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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:09
» Dernière mise à jour le 29/05/2020 à 13:13

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 12 : Pokéwood !
(Jeux d'Amours)
— Bonsoir, ici Clara Chasal pour Unys 1 ! Je me trouve dans une loge du Multiplex, où va être projeté le second film d'Anis du Conseil Quatre, j'ai nommé Jeux d'Amour ! Après un éloquent commentaire de l'écrivaine renommée, le film va enfin débuter ! Suivez Jeux d'Amour avec Clara Chasal sur Unys 1 !

La somptueuse salle de cinéma s'assombrit graduellement, les nombreuses draperies d'ivoire de carmin se voilant de gris, et les conversations animées du public se turent.

Il était une fois une lointaine et merveilleuse contrée, répondant au nom de Fort Fort Proche, si merveilleuse qu'on ne saurait dire. Elle était gouvernée par un souverain juste et sage, bénie de terres vastes et fertiles, et peuplée d'hommes bons comme de femmes honnêtes. Le Roi de ce pays avait aimé une femme aussi belle que douce, qui lui avait donné une fille agréable, gracieuse et intelligente.

À l'écran apparut Elsa, ses prunelles bleutées modestement baissées, silhouette ensachée d'argent, de dentelle et de saphirs. Le public ne put retenir une inspiration admirative face à sa beauté, ses fines boucles d'encre et son port élégant...
Derrière elle se trouvait Capitaine, paré d'étoffes chamarrées, d'or et d'ivoire et de tous les joyaux que l'on pouvait imaginer. Il tenait fièrement un sceptre en or massif de pouvoir et de justice ; et portait une couronne de saphir qui étincelait de mille feux à la lumière.
Fille et Père.
Princesse et Roi.

Se sentant vieillir, le Roi et la Reine s'inquiétèrent du devenir de la Princesse ; ils souhaitaient la confier à un homme pieux et valeureux. Alors ils convièrent mille princes de mille royaumes à un immense bal, accompagné de mets raffinés et de la plus belle musique qui fut, dans l'espoir d'y trouver une âme assez noble. Bien heureusement, un des prétendants se démarqua vite par sa bravoure et sa sagesse : le Prince Charmant.

Puis se superposa une autre image : Oscar, drapé d'hermine. Sur ses cheveux soyeux trônait une magnifique couronne d'or et de platine, incrustée de joyaux de toutes les couleurs, notamment une magnifique émeraude, soulignant son regard perçant.

Il était aimable et raisonné, audacieux comme il le fallait ; on n'eut pu souhaiter meilleur gendre. La Princesse amoureuse lui fut promise aussitôt ; ils se parlèrent longuement et annoncèrent leurs fiançailles à la cour et aux Princes ; tout le royaume était en liesse.

— Rah bébé, jeux thèmes, soupira Oscar, dans son costume de Prince Charmant.
— Ahaan... acquiesça Elsa aka Princesse au Bal Dormant, souriant béatiquement.

Cependant il était un prétendant lésé, Prince Badant, qui complotait dans l'ombre pour empêcher l'union sacrée, et se marier lui-même à la Princesse.

Oh non ! Un souffle effrayé parcourut le public entier. Zhu habillé en clown, affublé d'une collerette multicolore et d'un nez rouge—la caméra fit un zoom sur la marque du sponsor « Babibel »—apparut à l'écran, sans son masque habituel, le regard glacé.

— Je beux la brincesse bour moi dout seul, déclara-t-il d'une voix monocorde.

Le Prince étranger était fort rusé ; il convia une Fée malfaisante aux appartements que l'on lui avait prêtés, et conçut avec elle un moyen d'enlever la Princesse.

De nouveau une inspiration choquée anima le public, et de nombreux murmures inquiets s’élevèrent quand l'ennemie en question apparut à l'écran. C'était Élin. Et si elle semblait effectivement malfaisante, par son maquillage sombre et son sourire narquois, elle n'avait de Fée que son titre. Aucune aile délicate, aucune baguette magique—Élin était vêtue de lourdes étoffes noires et vermeilles, et voilée comme une guerrière du désert.

Celle-ci était rompue à toutes sortes de maléfices et envoûtements ; elle ensorcela la cour entière, le Roi, la Reine, les Princes, les marquis et les duchesses, les comtesses, les baronnes, enfin toutes les personnes de qualité ; mais aussi les gardes, les servantes et les cuisiniers. Impuissants ils durent assister à l'enlèvement de la Princesse, pétrifiés par les sorts de la Fée, ils la virent disparaître à l'horizon ; et seulement alors le charme se brisa. Le Roi et la Reine, éplorés, prièrent leur gendre de la secourir, mais dans le malheur s'en allèrent requérir l'assistance de tous les Princes, et promirent une récompense sans pareil à qui la ramènerait.

— ARGH ! cria le Capitaine.
— OUIN ! cria la Reine – qui n'était d'autre qu'Anis, méconnaissable !
— ... euh wsh j'vé vous aidé ! s'exclama Oscar, s'avançant courageusement vers les souverains.
— Eh mais addendez, boi auzi. intervint platoniquement Zhu.

Le Prince Badant s'était bien gardé de paraître aux côtés de la Fée, il assura donc aux souverains affligés qu'il retrouverait leur fille, et en récompense nomma l'Hyménée. Cette requête embarrassa bien le Roi et la Reine, car l'accorder signifiait rompre les fiançailles avec le Prince Charmant ; mais ils durent bien s'y résoudre, car secourir leur enfant était le plus important. Ainsi les Princes se mirent en quête de la Princesse.

À l'écran se bousculait une foule de figurants tous mieux vêtus les uns que les autres, vantant leur courage à qui mieux mieux, et sautant sur leurs immenses Galopa avec couronnes et écuyers. Se détachant de la foule, Oscar et Zhu, qui se fixaient d'un air aussi grave que furieux. Deux laquais menèrent leurs montures jusqu'à eux : Artie et Syd.

Ils se rendirent en tous les recoins du royaume, il n'y a point de maison, de chemin, d'avenues qu'ils ne parcoururent promptement, même les grottes et les forêts furent explorées ; mais où que l'on cherchait il n'y avait aucune trace de la Princesse. Un grand nombre de Princes, quoique valeureux et nobles d'âme, abandonna la poursuite ; ne resta plus que le Prince Charmant et le Prince Badant.

Au sommet d'un immense donjon d'obsidienne, dans une salle drapée de carmin, deux jeunes femmes s'ennuyaient. L'une, voilée, ronflait à moitié sur le lit. L'autre scrutait désespérément le paysage par la fenêtre.

— Princesse sœur Princesse, ne vois-tu rien venir ? bailla la première, ouvrant difficilement les yeux.
— Nan, riien... soupira la seconde. Ils font quoi au juste, du tricot ? 'Tain, ça fait chier...
— Ouais, t'as raison, j'aurais jamais dû t'enlever, souffla la Fée maléfique.
— Bof... ça m'a fait voir du pays... Mais bon, t'aurais pas quelque chose pour passer le temps, quand même ?
— Sisi, j'ai un Monopoly...

Le Prince Badant avait pour dessein d'attendre la capitulation des autres Princes pour secourir la Princesse ; mais chaque jour il pensait à la beauté et la douceur de la Demoiselle, et cette idée faisait brûler en lui un feu aussi ardent qu'impatient. Aussi il ne prit pas garde au Prince Charmant, et sans plus attendre décida d'aller chercher la Princesse. Il avait convenu avec la Fée qu'elle serait enfermée dans un vieux donjon oublié de tous, perdu dans une chaîne de monts obscurs, et gardé par un féroce Drakkarmin.

— Esclabe, nous debons nous rend'e au bieux dochon oublié de dous, berdu dans la chaine de mont obsgurs. déclara passionnément Zhu.
— Bien monseigneur, je vous y conduis de ce pas, avec amour et piété ! en pleura Syd, ému que son maître lui adresse la parole.

Cependant le Prince Charmant avait un valet aussi fidèle que rusé, et le laquais, surprenant les paroles du Prince étranger, accourut promptement en informer son maître.

Artie retint avec peine une inspiration choquée en entendant ces paroles ! Il courut vers son maître et lui raconta tout de long en large !

— Le vieux dégueulasse veut emmener le jeune con dans un donjooon ! hurla-t-il de désespoir, à genoux devant Oscar.
— ... oh bah merde wsh, souffla celui-ci. On baise vrm n'importe où, d'nos jours.

Ensemble ils conçurent un plan pour sauver la Princesse.

— Bon, j'parie qu'si on filme leurs ébats, on peut s'faire du fric, spécula Oscar.
— Oh bah oui bah oui ! s'étonna fortement Artie en battant les cils.

Aussi ils suivirent le vil Prince à la trace, ne se laissant jamais voir ni ne ralentissant le pas. Bientôt ils arrivèrent au pied du donjon, qui était grand, noir, et inquiétant ; ils ne se laissèrent pas décourager et en approchèrent sans faillir. Malheureusement, si le Prince Badant et son serviteur n'avaient point remarqué leurs nobles poursuivants, le Drakkarmin du donjon avait meilleure vue, meilleure ouïe et meilleur odorat que toute autre bête du royaume ; il fondit sur le Prince Charmant et l'attaqua avec véhémence. Celui-ci pour toute sa bravoure, eut grand-peine à se défendre, la bête était féroce, ses crocs aiguisés et ses griffes véloces, en plus de cela le Prince étranger les avait aperçus.

— Mais gi zont dong zes guignols. se demanda avec effroi Zhu.
— Ce sont le vil Prince non-Charmant et son filou d'écuyer, monseigneur ! paniqua Syd. Il nous faut les éliminer pour atteindre sans encombre la Princesse !

Et pendant ce temps-là, Oscar souffrait.

— Aaaargh

Mais le Prince Charmant était sans compter la loyauté de son servant ; sans une pensée, le pauvre bougre s'élança sur le Drakkarmin, et pour protéger son maître, mourut en tuant la bête.

— Aaargh je meurs pour pour sauveeer ! hurla Artie de désespoir.

Le Prince Charmant eut beaucoup de peine. Cependant l'autre Prince et son aide s'approchaient, il dut les combattre avec force et fureur ; et comme il achevait le laquais d'un grand coup d'épée, le sire étranger s'enfuit effrayé.

— Da da da mais z'il a oune épée. paniqua Zhu.
— Bah wsh, chuis un Prince quoi... marmonna Oscar, levant les yeux au ciel. Duh.

Puis, sous le regard outré d'Oscar, Zhu s'enfuit dans le donjon.

Le Prince Charmant s'élança prestement à sa poursuite, il n'y eut pas de course plus rapide dans l'histoire du royaume. Enfin les deux nobles arrivèrent en haut du donjon, devant la porte inquiétante qui gardait la Princesse ; ils se parlèrent longuement, promettant sur leur honneur et leur sang que pour l'Hyménée, ils s'en remettraient au choix de la future mariée. Ensemble ils poussèrent le battant.

Soudain, la porte, enchantée pour ne s'ouvrir qu'au touché d'un Prince—un homme, un vrai—vola en éclats. Et les deux nobles surpris s'effondrèrent de tout leur long sur le parquet de la chambre, alors qu'Élin et Elsa entamaient leur millième partie de Monopoly.

Les deux hommes s'attendaient à bien des égards.

— Princesse, tu dois me choisir et te marier avec moi, car jeux thèmes ! s'écria Oscar.
— Olol, bondour. dit Zhu.

Mais les femmes n'étaient pas de cet avis.

— Pff, pauv' cons... souffla Elsa, se relevant difficilement et écartant ses jupons.
— Z'avez pris trop de temps, les loosers... bailla Élin.

Les mecs étaient sidérés. Et les nanas n'avaient pas dit leur dernier mot.

— Finalement, on s'casse sans vous, connards.

... euh... wait la narratrice sait plus quoi dire là...

Alors Elsa déchira entièrement ses jupons, et Élin lacéra son voile, qu'elle jeta à terre. Sans un regard en arrière, les meufs sautèrent par la fenêtre, battirent un peu des bras, et s'envolèrent vers d'autres cieuuuux !

EH nan, revenez !

Cependant les femmes ne se retournèrent pas, trop occupées à découvrir les joies du vol et de la liberté. On entendit seulement un lointain : « Why so seriouuus ? » et elles disparurent.

Mais rah les personnages de nos jours... sérieux... Bon vous autres là, les Princes... mariez-vous qu'on en parle plus !

— Euh mais... euh mais mais... dit Oscar.
— Damais. Z'étais aboureux du roi, boi. s'indigna Zhu.

Ils reculèrent fièrement, prêts à se battre, pour défendre leur honneur, leur fierté, leur virilité...

Roh mais si ! Allez, les Princes se marièrent, vécurent vieux et adoptèrent beaucoup d'enfants. Voilà. J'espère que ça vous a plu, les petits. Maintenant, bonne nuit.

F I N

L’écran se voila entièrement de noir. Et un silence surpris, confus, plana dans la salle ; le public ne savait que faire de ce film à l'intrigue emplie de rebondissements et de tournants improbables... Anis souriait vaguement, convaincue que l'audience allait aimer ce long-métrage à la folie, confiante en la prochaine célébrité de Drakkarmin.

Zhu attendait, indifférent.

Capitaine était dans un état pas possible, mourant d'anxiété, il tremblait à chaque murmure du public. Pourvu, pourvu que l'on apprécie ce film, le premier qui pouvait lui offrir la chance d'être une star... dire que jusqu'à présent, tous ses rôles avaient été considérés comme mauvais, tous les films dans lesquels il avait joué comme des navets... Surtout celui où il avait incarné une Pierre Soleil douée de conscience…

Quant à Artie, il chuchotait quelque chose à Strykna, tentant de la convaincre à coup de regards implorants—bien qu'après leur soirée désastreuse à regarder Plus Pokémon la vie, il n'était pas garanti que Strykna s'attendrisse...

Syd. Élin, Oscar, Elsa. Ébahis de se voir à l'écran. Leur premier rôle. Excités, anxieux, heureux, tendus, scrutant l'audience depuis leur loge... même Syd avait du mal à maintenir son masque d'indifférence... ils échangèrent des regards tendus, plus encore quand Clara Chasal, la journaliste phare d'Unys 1, s'invita sur une scène de circonstance devant l'écran et s'adressa au public.

— Bonsoir, ici Clara Chasal d'Unys 1, je suis au seul et unique Pokéwood d'Ondes-sur-Mer, après la projection du film d'Anis du Conseil Quatre, que vous avez pu suivre en direct... j'ai nommé Jeux d'Amour ! À mes côtés, le célèbre directeur Est Wood ! Veuillez l'applaudir s'il-vous-plaît !

Évidemment, la foule en délire étouffa la salle d'acclamations et de cris en tous genres, comblée d'être en présence d'une personne aussi connue. Une fan tenta même de se hisser sur le podium, mais la même gardienne qui avait donné du fil à retordre aux adolescents la ceintura et l'éloigna vivement de Clara Chasal et son invité.

— M. Est Wood, que pouvez-vous nous dire sur ce film qui en a laissé plus d'un perplexe ?

L'homme arqua un sourcil.

— Hm ! Eh bien c'est normal... c'est une Fin Étrange !

Alors le public se rompit de nouveau en ovations.

— Une Fin Étrange, c'est bien ? s'interrogea Oscar, inquiet.
— O-Oui c-c’est la marque des g-grands films… répondit Elsa.
— Effectivement, Demoiselle, lui souffla Artie à l'oreille...

Ils eurent tous une crise cardiaque en remarquant le Champion, penché sur l'épaule de la dresseuse et paré d'un sourire bizarre. Et s'ils se remirent plus ou moins, inquiets, quand Artie s'éloigna, le maître des insectes les déstabilisa de nouveau en déclarant :

— Bon, on y va !

Un ange passa. Clara Chasal déclarait : « et évidemment notre acteur préféré Artie était absolument magnifique et touchant dans son rôle de serviteur dévoué... qui parmi les femmes de cette salle ne rêverait pas de l'avoir à son chevet ? ».

L’ange repassa.

— ... hein ? grommela Élin, silencieuse depuis le début de la journée.
— Eh oui, j'ai réussi à convaincre Strykna de vous organiser un bal, un vrai, pour fêter ce film ! Tout le gratin d'Ondes-sur-mer a été convié ! pensif, le champion caressa une barbe inexistante, et souffla : enfin bon, Ondes-sur-mer est un peu trop riquiqui pour comporter un vrai gratin social, mais...

Soudain il se prit une claque sur l'arrière du crâne. De la part d'une Strykna absolument outrée.

Thanks, but Ondes-sur-mer n'est pas le trou-du-cul du monde. Ou de Volucité. Puis elle se tourna avec un sourire railleur vers les adolescents, qui reculaient déjà, de peur de se prendre un coup de poing ou pire... Ce sera un bal à ma manière, je vous préviens d'avance. Bref, j'ai averti Anis, elle invitera tous les gens riches et pet'sec de la salle, l'autre pervers Zhu vient pas, donc... on s'enfuit ?

Tandis que la grande dresseuse du Conseil Quatre était invitée aux côtés de Capitaine sur scène, s’excusant de l'absence d'Artie—il y eut beaucoup de cris féminins déçus dans le public—Strykna et le champion en question trainèrent les adolescents jusqu'à une immense limousine.


(Bal masqué)
Ils arrivèrent devant un élégant bâtiment de pierre blanche, construit en bord de mer, tout un pan de l'immeuble ouvert sur les flots en une baie artificielle. L'édifice dans son ensemble évoquait un croissant de lune aux reflets argentés, taché par le sang du soleil couchant...

Rapidement, on poussa les plus jeunes à l'intérieur ; puis Strykna attira les filles dans un immense dressing doublé d'une salle de bain, et Artie poursuivit son chemin avec les garçons, chantonnant avec un enthousiasme démesuré.

Well! sourit férocement Strykna aux deux adolescentes. Je vous ai pour moi toute seule.

Un frisson parcourut les filles et elles échangèrent un regard de bêtes traquées.

Rapidement la Championne entraîna Elsa vers un coin retiré du dressing, perdu dans une forêt d'étoffes et d'écharpes, et fit essayer plusieurs robes à l'adolescente pudique et tremblante. Elles passèrent par toute une gamme de couleurs et de formes—courte et nacrée, lâche et vive, cintrée et tombant jusqu'au sol, transparente...

— Non, ça c'est trop sexy. T'as que treize ans.

Finalement, Strykna s'enfonça dans une immense armoire étouffée par toutes sortes de robes, expliquant qu'elles avaient toutes été créées par Maximilia Laurence, une styliste qu'elle vénérait, notamment parce que celle-ci refusait d'habiller Inezia... la championne retira avec grand peine une robe d'un tas de vêtements empilés sans grâce, et l'accola au corps d'Elsa, scrutant l'ensemble d'un œil critique.

This one, tu dois la porter avec des talons. En même temps... elle sourit. Elsa, c'est ça ? Ferme tes yeux quelques secondes.

Inquiète, Elsa obéit. Elle sentit qu'on lui retirait la robe qu'elle avait essayée en dernier, puis que glissait sur son corps une nouvelle étoffe, lisse et soyeuse... Quand elle ouvrit les yeux, Strykna la tourna vers un miroir, et Elsa ne put retenir une exclamation émerveillée.

Elle était accoutrée d'une robe cousue de fil d'argent, drapée autour d'elle comme une toge grecque, qui lui arrivait aux genoux. Autour de sa taille, pour en souligner la finesse, Strykna avait accroché une mince ceinture tressée, oscillant entre le vert menthe et l'outremer.

Nice, huh? s'amusa Strykna. Ce genre d’habits va très bien à un corps droit comme le tien. T’es fine et élancée, on verra ce que ça donne quand tes seins se développeront ! Ta copine au contraire, elle est toute en formes, je vais devoir lui trouver quelque chose de très différent…

Et encore, ce n'était que le début du problème... car quand Elsa et Strykna revinrent au centre du dressing, Élin insultait les esthéticiennes appelées par la Championne, et menaçaient de sortir ses Pokémon.

What's the problem exactly? s'enquit mielleusement Strykna.

Élin lui rendit son regard noir. Elle avait l’air d’une enfant sauvage échappée d’une soirée de gala, avec ses cheveux en bataille—suite à la tentative d’une professionnelle de les lui brosser—et une joue striée de khôl.

— Je ne veux PAS porter de robe ! affirma-t-elle, croisant les bras.

Les deux femmes se fixèrent dangereusement, tandis qu'une des assistantes marmonnait peu discrètement « mais mince, pourquoi c'est toujours moi qui me tape les cas sociaux ? ». La tension menaçait d'étouffer tous les occupants de la salle...

Well, sourit Strykna. T'es vraiment une chieuse, toi. Bon, Fatima, vous pensez pouvoir lui trouver un costume style desert warrior à la place ?
— ... c'est possible... souffla la jeune femme, triturant son afro.
— Cool. En attendant, j'veux quelque chose de pratique pour la scène, et il faut des chaussures et un maquillage léger pour l'autre morveuse...

Les deux esthéticiennes restantes se mirent au travail, habiles et professionnelles, discutant de choses et d'autres avec Strykna, et invitant doucement Elsa à s'exprimer. Même la championne dure et narquoise se prenait au jeu, conseillant et complimentant la jeune dresseuse comme une petite sœur. Bientôt la rockeuse fut vêtue d'un pantalon de cuir noir et d'une toge vermeille, assortie de tout un arsenal de bijoux clinquants. On maquilla légèrement Elsa avec du gloss, du blush et du crayon noir, et on laqua ses boucles, qui selon la meilleure coiffeuse des deux étaient déjà tout simplement « parfaites ».

— P-Pourtant j-je ne fais rien pour les entretenir…
— Oh, quelle chance tu as… soupira l’adulte en retour. Fatima, qui est partie aider ton amie, passe des heures à entretenir ses cheveux pour qu’ils soient souples et forment une belle afro, elle mourrait d’envie si elle t’écoutait !

Elsa offrit un sourire gêné, mais heureux à l’esthéticienne. C’était la première fois que l’on s’occupait d’elle ainsi, et surtout, qu’on lui assurait qu’elle était belle. Au début elle s’était sentie embarrassée d’être au centre de l’attention, mais à présent… elle prenait confiance, et remerciait les Dieux de l’avoir envoyée en voyage initiatique !

Élin revint plus d’un quart d’heure après aux côtés de la troisième technicienne. La jeune fille était accoutrée d'un pantalon lâche et flottant et d'un haut rigide, sans manches, au col cousu de motifs complexes. L'ensemble était décliné dans les tons or et safran, accentués de-ci de-là de carmin—le tout aurait été parfaitement assorti avec des bijoux sombres, par exemple bleus ou verts, mais la gamine refusait tout nettement de s’embarrasser avec « tout ce tralala clinquant ».

— Ok microbe, mais tu porteras au moins du makeup, siffla Strykna avec un regard orageux. Et si tu ouvres la gueule ne serait-ce qu’une seule fois pour te plaindre, tu vas t’en prendre une tellement belle que t’atterriras à Oblivia.

Cette menace, assortie d’une main levée avec menace pour plus d’effet, aurait suffi à faire taire n’importe qui. Mais Élin, tandis qu’on étalait sur son visage une huile légèrement pailletée et une ombre à paupière dorée, marmonna tout de même :

— Raah je déteste Oscar et Syd, ça doit être tellement plus simple pour eux…

[…]

Élin ne mesurait pas à quel point elle se trompait. Artie avait tiré les garçons dans un dressing au moins aussi large que celui des femmes, doublé lui aussi d’une salle-de-bain—et il se faisait à présent repoudrer le nez par un professionnel. Syd, tout aussi mal à l’aise qu’Élin face à toute cette « frivolité », fixait le champion d’arène avec inquiétude.

— Le maquillage, ce n’est pas supposé être pour les filles ? grommela-t-il tout bas, jetant des coups d’yeux furtifs à la ronde comme si on allait lui sauter dessus et le tartiner de rouge à lèvres.
Seulement, Artie avait une très bonne ouïe, et réagit avec véhémence :
— Pas du tout ! Le maquillage est pour les êtres humains de tous sexes et de tous genres, et même pour les Pokémon s’ils le souhaitent ! Ne laisse pas sexisme et conventions sociales te priver du potentiel de ta vraie beauté !

Avec un soupir dramatique, l’artiste se passa un peu de bronzer sur les joues. Et si Syd était horrifié, Oscar se fendit d’un large sourire à l’entente de ce discours, joignant ses mains et les frottant d’un air machiavélique !

— Trop cool ! s’émerveilla-t-il en se penchant vers le reflet d’Artie, observant les gestes du Champion. J’ai toujours rêvé d’essayer du maquillage sans qu’on se moque de toi !
— Parfait, eh bien te voici devant une opportunité parfaite jeune damoiseau.

À ces mots, Artie jugea l’éclat de son teint satisfaisant, et se leva—manquant de faire tomber Oscar—observant les adolescents d’un œil critique. Un assistant pénétra dans la salle à cet instant, les saluant et se postant derrière le Champion. Les deux hommes émirent un « hmmm… » commun de réflexion, se caressant le menton, et Syd sentit perler quelques gouttes de sueur glacée sur sa tempe droite.

— Du blanc irait très bien au gamin terrifié, suggéra l’assistant. Pour contraster avec sa peau.
— Moouiii… acquiesça Artie. Mais ça a déjà trop été fait, et la mode est au brillant en ce moment…
— Du doré ?
— Des habits dans les tons bronze, je dirais, plutôt.

À ces mots, l’assistant s’avança. Syd recula.

— Allez viens, petit, je ne vais pas te faire de mal !
— …Peut-être pas intentionnellement non… marmonna l’adolescent.

Finalement Oscar le poussa vers le spécialiste et avant qu’il ne puisse protester, il était vêtu d’un ensemble plutôt confortable aux reflets métalliques. Ses manches étaient boutonnées de pierres noires légèrement luisantes, et il joua avec nerveusement en attendant qu’Oscar ne revienne, craignant de passer à l’étape maquillage. Syd était quelqu’un de carré, quelqu’un qui voulait rester dans la norme, et cela ne le dérangeait pas du tout de voir une femme—sa mère, sa tante—avec du maquillage, mais lui ! Un homme ! Viril ! En porter ! Jamais il n’aurait imaginé cette aberration avant de se retrouver face à une coiffeuse dans un dressing pour homme ! Franchement, ce voyage initiatique devenait dangereux.

— Merde à la fin ! s’écria-t-il, s’autorisant un juron en cette rare occasion de désespoir total. Au moins les filles, elles, aiment ça !
— Aime quoi ?

Syd sursauta, pris en défaut, et se renfrogna. Mais ce n’était qu’Oscar, qui était revenu avec Artie et l’assistant, marchant à pas feutrés sur la moquette. Un éclair de compréhension anima les iris verdoyantes du garçon.

— Tu sais, si tu ne veux vraiment pas mettre de maquillage, tu n’as qu’à le dire à Artie, conseilla l’adolescent, s’asseyant aux côtés de Syd.
— … Oui, mais… c’est une peur bête, soupira le dresseur en réponse. Ma tante a été Championne d’Arène, je ne vais pas reculer devant une bête poudre pour les joues… Et ma mère m’a toujours dit d’essayer chaque chose une fois avant de la juger.
Oscar acquiesça, souriant. Mais son regard fuyait vers un point lointain.
— On ne peut pas toujours faire comme sa famille… souffla-t-il, haussant les épaules. Parfois on choisit une autre voie.
Syd fronça les sourcils, ne comprenant pas les paroles de son camarade.
— Mais elle m’a éduqué, je dois la respecter.

À nouveau, Oscar haussa les épaules, et le silence s’étira. Syd tritura ses boutons de manchettes.

— Hey, vous avez fait quoi avec Élin, hier, au Pokéwood ? Vous étiez partis pendant sacrément longtemps, on commençait à s’inquiéter… marmonna-t-il de mauvaise grâce.
Oscar le contempla d’un œil intéressé.
— Demande-lui, elle te dira peut-être… sourit-il. En tout cas, je constate que tu n’es pas si indifférent que cela.
— Ne lui dis pas que j’ai demandé ! s’indigna Syd, regrettant déjà d’avoir ouvert son esprit à Oscar.

Mais l’adolescent le surprit une nouvelle fois, posant une main rassurante sur son épaule.

— T’inquiète. Je sais qu’il y a des choses qui doivent rester entre nous.

Les mots transpercèrent Syd brutalement, et il se demanda comment il avait fait pour tisser autant de liens avec ceux qu’il avait souhaité maintenir à distance.

[…]

Après avoir remercié les esthéticiennes, Élin, Elsa et Strykna pénétrèrent dans un immense hall, dont le plafond se perdait dans l’éclat des lustres. La foule qui s’était assemblée avant elles les applaudit chaleureusement. Strykna les mena jusqu'aux autres acteurs, regroupés sur une petite estrade—Anis et Artie faisaient la conversation avec Clara Chasal, mais la journaliste semblait plus intéressée par le champion de Volucité que la dresseuse du Conseil Quatre... Oscar leur fit un câlin à toutes les deux, vêtu d'un ensemble princier, et Syd, habillé de bronze, leur sourit.

Elsa s'apprêtait à parler, le rouge aux joues, mais un immense « CLAANG » retentit dans la salle. Strykna était sur une scène, une vraie, un immense plateau, et elle s'y tenait avec son groupe de rock !

YO, PEOPLE! s'époumona-t-elle dans son micro, leur vrillant les tympans. Are ya wimme me tonight?


Et le gratin d'Ondes-sur-mer, composé de vieilles millionnaires aux quarante-cinq Chaglam et de bourgeois d'un autre temps, se figea.

Puis, Elsa hurla un encouragement, un « WIPEEE » assourdissant, elle ne savait pas d'où ce cri venait, d’où cette force, cette liesse surgissait, mais c'était magique ! Et Capitaine, Artie, Oscar, puis Anis se joignirent à elle, et certaines vieilles femmes ; Élin et Syd ne dirent rien mais ils souriaient, et bientôt se firent entraîner de toute façon... Strykna riait à gorge déployée.

Elle pointa. Elsa. Du doigt. Et le silence fut.

— Toi ! T'es extra ! puis elle se pencha vers la salle et murmura malicieusement : je vais vous dire un secret... quand ces quatre ados ont débarqué et ruiné le premier grand rôle de mon père, Capitaine...

La caméra se tourna vers lui, son visage apparut en gros plan sur les écrans géants installés sur les murs de la pièce.

— ... j'étais furieuse. Mais finalement, c'est leur arrivée mouvementée qui a donné lieu à one of the hugest blockbusters ever made... amiright, Mr Est Wood?

Cette fois c'est le visage du vieil homme barbu qui s'étala sur les écrans, un sourire amusé peint sur son visage luisant. Il acquiesça en un rire bref.

— Alors j'vous pardonne tout ! Et aussi... Elsa !

La concernée sursauta.

— Élin !—même réaction—Syd ! Oscar ! Je vous défie ! Si je ne vous vois pas dans la semaine à mon arène, bande de thugs du dimanche, je vous y traîne moi-même !

Alors explosa une foule d'encouragements et d'acclamations ! Le groupe de Strykna se mit soudainement à jouer un air puissant, sombre mais mélodieux, et la Championne démarra d'une voix rauque et légère... une vieille femme entraîna Artie dans une danse—il fit un sourire pas si désolé que ça à Clara Chasal—et une autre attrapa Oscar ; la journaliste, dépitée, s'en alla avec Syd. Resta Capitaine, qu'on s'arracha aussi, puis les filles... un homme encore relativement jeune, mais au crâne dégarni, invita Élin, et elle haussa les épaules, acceptant mais prévenant qu'elle ne savait pas danser. Puis Anis proposa à Elsa de faire quelques pas, et la guida à travers les pas appropriés, tenant une conversation décousue...

Ils passèrent une soirée géniale, alternant les cavaliers, les cavalières, tournant et tournoyants sur le marbre luisant du bal, à la lumière de lustres dorés. Oscar et Syd dansèrent ensemble pendant quelques temps, échappant à leurs cavaliers mutuels—vieux et flippants—et en rigolant ensemble.

— Qu'est-ce qu'on doit être bégés, on nous arrache comme des Shiny ! s'esclaffa Oscar, serrant Syd en une posture faussement romantique et choquant la rombière la plus proche.

Syd sourit avec une expression à demi-gardée, mais détendue, et dans un instant de folie posa même sa tête contre la poitrine du plus grand pour dégoûter encore plus la vieille femme—celle-là même qui lui avait tenu la jambe pendant plus d'un quart d’heure !

— Eh bien après tout, notre film a été un véritable succès, et a déjà été vu par la moitié d'Unys... commenta-t-il avec un amusement sec. En tout cas si tu arrives à me sauver d'une autre cavalière trop collante, n'hésite pas, t'as l'air efficace.
— Ça marche, frère ! ricana Oscar, et ils parvinrent à se faire la tope-la.

Les garçons durent bien se séparer, danser avec d'autres adultes inquiétants. Mais ils valsaient maintenant avec un amusement secret, s'échangeant des regards complices dès qu'ils s'apercevaient. Syd se disait qu'Oscar valait peut-être plus le détour qu'il ne l'avait jusqu'à présent pensé...

Au bout d'une heure ou deux, Artie parvint enfin à s'arracher aux femmes qui le harcelaient, et attrapa le bras d'Elsa, s'excusant auprès du cavalier de la jeune fille.

— Alors, je connais enfin ton nom, Demoiselle, sourit-il, la maintenant à une distance polie, l'entraînant fermement dans une danse étourdissante.
— O-Oui... rougit Elsa. Enfin je ne vois pas en quoi c'était i-important !
— Chaque nom est important car chacun mérite de l'attention, répondit le Champion d'un ton grave.

Le cœur d'Elsa fit un salto.

— Je te laisse, Elsa, lui dit doucement Artie en percevant que Clara Chasal l’avait retrouvé. Je vous attendrai tous à l'arène de Volucité, boulevard Vaututrice...
— J-Je c-connais ! s'exclama-t-elle vivement, butant contre les mots, ravalant sa salive. Je viens de V-Volucité.
— Ah ! sourit pensivement le Champion. Eh bien, cela doit expliquer ta gentillesse et ta beauté, n'est-ce pas ? poursuivit-il, lui faisant un clin d'œil. À notre défi, alors !

Et comme par hasard ils butèrent contre Oscar... alors, Artie leur suggéra de danser ensemble avant de disparaître, entraîné par la journaliste qui lui montra un premier brouillon de posters à son effigie. Oscar et Elsa se fixèrent avec de grands yeux pendant quelques secondes lancinantes, d’autres couples valsant autour d’eux sans qu’ils ne parviennent à réagir, plongé dans une torpeur étrange, dans l’incertitude.

Puis Elsa fit un pas timide vers le beau-gosse, et il attrapa maladroitement sa main droite et sa hanche. Elsa inspira et le guida un peu, se rappelant des cours de danse auxquels l’avait emmené son père. Une musique plus lente et douce s’éleva, Strykna passa au piano. Elsa fondit, rassurée et comblée, quand il lui souffla à quel point elle était belle. Il était sincère.

Syd était coincé avec un vieil homme dégueulasse, sans son « frère-de-danse » pour l'en sauver, et frissonnait.

Quant à Élin, elle avait passé une soirée morose, n'ayant pu danser avec aucun de ses amis, pas qu'ils en auraient envie, de toute façon... elle suivait, ailleurs, les pas de Capitaine. Et celui-ci, qui avait apprécié son cran dès le premier jour, en était bien désolé de la voir si penaude.

— Hep la miss', ça va pas ? lui demanda-t-il de but en blanc.
— Non, je... mes amis me détestent, soupira-t-elle finalement.

Le père de Strykna sourit avec compassion.

— Je suis sûr que c'est faux.
— Si... c'est moi qui ai eut l'idée de monter dans la barque. Et en fait... j'ai assommé Syd pour pas qu'il m'en empêche...
— Ah bon ? s'esclaffa l'adulte, incrédule.
— Ouais... ricana Élin, gênée.

Il la fit tournoyer, et elle s'oublia un instant, souriant.

— Mais c'est donc grâce à toi qu'ils ont joué dans un film Pokéwood... ils devraient te remercier !
— ... non, je ne pense pas, grimaça Élin. Si j'étais eux, je serais très en colère aussi... je les avais même pas prévenus de mon plan.
— Alors, répondit gravement Capitaine, va t'excuser.
— Déjà fait, souffla Élin avec indignation.
— Mais ma parole, tu es irréprochable ! s'amusa l'adulte.

La gamine lui renvoya une moue qui le fit s’esclaffer davantage, et il l’observa un instant, cette petite blonde bornée aux grands yeux noirs. L’adulte poursuivit, pensif :

— Tu sais, tu me fais beaucoup penser à ma fille, Strykna. Quand elle était petite—et adulte aussi d'ailleurs—elle m'en faisait voir de toutes les couleurs. Un jour qu'un passager avait fait un grave malaise, je l'ai laissée dans la salle de commandement pour que mon copilote la surveille. Elle devait avoir, quoi, onze ans à tout casser ! Eh bien elle a trouvé le moyen de prendre les commandes, de nous faire échouer dans un récif volcanique, ce qui nous a attiré les foudres de Bargantua furieux. Entre temps elle avait bien entendu réussi à casser tous nos moyens de communication. Capitaine fit un large sourire, aux antipodes totaux de son récit : tout ça en une heure, à onze ans. J'ai failli perdre ma licence ce jour-là.

Élin cligna des yeux, ébahie, ne pouvant retenir un ricanement incrédule, mais tout de même horrifié devant le potentiel nuisible de la chanteuse.

— Et vous l'avez pardonnée ? s'enquit-elle avidement, se tendant imperceptiblement.
— Eh bien, pas avant quelques mois d'excuses et de tâches ménagères, s'esclaffa l'adulte. Ça a pris du temps, mais c'est ma fille, et je l'aime. Alors tu vois, parfois, le pardon ne vient souvent pas immédiatement après les premières excuses. Mais si votre amitié en vaut la peine, il se fera.

L'harmonie mélodieuse et métallique qui les accompagnait jusqu'à lors s'éteint doucement, et Capitaine lâcha Élin, esquissant une légère référence. Elle cligna des yeux, mélancolique, repensant à son combat avec Syd, ses discussions avec Oscar, qui croyait en elle... et même à Elsa, avec qui elle commençait tout juste à tisser des liens.

— Je vais leur parler une nouvelle fois, annonça fermement la jeune fille. Puis, elle sourit timidement. Merci...

Capitaine la salua, et la blonde disparut dans la foule, à la recherche de ses amis.



(Une amitié à toute épreuve)
Elle trouva Oscar en premier. Avec son tact habituel, la blonde s’immisça entre le baba cool et sa vieille cavalière, envoyant la femme valser avec un coup de fesses et un sourire menaçant bien placé. La riche dame s’indigna bruyamment et partit se « plaindre à la direction, mais enfin quelle honte » ce qui laissa Élin et Oscar seuls parmi la foule, silencieux sous la houle des discussions.

Oscar enlaça Élin doucement, comme pour ne pas l’effrayer, et elle le serra avec un besoin aveugle de soutien.

— Hier tu m’as dit que tu n’arrivais pas à m’en vouloir… murmura la blonde, levant deux prunelles noires vers son ami.
— Je ne suis pas le genre à faire la gueule… répondit Oscar, hésitant.
— Mais ce n’est pas que ça, compléta Élin, compréhensive.
— Non, avoua le garçon. Depuis le premier jour, tu m’as plu.
Ils se séparèrent.
— Mais pas comme ça, tu m’as plu dans le sens où… je veux te suivre, ou que tu ailles, à ta manière. Je suis heureux quand nous sommes ensemble, j-je trouve toujours tes blagues drôles, par exemple… À chaque fois, tu réussis à m’amuser, et m’émerveiller.

Pourtant, s’étonnait Élin avec regrets, elle n’avait jamais essayé d’émerveiller Oscar. Depuis le début de leur voyage, elle avait juste cherché à impressionner Syd.
Non, avec Oscar, elle était—naturelle, contente, motivée. Elle se sentait à l’aise et acceptée, soutenue. Elle ne cherchait pas à rendre le brun heureux, et elle ne cherchait pas à être heureuse non plus : cela se déclenchait juste spontanément.

Mais avec lui, Élin ne se sentait jamais stimulée, acculée, enflammée non plus.

Repoussant cette pensée désagréable au fond de son esprit et se concentrant sur le présent, la blonde plongea un regard pénétrant dans les yeux clairs d’Oscar.

—Est-ce que tu me pardonnes pour avoir manqué de te tuer ?
— Sans hésitation.
Élin se mordilla la lèvre.
— Je vais aller chercher Elsa et Syd, aussi, chuchota-t-elle. Tu viens ?

Oscar sourit largement, et implora malicieusement qu’elle lui accorde une dernière danse avant d’aller chercher de nouvelles embrouilles.

[…]

Elsa était appuyée contre un mur au bord de la piste, boucles noires se fondant dans l’ombre. La brune ne vit pas Élin immédiatement—elle appela « O-Oscar ! » en rougissant avant de réaliser qu’il accompagnait la blonde. Le baba cool lui fit un signe enthousiaste de la main, mais resta en retrait. Élin devait affronter Elsa seule à seule.

— Yosh, se força-t-elle à sourire, son cœur dansant le tango. Elle fourra ses mains au plus profond de ses poches pour dissimuler ses tremblements.
— Salut… répondit Elsa, assez perplexe.
— Je veux demander ton pardon pour la fois où j’ai risqué ta vie dans la barque, annonça Élin d’une traite. Et puis d'avoir voulu prendre ton rôle.

Elle était du genre de personne qui croyait qu’arracher un pansement d’un coup ferait beaucoup moins mal… Elle pensait encore que la peur disparaissait si l’on n’y réfléchissait pas. La gamine se rendrait bien vite compte à quel point elle avait tort, à quel point la terreur vous prend aux tripes et paralyse tout votre corps. (Mais pas tout de suite.)

Tout de suite—Elsa resta silencieuse. Elle ouvrit la bouche comme pour débuter une phrase, mais se ravisa, rouge. Une minute passa. Son regard ne cessait de quitter Élin pour se perdre sur le visage pensif d’Oscar, qui se tenait assez loin pour ne pas entendre la paire, mais assez près pour deviner comment se déroulait la demande…

Mais, Elsa ne pouvait—ne voulait pas que ses décisions soient dictées par son envie de se faire apprécier, son besoin dévorant d’acceptation. Si ce voyage lui apprenait une chose, c’était de faire ses propres décisions.

— J-Je t-t’écoute, en quoi as-tu é-évolué ?

Élin referma sa bouche d’un coup, ravalant une tirade enflammée, ses molaires claquant nettement. La blonde avait été prête à prendre Elsa par les sentiments, à noyer celle-qui-bégayait sous un flot de parole… mais voilà que la brune lui opposait un esprit rationnel.
En quoi avait-elle évolué ? S’était-elle rendu compte de sa grosse erreur ? Honteuse, la gamine bafouilla elle-même un peu, avant de trouver enfin par où elle voulait commencer.

« Tu n’es qu’une pourrie-gâtée ! »

Déterminée, elle saisit la main d’Elsa et l’invita à s’asseoir à même le sol, se laissant couler contre le mur froid et lisse.

— Depuis que je suis petite… se lança-t-elle, appréhensive. Depuis aussi loin que je m’en souvienne, c’est-à-dire depuis mes six ans, je vis avec mon papa Black, dans son grand appartement de la Ville Noire. Et j’y reste toute l’année, sauf quand je vais en vacances chez tata White à Vaguelone.

Elsa hocha la tête, se rappelant de ce que la gamine leur avait raconté il y a une semaine. Elle ne voyait pas trop ce que cette histoire avait à voir avec « l’affaire de la barque »—mais sentait déjà à quel point l’enfance de la blonde avait différé de la sienne. Ce qu’elle avait dû être privilégiée, riche…
Les prochains mots d’Élin confirmèrent ses doutes.

— Tout ce que je voulais, je l’avais. Une fois, le jour-même de mon anniversaire, j’ai pu commander un doudou géant qui parlait, et il a été livré en une heure par camion express ! rigola la dresseuse de Baggy. Mon papa m’aimait beaucoup… tellement, que, je ne sortais de l’appartement qu’avec lui, et je ne connais de la Ville Noire, que la vue depuis ma fenêtre. Je ne suis jamais allée à l’école… les seules personnes autres que papa que je voyais dans la journée, c’était mes profs particuliers, et ils me détestaient. Et les seules personnes autre que papa et les profs que je voyais dans l’année, c’était White, Mélis, Tcheren, Bianca, Matis et Écho. Et mes grands-parents.

Elsa ouvrit les lèvres. Aucun son ne s’échappa. Elle étudia Élin d’un œil halluciné. Certes, elle avait su que la gamine n’avait pas été scolarisée normalement, elle avait compris qu’elle ne s’était jamais vraiment fait d’amis de son âge. Mais elle n’avait jamais vraiment saisi ce que ce savoir impliquait...

— Q-Quoi ?

Oui, jamais elle n’avait imaginé l’enfance d’Élin sous cet angle là ! Elle s’était figurée la blonde à des soirées de gala ou accompagnant son père dans mille-et-un tournois, entourée de petits enfants privilégiés qui la vénéraient car elle était la fille d’un dresseur légendaire… Au lieu de ça, Élin avait presque grandi en confinement solitaire, emprisonnée dans une cage dorée !

— Oui, bon, pas la peine d’être aussi choquée, se renfrogna Élin. Je veux juste te dire que… vous êtes les premières personnes de mon âge que je connaisse.

Un silence.

— M-Mais… se lança Elsa. Je ne vois toujours pas… ce q-que ça a avoir a-avec la b-barque ?
Élin chantonna doucement quelques paroles, pensive.
— Eh bien j’ai grandi dans un … micro-machin, là, comment ça s’appelle… un microcosme. Rien n’avait de conséquence… Mais là, j’ai appris que dans la réalité, mes actions peuvent avoir des conséquences graves.

Elsa hocha de la tête.

— E-Et d-donc tu veux me demander pardon…
— Oui, Elsa… Élin se retourna, plongea un regard noir, intense dans le sien. Je te présente mes excuses car j’ai risqué ta vie. Aussi, je me rappellerai toujours qu'il y a des choses qu'on ne dit pas à ses amis…

Devant tant de sincérité, la brune ne sut que faire d’autre que hocher de la tête. Elle était désarçonnée, mais heureuse que la gamine eût évolué aussi vite.

— Excuses acceptées, sourit-elle.

Élin lui offrit un sourire éclatant, et l’enlaça vivement—vu que les deux filles étaient assises, le résultat ressemblait plutôt à un nœud de membres qu’à une réconciliation. Oscar comprit néanmoins que le dialogue était terminé, et s’approcha des deux, un sourire aux lèvres.

— Cool, on est presque tous réconciliés !

Mais Élin avait toujours l’air aussi appréhensive, et inhala un grand coup. Elle scruta la foule de jambes qu’elle apercevait depuis sa hauteur, cherchant la peau noire de son ami parmi les mollets des riches blancs.

— Ouais, mais il reste Syd… marmonna-t-elle faiblement.

[…]

Syd suivit Élin avec beaucoup de réticences, s'attendant à beaucoup d'excuses à la noix et déclarations larmoyantes d'amitié et de fidélité. Tout ce qui le gavait. Il repensait à Otis et sa famille, surtout, et se concentrait sur eux. À cette heure-ci, un samedi, Aloé devait jouer aux cartes avec son père, et la mère s'ouvrait probablement une bière...

Les adolescents s'enfonçaient silencieusement à travers une forêt, chacun plongé dans ses pensées. Leurs pas étaient comme absorbés par la terre molle ; le groupe bercé par les murmures de la nuit. Des roucoulements de Poichigeon à demi-endormis flottaient doucement entre les arbres. Sinon, les dresseurs entendaient les grincements des arbres. La mer, au loin.

Autour d'eux s'amassaient des ténèbres doucereuses aux reflets de lune, filées d'une brise légère et salée...

Ils passèrent un panneau sur lequel était inscrit « Z.I. d’Ondes-sur-mer », arrivèrent au beau milieu d'une savane d'herbes folles et rêches, d'un immense terrain vague. Mais Élin ne s'arrêta pas là. Elle les mena à une longue jetée, bétonnée et déserte, qui luisait comme de la nacre sous le clair de lune. De leur perchoir humide et rongé par les vagues, ils pouvaient observer toute la baie d'Ondes-sur-mer, les lumières chatoyantes, les panneaux publicitaires immenses...

Élin se tourna vers eux.

— Je ne t’ai pas ammené ici pour m’excuser, Syd, annonça-t-elle comme une claque.

Oscar et Elsa se figèrent, s’attendant à ce que la blonde prenne une toute autre direction—ne venait-elle pas pourtant de leur présenter des excuses ? Pourquoi adopterait-elle une conduite différente maintenant ?
Puis, Syd ricana. Incrédule.

— Non mais tu rigo...
— Laisse-moi finir ! s'énerva-t-elle, et il la foudroya du regard.

Mais il se tut. Elsa et Oscar avaient l'air tendu, et il ne voulait pas être considéré déraisonnable—autant laisser Élin s’enfoncer, cela ne lui donnerait que plus raison.

— Je ne m'excuse pas de nous avoir donné l'opportunité de jouer dans un film Pokéwood, d'avoir côtoyé des champions, dansé avec eux en plus—hein Elsa...

La concernée, bien que silencieuse et plongée dans les ténèbres, rougit visiblement, et Oscar fronça les sourcils. Lui qui pensait être le seul qui... bref...

— En revanche je m'excuse de vous avoir trompés, slash assommés, slash menacés avec mes Pokémon. Je devrais avoir assez confiance en vous pour vous expliquer mes plans, et m'en remettre à votre avis et votre sens de l'aventure.

Élin s'assit sur le béton.

— Voilàà, j'ai dit ce que j'avais à dire.

Un silence lourd plana. Syd fixa Elsa. Elle était influençable, alors il fallait qu'elle parle d'abord. Puis il se mordit la lèvre, se sentant coupable de cette pensée peu charitable. (Il découvrira plus tard combien la brune avait une volonté d’acier—mais pas encore).

— P-Pour ma part, nous avons déjà d-discuté, je t’ai déjà pardonnée, annonça doucement la jeune fille aux boucles d'encre. Presque sans bégayer. Je crois que tu as compris la leçon.

Élin lui sourit, Elsa alla s'asseoir à ses côtés, lui prenant la main—Syd plissa les yeux à s’en fendre les paupières, saisi d’un doute. Qu’avait dit la brune : « nous en avons déjà discuté » ? Mais Oscar réagissait déjà, rejoignant les filles sur le béton avec un haussement d’épaules.

— Nous aussi nous en avons déjà parlé ! De toute manière, je ne suis pas du genre à faire la gueule…

Cette fois c’était certain.

— V-Vous avez déjà discuté avec Élin sans moi ?! cracha Syd, livide. Vous l’avez pardonnée sans mon accord !
— H-Hé, o-on n'avait pas besoin de t-ton autorisation ! s’indigna Elsa.
— Mais vous auriez pu m’en parler au moins ! rugit le dresseur en réponse, bles—

Non, il ne pouvait pas être blessé, ce n’était pas des amis de longue date, il venait de les rencontrer, leurs actes n’étaient pas importants—mais ils avaient quand même pris une décision ensemble, ils avaient fait bloc, et voilà que les deux autres l’avaient lâchement abandonné ! Le laissant se ridiculiser devant Élin !

Syd aurait souhaité, puérilement, qu’Élin en bave comme la blonde lui en avait fait baver en le forçant à sortir de sa réserve.

— Mec, désolé, on n'y avait pas réfléchi comme ça… tenta Oscar.
— Comment avez-vous pu la pardonner sans moi ? réitéra-t-il, déçu. Je croyais qu’on avait un pacte !
— L-Le p-pacte ne régit pas nos relations individuelles…

Malheureusement, ces paroles n’apaisèrent pas Syd, bien au contraire. Elles ne firent que lui rappeler à quel point il s’était lié avec ces adolescents, combien de confiance il avait placée dans leur « pacte », et cela ne fit qu’ajouter du sel à la trahison.

— Je n’y crois pas… souffla-t-il à nouveau, serrant les poings. C’est vraiment lâche de votre part ! Elle bat des cils trois secondes et hop ! vous la pardonnez !
— Syd… murmura Elsa.

Mais il ne s’attendrit pas. Emporté par sa colère, il planta deux yeux d’ambre sur le visage serein d’Élin, s’avança brusquement, et sortit une Pokéball.

— Je te défie ! énonça-t-il fortement. Puisque personne ne veut le faire, je vais te montrer que tes actes ont des conséquences !
— D’accord ! s’écria brusquement Élin, sautant sur ses pieds. Mais d’abord, donne-moi ta réponse ! Tu me pardonnes, oui ou non ?
Syd s’étrangla presque de rage.
— Comment peux-tu oser me faire des demandes alors que c’est à moi de décider si je te pardonne ?
— Parce que c’est ma personnalité, c’est comme ça que je suis, souffla Élin. À toi de voir si tu m’acceptes.

Silence de mort.

Brusquement, Syd ferma les yeux, serrant jusqu'à s'en faire mal, et tourna le dos au groupe. Tentant d'oublier ses pensées frustrées des dernières minutes, il réfléchit.

Élin les avait emmenés au Ranch d’Amaillide, désobéissant directement à Madame Lenoir. C’était une fugueuse. Elle l’avait défait dans un match Pokémon que l'on pouvait très difficilement considérer réglo. Elle l'avait assommé et avait explosé le Pokéwood en barque—avec eux dedans. En plus de cela, ils s'étaient disputés un grand nombre de fois, elle l'avait harcelé dès sa première journée, lors de la rencontre sur le Belvédère... bref il avait l'impression qu'elle le forçait à changer, qu'elle n'en faisait qu'à sa tête, et il n'aimait pas ça, car... cela voulait dire qu'elle ne l'acceptait pas tel qu'il était. Or, se respecter faisait partie de leur pacte, et Aloé lui avait répété un nombre incalculable de fois que c'était aussi une des premières conditions d'une amitié.

Quand il pensait à Élin, il ressentait une rage puissante : la rage de la vaincre, de remporter le contrôle. Il se rendit compte alors, qu'Élin était sa Rivale.
Et Syd vit soudain clair dans ses émotions agaçantes, oppressantes et contradictoires.

— Je te... pardonne, articula-t-il lentement, se retournant. Le visage de la blonde s'illumina. Si tu me « pardonnes », toi aussi.

Un ange passa.

HEIN ? s'étouffa la dresseuse, se relevant –

Il lui intima de se taire et de se rasseoir. Elle se tendit. Mais elle le fit.

— Je veux dire que je te pardonne si toi aussi, tu m’acceptes, reprit-il, sûr de lui, comptant sur chacun de ses doigts : Je suis silencieux, réservé, je suis sérieux, « chiant », tout ce que tu veux ! Et moi non plus je ne changerai pas, Élineera.

Elle sursauta, entendant son réel prénom, comme un coup de fouet, une flèche perçant son cœur de part en part. Ses yeux écarquillés cherchèrent le regard d'ambre implacable de Syd, elle retrouva l'aura magnétique et puissante qui l'avait premièrement irritée, agacée dans ce garçon, et comprit en un éclair fuyant de lucidité que ce qui l'énervait chez lui, c'est qu'il était plus fort qu'elle. Sa personnalité, sa carrure, lisses et mystérieuses, éloignées. En essayant de le changer, elle avait essayé de le ramener à son niveau, et sentant qu'elle ne le pouvait pas, elle avait tenté de le prendre par surprise, puis avait triché en l'assommant.

Toutes les victoires qu'elle avait remportées contre lui étaient alambiquées, obscures, elle ne l'avait jamais défié en plein jour, directement, jamais assumé qu'il l'intéressait et l'énervait autant, qu'elle voyait en lui plus qu'un simple ami... il était son Rival.

— Je te défie, soufflèrent-ils ensemble, déterminés.

Elsa et Oscar, alors, se levèrent et s'éloignèrent. Elsa signala qu'elle serait arbitre, rendant la pareille à Syd. Le garçon à la queue-de-cheval, quant à lui, disparut dans les ténèbres, se sentant bien seul, jalousant sans se l'avouer Syd et Artie.

Les deux rivaux restèrent sur la jetée, à la lumière de la lune. D'un commun accord, ils ne sortirent qu'un Pokémon. Hope et Gruikui. Syd arqua un sourcil, surpris de constater une nouvelle recrue dans l'équipe d'Élin.

Elsa annonça que les Pokémon étaient respectivement niveau 12 et 16. C'était Feu contre Feu.

— Hope, essaye de le mordre.
— Gruikui, Boul'Armure.

Le Caninos s'élança vers le cochon de feu, grognant avec détermination, et planta ses crocs dans le corps de l'adversaire. Mais il était encore bébé, ses dents étaient à peine faites, et Gruikui roulé en boule, tous ses muscles tendus comme de l'acier. L'attaque fit très peu de dégâts. Élin serra les dents. Elle s'y attendait, même si elle avait persisté dans l’attaque comme à son habitude, bornée.

— Groz'Yeux, ordonna-t-elle, changeant radicalement de tactique.

Syd cligna des yeux, surpris. Elle connaissait le nom de l’attaque ! Elle optait pour une baisse de stat’ alors qu’elle fonçait d’habitude tête baissée à chaque opportunité ! À cet instant, il comprit réellement quelle était la force de sa rivale. Contrairement à lui, elle évoluait rapidement et apprenait de ses erreurs. Quand elle chutait, c’était pour mieux se relever.

— … Charge, contra-t-il, un peu hésitant.
— Esquive !

Heureusement, Hope était jeune, souple, et plus rapide que son aîné. Il dansa légèrement autour du cochon irrité, jappant joyeusement, et sous le regard fier d'Élin, se trémoussa tout au bord de la jetée... si Syd tombait dans le panneau, Gruikui foncerait droit dans la mer et c'en serait fini de lui. Comme lors de leur premier match.

Syd ne tomba pas dans le panneau.

— Gruikui, Flair, ordonna-t-il, plissant ses yeux d'ambre.

Élin ordonna quant à elle un nouveau Groz'Yeux, tentant de garder son calme, et demanda à son Pokémon de rester au bord de l'eau. Si elle gardait le rythme... agissait pile au bon moment... Mais Syd demandait de nouveaux Flair, à répétition, et Gruikui commençait à s'échauffer, suivant Hope à la trace de ses yeux sombres.

— Nitrocharge, souffla le dresseur.

Un brasier incandescent explosa autour du cochon, qui fonça avec fureur vers Hope. Le Caninos lâcha un aboiement effrayé—Élin le rappela, fermant les yeux, et Gruikui s'arrêta de justesse tout au bord de l'eau.

— J'abandonne pour cette manche, s'excusa-t-elle. Hope est trop petit pour un réel combat... À sa Pokéball, elle sourit : bien joué, p'tit gars.
— L-Le Caninos d'Élin de la Ville Noire est retiré du combat, et ne p-pourra plus être réutilisé ! Le G-Gruikui de Syd de Maillard est déclaré vainqueur, annonça Elsa. Les dresseurs peuvent à présent ch-changer de Pokémon.

Syd secoua la tête. Élin envoya Lucky, le cœur au bord des lèvres. Niveau 15. Le chiot s'ébroua, et envoya un regard confiant à sa dresseuse, haletant d'anticipation. Elle lui sourit, tremblant. Mais la blonde se reprit bien vite. Ce n'était pas son genre de laisser l'initiative à son adversaire.

— Lucky, Morsure, dans le ventre, ordonna-t-elle d'une voix forte, accompagnée d'un geste éloquent.

Le chiot aboya, se tendit, puis ses crocs s'illuminèrent d'une aura malsaine. Il fonça vers le cochon de feu, volant presque sur le béton blanc, et Syd eut à peine le temps de répéter l'ordre qu'il avait donné en début de partie :

— Gruikui, Boul'Amure !

Cependant Élin n'attendait que ça ! Elle ferma les yeux, serra des poings, et cria de toutes ses forces :

— Lucky, CHARGE !

Les prunelles de Syd s'écarquillèrent. Gruikui voltigea vers la mer, se débattant vainement, projeté indifféremment au-dessus d'Elsa comme une balle de foot ! Merde, il avait été trop con—Élin avait déjà utilisé cette tactique contre lui, avait même envoyé Hope en reconnaissance en début de partie ! … Avait-elle tout prévu depuis le début ? Il l’avait sous-estimée ?

Mais peut-être l'avait-elle sous-estimé, elle aussi. Peut-être qu’il pouvait évoluer comme elle.

— FLAMMÈCHE ! s'écria-t-il de toute ses forces alors que Gruikui chutait à toute allure vers les vagues—

Le Pokémon Feu se retourna désespérément vers la mer et cracha un immense brasier, rendu plus féroce encore par sa panique, et ceci entraîna une réaction brutale : une vague entière se vaporisa soudainement en une explosion d'air brûlant, qui repoussa vivement le cochon vers la jetée, étourdi. Élin en resta coïte. Mince elle aurait vraiment dû plus étudier en Physique-Chimie !

— Lucky, souffla-t-elle alors, se mordant violemment la lèvre. S'il-te-plaît... Bélier, comme lors de notre entraînement.

Gruikui eut à peine le temps de se remettre. Mais, porté par la détermination de son dresseur, il se redressa et fusa vers l'ennemi en une « NITROCHARGE ! ». Syd haletait, son contrôle s'évanouissant dans l'urgence du combat, emporté, émerveillé par la danse des Pokémon. Il Aimait combattre Élin. Et la blonde mourait de peur, refusait de perdre, son orgueil luttait, mais elle-même s'oubliait, dépassant sa fierté... elle Aimait combattre Syd.

Ce qui devait arriver, arriva. Les Pokémon se percutèrent de plein fouet, en une explosion de flammes et de brutalité, illuminant la nuit. Mais une nouvelle déflagration de lumière intensifia l’éclat du choc enflammé, les deux Pokémon resplendissant comme des étoiles, brûlant les yeux de quiconque regardait !

La lumière mourut, peu à peu. Syd, Elsa, Élin, et même Oscar revenu, ouvrirent leurs yeux malmenés. Devant eux se tenaient un Grotichon et un Ponchien. La première fois qu'ils assistaient à une Évolution.

— N-Niveaux 17 et 16, annonça Elsa, stupéfaite.

Syd et Élin se sourirent, émus. Il y eut une seconde de pause pour qu’ils félicitent leurs Pokémon. Mais ils durent se reprendre, car il fallait bien terminer le match...

— Bélier.
— Nitrocharge.

Élin voyait bien que son Pokémon était affaibli par le contrecoup du précédent Bélier. Mais il venait d'évoluer, et elle croyait en sa force—elle croyait qu'il ressentait sa foi, qu'il partageait sa détermination. De plus, elle s'était assurée de baisser la défense de Grotichon avec les Groz'Yeux de Hope. Élin n'avait aucune chance de perdre. Mais elle avait oublié de vérifier les statistiques de l'adversaire, oublié que Grotichon possédait très certainement une meilleure attaque.

Quand elle ouvrit les yeux, confiante, Lucky était écroulé à terre, tentant tant bien que mal de se relever, et Grotichon était encore debout. Épuisé, mais debout.

— Oh, Lucky... souffla-t-elle, titubant, s'agenouillant aux côtés de son Pokémon étourdi. Elle le caressa tendrement. Bravo pour ton évolution.

Il aboya faiblement, et lécha sa paume ouverte. Elle rit, puis le rappela.

— L-Le Ponchien d'Élin de la Ville Noire est hors-combat. Le G-Grotichon de Syd de M-Maillard est déclaré vainqueur. Les combattants p-peuvent à présent changer leurs Pokémon.

Élin attrapa sa dernière Pokéball, luisante, rouge, et se releva, la serrant très fort dans sa main. Elle recula, se tenant tout au bord de la jetée, en équilibre, l'arête en béton lui mordant la plante des pieds...

— Je te fais confiance, chuchota-t-elle. Baggy, à toi !

Les deux Pokémon étaient niveau 17. Élin serra les poings. Syd prit une inspiration nerveuse. Il avait défait deux des Pokémon d'Élin... mais Baggy était son Starter, il jouait dans une toute autre ligue. Et Grotichon était déjà bien affaibli...

— Baggy, Coup d'Boule, souffla Élin avec détermination.
— Contre avec Nitrocharge.
— Feinte !

Surprenant Syd, le Pokémon d'Élin cessa brutalement sa première attaque, pour enchaîner impassiblement avec une seconde. Le wesh se fondit dans les ténèbres ambiantes pour réapparaître juste derrière Grotichon, narquois, et lui asséner un beau Balayage.

— Bravo, soupira Élin, soulagée.

Il ne lui manquait plus qu'un seul coup, qu'une seule attaque et Grotichon s'écroulait, c'était certain. Après cela... elle visualisait déjà la suite, les enchaînements qu'elle adorait tant ; elle ferma les yeux. Mais non, il fallait se concentrer sur le présent.

— Baggy, Groz'Yeux...
— Grotichon, Flair.

Les deux Pokémon, face à face, poils hérissés, regards dangereux. Le silence menaçant et lourd et presque agressif de la nuit, les vagues acides, les souffles haletants et anxieux et brûlants des dresseurs.

— Feinte, ordonna Élin. Mais Syd sourit...
— ... et Cogne.

Baggy disparut juste à temps, se mêlant aux ombres, mais ce n'était pas assez. Grotichon sentait son odeur. Alors l'immense Pokémon attrapa le frêle caïd par la peau des fesses et lui asséna un violent coup de poing dans les côtes. Élin eut un haut le cœur. Et Grotichon enfonça ses doigts dans le diaphragme de Baggy, Baggy qui se débattait comme un beau diable, sifflant des insultes, hurlant.

Le cochon de feu balança son adversaire à terre.
Et les yeux d'Élin s'écarquillèrent.

— BAGGY, Jet de Sable !

Le Pokémon Combat gémit pathétiquement, il gratta tant bien que mal le béton rongé de sel de la jetée, et ramassa quelques sales pépites, qu'il jeta violemment dans les yeux de son agresseur. Grotichon rugit de douleur, griffant son visage, Syd cria « NON ! » mais il titubait de loin en loin sans se concentrer, et Élin, Élin était déterminée... Depuis le début du match elle cherchait à finaliser ce coup.

— Balayage.

En un croche-patte, Grotichon tomba de la jetée et s'écroula dans les flots. Cette fois, il était bien trop lourd pour qu'une Flammèche puisse le sauver... Syd rappela son Pokémon qui se noyait, perdant conscience.

— Le G-Grotichon d-de Syd de Maillard est Hors Combat, déclara Elsa, interdite. Le B-Baggiguane d'Élin de la Ville Noire est déclaré v-vainqueur.

Élin fixa son Pokémon, à peine debout, ressentant sa peur et sa douleur. Elle déglutit.

— Baggy. Baggy si tu veux, maintenant, on... et elle baissa les yeux. On abandonne. Ta santé est prioritaire, elle le sera toujours. Si tu veux, on abandonne, aucun regret.

Mais quand elle reporta son regard sur son Pokémon, il lui adressait un rictus faible et secouait sa tête, levant le poing. Elle fit une révérence respectueuse, touchée. Syd, qui murmurait des félicitations à la Pokéball de son Grotichon tombé, appela son dernier Pokémon.

Une jeune Riolu au niveau 15. La chienne bleue jappa, déterminée et prête à en découdre avec le Pokémon qu'elle considérait comme son rival.

— Riolu, attaque Forte Paume, ordonna Syd.

Les pattes de la petite Pokémon s'illuminèrent et elle fonça légèrement vers son adversaire, aboyant de défi. Mais Élin ordonna une Feinte et Riolu se retrouva seule au bout de la jetée, confuse.

— Et maintenant, Vantardise, siffla la dresseuse de Baggiguane.
— Ne l'écoute pas, Riolu ! contra vivement Syd. Clairvoyance !

Alors Baggy sourit, malgré son état, il nargua son ennemie, s'approchant d'elle en murmurant mielleusement des insultes... sauf que la chienne bleue se concentrait trop pour l'entendre, plongée dans une méditation reposante. Clairvoyance l'avait isolée, emmenée dans une autre dimension, loin de ses cinq sens et de basses provocations.

Ce duo d'attaque : le portrait craché d'Élin et Syd. D'ailleurs, les deux dresseurs s'en rendirent compte, et en rigolèrent légèrement.

— Élin, annonça Syd : je crois qu'est venu le moment de conclure ce combat.
— Aha, enfin, je commençais à m'ennuyer... railla la blonde en réponse, nonchalante.

Et de nouveau ils échangèrent un sourire. Mais leurs regards s'aiguisèrent, et leurs corps entiers se tendirent.

— Baggy, Feinte.
— Riolu...

Mais le Baggiguane avait déjà violemment touché Riolu, ricanant, goûtant déjà à la victoire...

— ... RIPOSTE !

S'embrasant toute entière de bleu, Riolu fondit sur son adversaire, et lui asséna un coup de pied magistral dans le crâne. Il s'écroula sous les yeux catastrophés d'Élin, qui s'élança vers lui, le recueillant dans ses bras.

— Oh Baggy... chuis tellement désolée, Baggy...
— Le B-Baggiguane d'Élin de la Ville Noire est Hors Combat. La Riolu de Syd de Maillard est déclarée vainqueur. Syd de Maillard r-remporte le combat !

Elle caressa le crâne de son Pokémon, qui la repoussa par fierté, avec toutes les forces qu'il lui restait.

— Pff, t'es toujours le même... s'offusqua-t-elle, doucement, prenant une moue faussement blessée.

Syd s'approcha d'elle, alors elle rappela son starter, et accepta l'aide du dresseur victorieux pour se relever. Ils se regardèrent gravement, larmoyants—non en fait, elle leva juste les yeux au ciel.

— Bon, ça me tue de le dire, déclara-t-elle le nez en l'air, mais bravo.

Syd lui répondit d'un sourire éclatant dans les ténèbres.

— Merci.

Elsa et Oscar les rejoignirent, et ils s'assirent tous au bord de la jeté, comptant les étoiles et remplissant beaucoup d'autres clichés dégoulinant de guimauve sur ce que font les amis réconciliés.


(Au nez et à la barbe des Champions)
Ce qu'ignoraient les adolescents, ainsi que d'ailleurs la grande majorité des paisibles habitants d'Ondes-sur-mer, c'est que la Team Plasma était déjà parmi eux. L'auteure ne vous fait aucun mystère là-dessus. En privilégiant la chasse à l'homme, la traque de Ghetis, et en renonçant à nettoyer et fouiller les villes dans un futur immédiat, les champions avaient fait une des plus grosses erreurs de leur vie.

Un nouveau repère grossissait dans les bas-fonds d'Ondes-sur-mer, les banlieues oubliées de la bonne société qu'avaient côtoyée les adolescents la soirée durant. Ils et elles étaient coiffeurs. Plombières. Dresseurs. Éleveuses. Infirmiers. Et ils passaient totalement inaperçus le jour, se mêlant à la foule ordinaire, vivant pour leur famille ou leur travail comme des citoyens ordinaires...

Sauf ce soir-là. Car une grosse huile leur rendait visite, le chouchou des sages, le membre réputé le plus cruel de la Team Plasma. Alors le hangar sombre et sale qu'ils avaient fait leur, aux vitres crasseuses et brisées, grouillaient de Sbires en uniforme...

— Commandant Anto ! salua martialement une cheffe d'équipe. La cohorte d'OsM est à votre disposition !
— Repos, ordonna le concerné, souriant.

Il surveilla tous les sbires, en rang. Il était grand, musclé. Cheveux outremer. Yeux de glace. Visage aux traits ciselés et féroces. Et parfois, on apercevait sous son uniforme, des tatouages sombres aux motifs étranges...

— Vous avez certainement obtenu le matériel que j'ai requis, affirma-t-il, fixant la cheffe d'équipe avec une expression innocente, presque enfantine.

Celle-ci pâlit brutalement.

— Euh eh bien je... il y a, je... Commandant, il y a eu un contretemps.

Il la scruta, comme un insecte à disséquer.
Elle frissonna.

— Je ne vous crois pas, dit Anto. Il n'est pas possible que vous n'ayez pas ce matériel... et en un sourire, il souffla mielleusement : vous comprenez ?

La femme déglutit.

— Parfaitement, mon Commandant.

Elle fit un signe à un sbire. Ils auraient le matériel en temps requis. Sinon, elle était morte.

Dehors, la nuit s'étendait doucement sur Ondes-sur-mer, ignorant les plans de la Team Plasma, qui pourtant dans quelques jours, allait la secouer toute entière...