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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:12
» Dernière mise à jour le 31/05/2018 à 21:44

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 16 : Au coeur du Maelström (1/2)
Bon les balises bb sur Pokébip c'est juste l'horreur. J'en emploi beaucoup et je dois corriger tout ça sur 22 pages DX

AU CŒUR DU MAELSTROM


(Esquisses)
Lancinant. Il y avait comme un sifflement violent, clair, qui perçait la brume, la dissolvant entièrement le temps d’une seconde pour dévoiler une immense vallée. Une immense vallée occupée par tout ce qu’elle connaissait. Des montagnes s’étiraient de loin en loin, étouffées de lavandes au point qu’on ne voyait plus l’herbe. Un ciel azur et aveuglant s’étendait jusqu’à l’opposé du val, une fine ligne qu’elle s’imaginait mais ne pouvait apercevoir.

Sur un des monts fleuris son père voguait sur son Ferry vert, acclamé par la foule du Pokéwood alors qu’il portait un masque hideux, qu’il lui semblait—chose étrange—qu’il jouait le mauvais rôle. Ensuite il lui sembla qu’il enterrait une silhouette noire, calcinée. Ailleurs une foule de filles nues et gémissantes se caressaient, elle reconnaissait toutes celles qui étaient passées dans son lit et ailleurs. Mais les femmes avaient des yeux bleus, verts, trop vifs. Son meilleur solo de guitare rythmait leurs mouvements légers, mais la musique s’éteignit brutalement. Et puis Artie dansa à travers un dédale de gratte-ciels noirs et gris, métal incrusté dans la terre fertile, baigné du sang jaune des fleurs lavandes… et les Champions se réunirent au centre de la vallée, Watson déclara « nous avons besoin de ma petite-fille » d’un air grave.

Il fit exécuter Iris par un Sbire Plasma anonyme, tandis que les membres du Conseil Quatre notaient que la procédure du jugement avait été correctement observée, travestis en Pokémon. Anis souriante, écrivait un script détaillé de sa prochaine journée, car elle modelait la vie, puis un homme étrange vola son parchemin et prit des proportions absolument gigantesques, écrasant le Ferry, les gratte-ciels, ses pieds énormes baignés du sang fleuri, orteils se plantant convulsivement dans la terre meurtrie.

Il la fixa de ses yeux givrés, c’était l’homme d’il y a deux jours, le technicien doucereux qui se comportait comme une mer trop calme, dissimulant adroitement les mortels et sombres courants des profondeurs. Dans son rêve elle voyait qu’un tatouage noir dépassait de l’argent épais de son col, un tentacule noir, du noir, du noir. Lentement il caressa sa gorge, puis la suffoqua en souriant, vomissant du sang en parfaite intermittence avec le bruit qui avait dissout la brume.

Strykna s’éveilla en sueur, haletant dans la pénombre étouffée de sa chambre.

À ses côtés sa petite-amie sommeillait encore, étalée sur plus de la moitié du lit et ronflant allégrement. Strykna frissonna, arrachant ses yeux vifs à leur danse paniquée, passant une main sur sa gorge blanche. Mais après quelques secondes l’émotion retomba. Elle se contempla apathiquement dans le miroir. La jeune femme se sentit entièrement vide, comme engourdie.

Elle pensa à l’Arène qu’elle devrait ouvrir ce matin, aux dresseurs qu’elle recevrait avec sarcasmes et dureté. Elle pensa à sa première expérience à l’âge de quinze ans et à la femme gentille et énergique qui l’avait partagée. Elle pensa qu’elle n’avait jamais fait de cauchemar dans sa vie—c’était le premier. Son père Capitaine n’en avait jamais fait qu’un seul—le matin où sa femme était morte. Puis Strykna pensa à ses choix, au vote des Champions et au futur. Mais elle n’arriva pas à se sentir concernée.

Sauf qu’elle pensa à la Mort.

Et comme une déchirure brutale sa léthargie protective lui fut arrachée. Elle se leva d’un bond, et la douleur, la peur de perdre son père la transperça. Un hoquet lui échappa, purement involontaire, perdu dans l’air pesant de la chambre. Elle étouffa soudain et vola vers les portes-fenêtres pour les ouvrit grand.

Le balcon blanc.
À quelques rues d’ici la mer.
Frissonnant, nue, Strykna s’avança dans l’air glacé de l’aube.

— Mais que fais-tu ? éclata une voix inquiète derrière elle.

La Championne fut happée, tirée à l’intérieur, on tira les rideaux blancs, puis elle se trouva face à sa petite-amie hâtivement habillée, tignasse noire encore vierge de tout foulard. Agacée, Strykna la repoussa d’un geste lent, délibéré, et prononça lourdement :

— Ce qui m’amuse.

Et Fara cligna de ses larges yeux noirs.

— Si Le Soleil et les autres journaux te prennent une photo tu seras affichée au-devant de tout Unys ! coupa-t-elle, si doucement, avec son accent chantant.
Don’t care, répliqua Strykna.

Elle sentait son cynisme habituel, lourd et épais, la recouvrir entièrement. Familier. Bof, elle s’en fichait.

— Mais ton père pourrait voir ces photos… toi, nue…

Et Fara continua à parler mais les mots perdirent leur sens. Strykna lui jeta un regard vide, se demandant pourquoi on parlait toujours de photos-nues qui n’avaient pas été prises. Bientôt les phrases, les mots, ne devinrent plus qu’une série borborygmes insignifiants, un bruit de fond.

Strykna alla s’habiller, laissant Fara dans le froid, debout dans sa nuisette. Puis :

— C’est aujourd’hui que je repars à Rhodes.

Les mots résonnèrent mais n’obtinrent pas de réponse, s’évanouissant dans les aurores. Car tandis que Fara l’appelait tristement, la Championne agrafait son soutien-gorge, enfilait les bretelles noires, ajustait le tissu sur sa poitrine, attrapait un blouson de cuir.

— Je e ne reviendrai jamais à Unys, insista-t-elle maladroitement, ravalant sa salive, sa voix peinant à cacher son chagrin.
— … I know, répondit impassiblement la rockeuse.

Son amante était toujours en robe de nuit, cernée, les lèvres tremblant, les cheveux ébouriffés. Elle se tenait à la porte du dressing, et semblait si fragile. Strykna se faufila dans leur chambre sans même l’effleurer, et cercla lentement ses yeux de khôl noir, s’observant placidement dans le miroir. Les aux-revoirs était toujours fatigants. Mieux valait qu’elle s’en aille.

Get home safe, ne t’inquiète pas si tu fous l’bazar dans l’appart j’sonnerai une meuf pour ranger. Tu pourras m’appeler de temps en temps. Bye.

Une rapide bise sur chaque joue. Le regard dégoûté de Fara, ses yeux comme trahis. Puis Strykna était dehors et ne savait pas où aller, se disait que merde, elle n’avait pas envie d’ouvrir l’Arène, qu’ils aillent se faire foutre, et autant aller au port, elle pourrait parler à son père avant que le Ferry ne parte—elle avait un mauvais pressentiment. Pas lié à son rêve, nan, ridicule, elle ne croyait pas à l’astrologie ou au fengshui de Kanto, à tous ces délires de prémonition et d’esprits à la con. Mais elle avait un mauvais pressentiment. Quelque chose en rapport avec le vote des Champions. Elle aurait peut-être dû voter pour fouiller les villes, finalement.

Probablement.
Bof, ranàfoutre.

Elle s’alluma une clope. Passa par ses coins préférés de la ville. Ici MadamB avait tagué un énorme Crocorible s’élançant hors des égouts, féroce, plus vrai que nature. Là, Passérat, son blaze en énorme sur les murs écaillés. Entre deux brins d’herbe humide, une frêle silhouette de garçon, semblant tracée au charbon… aucune signature, un dessin anonyme. Les nuages colorés, les arabesques d’encre se mêlaient sauvagement, chacune comme un hurlement figé, un cri impérieux à l’attention du promeneur. L’anarchie totale s’étendait vers le port.

Strykna aussi avait tatoué son blase partout dans la ville, en son temps. À l’époque ou être en colère contre le monde était vu comme cool chez les ados, toussa.

Aujourd’hui, elle était Championne d’Arène—woohoo.—et elle traitait ses nanas comme des clopes. Une fois les taffes tirées y avait plus rien à y faire. Bon, allez, pas d’introspection. Mais Fara avait eu l’air si blessée. Et elle était restée des mois, des mois, installée dans l’appartement de fonction de Strykna. Ce matin c’était tout une partie de son quotidien qui s’arrachait brutalement.

Et en plus elle avait fait son premier cauchemar.

Strykna s’arrêta aux frontières du port, la cacophonie infernale des marins la plongeant plus que tout dans une humeur massacrante. Le vent du large la fouettait brutalement, remontait joyeusement les ruelles toutes tagguées dont sortait la Championne, déchirant les ombres du matin.

Un cauchemar, ça ne veut rien dire. C’est juste un ramassis de peurs condensées.

… Strykna n’était pas du genre à avoir peur. Aussi si elle s’était dirigée vers le port, le Ferry, en fuyant Fara… C’était simplement pour souhaiter un bon voyage à son père. Rien de plus. Pas parce qu’elle suspectait secrètement un technicien qu’elle avait entrevu pendant moins de cinq minutes il y a deux jours… Pas parce que la Team Plasma avait repris du service.

Yo.
— ‘jour Na-Na, lui répondit le marin.
— Rah, don’t call me that!

Un vieux maigre au visage buriné, un pote à son père. Le copilote qu’elle avait assommé quand elle avait treize ans et qu’elle s’amusait à échouer des Ferry sur des rochers sous-marins.

— Toujours aussi agréable, maugréa-t-il, lui jetant un regard aigre.
Yeah, yeah, yeah, répliqua-t-elle avec indifférence, se rapprochant juste assez prêt de l’homme pour le perturber. Look, je cherche le Ferry de mon père, il est à quel quai ?
— Ha, rétorqua-t-il. La fixant d’un œil mauvais, noir, pour qu’elle se recule, dégage de son espace personnel.
— Quoi ?

Elle était agacée maintenant, ne voulait pas reculer et perdre l’affrontement. Le marin lui offrit un sourire aux dents aiguisées.

— Il s’est déjà arraché, ton père. Ze Ferry’z gon, tu comprends.
— Merde.

Ses yeux s’écarquillèrent, son souffle se fit court—Rappelle-toi les cauchemars sont ridicules, tu te rappelles ? Mais elle courut, elle avala le béton du port et s’arrêta au bout du bout du quai le plus proche en équilibre ténu sur le bord des vagues. Il y avait un point vert à l’horizon. Le Ferry de son père.

Il était parti il y a à peine quelques minutes.
Si elle s’était un peu dépêchée en se préparant—en marchant—si elle avait été plus rapide…

Elle aurait pu le prévenir. Parce que Strykna avait un mauvais pressentiment, un étau brûlant autour du cœur—parce que merde, elle n’avait jamais fait un cauchemar de sa vie et le seul qu’avait jamais eu son père, c’était avant la mort de sa femme ! Les rêves n’étaient pas le fruit du hasard dans leur famille. Ils avaient une signification.

Alors… alors le Ferry était en danger...


(État des Lieux)
— Et voilà.

D’un geste théâtral Oscar balaya l’horizon ensoleillé. Elsa se pencha par-dessus le bastingage, une bourrasque salée repoussant aussitôt ses boucles noires et vêtements légers. Ses prunelles suivirent avec enthousiasme et presque gourmandise l’index de son amoureux secret, iris oscillant toujours entre bleu et le vert, mer et terre. Déjà la côte mordorée s’éloignait, engloutie par les flots puissants, la cacophonie des voyageurs et des moteurs.

— Au fait, tu sais quel jour on est aujourd’hui ?

Elle se tourna vers le beau-gosse, bronzé et souriant. Il jouait distraitement avec la Pokéball d’Amagara, ses yeux verdoyants fixés avec intensité sur sa maigre silhouette—ce jour-là, Oscar avait troqué ses habits de hippie pour un ensemble entièrement blanc, son allure en devenant éclatante, son port altier. Il n’était qu’encore plus superbe bien sûr—

— L-Le 18 Juillet 2999, onze heures t-trente-et-une minutes, répondit-elle mécaniquement (maîtrisant avec peine un fort rougissement).

Petite, connaître la date et l’heure exacte était une manière de gérer le stress, et l’habitude lui était restée depuis. Évidemment tous les élèves « cools » de l’Académie trouvaient ce réflexe flippante et… Oscar allait aussi la regarder de travers, probablement… mais le garçon ne lui laissa pas le temps de souffrir d’embarras. Il poursuivit dramatiquement :

— Non mais tu ne comprends pas ! Cette date a de l’importance ! Aujourd’hui cela fait dix jours que nous avons commencé notre voyage initiatique : dix jours que nous nous sommes rencontrés !

Elsa n’osa pas ajouter « euh, toi et moi on se connaissait depuis des années et c’est toi qui ne m’as jamais, jamais remarquée… ». La dresseuse était sûre que Syd se serait rappelé de ce fait, ils auraient échangé un regard désabusé et lui se serait permis un sourire sarcastique. Mais Élin avait entraîné le garçon silencieux à la recherche de nourriture, « dans l’idéal du caviar et du foie gras ! ».

— Ç-Ça n’est pas beaucoup, d-dix jours, remarqua Elsa pour briser le silence.
— J’ai l’impression que ça fait des années, soupira Oscar en réponse.

Il semblait rêveur ; elle étudia son visage fin quelques secondes. Une petite fille s’écrasa par terre à leurs côtés, aussitôt ramassées par sa grande sœur. Elles cherchaient leur ballon de foot. Sur le pont inférieur, un Céribou de Sinnoh s’ouvrait lentement au soleil, perdu dans une foule de promeneur en maillots de bain, qui s’aggloméraient avec force et fracas autour de deux immenses piscines.

— Dis, ça te fait quoi te retourner à Volucité ?

Gratte-ciels gris.
Publicités géantes.
La ville de leur enfance.

— Je…

Elsa ne savait pas quoi répondre. Quand elle pensait à Volucité, elle voyait l’hôpital où sa mère était morte. Puis son père lui revenait, engoncé de costards et de cravates, la faisant joyeusement tournoyer en l’air et lui achetant des Glaces Volute. Quand elle pensait à Volucité, elle sentait l’été se faufiler parmi les immenses boulevards, les arbres frissonner sous les murmures de l’automne ; elle voyait ses amies les pestes, puis le professeur d’histoire qu’elle avait longtemps trouvé mignon quand de désespoir, elle se demandait si elle ne correspondait pas davantage aux adultes qu’à ses pairs… Quand elle pensait à Volucité elle voyait son bureau ordonné et les voitures qui rampaient sur l’autoroute au-delà de sa fenêtre, leurs phares jaunes dévorant la nuit bleue.

Elsa pensait à toutes ces soirées consumées par les devoirs, les leçons à apprendre. Quand elle pensait à Volucité, elle sentait la solitude imposée de sa jeunesse.

Mais elle fut incapable d’exprimer ce doux mal-être. Aussi elle se contenta de frissonner comme les arbres des boulevards en automne, et de révéler en une faible murmure :

— J-Je n’ai pas trop envie d-d’y aller… M-Mais il faut que j-je rendre visite à mon père…

Oscar lui jeta un regard sombre, la surprenant. Elle se rappela qu’au sud d’Ondes-sur-mer, en marchant sur l’aqueduc, elle avait découvert qu’ils avaient grandis seuls chacun à leur manière.
Le beau-gosse n’osa presque pas avouer :

— Moi non plus, j’ai pas trop envie d’y retourner…

Il n’élabora pas.

« À L’ATTENTION DES PASSAGERS. Bonjour, ici le capitaine du Ferry—hrm comme je me nomme Monsieur le Capitaine, vous pouvez tout simplement m’appeler Capitaine, enfin pardon, enfin cela coule de source, bref—il est onze heures quarante du matin, la mer est calme. Nous devrions arriver à Volucité dans environ trois heures. Je vous souhaite une agréable traversée ! ».

Cette annonce arracha un sourire à Oscar et la mauvaise humeur se dissipa, arrachée comme un voile de deuil que l’on jetterait à la fureur des flots. Ils se sourirent, et se penchèrent de nouveau par-dessus la barrière, souvenirs happés par le vent.

— Tiens, mais ce ne serait pas justement Capitaine ? s’étonna Oscar, pointant un coin enveloppé d’ombre sur le pont inférieur.

Elsa plissa les yeux, tentant de distinguer autre chose qu’une silhouette floue, dont les traits lointains ressemblaient étrangement au père de Strykna. Seuls les mimétismes, l’allure semblaient différents, disjoints.

— C-Ce n-n’est pas possible, Capitaine vient de f-faire une annonce, il est supposé être en cabine…
— Bah oui mais…
— YOOOSH !

Les adolescents firent volte-face et bien leur en prit, car un boulet blond s’élança vers eux et ils durent le recevoir avec difficulté dans leurs bras, l’impact leur coupant brutalement le souffle. Derrière Élin se tenait un Syd blasé, écrasé par un énorme plateau sur lequel trônaient une pyramide éclatante de victuailles et plusieurs boissons aux couleurs surnaturelles.

— On a trouvé PLEIN de BOUFFE, s’exclama Élin, des étoiles aux yeux, se relevant vivement et sautillant jusqu’au plateau. Là y a du tartare de poisson, làà c’est des blinis avec du foie gras, et aussi de la confiture d’oignon—vous voyez j’avais raison ils servaient vraiment du foie gras !—là c’est des plats de Johto, des rouleaux d’algue, et ici un couscous de Rhodes…
— Ouah, elle a retrouvé toute son énergie… glissa Oscar à Syd, sympathisant pleinement.
— Il se trouve qu’acheter de la nourriture lui plaît plus que se lever à cinq heures du matin… répliqua avec une légère ironie le pauvre dresseur.

Pendant ce temps, Élin continuait son descriptif, rayonnant de joie et de satisfaction, entraînant même Elsa dans son enthousiasme, si bien que les deux filles avaient l’eau à la bouche. Heureusement pour les garçons, Élin avait faim, et elle dû bien conclure son speech :

— Eeeeeet puis les boissons, c’est des mocktails ! De vrais cocktails mais sans alcool, parce qu’ils se « moquent » de toi tu vois !

Elsa acquiesça, béate. Mais Syd intervint légèrement :

— Enfin ça, c’est la théorie de madame, la barmaid nous a simplement signalé que les boissons étaient plus « de notre âge ».
— Bref, ils se moquent de nous, persista Élin, catégorique.
— Rah mais qu’elle est têtue…
Cependant elle a peut-être raison.

Les quatre adolescents sursautèrent violemment, Syd renversa presque son lourd plateau mais Élin le retint en s’écriant : « NOOOON, LA BOUUUUFFE ! ». Lentement, le groupe leva un regard effrayé vers la source de la voix spectrale… qui n’était d’autre que l’ex-Champion/star de Pokéwood/pervers Zhu. L’homme les surveillait d’une paire d’yeux profonds, n’arborant pas le plus petit des sourires alors même que sa remarque avait été énoncée avec amusement.

Oscar frissonna. Il était flippant.

— Sur ce, je vous souhaite une bonne traversée.
— E-Eub attendez ! s’exclama Oscar, lui attrapant le bras puis reculant comme s’il avait été brûlé. Ouais ben euuuh je vous remercie pour Amagara !

Il sortit la petite Pokémon sous les yeux satisfaits du Champion, mais, agacée par tous ces bruyants humains et Pokémon, elle voulut immédiatement rentrer dans son abri. Oscar s’en excusa, à l’indifférence totale de Zhu.

— De rien, répondit glacialement l’ex-Maître des Glaces. J’espère que vous en ferez bonne usage.

Il disparut en un nuage bleuté tel un ninja, laissant un Oscar soulagé et trois adolescents perplexes.

— … Il est flippant. annonça Élin une fois le Champion parti, jetant des regards suspicieux à la ronde de peur qu’il ne réapparaisse.
— Grave ! acquiesça Oscar.

Un silence plana sur le groupe sans que personne ne trouve à redire à cette vérité générale. Puis un rougissement se déclara, et une petite voix suggéra :

— B-Bon, on va s’asseoir ?

Syd ne se le fit pas dire deux fois.


(Je suis le vent hargneux qui frappe les vagues)
L’homme foulait le parquet ciré du navire avec une grâce féline. Son monde n’était que sensations. Le moindre courant d’air. Les murs froids qu’il frôlait de son poignet. Le parfum accroché à l’écharpe de cette femme brune, disparu en un tourbillon salé. Il entendait chaque hoquet, soupir, chaque « B’jour Capitaine ! » dès habitués heurtait bien trop forts à ses tympans délicats. Il adorait la douleur des échos.

Chaque sensation l’excitait, le motivait ; chaque « Capitaine ! » enjoué attisait le feu malsain qui se cachait sous sa peau, écorchant chaque nerf, pétillant sous chacun de ses sourires trop polis. Les humains étaient naïfs, idiots, leurs chairs si molles et juteuses. Ces prunelles heureuses aux rondes pupilles qui s’accrochaient à sa silhouette rassurante et sa démarche professionnelle ; ces prunelles ne décelaient rien de réel.

L’homme fantasmait sur des futurs impossibles… Si ses maîtres ne le tenaient pas en laisse, sûrement aurait-il perpétré un massacre. À un fils il dirait « si tu tues ton père, je te laisse survivre ». Il enfermerait plusieurs femmes dans une suite de luxe, il promettrait la vie à celle qui le satisferait le plus, puis une fois celle-ci nommée il la décapiterait… Chacun tuerait son prochain, et il se glisserait parmi la foule sous des masques tristes et joyeux ; il sèmerait le chaos.

Aujourd’hui, impossible.

L’homme avait l’air de se diriger vers la cabine du « Capitaine » ; c’est ce que croyait la foule. Au lieu de cela, il empruntait progressivement des couloirs de moins en moins usités. Il s’arrêta devant un placard à balais. Et en sorti un plateau repas… un plateau repas ordinaire, ensachée d’une cascade de dentelle blanche ; du luxe, du luxe… Mais sous ce tissu moiré se cachaient une bombonne de poison et une machine assez puissante pour le diffuser dans tout un navire.

Il regarda sa montre d’or. À cette heure-ci, ses hommes et femmes devaient remplacer le staff du Ferry. Dans dix minutes, le navire entier serait à leur merci…

Le 18 juin à douze heures pile : heure zéro de l’opération.


(If we lose ourselves today)
Sur le pont supérieur, les touristes ignorants nageaient, discutaient, appréciaient toujours le vent du large. Oscar prenait des photos du groupe, qui ressemblait outrageusement à des stars à succès du Pokéwood avec leurs duckfaces, leurs lunettes de soleil et leurs mocktails colorés—tout ce manège sur fond de mer azure évidemment. Même Syd se laissait aller, bien qu’il pâlissait brusquement à chaque fois qu’Oscar leur faisait voir le résultat et demandait immédiatement à supprimer la photo. Demande toujours refusée, surtout qu’Élin effrayait à la fois Syd et le pauvre photographe à coups de « si vous supprimez cette photo je vous raconte les circonstances de mes premières règles, nanananèreuuuh ! ».

Heureusement une partie des « dossiers » compromettants purent enfin être supprimés à l’insu de la blonde, car celle-ci voulu aller aux toilettes.

— J’vais faire pipiiii.

Silence. Puis les trois autres jeunes deviennent tout rouge.

— RAH MAIS ON VOULAIT PAS SAVOIR ÇA !
— Roh mais quoi, c’est naturel à ce que je sache, vous allez pas me dire que vous le faites jamais !
— T’es vraiment une enfant sauvage !
— Oui merci de me le rappeler !

Chose étrange, en revenant, la petite dresseuse déclara qu’elle avait croisé Capitaine dans les couloirs alors que, logiquement, il devrait être dans sa cabine en train de naviguer ; en plus elle l’avait salué et il ne l’avait pas reconnue. Peut-être qu’il faisait sa star snob, vu que c’était son Ferry… Elsa et Oscar, se souvenant d’avoir aperçu ce même Capitaine sur le pont inférieur un peu plus tôt, échangèrent un regard interdit mais ne commentèrent pas. L’omniprésence du marin surprenait, mais… il devait bien y avoir une explication… non ?

— Dis Syd, tu m’affrontes ? Cette fois je suis sûre que je te bats ! lança de son côté Élin, qui était déjà passée à autre chose—bonjour la capacité naze de concentration.
— Pas encore, rétorqua le dresseur de Grotichon. Je veux d’abord perfectionner ma nouvelle technique de combat.
— Mais ça fait des années que tu dis ça ! gémit dramatiquement la blonde, ramenant ses paumes ensemble comme pour une prière.
— Non, juste une journée…

Devant l’air agacé—mais presque amusé—de Syd, Élin ne puy s’empêcher de sourire, ce qui laissa le temps à Elsa de s’enquérir :

— C’est L-Leafer qui t’a inspiré, n’est-ce pas ?
— Oui… répondit le garçon aux yeux d’ambre, surpris que son amie ait deviné. Mais mon style va différer un peu du sien, parce que se baser sur la personnalité de l’adversaire pour deviner ses prochains mouvements, c’est trop… hasardeux à mon goût.
— C’est surtout que tu sais pas du tout lire les personnalités des gens… remarqua Élin, tirant sa langue.
— Pfft, n’importe quoi.

Ce fut un élément imprévu qui acheva Syd : Oscar. Le beau-gosse, fixant les restes de leur couscous, se rappelait avec effroi les premiers repas que leur avait préparé Élin—poisson au vinaigre, yippeee—et repensait à la lâcheté de Syd à cette époque. S’enfermer seul dans sa tente, non mais ! Le photographe intervint donc froidement :

— Enfin, t’es quand même un véritable asocial, Syd.

Le pauvre dresseur de Grotichon, traumatisé, ne put que se réfugier derrière un grommèlement inaudible avant de déclarer que « de toute manière, il n’affronterait pas la peste Élin, parce que la mer avait l’air de s’agiter et cela pourrait se transformer en tempête ».

Il ne croyait pas si bien dire. Intrigués, les adolescents se rapprochèrent du bastingage. La plupart des touristes fuyaient maintenant les piscines, enrobés dans d’épaisses serviettes éponges. On rentrait les Pokémon. Il régnait comme une atmosphère oppressante… Le soleil brillait toujours, mais d’une lueur pâle comme un matin d’hiver, semblant presque malade ; de longs tentacules de nuages gris l’encerclait peu à peu, baignant le Ferry d’une lumière cendrée. Des vagues de plus en plus hautes percutaient le flanc du navire en une danse agressive, furieuse. Et un vent sifflant dessinait comme un cercle parfait, surnaturel, autour du bateau, autour des humains vulnérables.

Pris d’un mauvais pressentiment, froid et gluant, Syd attrapa les bras d’Elsa et d’Élin, les éloignant rapidement de la barrière. Oscar suivit le mouvement. Pas plus d’une seconde plus tard, la crête d’une immense vague frappa la balustrade, l’étouffant d’une écume bouillonnante.

— M-Mais on est sur le pont supérieur, c-c’est pas normal ! s’écria Elsa, reculant avec frayeur, se cognant contre la poitrine crispée de Syd.

Élin restait muette. Syd aussi. Oscar lançait des regards inquiets à la ronde, cherchant un adulte à qui demander conseil, restant à l’écoute d’une consigne officielle ; n’importe quoi pourvu qu’ils soient mis en sécurité. Il ferma les yeux. Et comme une réponse à ses prières, les haut-parleurs du Ferry grésillèrent un instant, avant de recracher la voix de Capitaine, son timbre aux accents rassurants :

« Mesdames et messieurs, il semble qu’une tempête se lève. Pour votre sécurité, veuillez rappeler vos Pokémon et regagner vos chambres. Je répète : pour votre sécurité, veuillez rappeler vos Pokémon et regagner vos chambres. Le staff du Ferry est à votre disposition si vous avez besoin d’aide… ne vous inquiétez pas trop, mes amis. »

Mécaniquement, les adolescents hochèrent du chef et entamèrent les premiers mouvements pour se rendre à leur chambre, tout au fond du bateau. Mais Élin se braqua. La petite blonde s’arque-bouta de toutes ses forces pour ne pas faire un pas de plus, et Syd qui la tenait toujours s’arrêta, ce qui immobilisa Elsa et ensuite Oscar…

— Y a un malaise là, affirma la blonde d’une petite voix.

Les adolescents se figèrent, pris entre une tempête certaine et l’inconnu du navire, les étranges comportements de Capitaine. Ils se fixèrent et Oscar déglutit, fermant les yeux et refusant d’affronter la vérité, mais…

— C’est vrai, répondit-il d’une voix tremblotante, incertaine.

Soudain apparut une jeune femme vêtue de l’uniforme vert du Ferry, contraste parfait avec sa courte chevelure rousse ; elle les fixait durement.

— Bon, y a une tempête là, faut rentrer à votre cabine.

Sa voix sonna dans le vent comme l’ordre d’une colonelle, martiale, sévère. Quand les adolescents ne répondirent pas, tremblant, elle fronça les sourcils.

— Eh bien ?

Alors Syd comprit. Il se rappela tous ses passages à l’hôpitaux, les fois où il accompagnait son frère ; il pensa à ses profs, à sa tante Aloé, et à leur déposition au commissariat après l’Accident. Il savait « bien parler ».

— Madame, c’est mon amie ici—il désigna une Élin encore pâle—qui a fait un malaise. Elle a peur des tempêtes. Mais nous allons regagner notre cabine dès à présent.
— Tant mieux, claqua la voix de la femme. Quel numéro ?
— Cent-douze, tout au fond.
— Je vous accompagne.

Ils s’enfoncèrent dans les couloirs lustrés du navire, éclairés par des néons vacillants, plongèrent dans un dédale aux angles et tournants obscurs. Un flot d’étrangers les encadraient, marchant avec retenue et urgence à la fois, serrant fort les mains potelées de leurs enfants. Une ambiance lourde planait sur la foule, et chaque visage semblait crier muettement. Panique étouffée. Tous dévalaient les escaliers machinalement. Presque aucun bruit, quelques chuchotements. L’employée du navire tenait Oscar et Elsa par le cou. Syd avait lâché Élin mais c’était maintenant la blonde qui se raccrochait à sa figure rassurante, blanche.

Au fur et à mesure qu’ils descendaient dans les entrailles du navire, le nombre de familles, de couples et de dresseurs s’amenuisait. Bientôt ils furent seuls avec l’employée devant la porte noire de la chambre cent-douze. Élin refusa de lâcher Syd, qui dut retrouver les clefs et les tourner dans la serrure d’une seule. Un seul néon du couloir fonctionnait encore. Il grésillait bruyamment.

— Madame, ça ne marche pas, annonça calmement Syd. La porte de veut pas s’ouvrir.

La femme ricana brièvement. Elle resserra violemment son emprise sur les cous d’Oscar et Elsa, qui hoquetèrent. Puis son rire se transforma en gargouillements impuissants, et ses doigts lâchèrent complètement prise sur les nuques de ses victimes. Elle s’écroula.

Zhu était apparu. De ses mains blanches pendait une portion de câble électrique sectionné. Syd s’extirpa de la poigne d’Élin, se mit à genoux aux côtés de leur agresseure sans mot, et prit son pouls.

— Elle vit encore.
— Peu importe, répondit Zhu.

Syd sursauta.

Oscar et Élin, ils avaient peur, ils se tordaient les doigts et se mordaient les lèvres et la terreur effleurait chaque parcelle de leur peau en menaçant d’éclater. Syd tentait de relativiser les dernières paroles de Zhu, comprenait la situation et pensait à sa famille ; il fit ce qui était instinctif chez lui, comprima l’angoisse et la rangea dans un coin pour ne laisser que le vide dans son esprit.

Elsa… s’attendait à être paralysée, plongée dans la panique. Mais étrangement, elle regardait le corps inconscient de la femme, et elle se sentait si incrédule que sa terreur s’annihilait—elle avait presque envie de se marrer. Enfin quoi, l’enchaînement des événements, la tempête soudaine puis la femme menaçante, et enfin un ex-Champion d’Unys qui apparaissait pour les aider comme par magie… c’était surréaliste ! Tout simplement surréaliste !

Zhu attacha les mains de « l’employée » avec le câble qu’il avait utilisé pour l’étrangler. Il la bâillonna en déchirant un bout de son uniforme. Pendant ce temps Syd fouillait sans émotion son corps inconscient, palpant les cuisses et les côtes de l’adulte sans réellement comprendre ses gestes. Il tendit sans mot dire un talkie-walkie à Zhu, qui l’alluma. Ils entendirent :

« … Béta à tous les sbires, confirmez vos positions et confirmez que les couloirs sont nettoyés. Terminé. »

Zhu ne rata pas un battement de cœur, semblant fait de glace ou de marbre. Il retourna le talkie-walkie, lut le matricule, et appuya sur le bouton « PTT ».

« De Sbire 414 à Béta, couloir numéro un nettoyé. Terminé. »

Il éteignit l’appareil et Syd se redressa. Alors les quatre adolescents fixèrent le Champione avec espoir, le cœur au bord des lèvres, corps tendus jusqu’à en rompre. L’adulte balaya le couloir de ses yeux profonds, son visage trahissant pour la première fois un peu d’émotion, et leur indiqua de se rapprocher.

— L’ampleur de l’attaque, la précision de l’attaque. Ça ne peut qu’être la Team Plasma.

Ils fermèrent les yeux car ils le savaient, ils l’avaient deviné sans se l’avouer. Ils avaient compris que l’organisation ressurgissait encore, l’avaient su aux paroles de Goyah. « Vos destins sont liés. » Cependant, cette attaque… cette attaque était d’un tout autre niveau. Ils n’étaient pas prêt à y faire face.

— Mais mon père et White les avaient niqués. Et Mélis et Écho e-et eux aussi ! s’emporta Élin, rouge, tremblante, cependant Zhu la coupait glacialement :
— Jamais deux sans trois.

Elle se tut, perdue. Personne ne fut en mesure de la réconforter. Chacun écouta le Champion.

— La Team Plasma a réalisé plusieurs grands coups d’éclats par le passé : la prise de la Ligue, l’attaque de Janusia par la Frégate. Leur modus operandi consiste à immobiliser un maximum de civils. Ça leur laisse le champ libre et ça leur sert de bouclier humain.

Une pause, lancinante.

— En sortant de ma cabine pour vous rejoindre, j’ai remarqué qu’un gaz rose s’infiltrait dans la chambre par les bouches d’aération. Il doit certainement être soporifique. Cela veut dire que nous sommes certainement les cinq seuls dresseurs encore aptes à résister sur le Ferry.

La voix de Zhu s’élevait, se durcissait, lui se redressait fièrement, les balayant d’un regard déterminé et martial. Il martela d’un rugissement froid « Êtes-vous prêt à résister ?  ».
Ils répondirent oui.

— Élineera.

Elle tressaillit, moite de transpiration, les yeux luisant de peur contenue.

— Va à l’avant du navire où se trouve la cabine de Capitaine, et vois s’il est encore conscient. Il est probable que notre trajectoire dévie et il faut nous remettre en route vers Volucité le plus tôt possible.

La Team enlevait plus de deux cents personnes d’un coup, la Team les emmenait dans un lieu secret loin de Volucité. Elle les effacerait. Elle effacerait Élin, Syd, Elsa, Oscar, Zhu, leurs silhouettes d’encre déjà vacillantes à la lumière du néon.

— Syd.

Syd, totalement calme. Trop. Son corps trop immobile et tranquille.

— Capitaine m’a expliqué un jour que le système de fermeture automatique des portes se trouve à l’arrière du Ferry, dans la salle de surveillance. J’ai déjà désactivé les caméras sur une partie du navire en coupant les câbles. Mais le système des portes était trop délicat pour que je m’y attaque. Il faut que tu t’en occupes.

Le garçon hocha de la tête, caressa ses Pokéball ; mais il avait une autre idée en tête. Une seule pensée irrationnelle qui le hantait depuis Amaillide. Un seul plan désespéré, fermenté dans un peu trop d’inquiétudes et d’amertume.

— Elsa, l’aération du navire se trouve en salle des machines, proche d’ici. Enlève le poison du système.

Elle sourit, replaça une boucle d’encre derrière ses oreilles, tapa du pied, serra le poing. Oui, oui, elle le ferait. Pas de problème. Elle le ferait !

— Oscar, il faut que tu appelles à l’aide. La salle radio est tout en haut du Ferry. Contacte la police, contacte Iris, Artie, Strykna, contacte tout Unys.

Leurs Vokit, ils ne marchaient pas, aucun signal. Oscar déglutit, ferma les yeux, hocha difficilement de la tête. Merde, merde, merde !

— Je vais me rendre sur le pont inférieur, souffla froidement Zhu, ses prunelles les jugeant une dernière fois. Et je vais occuper le maximum de Sbires possible.

Il disparut.


(Uncover the monster)
Elsa se faufilait délicatement à travers les couloirs sombres, Amaryllis la suivant prudemment. Elle ne ressentait pas de peur mais un amusement surréaliste, une fierté de faire partie de Libération du navire. Un flot d’adrénaline la poussait à avancer, sautiller, encore, encore !

Et sa Pokémon n’avait pas peur non plus. Oh oui, elle avait beaucoup changé depuis son évolution, elle était à présent gracieuse, maligne, féroce. Il était temps que son humaine suive le pas. En tout cas c’est ce qu’Elsa pensait ! Pourtant, elle n’oubliait pas les deux-cents personnes inconscientes, la Team Plasma, la mer déchaînée.

C’est juste qu’elle n’en avait rien à foutre.

Tout lui semblait déconnecté. Elle repensait à toute sa vie sans aucune logique particulière, à la vie bien rangée de son père, au groupe insupportable « LESI », à Noël, à ses devoirs, blah blah blahh. Blah blah blahh.

Blah blah blahhh

Ce qui était réel : le parquet ciré sur lequel elle glissait. Le couloir où tous les néons vivaient encore, illuminé entièrement de blanc, intense. Le pelage rêche d’Amaryllis qui frottait parfois son mollet nu. Sa jupe à carreau qui s’accrochait sur les portes en bois. Le silence doucement modulé par sa respiration.

Les ombres lointaines des Sbires.

Elsa coula discrètement le long d’un escalier, s’arrêtant quelques instants au seuil de sa dernière marche, écoutant. Lentement. Le souffle du navire. Aucun Sbire à cette étage—elle hésita entre sa droite, sa gauche, puis repéra une porte grise immense : « RÉSERVÉ AU PERSONNEL ».

Il y avait toutes les chances pour que ces lettres rouges indiquent en réalité « SALLE DES MACHINES ».

La brune pouffa presque devant la facilité enfantine avec laquelle elle semblait avoir trouvé la pièce… Zhu lui avait dit que c’était proche de leur point de rencontre mais tout de même… Zhu… pas croyable, un ex-Champion, star de Pokéwood, qui tapissait la couverture de tous les magazines people, les aidait ! Pas croyable, ils se faisaient attaquer par la Team Plasma !

Les Sbires, elle les massacrerait, après tout comme dirait Élin, Elsa était une dresseuse. Et la dresseuse en elle sourit. Elle serait sans pitié.

La jeune fille tourna à gauche, dépassa quelques pièces fermées, Amaryllis sur ses talons. Il lui semblait que ses joues devenaient douloureuses, tant elle souriait.

Elle poussa l’immense porte grise sans aucune hésitation et sans aucun regret.


(Cartésien)
Syd s’arrêta un instant devant un plan d’évacuation du navire. Les issues de secours—plus spécifiquement, les canoës de secours—étaient indiquées en rouge, mais ce n’était pas ce qui l’intéressait. Le dresseur recherchait une petite pièce à l’arrière du Ferry dont l’utilité ne serait pas indiquée par mesure de sécurité. Après tout, aucune personne sensée ne révèlerait au grand public l’emplacement d’une salle de surveillance.

Il trouva et se rapidement remit en route, sachant que ses chances de découverte augmentaient proportionnellement au temps passé immobile. À ses côtés cheminait Riolu, moins forte que Grotichon mais plus petite et rapide, donc plus facilement dissimulable. Les partenaires ne courraient pas, ils marchaient—un pas rapide aurait plus de chance d’alerter un Sbire en patrouille.

Un carrefour, une pause. Personne. Il continua sa marche, enveloppé d’ombres dansantes et illuminé par la lueur rouge des extincteurs d’incendie. Cela ferait une bonne arme si jamais il était découvert.

Syd monta d’un étage, puis de deux. À un moment donné, Riolu se tendit. Ils se refugièrent derrière un placard à balais. Des voix, des présences, les frôlèrent ; leurs destins se rasèrent sans jamais se toucher. « Vos destins sont liés.

« — Laisse béton, les seules caméras qui fonctionnent sont celles des ponts externes, toutes les caméras des couloirs sont mortes.
— Ah ouais ? Comment ça se fait ?
— Court-circuit.
— ‘tain, on va devoir mater en ouvrant carrément les portes. Encore que faut savoir laquelle ouvrir, si on tombe sur une mémé au lieu d’une bombasse…
— Ou les deux à la fois, mecs, les deux à la fois… »

Les Sbires s’éloignèrent, leurs voix disparaissant dans le noir. Et Syd s’imagina porter un uniforme, s’imagina rôder dans les couloirs du navire, se vit ouvrir une porte et derrière—Il arrêta de penser et attendit quelques minutes pour vérifier si les deux étaient en patrouille, s’ils repassaient par la même route. Mais les hommes ne revinrent pas.

Il se rétablit et se remit mécaniquement en route, l’esprit endormi, engourdi.

Au tournant qui menait à la salle de surveillance, il glissa un coup d’œil tendu vers la porte, se penchant légèrement… Deux Sbires la gardaient sérieusement, parlant à peine. Deux regards à la fois vides et perçants.

Syd recula brusquement de quelques pas et se plaqua contre le mur. Il rencontra le regard d’une caméra de surveillance désactivée, fixant l’engin qui grésillait douloureusement. Son cœur battait si vite. Il battait. Il battait.

Syd allait devoir se battre.


(neisétraC)
Élin courait à travers les couloirs et n’écoutait que sa peur. Parfois elle se plaquait contre un mur et ne pouvait contrôler ses tremblements. Elle avait besoin de cinq minutes. Juste cinq minutes. Pour se remettre, enregistrer le cours des événements, aller mieux. Elle ne comprenait pas d’où venait la peur, elle ferait tout, tout pour l’annihiler, mais rien ne marchait, rien ne marchait.

Elle avait juste trop peur. Baggy et Lucky et Hope la fixaient avec désolation, enfin c’était plutôt du mépris de la part de Baggy, mais cela n’empêchait pas la blonde de se recroqueviller contre un placard à balais et de trembler.

Élin avait besoin de pleurer. Peut-être qu’après avoir pleuré ça irait mieux ? Elle avait besoin de… elle avait besoin de…

Brusquement Baggy lui donna un coup de poing retentissant. Sous le choc son crâne heurta le mur, son cou se plia en deux, elle lâcha un cri étranglé, faible. Il l’insulta virulemment, elle le sentait qu’il l’insultait ce connard, alors elle se redressa et lui balança un immense coup de pied—

— NON MAIS POUR QUI TU TE PRENDS ?

Élin sentit tout son corps s’embraser, elle perçut distinctement le flot d’adrénaline qui l’envahit en écorchant chacune de ses nerfs et elle devint une boule de nœuds et d’énergie. Lucky et surtout Hope, le pauvre petit Hope, eurent une peur de chien, leurs yeux s’arrondirent comme des soucoupes. Mais Baggy se redressa, essuya le peu de sang qui avait coulé au coin de sa lèvre, et ricana.

Alors elle comprit.

— Waouw t’as une manière bizarre de me motiver, mec…

Un rire bouillonnant, hystérique, pétilla à la surface de ses lèvres. Après ce rire elle se sentit mieux. Elle observa le couloir d’un blanc aseptisé et se dit : « au bout, il y a des escaliers, il faut que je les monte ». Par mesure de sécurité, elle rappela Hope. Le bébé n’aurait plus sa place dehors s’ils rencontraient du danger.

Elle monta les escaliers.

Aucun couloir n’avait de fenêtre, tout le navire était étouffé, trop chaud, moite, l’air lourd de sel et de menace. Même elle, si sportive, avait du mal à respirer. Et ça ne s’améliorait pas en gravissant les étages, bien au contraire… La chaleur montait et le Ferry se transformait en étuve, un dédale humide de boyaux ruisselants et silencieux.

Soudain le navire tangua. Élin retint avec peine un cri et s’écrasa contre un mur tout à coup trop penchée, surnaturel, tordu, se sentit paniquer, paniquer—

Le bateau se redressa et le parquet écorcha brutalement ses genoux, des échardes se plantant dans la peau sensible. Elle était à quatre pattes, seule au milieu du couloir. Fixant ses mains d’un regard vide, le cœur au bord des lèvres. Son corps était balloté par une tempête d’émotions—elle avait toujours été ainsi, portée par des sentiments si puissants qu’elle ne pouvait les contrôler, des colères meurtrières, des rêves douloureux, des joies lumineuses durant au moins plusieurs jours—mais là. Là. Elle s’affolait.

Élin ne savait pas gérer une crise. Elle modelait la situation, la Réalité. Jamais l’inverse. Sauf que là, on comptait sur elle. Elle devait accomplir sa mission, elle était nécessaire ! Il fallait qu’elle. Reprenne le contrôle. Sur son corps.

Mais elle n’y arrivait pas, elle n’y arrivait PAS !
La dresseuse, terrifiée, leva ses yeux noirs.
Et croisa le regard implacable de Baggy, droit, sans faille.

Élin se redressa et s’élança vers la prochaine volée d’escaliers.


(I’ll die another day, bastards)
Kaimorse, Sorbouboul et Polagriffe se ruèrent parmi les Sbires en rugissant avec fureur, écrasant mortellement quelques ennemis sans aucun arrière pensé. Peu importait de ces chiens, bandits ou fanatiques, peu importait de ces hordes qui étranglaient Unys depuis huit ans. Le flot de criminels recula brutalement, terrifié, tandis que le poil des Pokémon de Zhu se hérissait, qu’ils découvraient leurs crocs gelés avec agressivité et presque jubilation.

Une lueur givrée se propagea soudain sur tout l’immense pont inférieur. Puis cette lueur se transforma en éclat, en torrent de lumière. Un Sbire tenta une Tourmente avec son Crocorrible ; mais Lamentine usa d’un Rugissement si fort que les insultes du Pokémon furent totalement inaudibles.

Zhu s’avança impérieusement, flanqué de Dimoret et d’Hexagel, entouré d’un Vent Glace surpuissant. Il se plaça avec ses Pokémon au centre du triangle formé par Kaimorse, Sorbouboul, et Polagriffe, la source du torrent de lumière gelée. Les Sbires crurent qu’il allait les menacer, tout du moins leur adresser la parole, alors ils hurlèrent des « connards ! » et « fils de pute ! » et d’autres insultes, destinés à l’atteindre, à le déconcentrer. Il n’en fut rien.

Zhu ferma tout simplement les yeux, et se plongea dans une méditation meurtrière.
Ses trois Pokémon relâchèrent leur Blizzard.

Zhu imagina la scène. Tout ceux qui ne s’étaient pas protégés seraient recouverts par une couche de neige de plusieurs mètres. Les autres mettraient au minimum quelques secondes à sortir de leur Abris. Il y avait là une opportunité pour que Kaimorse, Sorbouboul et Polagriffe s’échauffent ou préparent des protections.

Alors il ordonna : Machination, Affutage, et Anneau Hydro.

Une légère modification dans l’air. Un soupir gelé. Très certainement la Combo Griffe d’un Léopardus. Il demanda : Feinte à Dimoret. Les ennemis se percutèrent en un feulement sauvage—mais il n’eut pas le temps d’y prêter attention—

Un autre Léopardus l’attaquait, un autre Crocorrible. Un Scalproie ! Tranche Nuit, Tunnel, Griffe Acier ! Une explosion suivit d’une violente Machouille, canines crissant contre les cristaux d’Hegalex, fit tressaillir le Champion, qui ferma encore plus violemment les yeux et esquiva lui-même une Vive Attaque, le cœur au bord des lèvres, son corps réagissant alors que son esprit restait calme.

— Repoussez-les. Tour Rapide, Reflet, Boul’Armure—le reste, Vent Glace. Sorbouboul, la tactique faucheuse, mon ami.

Hexagel se libéra brusquement de la prise de Crocorrible et lâcha un grincement enragé.

Pendant ce temps Zhu s’élança vers Kaimorse en un mouvement fluide, effleurant à peine le sol tant il était rapide. Il ordonna : Ball’Glace. Aussitôt le Pokémon, déjà en boule et alourdi par la qualité métallique de la Boul’Armure, se givra entièrement. Jusqu’aux pupilles il se glaça et gronda brutalement, se jetant vers une rangée de Scalproie qui préparaient une Tête de Fer collective.

Sorboubol n’était plus que Reflets rendus fantomatiques par les pics de Glaces du Blizzard, se glissant parmi les rangs ennemis, ciblant en priorité les humains de SouffleGlace, les terrifiant. Certains Sbires s’écroulaient et ne se relevaient plus. Leurs Pokémon, déboussolés, enrageaient chaotiquement ou s’enfuyaient, rapidement fauchés par un Kaimorse surpuissant.

Lamantine, Dimoret et Polagriffe construisaient autour de Zhu un petit nid de glace.

— Je vous remercie.

Il leur disait cela de ses prunelles bleutées si sombres, mais limpides. Il n’existait aucune peur ou aucune émotion dans ses iris déterminées.

Les Pokémon reçurent des consignes précises. Leur maître était en sécurité. Alors ils se déchaînèrent, car Zhu les avait choqués quand ils étaient petits et faibles, élevés depuis leur jeunesse, car il avait eu le courage de les traquer jusque dans les steppes les plus froides et sauvages au nord de Flocombe. Ils le plaçaient au-dessus de leur propre vie.

Sorbouboul et Kaimorse continuèrent leur petit manège à deux, le Pokémon Cornet distrayant vicieusement les hordes de Pokémon et de dresseurs, Kaimorse les écrasant une fois désorganisés. Le phoque augmentait progressivement de taille, comme une boule de neige géante et meurtrière.

Hexagel enchaînait les Tour Rapide et les Éclats Glace en un délicat ballet. Si les Léopardus l’évitaient facilement, gracieusement, les Crocorribles balourds et Scalproie têtus devaient endurer chacune de ses offensives tranchantes, en criaient de douleur.

Dimoret. Provoc et Vendetta. La Pokémon luisait d’une aura noire, malsaine, et semblait s’amuser comme jamais… Polagriffe. Fléau et Ténacité. Lamantine, Aqua Jet et Belier.

Sur la vingtaine de Sbires Plasma présents au début il n’en restait plus que dix, dix qui avaient sorti toutes leurs équipes pour lutter mais perdaient du terrain face aux Pokémon surpuissants du Champion. Les humains aux chairs chaudes et fragiles souffraient dans l’océan de neige du Blizzard initial, le souffle coupé, les yeux exorbités. Zhu méditait dans son cocon de glace.

Mais cela ne pouvait pas être si facile. On apprenait systématiquement aux jeunes élèves des Académies Nationales de Combat que la violence, l’intensité d’un combat ne se révélaient souvent qu’en dernier recourt, quand les humains cupides, les dresseurs étaient en danger en poussaient leurs Pokémon à bout pour se sauver. C’était vrai. Les Sbires Plasma qui se mourraient de froid dans la neige brûlante, saisis de vertige face à leur défaite certaine, se ragaillardirent et s’organisèrent.

Ce n’était pas pour rien qu’ils possédaient des Pokémon, après tout.

Les Léopardus étaient les plus rapides ; il en restait quatre. On ordonna Machination d’une voix rauque, puis en un cri de fureur des Poursuite. On désigna Dimoret comme cible car elle était la plus dévastatrice de tous. Les félins s’élancèrent à la suite de la mesquine Pokémon et l’écrasèrent totalement, malgré les morts, les K.O, la déchiquetèrent.

Un bataillon entier de Scalproie braves et silencieux retint la puissance et la virulence de Kaimorse d’une Tête de Fer unie. Lamantine les faucha d’un Laser Glace. Mais deux Crocorrible écrasèrent les alliés de Zhu ; l’un attaqua la queue du phoque étourdi, l’autre broya le cou de l’otarie.

Restait Polagriffe, restait Hexagel, restait Sorbouboul, effrayés.

Alors la cheffe des sbires parut, sortant une équipe de six Pokémon luisant de force et de détermination. Des Pokémon atypiques pour une organisation criminelle—une Munna, deux Aflamanoir, des Fermite, un Chinchidou. Tous en bonne santé et musclés et arrogants…

— Qu’est-ce que c’est que ça ? grinça la supérieure.

Silence.

— Vous perdez face à un seul homme ?

Elle éclata d’un ricanement méprisant à l’adresse de ses Sbires, balayant le pont gelé avec cruauté. Puis ses prunelles méchantes s’arrêtèrent sur le cocon gelé de Zhu.
L’ex-Champion avait ouvert les yeux.

— Si je te défie, j’aurais peut-être un Badge ? persiffla la gradée. Ah non, j’oubliais, tu n’es qu’un acteur de navets maintenant.

D’un seul geste, Zhu brisa sa cellule de glace en dix mille éclats de cristal, et fit impérieusement signe à ses Pokémon de se battre.


(Au cœur du Maelström)
Pour accéder à la tour radio Oscar devait gravir cinq volées d’escaliers. Il devait monter jusqu’au point culminant du bateau, là où se situaient toutes les antennes, monter à travers des couloirs chauds et hantés de dizaines de Sbires. Il tentait de se calmer, de se dire qu’il pouvait y arriver sans problème ! Il était typiquement le mec qui restait calme wesh, alors aucune raison que ça ne soit pas le cas maintenant, hein ?

Faux. Son combat pourri contre Strykna se rappela vicieusement à son bon souvenir. Ses ratés et ses coups manqués lui revinrent et le minèrent. Quand il fixa le premier escalier ses jambes tremblèrent, ouais, on pouvait le dire, il était pathétique. Haha, pas grave. Au pire il mourrait, hein.

Cependant Jeans était toujours surexcitée et s’élança toute seule à l’assaut des hauteurs, alors il dut bien la suivre, il était quand même dresseur, quoi. Ha ha.

Ha ha.

La chaleur lui montait à la tête. Son souffle était court. Parfois il voyait flou. Une fois il croisa un Sbire en train de… ouais vaut mieux pas le dire, mais ça lui donnait envie de vomir. Et ce nombre incalculable de portes, toutes pareilles, infinies, ça le rendait fou, ça lui filait le tournis.

Soudainement une nuée de Sbire apparu au détour d’un couloir—
Il s’aplatit contre un placard à balais—

Ils filèrent tous juste devant lui sans le voir, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, tous petits comme des nains et puant tous la forêt et les champignons de pieds d’ailleurs. Oscar les vit disparaître à l’étage inférieur et poussa un soupir de soulagement—il se décolla du mur moite, s’apprêta à monter les marches…

Et se cogna brusquement contre une Sbire retardataire, qui alla s’écraser contre la paroi opposée. Elle jura après un cri de douleur et s’apprêtait à l’insulter puis—elle se rendit compte qu’il n’était pas de la Plasma.

Elle le regarda. Il la regarda. Elle le regarda. Puis il se jeta vers la plus proche volée de marches et la gravit à la suite de sa Vipelierre effrayée en criant « BWAAAAAAAH ! ». Malheureusement la Sbire était entraînée, elle se releva tout aussi soudainement et s’élança à sa poursuite, jurant de plus belle !

Oscar était consumé par la peur. Il avait monté deux étages. Elle ne le lâchait toujours pas. L’idée acide de ce qu’elle pouvait lui faire écorchait sa trachée et son estomac, il se rappelait de l’autre Sbire qu’il avait vu au détour d’un couloir, il avait le souffle court, la nausée—Au seuil de la toute dernière marche il tituba, sa vision se floutant entièrement.

Deux petites mains moites se saisirent de ses hanches.

Alors… il ne sut jamais ce qu’il lui prit… Oscar fit volte-face les yeux écarquillés, brûlant de peur et de fureur, et repoussa la femme rousse comme dans un rêve. Son petit corps dévala l’entièrement des marches, rebondit surréalistiquement sur la dernière, et s’écrasa contre le mur opposé, glissant lentement à terre.

L’ado à la queue-de-cheval ne fit aucun mouvement pour se rapprocher d’elle, l’aider, vérifier son pouls comme Syd l’avait fait pour leur première adversaire. Il l’observa juste… Il scruta son corps pas totalement désarticulé, juste un peu, juste assez pour qu’il ait un doute… juste assez pour qu’il puisse croire qu’il l’avait tué.

Oui, il resta immobile, un grand sentiment de froid s’insinuant en lui.

Une porte rouge s’ouvrit à la volée, claquant contre le couloir de bois. Des pas rapides s’élancèrent vers lui et une lueur brutale, blanche, indiqua qu’on avait sortit un Pokémon.

— Aha, ze saffais bien qu’il y aurait des zintrus !

Il se retourna vers un vieil homme aux dents proéminentes et son Ratentif obèse.

— Froufou, utilize Matchouille !
— Jeans attaque Fouet Liane, là.

Il indiqua une poignée de porte. Le temps de se tracter, juste une seconde, et la Vipelierre était derrière son ennemi, enchaînait avec une Charge bien placée.

— Ripozte affec Morzure !
— Encore un Fouet Liane…

C’était quelqu’un d’autre qui avait parlé, ce n’était pas lui, Oscar, treize ans, de Volucité. Il se sentait tout à coup beaucoup plus vieux, plus déconnecté.

Charge !

Jeans fut percutée de plein fouet et valdingua, son corps de feuilles et d’écailles rebondissant contre un mur et glissant lentement à terre. Comme dans un rêve, comme avec la Sbire. Cependant ça n’attenait pas Oscar… rien ! Il ne ressentait RIEN ! Mais il était encore assez conscient et humain et innocent pour avoir peur de ce vide ! Et c’est précisément ça qui le faisait souffrir car…

Jeans évolua. Un éclat aveuglant l’enveloppa, si bien que le gros Rattentif rugit de douleur et ferma les yeux. Son corps s’allongea, s’affina, ses feuilles poussèrent vivement avant de se recourber comme des lames. Elle rigola de joie, la lumière s’affaiblissant, s’attendant à des félicitations et des cris de fierté de la part de son dresseur.

Mais elle était tellement impatiente d’expérimenter ce nouveau corps qu’elle ne se fit pas prier pour lancer un énorme Phytomixeur. L’attaque fut dévastatrice ! Jeans sautilla de joie avant de lancer un Ligotage en règle sur le moche dresseur !

Oscar cligna des yeux. Il ne parvint qu’à se parer d’un faible rictus pour sa Pokémon victorieuse et nouvellement évoluée.

Dingue, la vitesse avec laquelle il avait battu ce sbire, haha. C’était probablement un laissé pour compte que personne n’appréciait… haha…

Ce n’est que dans la salle des communications, entièrement composée de baies vitrées, qu’il prit conscience de l’ampleur de la tempête. Les vitres étaient complètement éclatées. Un vent hargneux s’infiltrait par les ouvertures béantes, le glaçant, le poussant en arrière, effarant totalement Jeans. Il n’entendait pas le son de sa propre voix.

Mais Oscar s’accrocha, tant bien que mal, aux panneaux d’équipements fixés aux quatre coins de la salle. Il alluma la radio avec l’énergie du désespoir, trifouillant les boutons et les molettes, hoquetant. Dehors la mer s’enroulait mécaniquement en un immense siphon dont il ne pouvait distinguer l’épicentre—il devait s’occuper à pianoter, chercher la fréquence, chercher tout Unys.

Mais les numéros, les listes fréquences défilaient si vite, chaque chiffre illuminé trop violemment pour ses yeux assaillis par les vents, il n’y voyait rien ! Tremblant il appuya sur une fréquence au hasard, et décrocha le micro, la porta à ses lèvres gercées, brûlées par le sel de la mer qui l’éclaboussait même à cette hauteur.

Alors Oscar comprit. Ses yeux s’écarquillèrent. Il balbutia. L’océan s’était transformé en un typhon géant, gris et bleu et noir, d’une violence inouïe, dépassant le bateau de plusieurs dizaines de mètres. Les cieux étaient déchaînés, et s’ils n’étaient pas complètement brisés par les vents c’était uniquement parce qu’ils se trouvaient dans l’œil de la tempête, la seule accalmie possible, bientôt le bateau serait fracassé, réduit en mille morceaux et leurs corps avec. L’ouragan était un monstre hurlant, enflant et grandissant jusqu’à atteindre une taille sans précédent, à côté de laquelle le Ferry n’était qu’un minable jouet.

Mais il n’y avait pas que cela. Si les vents et la tempête étaient déjà assez meurtriers seuls, ils avaient aussi entraîné les courants sous-marins. La mer tourbillonnait, tourbillonnait, autour du bateau, et le bateau s’affaissait.

Le Ferry était au Cœur du Maelström.

« À toutes les r-radios d-d’Unys, ici le F-Ferry d’Ondes-sur-mer, nous avons été pris en otages je répète nous avons été pris en otages, c’est euh…. C’est, c’est… c’est la Team Plasma ! »

Son souffle se faisait erratique et saccadé.
Un rire hystérique lui vint.
Ils coulaient.

« Y a un genre de trou géant dans la mer, on va mourir hein. Hein ! »

Oscar s’écroula par terre aux côtés d’une Jeans catatonique, et chuchota dans la radio, comme un secret :

« On a besoin d’aide. »