savait pas, c'est qu'une fois insulté et déconnecté, Tcheren était une nouvelle fois face à un choix. Une responsabilité de vie ou de mort. Fallait-il prévenir Iris du plan de White pour que la Maîtresse prenne des mesures préventives... ? Ou fallait-il laisser White et sa bande se rendre seules au Ferry, contre les ordres de sa supérieure ?

Encore une fois, la loyauté de Tcheren était poussée à ses limites, et il se trouvait au crépuscule ambigu de ses valeurs morales.

[...]

Bianca était plongée dans un mutisme tétanisé quand elle reçut l'appel. Tremblante, elle décrocha et s'abreuva des paroles fermes de son amie d'enfance, toujours si forte et courageuse, se laissant berçant, se laissant rassurer... Elle était plantée au beau milieu du carrelage de sa cuisine, si inutile et impuissante à des centaines de kilomètres de ses protégés ! Quelle... tu parles d'une Professeure, d'une... c'était juste pitoyable, c’était...

— Oh Arceus, et dire qu'ils sont tous les quatre l-là-dedans... sanglota-t-elle. Et j'ai été si dure avec Élin la d-dernière fois qu'on s'est parlées ! J'me sens si coupable, si coupable White...
Tais-toi, gronda brusquement la dresseuse à l'autre bout du fil.

Bianca resta frappée de stupeur, tremblante, le combiné surchauffant à son oreille.

— Maintenant reprends-toi.

Comme si les paroles intimidantes et la volonté de fer de White possédaient un effet surnaturel et magique, la scientifique en herbe se détendit. Son regard s'éclaircit, se durcit ; elle fixa le ciel pâle par sa fenêtre, puis se dirigea vers ses Pokéball.

— Je t'écoute, déclara-t-elle simplement.
— Tcheren ne viendra pas.

Remise, Bianca ne mit que trois secondes pour comprendre et froncer brusquement les sourcils.

Sale lâche, siffla-t-elle, entendant White ronronner son accord à l'autre bout du fil.
— Rendez-vous au Quai Prime dans une heure, cracha la Championne. Y aura peut-être la police ou Artie, on les nique sans état d'âme. Ensuite on vire la Plasma du Ferry.

Étrangement, les premiers mots qui franchirent les lèvres rondes de Bianca quand elle appela son inquiète Munna, furent :

— Évidemment.

[...]

Mélis n'était bien sûr pas réveillé quand il prit l'appel de White. Son esprit était encore tout embrumé, son corps apathique empêtré dans ses draps. Il ne répondit qu'au second coup de fil. Heureusement que la voix autoritaire de White avait l'effet d'une véritable claque.

Le grand dresseur, cerné, la voix pâteuse, acquiesça à tout ce que racontait sa grande-sœur de cœur avant de se rendre compte que les hochements de tête ne pouvaient être perçus via la ligne téléphonique. Il dut répéter plusieurs fois qu'il serait au rendez-vous en temps et en heure avant que White ne puisse distinguer les syllabes individuelles.

Ahh, il aimait vraiment trop dormiiiir...

Cependant, ce 18 Juin, Mélis Grey tira son corps hors de son immense lit sans une complainte. Sa mâchoire se durcit dangereusement, au même titre que son regard d'acier, et il fixa sa montre avec un regard assez froid pour la briser. La Team Plasma, encore. Ils n'en seraient jamais débarrassés.

[...]

Quand Matis Hui décrocha, il était tout aussi inquiet que White, mais beaucoup plus lucide, essoufflé après avoir cherché sa petite-sœur dans toute la maison. Juste pour s'assurer qu'elle était en sécurité. Juste pour entendre son cœur battre.

— ‘Tain, j'ai plus dix ans... se plaignit fortement l'adolescente, qui en avait maintenant quinze, couvrant presque les paroles de White.

Élin ? La gamine de Black, la rigolote ? Celle qu’il accompagnait dans les bois quand elle était petite et voulait échapper à l’emprise de son père ? Le cœur de Matis se figea, comme plongé dans un bain gelé, à l'idée que sa famille aurait pu être victime de l'attaque. À l'idée que l'organisation si dangereuse menaçait à nouveau Unys. Il croyait trop en la justice, il avait trop d'idéaux pour refuser le plan de White, pour rester en retrait alors qu'il était si puissant. Un des meilleurs dresseurs d'Unys !

À quoi servirait toute cette force, si ce n'était pour protéger des Humains et Pokémon comme sa petite-sœur ou ses parents, comme leur Léopardus, comme son Majaspic... ? Tous avaient le devoir de s'unir contre la barbarie...

[...]

Écho Gray n'était pas de cet avis. Elle était sur le point de s'envoler vers Kalos, elle était perdue au milieu de l'immense aéroport de Parsemille, cernée et fatiguée sous les milliers de néons blancs. Baignée dans une froideur mécanique, bercée par la parano systémique des aéroports.

La dresseuse voulait quitter cette maudite région d'Unys qui ne lui avait jamais, jamais rien apporté.

Si elle répondait à l'appel de White, qui de toute manière de l'avait jamais appréciée, elle se ferait de nouveau aspirer par la région, enchaîner au destin collectif, son identité et sa volonté dissolues pour le bien général. White se fichait d'elle et de ses rêves, la dresseuse voulait tout simplement user de sa puissance pour augmenter leur force de frappe.

Écho ne pouvait pas savoir combien elle avait raison, combien, dans les prochaines années, le Destin d'Unys allait complètement absorber le sien, pour n'en faire qu'un instrument de la Fatalité commune. Elle ne serait qu'un outil. Qu'un grain de sable dans le sablier.

Elle ne pouvait pas le savoir, alors elle serra les dents et dit « oui ». Se promettant que ce serait la dernière fois.
La dernière fois qu'elle prêterait sa vie pour trancher une tête de l'Hydre Plasma.

[...]

White n'appela pas Black. Elle n'appela pas celui qu'elle considérait comme son opposé parfait, comme son jumeau spirituel... Ils avaient pourtant grandi comme deux faces d'une même pièce de monnaie, deux reflets de côtés inverses d'un miroir. Se fondant l'un dans l'autre, leurs sangs se fondant l'un dans l'autre. Même leurs identités s'étaient construites en réaction à celle de leur « double », comme pour combler ses manques, exalter ses triomphes.

Bavarde, silencieux. Hardie, prudent. Méchante, sensible ; capricieuse, serviable, curieuse, routinier, femme, homme, White, Black...

Elle ne l'appela pas parce que cela faisait des années qu'ils s'étaient disputés, qu'ils faisaient semblant juste pour Élin.
De toute manière, il était à Kalos, non ?
Le groupe se débrouillait très bien sans lui.
Elle tenta de se convaincre que c'était raison suffisante pour ne pas le mettre au courant du danger que courait sa fille.

[...]

Dans le silence gris du matin, Tcheren se dirigea vers un meuble imposant de métal, fermé avec un complexe cadenas. Une machine programmée pour s'ouvrir uniquement à son doigté habile, électrocutant tout voleur tentant de la forcer. C'était une invention de Watson.

Mais la découverte que Tcheren cherchait en cet instant, froidement, le vide total dans son esprit, était le fruit des recherches d'un tout autre savant… Nikolaï. Le Champion trouva une petite boîte au tout devant du tiroir, un caisson pas plus grande qu'un paquet d'allumettes, fine, blanche, élégante. Il la colla à son téléphone et le tout émit un gargouillement électrique, une sorte de ronronnement haché.

Bientôt l'appel de White fut complètement effacé de son historique, impossible à retrouver même si des techniciens de génie s'y acharnaient.

Tcheren ne prévint pas Iris du plan de White.


(À la source du Maelström)
Le bateau tangua de nouveau et Élin se fit brutalement projeter contre le mur droit. Son monde se renversa, l'intégralité du couloir s'emporta dans une rotation de quatre-vingt-dix degrés. La blonde put sentir le navire se faire aspirer par les flots, ainsi que des hordes de vagues glacées s'abattre sur l'autre versant de sa coque en un tonnerre assourdissant, chaque lame de fond semblant chercher à percer un trou dans le métal, à tout détruire. Baggy s'agrippa à son bras en jurant, s'accrochant à sa colère pour éviter la terreur ; il lui laisserait probablement des bleus tant les doigts broyaient ses muscles nerveusement. Lucky se remit à peine sur ses pattes, recouvert d’hématomes.

Ça y est, la secousse allait se calmer, ils allaient pouvoir se relever, poursuivre leur route...

Mais le bateau roula encore, encore plus violemment, cette fois du côté opposé, et ils furent projetés contre une armoire en bois massif avec un hurlement. In extremis Élin se retourna, s'attendant à percuter le meuble de plein fouet, s'attendant à la douleur, espérant qu'elle pourrait encore se relever—cependant elle ne se cogna que contre un corps mou et poilu—

Qui émit une plainte déchirante avant de s'écrouler, inconsciente—

Ce fut comme si on avait plongé le corps d'Élin dans un bain gelé. Tétanisée, la gamine se retourna, pour constater que Lucky s'était sacrifié pour amortir sa chute, le Ponchien était à présent inconscient.

— Oh p-pardon mon Lucky... murmura-t-elle, essuyant des larmes.

Il ne put aboyer faiblement, ou lécher sa paume comme à son habitude. Le Pokémon était totalement dans les vapes, sa truffe se serrant convulsivement à cause de la douleur, révélant ses crocs d'ivoire acérés. Élin le caressa muettement, l'apaisant comme par magie. Puis elle le rappela. Son compagnon disparu dans un nuage rouge.

Elle chercha Baggy des yeux. Il titubait faiblement vers elle, une cheville saignant légèrement.

— T'veux que je te rappelle... marmonna-t-elle en sortant la Pokéball de son Starter, n'ayant même pas la force de hausser la voix en fin de phrase pour poser sa question.

Mais Baggy secoua férocement sa tête et marmonna une insulte à son égard, probablement pour faire le fier à bras—se rassurer... Élin se redressa en s'accrochant aux coins rêches de l'armoire, son regard plongeant dans l'obscurité du couloir. Plus loin se trouvait la dernière volée de marche qu'ils devaient gravir, selon ce que Zhu lui avait décrit.

Cela lui semblait comme dans un autre monde, ces souvenirs venaient d'un instant irréel préservé de toute douleur...

Élin ne savait pas, à cette époque, combien elle récolterait de bleus idiots, d'égratignures ensanglantées en route vers son objectif, combien elle serait exténuée quand elle arriverait enfin au bout de la route. Elle avait toujours cru, en écoutant les récits passionnés de tata White, que sauver le monde c'était classe et il ne fallait que de la passion... on n'avait pas prévenu Élin qu'on devait aussi se doter d'un corps d'acier, qu'on devait ignorer tant de petites frayeurs et douleurs en chemin pour accomplir son objectif.

La gamine se tenait décharnée au creux des ombres, sa tête tournant légèrement, encore sous le choc de cette révélation. Une vérité qu'elle n'avait pas su comprendre au Ranch d'Amaillide, contrairement à Elsa. Sauver le monde, ce n'est pas beau et ce n'est pas classe, mais fatiguant, douloureux, cela nécessie à la fois une force de caractère incroyable et des convictions inébranlables...

Cependant Baggy lui griffa le mollet, la rappelant au monde des vivants, et sa tête s'éclaircit légèrement. Élin offrit un rictus faible à son Starter avant d'avancer vers les prochaines marches, son cœur battant trop vite pour ses jambes, ses yeux brillant d'une détermination enfiévrée. La blonde avait un objectif—trouver Capitaine. Ses amis Syd, Oscar, Elsa, et puis Zhu comptaient sur elle pour l'accomplir...

Elle s'accrocha à la rambarde pour gravir les marches, trébuchant parfois, ses yeux se plissant douloureusement face à la lumière éclatante qui se déversait depuis le couloir du haut. Enfin elle s'arrêta à l'unique fenêtre du passage, qui donnait sur le plus grand pont du bateau, et se trouva face à un spectacle à couper le souffle... Zhu, Hexagel, Polagriffe et Sorbouboul se battaient face à une équipe déchaînée de Sbires et de Pokémon, ravageant le navire. Gelant même des parties du typhon ou des vents trop violents tant ils étaient puissants.

Sous ses yeux un Chinchidou s'écroula comme un pantin désarticulé et Polagriffe, couvert du sang de sa victime, rugit comme un Pokémon fou.

— Baggy, regarde... souffla Élin, effrayée.

Mais son starter grognait devant une porte en fer au fond du couloir, tremblant de... de colère ? Le sang de sa dresseuse se glaça. Elle s'élança vers son Pokémon, priant pour que Zhu aille bien, mais l'oubliant bien assez vite quand elle prit Baggy dans ses bras. Cette porte en métal, l'unique de cet étage, ça devait être… c'était sûr ! La cabine de Capitaine.

Cependant, derrière l'épaisse paroi elle sentait une présence étrange. Une présence qui la submergea doucement, d'une vague suave, avant de la glacer jusqu'aux os... Élin s'étouffa lentement, reculant avec terreur, ne ressentant que cette unique présence. Il n'en fallait pas plus. Bientôt elle serait immobilisée. Bientôt elle serait figée au milieu du couloir.

Cependant une image fugace de Syd s’imprima sur ses rétines. Elle pensa au calme inébranlable du dresseur, à sa détermination de sauver son grand-frère, à son... altruisme... Rah mais Élin faisait la même connerie que son rival durant son match d'arène, elle se laissait déstabiliser pour un rien !

Élin était incapable de s'imaginer dans le rôle d'une petite fille effrayée.

Cette pensée seule suffit à l'indigner, à lui faire regagner toutes ses forces. Vaillamment elle s'avança vers la porte, comme s'arrachant à un rêve. La blonde sentit de nouveau le poids de Baggy dans ses bras, la chaleur, la nervosité et le stress de l'attaque. Mais cette fois elle fronça les sourcils, déterminée, et tourna la poignée sans une arrière-pensée.

Fermée.

... Rah mais ce n'était pas possible, elle rencontrait vraiment toutes les galères ! Enragée, la dresseuse appuya de tout son poids sur le mobilier fautif, grinçant des dents, Baggy l'encourageant faiblement mais narquoisement. Ça y est—elle le sentait, ça allait céder, ce n'était plus qu'une question de secon...

Brusquement la porte vola grande ouverte et Élin fut emportée en avant sans avoir le temps de comprendre ce qu'il lui arrivait. Elle s'étala de tout son long sur le plancher du bateau, écrasant Baggy qui la repoussa avec un cri furieux. La blonde releva les yeux, s'appuyant avec peine sur ses coudes, et retint sa respiration.

Capitaine était effondré sur sa chaise, bavant comme s’il était endormi. Sa casquette s'accrochait avec peine à son crâne dégarni. Mais surtout, au centre de la pièce se tenait, lui tournant le dos, le jeune homme qui dégageait l'aura à la fois doucereuse et glaciale qu'elle avait ressenti quelques secondes auparavant. La présence balayait à présent chaque fibre de son être comme un blizzard meurtrier.

L'homme était couvert de tatouages. Un cercle noir autour de chaque cheville et du poignet gauche. D'autres, vingt-quatre, autour de tout son avant-bras droit... Mais surtout, dans le dos, le dessein d'une gueule béante, d'une bête féroce, crocs ensanglantés presque cachés par une longue crinière carmine, pupilles d'aliéné criant de faim et d'envie de tuer.

Élin resta muette. Son cœur s'arrêta complètement, elle le pensa, le cru simplement. Avec un détachement froid, elle constate que l'homme luisait légèrement d'une lueur bleutée, et qu'il exécutait d'amples mouvements avec ses bras tatoués, comme un chef d'orchestre. L'ignorant totalement alors qu'elle était convaincue qu'il sentait sa présence.

À l'extérieur du Ferry, les vents et les flots infinis répondaient allégrement au jeune homme tatoué, comme mus par la seule force de ses bras, sa seule volonté.

Élin se releva.

— Baggy, Casse Brique, siffla-t-elle indifféremment.

Son starter se rua sur l'ennemi et fit un bond prodigieux, abattant une paume éclatante d'un rouge féroce—L'homme se retourna, abandonnant tout à coup les vents et les flots. Il attrapa le bras de Baggy sans même le regarder, plongeant ses yeux de glaces dans la petite silhouette d'Élin comme s'il pouvait en scruter l'intérieur, et tordit le membre du Pokémon. Baggy hurla de douleur.

Élin resta sans voix.

Puis l'homme balança Son starter sur un panneau de commandes. Son corps rebondit non loin de Capitaine. Le crâne du Pokémon Combat entama bien le double vitrage... Mais Élin s'était arrêtée sur le ventre de l'humain ; inscrit dans la chair en encre de nuit, le logo de la Team Plasma. La blonde releva les yeux vers l'ennemi, ne comprenant tout simplement pas le danger, plongée dans un monde lointain et neutre. Il ne devait même pas avoir la vingtaine, que faisait-il là, agissait-il en tant que commandant de l'attaque ? Était-il humain...

En un flash le jeune homme fut contre elle, la plaqua contre le mur. Il lui attrapa le menton et l'étudia.

Élin ne respirait plus. Affrontait son regard excité sans ciller. Elle sentait, elle sentait le corps collé au sien trembler d'un bonheur, d'une folie contenue, pourtant l'ennemi—resta si mesuré, si prudent quand il recula et sourit, découvrant de belles dents blanches.

— Tu es spéciale, toi... murmura-t-il d'une voix douce, agréable, charismatique.

Un timbre qui absorbait toute sa volonté et sa résistance. Qui lui donnait envie de le suivre, oh, de lui faire confiance. Élin sentit ses forces faiblir. Même la carcasse de Baggy, le corps inconscient du Capitaine, ne lui évoquèrent plus rien. Dehors, le Maelström faiblissait légèrement, comme s’il était dépité, comme s’il imitait Élin. Les vagues se recroquevillaient sous leur écume gelée.

L'homme se fondit dans les ombres de l'orage, seuls ses tatouages et ses prunelles trop fixes, trop givrées, s'attardant quelques secondes de plus dans l'obscurité.

— Tu sais quoi... je suis sûr qu'on se reverra ! lui confia-t-il en un dernier éclat de dents blanches.

Il laissa Élin figée, au milieu de la cabine.
Avec pour seule compagnie les corps meurtries de Baggy et de Capitaine.


(This is how I show my love – This is how an angel dies – SAIL!)
Aussitôt la porte ouverte, une colonne de vapeur brûlante explosa au visage d'Elsa. Elle sourit férocement, se couvrant instinctivement les yeux, appréciant la manière dont l'air chaud écorchait chaque parcelle de sa peau, réveillait chaque nerf. Amaryllis ronronna de plaisir à ses côtés.

Une fois le nuage dissipé, Elsa s'enfonça entre les machines. La salle engloutie de tentacules blancs de vapeurs, comme un monde à moitié esquissé et abandonné… Elle ne prit pas la peine de refermer la porte immense qui lui avait permis de rentrer, appréciant simplement la bourrasque d'air frais qui filait dans la salle étouffante au même instant que sa frêle silhouette.

Cela ne l'empêcha pas de transpirer.

Mais à vrai dire elle s'en fichait complètement qu'on la découvre hein, que laisser une porte grande ouverte soit suspicieux ! Elsa rit à gorge déployée, toujours déconnectée de la réalité, toujours tremblante de plaisir, avant de se taire en un gloussement. Oh il fallait faire gaffe hein, aujourd'hui elle était prédatrice, elle se devait d'être discrète et mortelle... mais elle ne s'était jamais sentie, aussi vivante !

Grimaçant sauvagement, Elsa Hirata ordonna à sa Starter de déchirer un bout de tuyau suintant, un tube rampant au mur à leurs côtés. La Pokémon ne se fit pas prier. Elle ne prit pas non plus la peine de méthodiquement le hacher avec ses coquillages acérés, non ! Plutôt, elle s'élança sur le cylindre en un grognement bestial et l'arracha de force au reste du squelette avec ses crocs puissants. Malgré la douleur. Malgré le jet d'air incandescent qui explosa à sa truffe dès que le moindre petit trou fut formé.

Bientôt Elsa récolta une arme efficace et Amaryllis arbora une truffe noircie, désensibilisée. Les partenaires observèrent l'immense salle des machines, la pièce envahie de machines rutilantes et striée de maigres passages... Leur objectif était l'engin qui diffusait le soporifique, il ne fallait pas l'oublier, juste cet engin...

Pas les Sbires...

Alors où se trouvait cet appareil ? Allait-elle devoir fouiller toute la salle pour le trouver, oh oui ce serait bien ! Affronter tout ceux qu'elle croisait, oh ouii ce serait génial ! Mais dangereux, hein, dangereux. Cependant, Elsa, incrédule, ne put comprimer un sourire comblé, serrant convulsivement son tuyau de fer. Amaryllis la fixa narquoisement.

Soudain une voix embêtée et agacée retentit par les hauts parleurs, la radio grésillant un instant avant de leur crever les tympans.

« Qui est l'con d'Sbire qui a encore laissé la porte ouverte ? J'vous rappelle que la machine à poison est juste à côté et qu'elle supporte pas l'froid ! Ça vous amuserait qu'tout le monde se réveille p't-être ? »

La porte. Était juste. À sa droite.

Le sourire d'Elsa s'élargit encore quand son regard tourna vers la massive embrasure. Resserrant sa poigne moite sur son tuyau, elle s'en approcha silencieusement, puis se cacha derrière une sorte de pompe géante, sur le qui-vive... Bientôt, un Sbire fatigué et ennuyé s'approcha de la porte, pesant dessus de tout son poids en grognant pour la refermer.

— Ugh mais qui a eu l'idée de fabriquer des trucs aussi lourds !

Il ne dit rien de plus. Il s'effondra sans un mot, son crâne percutant lourdement le métal de l'embrasure sous le choc. Et la dernière chose que ses yeux révulsés aperçurent avant de se voiler douloureusement fut le visage déformé d'une jeune fille, magnifiques prunelles animées d'un amusement terrible.

Le visage d'Elsa avait toujours retenu une certaine grâce, malgré son étrangeté et son manque de douceur. Ce constat était peut-être dû au fait que les traits s'altéraient rarement, figés dans une élégance agréable ; seuls les yeux trahissant un soupçon d'émotion. Peut-être l'impression plaisante venait-elle de la finesse des traits, du naturel avec lequel ils se mouvaient quand une expression requerrait réellement leur mobilisation. Toujours est-il que le visage d'Elsa retenait toujours une certaine grâce.

Ce n'était pas le cas actuellement. Retenant un cri sauvage, chaque muscle facial s'était étiré dans une direction différente, accentuant le manque de symétrie global et habituellement caché du visage. De profonds sillons et rides s'étaient formés dans le creux et joues et autour du menton ; ses prunelles brillantes étaient rentrées profondément sous les sourcils froncés. À présent les fines lèvres étaient retroussées, roulées, dévoilant de larges dents blanches. L'expression était celle d'un homme, d'un tueur ou d'une bête.

« Les bègues ne chantent pas. »

La transformation aurait terrifié chacun de ses amis. Ils auraient pensé voir un masque tomber, dévoilant une toute autre personne sous la surface ; ils auraient reculé, effrayés, comme si une corde s'était brutalement rompue entre eux.

Elsa ressentit le changement jusque dans les profondeurs de sa gorge ; quelque chose se tordit, se cassa net, elle eut la violente impression de changer de monde. Cependant, elle ne comprit pas ce qui se passait, car sa conscience était enfermée ailleurs, loin de la fille sauvage qui se retourna vers une Sbire tétanisée, n'ayant même pas eu le réflexe d'appeler des renforts face au spectacle dégoûtant que lui offrait la gamine.

Elsa leva de nouveau son tuyau, et Amaryllis s'arma d'une Coquilame.
Quand elles eurent fini, Elsa lâcha un cri bestial, et ordonna un Pistolet A O sur la machine à poison.

« Les bègues ne chantent pas. »


(Premier pas vers un sombre Destin)
Son cœur battait si vite. Il battait. Il battait.
Syd allait devoir se battre.

Il fit signe à Riolu et sortit brutalement de sa cachette, se ruant vers les Sbires et sortant vivement Grotichon de sa Pokéball. À deux contre un dans un mince couloir, sa seule chance était l'effet de surprise, si les deux autres sortaient toute leur équipe il était foutu !

— Riolu utilise Forte-Paume, Grotichon lance une Nitrocharge !

Les ennemis le contemplèrent avec un choc presque comique, cet adolescent qui s’élançait vers eux d'un pas déterminé, remontant toute la longueur du couloir sans aucun gêne, sans aucune peur, les sourcils froncés. Ils se virent assommés ou étranglés avant d'avoir pu sonner l'alerte, l'un d'entre eux plié en deux par une Forte-Paume, le crâne de l'autre se fendillant contre un mur de métal. Syd les fixa d'un regard absolument glacial.

— Le code de la porte. marmonna-t-il d'une voix à l'agressivité à peine contenue, s'adressant au Sbire encore conscient.
— Neuf... quatre... huit... trois... répliqua celui-ci, étouffant sous la Forte-Paume luisante de Riolu.

Syd frappa le code d'une phalange blanche, et quand la porte s'ouvrit, il fit signe à Riolu d'étrangler le Sbire jusqu'à l'inconscience. Un instant lancinant, un pic de terreur glacée le traversa. C'était cela qu'il s'apprêtait à refaire, briser les os de ceux en travers son chemin ? C'était ce genre de personne qu'il devenait pour sauver Otis ? Si en plus de son temps, de son avenir, il sacrifiait ses principes et son être...

Il coupa court au cri horrifié de sa conscience d'un froncement de sourcil méchant, intimidant. Pas le temps pour ça, merde. Les remords viendraient après. Pour l'instant, il pénétra dans la salle de surveillance sombre, petite et étouffante, aux murs recouverts d'écrans de surveillance, certains gris et grésillant. Syd fit quelques pas en avant, méfiant...

Un violent coup de poing l'atteignit en plein dans les côtes et ses poumons se vidèrent brutalement, le laissant sonné—il tituba vers une chaise roulante—la douleur le traversa en un pic brûlé tandis qu'il se tordait pour apercevoir son assaillant. Une Sbire furieuse.

— Qu'est-ce tu fous là, petit ? cracha-t-elle, s'avançant avec menace vers lui.

Syd se figea. Ses Pokémon le fixèrent avec tension. Cependant la Sbire fit une erreur. Elle tourna sa tête vers la porte ouverte, mèches rousses volant, dérobant les intrus à son regard.

— Eh Nico ! Sofiane ! Vous foutez quoi ?
— NITROCHARGE !

Brise ses os !

S'embrasant d'une lueur meurtrière le Pokémon rugit et fonça vers l'ennemi, prêt à la plaquer contre des écrans de contrôle—

— Léopardus COMBO-GRIFFE !

Brusquement la Pokémon passée jusqu'à présent inaperçue, tapie dans les ombres, bondit sur Grotichon pour protéger sa dresseuse. Labourant ses flancs gras de ses griffes elle feula furieusement. Syd se tendit, fit un pas inconscient en avant, serrant les dents. Déjà la Sbire sortait une deuxième Pokéball ; les yeux de Syd se plissèrent dangereusement et il laissa échapper dans un murmure froid :

— Riolu, Ruse.

La petite Pokémon contourna ses aînées et se jeta sur l'humaine naïvement concentrée sur le combat, tordant violemment son poignet et subtilisant sa Ball. Elle se retrouva dans le poing serré de Syd, le métal résonnant encore du cri de douleur de sa précédente maîtresse—l’ennemie hurla avec rage :

— SALAUD ! J'vais t'buter et après on va voir si tu m’voles ! Riyah, Poursuite !
— Cogne.

Si Grotichon était affaibli, son corps résistant n'avait pas perdu de sa force. Le cochon chopa brutalement la chatte sauvage, broyant sa dangereuse mâchoire d'un poing assuré. Après cela, comme aurait pu le dire Élin « ce fut la fin du début d'la fin ». Malgré les tentatives féroces de l'ennemie pour se libérer, le bipède parvint à la coincer sous son bras et enfonça deux doigts juste en dessous de ses côtes, assénant ensuite un brutal coup de poing dans le ventre.

Léopardus s'effondra inconsciente.
Voire même pire… morte.

— R-Riyah... balbutia la Sbire rousse, ses yeux exorbités. Riyah !

Syd ne ressentit rien.
Aucune émotion, aucun mouvement superflu, juste de l'efficacité.

— Riolu, Forte-Paume.

En moins d'une seconde la petite chienne sauta sur une chaise roulante, y pris appui et attrapa la gorge de l'ennemi pour la serrer dans une patte brûlante de pouvoir. La Sbire laissa échapper des borborygmes effrayés, griffant, luttant pour déloger son assaillante, mais Riolu était une Pokémon et ne ressentait aucune de ses égratignures—elle plongea simplement son regard carmin, intimidant, dans les yeux de la femme.

Syd s'approcha du panneau de contrôle, cherchant des yeux, le système de fermeture automatique des portes parmi tous les boutons multicolores et clignotants. La lumière des ampoules écorchait ses pupilles mais il se força à continuer, à chercher, ne touchant rien par accès de précaution. Puis il trouva.

« FERMETURE SYSTÈME »

Oui.

« CONFIRMATION »

Oui.

Sur les écrans de surveillance, les portes des cabines s'ouvrirent, diffusant pour certaines des restes de tentacules roses... Le gaz soporifique. Des Sbires surpris sortirent la tête des cabines, courrurent dans les couloirs, certains dans des accoutrements peu recommandables—c'est à dire très peu accoutrés. Syd ne voulait pas savoir ce que cela impliquait.

Surtout, il comprit qu'une partie de ces agents surpris allaient se diriger vers la salle de surveillance et découvrir qu'il avait brutalement assommé trois de leurs collègues. Il fallait faire vite.

Vite !

Le cœur battant trop vite pour ses pensées, Syd s'approcha de l'ennemie ; tenta de masquer son anxiété et son dégoût. Il se pencha vers elle et, empêchant sa voix de trembler, murmura :

— Qui est votre chef ?

Elle plongea un regard buté, haineux dans le sien, refusant de lui livrer la moindre information—attendant que ses copains ne rappliquent.

— Riolu... serre plus fort.

La chienne s'exécuta promptement, et cette fois, la Sbire laissa échapper un gargouillement inhumain, les yeux exorbités, sa langue frétillant, absorbant désespérément la moindre bulle d'air.

— Qui est votre chef ?

Frissonnant elle leva un faible bras, et pointa un écran de surveillance où se faufilait un jeune homme aux yeux de glace, couvert de tatouages. Le pont supérieur.

Syd fit signe à Riolu de lâcher la femme, qui s'écroula et porta une main à sa gorge, dévorant Syd de ses yeux pâles avec rancune et détestation pure. Cette Sbire au sol, détruite et faible, le traquerait sans merci une fois remise, en souvenir de cette humiliation... elle le pourchasserait dans les entrailles du Mont Foré, le piégerait à Papéloa… Mais cela, Syd ne le savait pas encore.

Car dans le présent, le sang du dresseur s’était glacé—il venait de prendre la mesure de ses actes, de comprendre ce qu’il avait ordonné, de suivre ses commandements jusqu’à leur suite logique. Non. Non, non, non, non il ne pouvait pas la tuer.... non... Non !

Précipitamment Syd recula vers la porte, refusant de tourner le dos à l'ennemie, demandant à Grotichon de vérifier que les deux autres étaient toujours inconscients. Il était tiré d'affaire... Hein, c'est ce qu'il devait croire. Il devait le croire.

Cependant, au moment où il se tourna enfin pour s'élancer dans le couloir, loin du danger et du reste des Sbires, une fois rauque, comme traînée sur mille éclats de verres, l'arrêta.

— Jeune... d'jà si vio... lent...

Dans son dos, les prunelles pâles de la Sbire luisaient de plaisir, et elle cracha :

— T'vas d'venir un monftre.

Le cœur battant, Syd secoua muettement sa tête. Plaçant dans ce geste toute sa force, toutes ses convictions de gamin, il nia le sens ce qu’il avait devant les yeux. Non. Ce qu'il faisait, c'était pour une noble cause, pour son amour, c'était pour Otis.

OTIS.


Pour Otis il devait trouver le chef de l'attaque.

[...]

Les ponts cirés du Ferry faisaient en des temps plus apaisés la fierté de Capitaine. Par un temps de soleil, ils luisaient d'un éclat aussi propre que doré, ne grinçaient jamais même sous les plus lourds passagers. Par temps de pluie ils résistaient vaillamment, ne devenant jamais dangereux, jamais glissants.

La glace de Zhu avait été la première à entamer le bois lustré. À force de Blizzard et de Vent Glace, elle s'était infiltrée dans chaque rainure du parquet, dans chaque minuscule interstice ; les Éclat Glace s'étaient brutalement fichés dans les planches immobiles, victimes idéales.

Puis était venu le feu de la cheffe d'équipe. Les Danseflamme, les Calcination, les Feu d'Enfer avaient complètement fondu le manteau givré du parquet. Le bois soudainement gorgé d'eau avait éclaté de toute part, s'était brisé en mille éclisses, le squelette écorché du navire se fracassant sous les tirs nourris du combat. Le parquet était devenu brûlant sous les pieds nus de Zhu. Lui et le bois s'étaient perdus dans un nuage de fumée toxique.

Ses Pokémon s'étaient écroulés un à un ; Sorbouboul, Polagriffe, Hexagel. Carcasses noirâtres qu'il avait rappelé avec un sombre courroux.

— Tu te laisses aller depuis que tu n'es plus Champion, siffla la femme, s'avançant avec menace vers lui.

Elle s'arrêta juste devant son corps raide et immobile, le scrutant sans aucune gêne comme on le ferait avec un Pokémon insecte. Des tentacules obscurs de fumée s'accrochaient à sa silhouette carrée, floutaient les pointes de son rictus agressif sans pouvoir masquer l'éclat triomphant de ses yeux.

— Munna.

Zhu, ne tenta pas de résister, l’esprit froid. Il avait donné tout le temps qu'il pouvait aux adolescents ; à présent, il ne pouvait espérer que les quatre avaient mené leur tâche à bien. Le Champion était prêt à affronter le sort que la Team lui réservait. Il ne désirait plus rien accomplir dans la vie ; son futur était vide, son cœur débarrassé de tout désir. La seule chose qu’il souhaitait encore c’était une mort sans douleur.

Munna l'enserra brutalement dans un halo immatériel mais efficace. La force psychique contrôla l'adulte comme un pantin sous les insultes des Sbires survivants et le regard cruel de la cheffe.

Zhu fut mis à genoux sur le pont ciré du Ferry qui faisait la fierté de Capitaine en des temps plus apaisés.


(Les Anciens Combattants)
Matis Hui reprit connaissance dans une pénombre salée. Il tituba contre les murs crasseux de l'allée, s'effondrant à moitié contre une poubelle odorante, et remercia en grommelant l'Abra de sa sœur. Qui disparut en lui rendant bien son œillade noire. Le Pokémon Psy était encore tout jeune, il réussissait très mal ses Téléport... enfin ça, c'est ce que prétendait sa sœur, Matis était personnellement convaincu qu'Abra le faisait atterrir dans les pires endroits possibles car il le détestait.

C'était mutuel.

Autour de lui, la cacophonie régnant sur Volucité, les hurlements des engins, des klaxons et des foules. Le dresseur jeta un coup d'œil prudent à la ronde. À droite ne reposait qu'un tas énorme d'ordures—ou de Miamiasme, sait-on jamais—à gauche s'étendaient les quais bondés de la ville. Un panneau énorme, au relief tracé de soleil blanc, indiquait « QUAI PRIME ».

Bon. Abra ne l'avait pas tant arnaqué que ça alors.

Matis serra les dents, trépignant à l'idée que deux-cents personnes étaient en grave danger, perdues en pleine mer dans les griffes de la Team Plasma. Piégées par cette organisation qu'il croyait avoir vaincu, garantissant la sécurité de toute une nation. Quelle amertume. Quelle gifle en pleine tronche surtout. Le dresseur soupira.

Il fit un premier pas en avant, se préparant à s'aventurer sur le quai à la recherche des autres. Il faudrait rester discret pour ne pas attirer l'attention de la police ou d'Artie avant le dernier moment... Cependant, avant qu'il ne puisse totalement quitter la venelle, un brusque flash de lumière l'aveugla, le faisant sursauter. Il jura et asséna un poing à son cœur, pour se calmer, soupirant de soulagement quand il reconnut la silhouette...

Une jeune femme de dix-huit ans, comme lui, habillée d'habits colorés mais sportifs, incroyablement courts... Matis détourna son regard en rougissant, portant plutôt ses yeux vers les prunelles grises de la dresseuse. Son visage pâle était d'un ovale parfaitement dégagé, mis en valeur par sa coupe de cheveux relevée. Les fines mèches de châtain étaient tressées en deux larges macarons qui se finissaient en couettes.

— Salut Écho, sourit-il, s'avançant vers son amie d'enfance.
— Salut Matis, souffla la brune.

Elle l'autorisa à lui faire un bref câlin, mais ses prunelles se reportaient déjà vers le quai.

— Quelle mouise...

Étrangement, la seule réponse qui lui vint à l'esprit, après des mois sans lui avoir parlé, fut une pique accompagnée d’un ricanement.

—Tu peux jurer, tu sais, tu n'as plus douze ans !

Elle ne fit que lui serrer le poignet avec inquiétude et l'entraîna à découvert sans le gratifier d'un regard ou de quelques mots. La force du soleil les frappa en pleine figure, leurs iris se rétractèrent douloureusement au creux de leurs yeux plissés. Ils quittèrent le trottoir, bientôt absorbés par une foule dense de marins, de touristes, arrêtés à quelques centaines de mètres par le cordon rouge de la police.

Mais White, Bianca et Mélis n'étaient nulle part.

— Pff... on va bien finir par les retrouver... soupira Écho, lançant une œillade résignée à un banc de fer forgé miraculeusement inoccupé.

Elle s'installa sur son rebord, prenant à peine de place, corps tendu et prunelles grises anxieuses. Cependant Matis ne parvint pas à l'imiter, ne tenant pas en place, davantage frustré à chaque seconde qui s'écoulait. Serrant les dents sous le regard sévère de son amie, il avoua :

— Je déteste attendre...

Rester en place alors que deux-cent personnes étaient livrées à des monstres, quelle aberration ! Jeune encore, quand son but avait été de retrouver le Chacripan de sa sœur, il avait refusé d'attendre douze ans pour partir en voyage, contenant à peine sa colère d'en être réduit à attendre.

— On ne peut pas partir sans les autres, Matis ! s'agaça Écho, attrapant de nouveau son poignet.
— Je sais, rétorqua-t-il d'un ton tout aussi irrité. Je t'explique juste pourquoi je ne m'assieds pas.
— Eh bien tu devrais, là tu as juste l'air suspicieux, souffla la brune avec un regard inquiet à la ronde.
— Mais sors de chez toi, ça existe les gens impatients.

La tension monta d'un cran. Leurs prunelles grises s'entrechoquèrent avec une exaspération brûlante. Mais finalement ils ne firent qu'échanger un soupir écœuré. C'était la faute à la chaleur, à la sueur, et surtout à cette situation qui jouait avec leurs nerfs. Et en plus White, Bianca et Mélis qui ne venaient pas—y avait-il un problème avec la police, avec Artie ?

— Pourquoi t'es venue ? lui demanda vaguement Matis, regard scotché à une vieille femme et sa fille, posant la question plus pour se distraire qu'autre chose.
— Black est sympa, répondit laconiquement la brune. Sa fille ne mérite pas d'être aux mains des Plasma.

Ce qui arrivait aux victimes des Plasma les submergea un instant, une vague gelée sous le soleil de plomb. Ils frissonnèrent sans que les touristes ou les marins ne comprennent, leurs corps agités par un long tremblement de dégoût. Matis ferma brusquement ses yeux, se tendant de tout son long, tentant de briser, contrôler l'impatience.

Brutalement une main se referma autour de son épaule et le tira en arrière.

— On les a trouvé les pouleeets !

Il poussa une exclamation effrayée et referma son poing avec menace mais une fois retourné, ce fut les iris trop bleues de White qu'il rencontra.

— Oh le cri de bébé ! s'amusa la dresseuse de légende.

Sa remarque ne provoqua pas de rire autre que le sien. Bianca s'avança pour faire la bise à Matis—que White n'avait toujours pas relâché—avec un air anxieux et pressé. Matis se rappelait vaguement que les quatre adolescents participant au programme de la scientifique débutante se trouvaient sur le Ferry... comme dirait Écho « quelle mouise »...

Puis Matis remarqua le jeune homme mal rasé, aux cheveux bruns en pétard, qui se tenait derrière les deux femmes et baillait déjà. Il fit une grimace fatiguée, ce qui eut le don de déformer l'intégralité de ses traits pourtant fins et gracieux ; quand la contorsion ensommeillée se finit, Matis put distinguer ses prunelles d'un gris presque bleu. Plus bleu que ses yeux et ceux d'Écho.

— Hé, salut Mélis, le héla Matis, passant une main rapide devant les iris exténuées de son ami pour vérifier qu'il était bien réveillé.

Paresseux de première. Il dormait tout le temps. D'ailleurs le dresseur sursauta, envoya une œillade trop flemmarde pour être surprise à son ami d'enfance. Il marmonna indistinctement :

— Oh, donc ceci n'est pas un rêve...
— Non, apparemment pas, confirma Matis, blasé.

Écho s'approcha et fit une bise rapide au dresseur, ce qu'il sembla d'ailleurs à peine remarquer. Matis observa la scène avec un pincement amer. Mais il n'eut pas le temps de s'attarder. White attira leur attention d'un geste impérieux.

— Bon, bougez vos culs, les bonjours c'est cool mais ça ne sauve pas des vies ! Que ce soit clair, ce que vous vous engagez à faire est contre la loi donc après la fin de l'assaut, prévoyez un bon avion ou un bon avocat.

Un silence de plomb répondit à cette remarque, bulle glaciale au creux de la cacophonie de la foule. Matis remarqua les yeux d'Écho se fixer avec culpabilité sur ses chaussures du coin de l'œil, mais ne sut qu'en faire, et ne dit rien. Il fallait se concentrer sur leur mission, ignorer l'anxiété qui lui dévorait le ventre.

— Les barrières anti-Teleport nous ont forcé à nous réunir pile à l'endroit où y a la police, donc va falloir neutraliser tous les agents, peut-être Artie. Tout le monde est partant ?

Chacun répondit d'un acquiescement grave, ce qui fit fleurir un sourire orgueilleux sur la belle figure de White.

— Ok. Go, équipe poulet.

Ils se fondirent dans la foule comme un seul être, resserrant leurs gilets, enfonçant la visière de leurs casquettes pour masquer leurs visages bien trop connus. Leurs prunelles luisirent dangereusement dans les ombres des chapeaux, animées d'éclats nerveux, méfiants. Ils étaient prêts à tout.

Le cordon de police se rapprochait et la foule se faisait de plus en plus épaisse... Matis devait violemment jouer des coudes, danser entre les cris et la sueur.

Le jeune homme éclata à l'air libre une fois les derniers civils inquiets dépassés, butant brusquement contre un cordon rouge et tendu, vierge de toute inscription. À quelques mètres de lui, de chaque côté, ses amis et compagnons, scrutant l'équipe armée de policiers qui s'affairaient à contenir la foule.

White lança le bal avec Mygavolt.

— Hé, madame ! s'écria la CRS adjacente, s'approchant vivement de leur amie avec son Ponchien. On ne sort pas de Pokémon au-delà du cordon, rappelez-la immédiatement !

Mais White ne fit que sourire mystérieusement à son aînée, son visage flouté par l'ombre de sa casquette. Hâte et Toile Elek. Une combinaison dévastatrice.

La femme n'eut même pas le temps de crier que Mygavolt s'élançait vers ses collègues avec un ricanement digne de sa maîtresse. Elle et sa Ponchien furent saisies de convulsions à peine contrées par la paralysie, et s’écroulèrent, leurs chairs molles percutant le béton.

Une exclamation horrifiée parcourue la foule qui recula d'un seul coup, paniquée, étouffant les civils coincés au milieu. Se découpèrent sous le soleil blanc les quatre silhouettes qui avaient tenu bon, déterminées : Bianca, Écho, Matis et Mélis. Même si certains contenaient à peine leurs tremblements d'inquiétude...

Ensemble, ils appelèrent leurs Pokémon, et endormirent les forces de l'ordre avant d'établir un épais Voil'Miroir entre eux et les quelques dresseurs civils qui avaient eu l'idée de riposter.

— NOUS NE SOMMES PAS DE LA TEAM PLASMA ! leur hurla Matis en faisant de grands gestes apaisants.

Mais soit le voile étouffait beaucoup plus les sons qu'il ne le pensait, soit ses paroles n'eurent aucun effet, car la panique et les assauts héroïques ne firent que redoubler. D'immenses bulles de couleurs se répandirent sur la paroi transparente, révélant les endroits où des Attaques avaient percuté le bouclier, des Lance-Flamme, Vibraqua, Ball'Ombre rongeant chaque fois davantage leur protection.

Matis, dresseur qui avait fait face à la Team Plasma et la connaissait mieux que n'importe quel civil, se para d’une grimace dépitée qui fut sans doute perçue comme menaçante par la foule.
Bianca et Mélis s'étaient déjà avancés pour rejoindre White, mais Écho l'attendait encore, lasse.

— Ils ne comprennent pas ! lui envoya-t-il avec rage, tandis que les humains ignorants se pressaient contre la barrière.

La protection n'allait pas tenir une minute de plus.

— Hé... souffla son amie en réponse. T'étonne pas qu'on ait l'air menaçant...

Son regard coula vers White.
Le sang de Matis se glaça.

La dresseuse de légende avait forcé un jeune homme sur ses genoux, un jeune homme aux prunelles verdoyantes et aux boucles de bronze connu dans toute Unys. Artie. Il était prisonnier d'une toile gluante que White n'avait pas encore électrisée, comble pour un Champion de Type Insecte.

Ce qui semblait grandement amuser White, tandis qu'elle plongeait ses iris d'un bleu puissant dans les yeux las du dresseur.

— J'veux mon Badge Élytre maintenant, rigola-t-elle moqueusement.
White. rétorqua avec impatience le maître des insectes, tranchant. Dépêche-toi. Ils ne vont pas croire à mon impuissance éternellement.

Arrête de jouer.

La dresseuse de légende plissa dangereusement ses yeux avant d'ordonner à Mygavolt d'électriser généreusement la toile. Alors qu'Artie laissait échapper un cri de douleur et se convulsait brutalement au sol, alors que la foule brisait avec fureur le Voil'Miroir et se déversait en corps enragé sur le quai, White marmonna :

—T'as vraiment plus la classe que je ne le pensais en fait.

White et ses compagnons s'élancèrent vers les flots en une accélération salvatrice, appelant d'un seul geste leur Pokémon Eau. Ils avaient un Ferry à sauver.


(Court, court la petite souris !)
Il se réveilla effondré dans le couloir, émergeant douloureusement de l'inconscience, des picotements noirs s'évanouissant avec réticence aux limites de sa vision. Son cou raide lui faisait atrocement mal, de même que ses épaules courbées ; il gémit.

En se redressant, ses cheveux s'accrochèrent à une aspérité dans le bois, il s'en arracha une mèche entière sans s'en rendre compte, désensibilisé, confus. Puis la douleur fouetta sa peau, son crâne, jusque dans les chambres les plus lointaines de son esprit et il cria avant de se rappeler—prise d’otage, discrétion, vite se cacher !

Il tituba vers un placard à balai, ses jambes saisies de convulsions, parcourues de fourmis virulentes. Il tomba. Avant même que la nouvelle de sa chute ne soit comprise par son cerveau il était étalé par terre. Levant un regard embrumé par son réveil soudain vers le bout du couloir, les pensées disjointes.

Oscar rencontra une truffe verte, mille et une écailles irisées, et le regard sérieux de sa Lianaja.

— Jaaaa.

QU-QUO-QUAH LIANAJAA ?

— V-Vipelierre ? bafouilla-t-il en reculant brutalement, effrayé, se cognant justement contre le placard à balais dans lequel il avait voulu se réfugie.
— Pfff lia ! lui fit sa Pokémon avec un sourire surexcité.

Avant de tenter de rentrer son museau froid dans son pantalon blanc. —Au vu de l'humeur, c'était bien la même Pokémon, mais il ne se souvenait vraiment plus de son évolution !—

— Aha n-non Jeans ça ne marche plus maintenant, t'es trop grande...

Vraiment, sa Pokémon était une perverse... Ou alors une ingénue de première… Cependant, une nouvelle inquiétude, plus lancinante, vint balayer ses interrogations sur les appétits sexuels de sa Lianaja. Combien de temps avait-il été inconscient ?

Il observa ses environs, les dents serrées. Remarqua le Sbire qu'il avait défait, totalement endormi et bavant légèrement. Cela signifiait que de longues minutes avaient pu s'écouler depuis que l'adolescent s'était... assis ? évanoui ? Il ne se souvenait plus de rien après son appel à l'aide...

... et la Sbire qu'il avait poussé dans l'escalier... elle était encore là ?

Jeans lui arrivait maintenant aux côtes, et l'aida même à se relever, toute émoustillée par sa nouvelle forme. Oscar caressa ses lisses écailles avec fierté, ses pensées confuses se faisant émues quand il capta l'éclat de plaisir dans les prunelles carmines de sa camarade.

Ensemble ils s'avancèrent, chancelant jusqu'aux escaliers, le corps d'Oscar se réveillant peu à peu. Bientôt il put marcher sans appui. Et constater, le sang glacé, que la Sbire n'avait laissé d'elle qu'une flaque de sang.

Le corps avait disparu.

Oscar ne voulait pas, il ne voulait pas descendre par cet escalier maudit ! Il avait presque tué quelqu'un ici, une Sbire, peu importe—un être humain ! C'était fou que l'adolescent en soit amené à cela alors que... alors qu'il ne désirait que faire un simple voyage initiatique ! Il ne voulait rien de tout cela lui, pas de la peur, pas de la violence, il souhaitait juste parcourir Unys avec amis et Pokémon !

Combien le hasard pouvait être cruel.

Un jour de différence, et ils auraient été sauvés.
Un jour de plus à attendre Tcheren au Centre de Pavonnay.
Un jour de plus à Amaillide.
Un jour de plus sur la Route 20. Un jour sans barque.

Un jour, et ils auraient été épargnés. Ils auraient attendu à quai, perdus dans la masse de civils inquiets, écoutant avec anxiété le peu d'informations qui filtraient. Se massant au bord des côtes sur la promenade du Pokéwood ou les quais de Volucité, ou poursuivant leur quotidien dans une angoisse étouffée. Occupés par la pensée que ça aurait pu être eux, mais ça ne l'avait pas été.

Ça l'avait été.

« Les enfants, faites attention sur la route, lui conseillait Goyah dans un lointain passé. Une fois que vous avez été mêlé à la Team Plasma, vous avez toutes les chances de la rencontrer encore. Vos destins sont liés. »

Oscar retint un haut-le-cœur, un jet d'acide brûlant. Il se força à poser un pied sur la première marche de l'escalier. Détourna les yeux avec une culpabilité atroce quand il contourna la flaque de sang, voyant encore et encore, comme une scène d'action d'un mauvais film, le corps de la femme percuter le mur et brutalement se disloquer. Scène d'action artistique ralentie puis accélérée, accélérée dans un flou carmin—

Oscar dévala les escaliers en effaçant de sa mémoire tout ce qui disparaissant de son champ de vision. Il ne retint dans son esprit qu'un vague blanc, un vague blanc—Jeans le rattrapa et le força à ralentir tant il vacillait, des larmes acides aux yeux, haletant.

— Niaa...
— Pardon Jeans, pardon...

Il fallait qu'il se reprenne. Il fallait qu'il trouve les autres. Mais alors qu'Oscar se redressait, iris verdoyantes scrutant avec incertitude le couloir, il se rendit compte qu'il s'était complètement perdu.

[...]

Elsa fonçait à travers les couloirs étouffants, Amaryllis grognant à sa suite. Elle entendait les cris. Des insultes féroces trouvaient un écho comique et déformé dans ses oreilles, humiliantes comme celles de son enfance, mais cent fois plus graves au vu du contexte.

Elsa comprenait qu'au-dessus de sa tête, à peine séparé par la fine cloison du plancher, on mettait Zhu à genoux.

Le bateau tangua de nouveau, saisi du roulis maladif de la tempête—le bateau pouvait couler—mais les oscillations faiblissaient depuis quelques temps. Elle se rattrapa muettement contre le mur gauche, le bois abîmé écorchant son avant-bras sur toute sa longueur. Son monde se pencha légèrement, tous ses organes emportés par la danse des vagues.

Puis tout retrouva un angle perpendiculaire à celui du sol. Elsa aimait les maths. Amaryllis nettoya sa blessure. Les maths étaient utiles. On entendait encore les Sbires.

Plissant ses belles prunelles, l'adolescente sur rua vers la volée d'escaliers la plus proche, son esprit vidé de toute pensée sauf d'un objectif simple : niquer tous les Sbires du bateau. Elle en avait déjà assommé, battu cinq. Elle pouvait en défaire encore.

Encore.
Encore.
ENCORE !

Elsa poussa une sorte de gargouillement féroce, agressif. Elle leva les yeux et ils percutèrent la lumière cendrée du pont et de l'ouragan. À la lueur incertaine ses pupilles se dilatèrent aussi brutalement que celles d'une bête. Amaryllis chatouilla légèrement son mollet de sa truffe mouillée. Elsa gloussa.

C'était plutôt comique nan ? Nan ? Nan ? Ah on dit non non non c'est ça, non ?
Non ?

De nouveau elle laissa échapper un ricanement, et resserra le tuyau gelé qu'elle tenait en son poing moite depuis tout ce temps. L'arme semblait si grosse, lourde, disproportionné par rapport au fin bras de l'adolescente, incongrue à côté de sa jupe plissée et de son pull à col roulé. Encore le hasard ; encore lui, qui avait organisé ce spectacle perturbant.

C'est ainsi, prête à passer à l'action, qu'Oscar retrouva Elsa.

Il passa de perdu à soulagé, se sentant tout à coup si faible, et se rua vers son amie. Il n'avait ô grand jamais été aussi content de la voir !

— Elsa ! s'écria-t-il, une note chantante d'espoir perçant dans sa voix fragile et fatiguée.

Mais la fille réagit à l'opposé de ce qu'il s'attendait. Remarque, la barre de fer aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Au lieu de l'accueillir en un immense câlin, de lui montrer sa peur, de le supplier de la rassurer—tout ce que la timide Elsa aurait pu faire…—elle se retourna avec un sourire macabre et releva légèrement son arme.

Il ralenti avec effroi, et s'immobilisa à distance son cœur battant lourdement.

— E-Elsa... c'est moi...

L’adolescente acquiesça, haussant les sourcils avec une expression parfaitement délicieuce, l'air de dire « mais évidemment que c'est toi ! ». D'un geste déterminé, elle lui demanda d'écouter—« écoute, les ordres de la Cheffe, les insultes des Sbires ! ».

— Ah vous voulez qu'il lèche maintenant ! Vous voulez voir le gardien de la Tour Dragospire lécher le quai ? Hein que t’en as envie… oh qu’il en a envie !

Oscar frissonna, mais il ne sut dire si son corps réagissait au comportement d'Elsa ou aux mots qui se répercutaient depuis le haut de l’escalier. Son amie fronça les sourcils, résolue, et appela Amaryllis à ses côtés. D'un seul mouvement, Pokémon et dresseuse se tournèrent vers les escaliers.

Et c'est alors qu'Oscar comprit, glacé.
Elles comptaient se battre.

— M-Mais t'es folle ou quoi ? Doit y en avoir dix ou quinze, tu peux pas les affronter seule Elsa !

Cependant son amie mettait le pied sur la première marche.
La deuxième.
La troisième, sa jupe volant sous le coup d’une bourrasque.

— Non, attends !

Paniqué, oubliant toutes ses peurs, Oscar s'élança vers Elsa, sa camarade d'enfance, sa camarade de voyage, et elle leva bien son arme d'un geste dérangé mais il se saisit de son poignet sans même remarquer son geste agressif, n’entendant pas non plus les grognements d'Amaryllis. Il se souvenait plutôt d'un autre instant où il l'avait retenue, le souvenir se répercutant tel un écho lointain et amer au cœur du Maelström. Ce jour-là elle lui avait appris son prénom.

— Elsa, murmura-t-il, ne trouvant pas les mots pour l'atteindre.

« Tu es si bizarre. » « Reviens s'il-te-plaît... » Parce qu'il ne se sentait pas en état de la calmer, ni de la protéger actuellement. Parce qu'il se sentait bien trop terrifié pour affronter trente Sbires.
Mais la brune ne fit que rigoler doucement. D'un geste elle s'arracha à son emprise, l'immobilisant d'un Pistolet A O, et se jeta à la rescousse de Zhu.


(And after all... you're my Wonderwall...)
Ils remarquèrent l'ouragan des dizaines de kilomètres. Écho et Matis fusaient sur Clamiral, refusant de céder à leur angoisse. Mélis, White et Bianca, perchés sur Mégapagos, se propulsaient grâce aux Surf de leurs deux Flotoutan. Un silence dur les écrasait comme le plaquage d'un Ronflex. Seul les cris des flots les entouraient à présent.

L'ouragan, de loin, ressemblait à une volute de métal gris dans un océan paisible d'azur. Le métal était tordu de toutes parts et léché de rayures plus sombres, il ressemblait à une crème glacée pendue à l'envers.

Plus le groupe se rapprochait, plus les vents se faisaient forts, couvrant le claquement des vagues de ses hurlements déchirants, ses sifflements injurieux tantôt lancés avec une force vulgaire, tantôt vicieusement susurrés à l'oreille. Plus le groupe se rapprochait, plus le monde se faisait sombre, la lumière cendrée et maladive, le soleil se retrouvant brouillé derrière des tentacules d'air chaud.

D'aussi prêt, l'ouragan ne ressemblait plus à une glace Volute. Il ne ressemblait plus à rien, car il les avait complètement absorbés, c'était leur monde entier, noir et furieux. Une immense vague claqua sur la carapace de Mégapagos et inonda ses occupants alors les trois dresseurs hurlèrent—

— ABRI !

Bientôt ce fut au tour d'Écho et Matis de se faire submerger, de se faire tremper, de se faire couvrir d'écume et de sel acide. Luttant au creux de roulis immenses, ils étaient perdus sur des crêtes blanches et éphémères qui s'effondraient brutalement sous leur poids. La paire toussait, crachotait de l'eau gelée, leurs yeux brûlés n'apercevant même plus les trois autres… ils dérivaient bien trop loin et bien trop vite, paniqués.

Écho balbutia quelque chose de fragile.
À l’entente de cette vulnérabilité le sang de Matis ne fit qu'un tour.

— OHMASSACRE, ABRI !

Dans un éclair rouge se matérialisa son allié. Le Pokémon s'enfonça dans les flots sans perdre une seconde et projeta l'immense bouclier vert.
Tant que le Pokémon tenait, le groupe était protégé du pire.

— Ç-Ça y est je les vois, bafouilla Écho, sa chevelure trempée collant à chaque parcelle de son dos courbé.

Matis ne répondit rien, serrant la mâchoire, étouffant la panique. Sa sœur. Ç'aurait pu être sa sœur alors il se devait d'être fort bordel. Sa sœur. Il émit un long gémissement, sans même s'en rendre compte, alors que leur monde tanguait de nouveau et qu'ils s'effondraient presque sur Mégapagos. Un « PUTAIN FAITES GAFFE ! » leur parut indistinctement, sans doute une White dangereusement sur les nerfs.

Le Ferry leur apparut comme un éclat verdoyant dans l'enfer noir, une pépite ravagée, écrasée entre deux vagues immenses. Un brin de vie aspiré par un immense et obscur Maelström, Charybde tout droit sorti des pires légendes des anciens temps.

— M-Merde... s'étrangla Matis d'une voix blanche.

Il ne put entendre la réaction de White, mais il se doutait qu'elle ne devait pas être plus joyeuse que la sienne. Devant lui Écho frissonna. Même Clamiral et Ohmassacre poussèrent des cris angoissés. S'ils s'avançaient un peu plus, ils allaient se faire aspirer.

Les dresseurs jetèrent un coup d'œil terrifié à White, qui leur faisait de grands gestes—mais qu'est-ce qu'elle voulait dire ils ne comprenaient pas ! Comment voulait-elle qu'ils comprennent merde !

— RÉPÈTE ! hurla Écho alors que les flots les prenaient en tenaille, qu'ils se sentaient déjà tirés, impuissants, vers le boyau du tourbillon.

White mima un coup de poing vers l'eau, puis exécuta une danse bizarroïde avec ses index. Alors Matis comprit.

— Il va falloir qu'on rappelle Clamiral et Ohmassacre d'un coup ! cria-t-il à Écho alors qu'elle pâlissait et lui jetait un coup d'œil halluciné.
— Mais t'es malade, jamais de la vie !
— MAIS SI ! Je vais appeler Flamoutan et il nous servira de réacteur, sauf qu'il ne peut pas transporter nos Pokémon en plus de nous deux !

Elle se figea et laissa échapper un « putain... » plaintif. Jamais elle n'aurait dû répondre à ce dernier appel de White, elle s'en rendait compte maintenant. Quant à Matis, il leva le pouce en direction de la dresseuse, ce qu'elle put apercevoir une fois une immense vague passée. Leurs regards se croisèrent avec détermination.

Puis la jeune femme compta trois, deux, un.
Et go.

— FLAMOUTAN, LANCE DEFLAGRATION VERS LES VAGUES !

Ils rappelèrent les autres Pokémon en un battement de cœur ; chutèrent vers les flots déchaînés avec un hurlement terrifié mais s'agrippèrent au gros singe qui faisait volte-face et au dernier moment, juste avant de sombrer dans le Maelström, vomit un torrent de flammes bleues. Le feu percuta les vagues en une explosion de vapeur—qui projeta le trio dans les cieux—ils frôlèrent White, Bianca et Mélis en un hoquet terrifié avant de s'écraser vers le pont du Ferry comme des boulets de canon, incandescents dans l'obscurité, déchirant même les vents de la tempête !

— ABRIIIIII ! hurlèrent-ils tous ensemble en percutant le pont, fermant les yeux dans l’effroi, priant pour ne pas se rompre le cou.

Malgré le bouclier vert, leur groupe éclata sous le choc, roulant aux quatre coins du pont. Matis percuta une rambarde et se retrouva les bras ballants, terrifié, juste au-dessus des flots noirs. Son cœur bondit jusque dans sa gorge brûlante quand le navire roula de nouveau si brutalement qu'il crut passer par-dessus bord—

Une poigne ferme le hissa jusqu'au centre du pont, il rencontra un corps tendu, accroupi, et deux prunelles résolues. Grises.

— Écho—souffla-t-il, soulagé.

Mais de nouveau, le regard coulant de son amie attira son attention vers le cœur des événements. À quelques pas d'eux, White protégeait de son corps droit un Zhu paralysé—il avait au moins un bras cassé, peut-être plus. La dresseuse avait appelé son Roitfilam et rugissait des insultes horribles envers une Sbire terrorisée.

Sous leurs yeux effrayés, l'immense Pokémon attrapa la femme et se rapprocha lourdement d'un bout de rambarde, suspendant l'humaine par la cheville, au-dessus de la mer agitée.

— ÇA T'AMUSE MAINTENANT, CONNASSE ?
— WHITE ! hurla Bianca en lui ficha une claque. ÇA VA PAS ?

D'un geste brusque la dresseuse de légende indiqua à son Pokémon de revenir à elle, sifflant une insulte à l'égard de Bianca. La Sbire fut ligotée et balancée dans un coin oublié, sans ménagement. Écho rejoint Zhu et l'examina brièvement, grimaçant avant de se retourner vers la scientifique du lot pour lui demander de l'aide.

Mais la thésarde avait les yeux fixés, écarquillés, vers l'autre bout du pont. —Encore une fois Matis dû suivre le regard de ses camarades pour comprendre ce qui se passait, ça commençait à l'énerver d'être inutile—

Entre les ténèbres d'un couloir et les éclats cendrés du quai se tenait deux adolescents, une fille complètement déconnectée, parée d'un sourire macabre et d'une barre de fer, et un garçon totalement flippé. Bianca se rua vers eux avec soulagement, les emportant dans un immense câlin et cria leurs prénoms...

— ELSA ! OSCAR !

Matis supposait que les gamins faisaient partie du voyage et blanchit, réalisant qu'ils étaient encore plus jeunes que sa sœur. Quelle horreur. Mélis, Écho et lui-même, compagnons d'antan, exécutèrent quelques pas incertains vers la scientifique et les enfants ; mais White les devança et chopa le garçon brusquement.

— Toi ! Tu connais Élin ? Elle est où ?
— J-Je sais pas, balbutia le jeune dresseur en réponse, ses yeux verts écarquillés, sa frimousse décomposée. Y a un, un autre garçon au-aussi, Syd, ils s-sont tous les deux p-perdus dans le bateau...

White se redressa brutalement, ses prunelles si bleus électriques, et foudroya l'assemblée du regard. Chacun se tendit, attendant un ordre, une directive, scrutant avec nervosité la mâchoire carrée de la championne d'Unys.

— Bianca, reste avec les mioches. Les autres, fouillez ce putain d'radeau.

[...]

Mélis n'était jamais bien réveillé. Ou s'il l'était, c'est que sa mère lui rendait visite.

Mais aujourd'hui il était réveillé. Son cœur battait lourdement et il scruta les ténèbres avec inquiétude. Mélis Grey était plongé dans les boyaux suffoquant de chaleur du navire, plongé dans des ténèbres vacillantes, se guidant à la lumière des rares néons encore fonctionnels.

Il était seul. Chacun était parti dans une direction différente, dans l'espoir de trouver plus vite Élin... La fille de leur ami et compagnon d’armes Black. Seul et réveillé, quelle horreur, dire qu’il pourrait s'effondrer sur un lit d'une cabine ouverte, et oublier cette journée pourrie...

Cependant, comme il le constatait avec anxiété, le groupe n'était pas encore tiré d'affaire. Si tous les Sbires Plasma semblaient avoir été neutralisés, s'étant amassés comme des idiots sur le quai pour observer la défaite de Zhu—battus vite fait pendant que son poto Matis menaçait de repasser par-dessus bord—trouver Élin et l'autre gamin-dont-il-ne-souvenait-plus-le-nom dans un navire aussi grand allait être très compliqué. Très.

Il vagabonda un temps, las.
S'endormant debout.
Mais il eut plus de chance que les autres. En effet, Mélis n'eut pas à trouver Élin ; c'est Élin qui le trouva.

La gamine blonde le percuta de plein fouet, avec toute l'énergie du désespoir. Cependant elle ne sembla même pas le remarquer, sa frimousse ronde, ses prunelles noires déjà tournées vers la suite du couloir, son corps étourdi se reprenant, se préparant à reprendre la course. Il lui attrapa le poignet et tira dessus.

— Élin ! Je t'ai trouvée ! réalisa-t-il—au moins dix secondes trop tard—.

Pour une fois, l'ado semblait tout aussi à la masse que lui.

— Mélis... murmura-t-elle, levant ses iris obscures vers lui. Puis, sa voix se brisant, elle poursuivit rêveusement : qu'est-ce que tu fous là ?
— Bah on est venus vous sauver ! expliqua le jeune adulte, tout de même étonné par le manque de foi d'Élin en White.

Organiser une mission de secours était l'évidence même pour la Championne et ses amis. Souriant un peu—mais pas beaucoup, car il avait la flemme—Mélis attira Élin en un câlin qui se voulait rassurant, et marmonna :

— Allez viens, je te ramène auprès des autres.

Il s'imaginait déjà la brandir comme un trophée, triomphant, puis s'en retourner dormiiiiir. Mais tout ne se passa pas comme prévu. La gamine le repoussa brutalement, animée d'une énergie paniquée qui la rendait bien plus puissante que Mélis. Un éclair angoissé transperça ses yeux sombres.

— Non ! Pas avant d'avoir retrouvé Syd !
— Qui-que-quoi ? s'étonna Mélis, encore à la masse.
Mon meilleur ami, affirma fièrement Élin, le défiant du regard. Je ne pars pas sans lui !

Rah mais rien n'était jamais simple avec cette gamine ! Le jeune adulte s'élança vers elle, bien déterminé à la plaquer et la ramener pieds et poings liés auprès des autres, hurlant s'il le faut—mais elle lui envoya un brutal coup de pied là-où-il-ne-le-faut-pas et s'échappa.

Mélis s'écroula, hurlant de douleur, et la vit disparaître au coin d'un couloir, l'ombre jaune. Décidemment, cette journée était vraiment merdique.


(Where you gonna run to, Sinnerman?)
Syd avait trouvé le chef rapidement. Il l’avait traqué jusqu’à un petit pont isolé, un pont supérieur, celui-là même où les adolescents avaient déjeuné avant l'attaque. Et Syd avait contemplé le décor ravagé avec amertume, l'inquiétude assaillant son cœur quand il pensait à ses amis.

Il avait comprimé ce sentiment et l'avait rangé quelque part, remis à plus tard. Puis, il avait hélé le chef, qui ne s'était même pas retourné, ignorant totalement sa présence. Torse-nu et tatoué, comme un surfeur de Kalos. L'incongruité de la ressemblance le frappa en pleine gorge, à lui en couper le souffle ; il bafouilla.

L'homme se retourna, et le fixa avec des yeux luisants, de glace.
Il était amusé. Pas le moins du monde apeuré.

Ne sachant pas comment débuter, Syd lui lança l'unique Corde Sortie qu'il possédait, celle qu'on lui avait donné au Centre Pokémon d'Ondes-sur-mer.

L'Infirmière Joëlle n'aurait jamais pu deviner à quel point son cadeau de remerciement chaleureux allait coûter à Unys. Comment savoir qu'un cadeau aussi inoffensif à un adolescent poli allait causer autant de pleurs et de drames ?

Le chef reçut la corde en un geste précis, un sourire moqueur fleurissant sur ses traits taillés à la serpe. Il s'appuya contre la rambarde, caressant délicatement le lien dans ses paumes ouvertes, comme si l’attache était la plus fidèle des Pokémon... Syd souffla et s'arma d'un calme glacé.

— Je veux rencontrer Nikolaï.

Les yeux givrés de l'homme se fixèrent sur lui avec délice et hilarité, et il laissa éclater un rire de pleine gorge, un beau rire, qui donnait envie de se laisser aller et partager le plaisir. Cependant ses pupilles étaient trop dilatées pour être lucides, et son corps entier tremblait de pulsions contenues.

— Et pourquoi, peut-on savoir ? susurra-t-il.

Syd ne comprit pas comment les mots à peine murmurés purent l'atteindre aussi distinctement, alors qu'il demeurait au moins dix mètres de distance entre lui et le chef. Il avait l'impression que le jeune homme l'enlaçait, lui murmurait tout ceci au creux de l'oreille en un soupir gelé. Une vague dégoût le submergea.
Une vague de dégoût le submergea alors qu'il se retrouva à exposer ses entrailles, sa vie privée et Otis.

— Il peut guérir mon grand-frère.

Elle le détesterait si elle savait ce qu'il faisait actuellement, sa famille. Combien il se salissait... Et... ses amis... la frimousse d'une Élin souriante, lui faisant entièrement confiance, naïve, lui fouetta la rétine. Il serra les dents, tentant d'ignorer cette culpabilité gluante, collant à sa conscience—

— Et qui te dit que je peux t'amener à lui, sourit l'homme. ... neveu d'Aloé ?

La réponse de Syd mourut dans sa gorge. Quoi ? Il fixa l'homme, étourdi, ne comprenant pas comment son identité avait pu être décelée—Et en une seconde l'homme se fondit dans les ombres ; avant que le cœur de Syd ne pulse à nouveau il était collé à son dos, chaque muscle et pli de vêtement s'imprimant dans la chair de Syd. Il lui chuchota à l'oreille en un soupir gelé :

— Tout a un prix… en échange… Il va falloir faire quelque chose pour nous...

Syd ne vit pas les prunelles pâles d'Anto briller de plaisir.
Il fixa l’horizon lointain et libre.

— Rendez-vous dans trois jours, dix-huit heures, à la Mélodie du Répis, susurra-t-il. Tu chercheras une belle musicienne...

Et se dissolvant dans l'obscurité du Maelström, Corde Sortie à la main, il murmura d’un timbre froid :

— Bienvenue à la Team Plasma.


(La mort du Maelström)
Syd marchait dans un couloir quelconque, totalement étourdi, gentiment guidé par ses Pokémon. Grotichon ne parlait pas, soufflant de temps en temps une flamme orangée par sa truffe écrasée, scrutant chaque tournant avec méfiance. Riolu serrait les crocs, ne pouvant retenir les gémissements douloureux qui lui venaient à chaque noire pensée de son dresseur, à chaque palpitation de son aura confuse. « Bienvenue à la Team Plasma.

Il allait travailler pour la Team Plasma.

Mais c'était... pour son frère... c'était noble non... Otis ? Il ne pouvait que se justifier, il refusait de voir la vérité en face, il attaquait ses principes à coups de pensées acides. Se sentant tout simplement sal, avili, aussi obscur dans les ténèbres. Il sentait encore le toucher de cet homme sur tout le long de son corps et entendait ses paroles moqueuses. Comme s'il n'avait jamais quitté le pont supérieur.

Il avait l'impression d'avoir vendu son âme au diable.

Puis un boulet de canon blond le percuta, une petite mais robuste silhouette l'enlaça férocement, et une odeur de sueur, de Pokémon et d'océan lui fouetta les narines, remplaçant les senteurs suaves du chef. Une présence tendre et immédiate. Il vit Baggy et Lucky et Hope à la traîne, il vit avant de sentir les larmes se répandre sur son tee-shirt, salées comme la mer ; puis il entendit Élin l'insulter entre deux sanglots, s'étranglant avec ses rires. Mécaniquement Syd répondit à son étreinte, prit quelques secondes pour réellement y croire, pour laisser une douleur incroyable lacérer son cœur quand il prit conscience d'à quel point il s'était inquiété.

Pour elle. Pour eux aussi. Et le soulagement de la voir en sécurité n'en était que plus total, délicieux. Il avait l’impression d’aspirer une bouffée d'oxygène et de revivre. Aussi il trembla contre Élin sans parvenir à trouver les mots. Elle non plus ne disait rien, ne tentait d'exprimer aucune phrase cohérente, au-delà de ses borborygmes.

C'était juste eux.

Mélis les trouva ainsi, étonné de la posture dans laquelle se trouvait Élin, habituellement si forte et flamboyante. Il les ramena sur le pont inférieur où chacun s'était réuni, essoufflé. La gamine refusait de lâcher la main du gamin. Le gamin se sentait sale et affreusement coupable.

Un aveu, poisseux, lui pesait sur les épaules et brûlait sa langue, mais à travers tous les sombres couloirs il garda le silence, n'arrivant pas à trouver le bon moment pour confesser sa faute, saisi d'une peur irrationnelle. Il avait pêché. Et personne ne voudrait de lui maintenant, que dirait Élin si elle savait qu'avant de l'accepter son étreinte éperdue, il avait passé un pacte avec leur agresseur !

Il les avait trahis.
Il les avait trahis et il prévoyait de le faire depuis le Ranch d’Amaillide, même s’il ne se l’était pas avoué tel quel.
Si Élin ne l’avait pas forcé à les quitter Pavonnay, ce 9 juin… non.
C’était de sa faute, et sa faute uniquement.
Et dire qu'il s'était attaché, comme un con, qu'il avait tissé des liens et qu'il...

White emporta Élin dans un massif câlin, serra la main de Syd puis fila une petite baffe à la gamine qui lui hurla dessus en réponse, rien que parce que « elle attirait toujours les merdes comme un Miamiasme ».

Oscar entraîna Syd dans une embrassade soulagée, poussa Elsa vers le garçon, qui se sentait si coupable qu'il ne remarqua pas qu'elle se comportait comme un véritable robot. Ailleurs.

Syd s'approcha d'une rambarde, Élin avec lui car elle refusait de lâcher sa main, et du coup White aussi car les deux s'envoyaient des piques orgueilleuses. Le Maelström...

Le Maelström avait disparu. L'ouragan s'était calmé. Une mer azurée s'étendait à perte de vue, irisée d'un début de safran. Mais pourtant... rien n'était comme avant... car Syd s'était engagé à accomplir une mission pour la Team Plasma.

De longues minutes passèrent. L'adolescent, perdu, ne se rendit compte que longtemps après de la présence de Bianca, qui s'était lancée dans un monologue, félicitant son sang-froid, oui Zhu lui avait tout raconté et—et—

C'est à cet instant que White se déchira d'un flash de puissance et perdit connaissance au beau milieu d'une phrase.
Ils restèrent pantois sur le pont.




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FIN DU PREMIER ARC

Phew, ce chapitre était tellement long que j'ai besoin de commentaires pour me remotiver ! *auteure se cache derrière son excuse pourrie*
Qu'avez-vous pensé des changement dans la fic ? De ce dernier chapitre ? Quel est votre personnage préféré ? Je veux tout savoir ! *auteure sourit d'un air maniaque*

PS : Il y a un article de blog avec toutes les chansons thème de l'arc 1 !
Merci pour votre soutien !