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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:09
» Dernière mise à jour le 30/05/2020 à 14:56

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 11 : Sur la corde raide
(Chapitre en cours de réécriture...)

(De nouvelles tensions)
Le lendemain matin, Oscar tenta bien de parler à Élin, mais elle l'ignora superbement, boudant, refusant de sortir de son lit jusqu'au dernier moment. En probation, c'est ça. Elle leur en foutrait de la probation !

Les autres adolescents se préparaient et mangèrent le peu de barres céréalières qu'il leur restait en guise de petit déjeuner, pas d'humeur à blaguer. Elsa se sentait mal à l’aise, partagée entre la lourdeur de ses reproches et l’envie de pardonner à Élin pour calmer les tensions. Même si elle avait trahi leur confiance, il semblait absurde de la peiner ainsi. Se faire du mal comme ça semblait une trahison à leur pacte, une insulte aux secrets qu'ils s'étaient confiés alors.

« Ma mère est morte. »

Bizarrement, c'est l'aveu d'Elsa qui avait été le moins douloureux, il y avait longtemps qu'elle avait accepté ce fait... Six ans qu'elle vivait sans sa mère, plusieurs années déjà que la plaie s'était refermée, que la jeune fille ne ressentait plus l'absence. Dans la famille, son père seul vivait encore avec sa femme, lui parlait tous les jours. Elsa ne gardait en souvenirs que les mots parfois si durs de sa mère, ses ambitions, ses remarques trop sarcastiques pour qu'une enfant si jeune, si effrayée, les prenne au second degré... Seuls résonnaient les échos de ces phrases inappropriées, sonnant toujours si vraies à ses oreilles d'adolescente. « Tu as un visage un peu disproportionné quand même… » « surveille-toi, tes notes c'est tout ce que tu as alors retourne travailler. » Physiquement, Elsa ressemblait beaucoup plus à son père, qu'à la beauté morte de sa mère. Et l'absence n'en était que plus criante.

« Les bègues ne chantent pas. »

Syd se fichait totalement de l'état mental d'Élin. Elle avait bien mérité d'être sur la sellette quelques jours, ce n'était tout de façon pas comme s'ils allaient réellement la virer du groupe. Il fallait simplement qu'elle redescende de son nuage ! Aussi, il quitta sans problème la chambre qu'ils avaient pris au Centre Pokémon d'Ondes-sur-mer pour passer un appel à sa famille.

De toute façon, ils n’avaient toujours pas reçu de mot d’Anis du Conseil Quatre au sujet du Pokéwood. Il leur resterait probablement un jour au deux avant le tournage…

Rah et puis merde, le tournage ! Qui avait dit que Syd avait envie de tourner un film ! C’était encore de la faute d'Élin ! … Sauf que les répétitions allaient lui permettre de rencontrer Artie, Zhu, Strykna et Anis du Conseil Quatre. Mais Syd préféra se concentrer sur sa colère (tout à fait) légitime plutôt que d'admettre que le tournage lui offrait une opportunité sans précédent.

Quand il appela, ce fut sa tante Aloé qui lui répondit.
Syd se figea. Avec l'affaire d'Élin, il avait complètement oublié que c'était le jour de visite de sa tante !
Ses recherches de la veille défilèrent dans son esprit, et il se tendit. Nikolaï.

— Eh bien, on ne t'a pourtant pas éduqué à détruire la propriété publique, mon neveu, déclara l'ex-Championne avec un amusement sec. Cela va encore coûter cher au contribuable.

Il ne sut trouver les mots. Oui, pendant quelques secondes il ne put qu'observer la tête de sa tante, pantois, fixant bêtement son afro, retenue par un fichu de la même couleur électrique que ses iris intelligents, son air affectueusement moqueur.

— C-Ce n’est pas d'ma faute, souffla-t-il finalement, virant au cramoisi malgré sa peau sombre. Y a une fille qui s'appelle Élin dans notre groupe, une vraie furie, elle m'a assommé puis conduit jusqu'au Pokéwood en barque et... Mais en fait elle est sympa parfois. Enfin là elle a vraiment merdé !

Syd lui raconta tout en détails confus, oubliant sa colère, s'ouvrant avec un sourire réticent. Les détails des derniers jours se mêlaient confusément dans son récit, lui habituellement si clair et si logique, se perdait dans les détails de ses colères et de ses découvertes, des tricheries d'Élin et de sa fierté envers ses Pokémon. Il parla à sa tante d'Oscar, d'Elsa ; mais Aloé put constater que le prénom qui revenait le plus souvent aux lèvres de son neveu était bien celui de la fille de Black...

Surtout, l'archéologue put constater, avec étonnement, à quel point son neveu avait évolué. Lui qui n'avait jamais fait confiance à des personnes extérieures à la famille, lui qui était resté solitaire toute son enfance, parfois méchant envers les enfants de son âge dans le seul but de rester tranquille, voilà qu'il se faisait des amis et leur confiait des secrets ! Tout cela en une semaine alors que sa mère avait cherché un remède à cette attitude toute son enfance ! Décidément, Aloé aimerait bien connaître plus en détail cette Élin, qu'elle n'avait aperçu qu'une fois à un événement commémoratif pour les victimes de la Team Plasma, alors qu'elle n'avait que huit ans... La gamine semblait avoir des effets magiques sur son neveu.

— Et de ton côté, le travail avance ? s'enquit Syd quand il eut fini son récit, essoufflé, arborant un sourire rêveur.
— Très bien, mais nous avons interrompu les fouilles pendant quelques jours car Tcheren nous a envoyé une découverte inquiétante de White...

Rapidement, Aloé lui décrit les Pokéball, expliquant qu'ils n'avaient trouvé aucune Pokéball semblable dans l'histoire des Régions et de la Fédération Ranger malgré leurs recherches. L'ex-Championne avait pour habitude de parler de son travail à sa famille, en qui elle avait une confiance totale. Elle gardait bien entendu les détails les plus sensibles pour elle, mais elle préférait les tenir bien informés pour qu'ils soient en sécurité.

— J'appellerai Tcheren bientôt pour lui parler de tout cela, et m'excuser de n'avoir rien trouvé de plus. J'en suis désolée, mais l'utilité de ces Balls m'échappe.

Le regard bleu électrique de sa tante s'assombrit soudainement. Syd se tendit, une main se crispant sur les bords de son pantalon en toile, observant les sourcils de sa tante se froncer...

— Mais à propos de la Team Plasma, raconte-moi en détail l'attaque du Ranch d'Amaillide. Je n'en ai seulement entendu parler par ta famille et à peine par les autres Champions.

Ah... Syd inspira.

— Tout a commencé peu avant qu'on arrive sur place. Quatre Sbires avaient volé une portée de Ponchiot parce qu'ils ont une Capacité Spéciale du Monde des Rêves...

Il décrivit tout du mieux qu'il put, s'arrêtant parfois sur l'enchaînement exact de leur contre-offensive, maintenant légèrement confus dans son esprit—tant de choses étaient arrivées depuis ! Surtout, il expliqua à sa tante ce qui avait le plus intéressé Tcheren et Goyah : les Sbires portaient l'uniforme de l'Ancienne Team Plasma, et surtout, ils semblaient très surpris de savoir que l'ATP avait cessé ses activités. Un peu comme s'ils venaient d'une autre époque et avaient fait un voyage temporel par accident !

Aloé fronça de nombreuses fois ses fins sourcils, lui posa de nombreuses questions. L'archéologue avait été Championne pendant des années, et avait servi la nation durant la première constitution de la Team. Ses instincts étaient aiguisés et elle décelait chaque hésitation, chaque instant de confusion dans la voix de Syd. C'était elle qui l'avait poussé à être si calme, si logique, et l'élève n'avait pas encore dépassé la maîtresse.

— Ta mère m’a dit que tu avais des questions à propos de la Team Plasma, l’informa-t-elle ensuite.

Syd se crispa.
Il se demanda s’il devait—s’il devait—si elle allait deviner—
Pour la première fois depuis des années, il bafouilla.

— En fait… Tcheren a parlé de… Nikolaï ? Un brillant chercheur ? Il a dit que c’était à la fois un médecin et un inventeur… lança-t-il, tentant de noyer son intérêt pour la partie « médecine » dans le flot de ses mots.

Aloé le fixa, et il sentit une goutte de sueur froide perler à sa tempe.

— … Tout cela est exact, répondit finalement la Championne. Nikolaï était médecin avant d’être radié de l’ordre pour ses expériences. Il a aussi inventé des machines très avancées sur notre temps. C’est tout ce que tu as besoin de savoir.

Le ton de sa tante lui parut si froid qu’il sursauta avant d’acquiescer. Il eut d’autant plus peur quand sa tante enchaîna sur le sujet le plus sensible qu’elle puisse aborder…

— Et où en est ta recherche du remède ?

Son plan. Merde... Sous la table, la main de Syd se transforma en poing. Il la serra fort, si fort qu’il crut que la tension allait transcender son inquiétude, puis la relâcha.

— J’ai déjà un Badge, et je vais bientôt défier Strykna, donc je dirai que le plan avance bien. Je me concentre sur le voyage initiatique, car de toute façon c’est le meilleur moyen de progresser, répondit-il calmement.

Une seule hésitation, et Aloé comprendrait que quelque chose clochait.

— Je t'avais prévenu que ce ne serait pas facile, lui rappela sérieusement l'archéologue.
— Je me renseignerai à propos des traitements expérimentaux de la clinique Meloetta à Volucité, c'est la première étape du plan, lui mentit Syd avec un air de détermination, et il espérait, d'innocence.

Si Élin avait pu le regarder à cet instant, elle aurait pouffé tant l'expression du dresseur, habituellement si fermée, avait l'air idiote ! Mais quelqu’un d’autre vit cette mine faussement ingénue. Une maigre silhouette descendue à la recherche de Syd, pour discuter du sort de la gamine blonde… Elsa. L’élève se figea dans l’ombre du couloir, gênée de surprendre une discussion de famille.

— Nous leur avons déjà parlé, s'irritait cependant Aloé. Nous avons fait tous les docteurs du pays, tu perds ton temps et tu te fais de faux espoirs. On ne guérit pas du syndrome d'enfermement, point.
— Tant que je ne donne pas de faux espoirs à Otis lui-même, je ne vois pas le problème, grinça Syd en réponse, son expression se rembrunissait tout à coup.

Les Park se fixèrent dangereusement pendant quelques secondes. Le cœur de Syd battit follement quand il repensa aux sujets qu'ils avaient enchaînés : Plasma—Recherche du Remède, sans que sa tante ne tilte, sans qu'elle ne s'affole, qu'elle le fasse traîner pieds et poings liés jusqu'à Maillard pour ne plus jamais en repartir. Dans la pénombre, Elsa écarquilla les yeux sans véritablement comprendre ce qui se jouait devant elle.

Sans voir que Syd avançait en équilibre sur un fil si ténu. Dangereux. Mortel.

Aloé raccrocha avec un hochement de tête et un « on se parlera bientôt », sans rien suspecter, sans rien déceler. Elsa s’éclipsa précipitamment quand elle vit que l’appel était terminé. Alors Syd soupira avec un soulagement fou, sentant chaque muscle de son corps se détendre soudainement, ses membres trembler douloureusement.

Pas de problème. Pas de problème. Il était encore dans la course.
Pour combien de temps ?


(Une amitié naissante)
Peu de temps après le départ de Syd, Élin s’en alla en claquant la porte, maugréant vaguement quelle « devait s’entraîner ». Oscar et Elsa, qui avaient écopé des matelas du bas dans leur petite chambre aux lits superposés, se fixèrent dans le blanc des yeux. Un court silence s’écoula, où chacun chercha ses mots, ce qui intéresserait l’autre.

Elsa déglutit mollement. Elle ne s’était pas retrouvée seule avec Oscar depuis le soir du pacte, prêt d’une semaine plus tôt.

— Ç-Ça te dirait d-de prendre l’air ? se lança-t-elle, rouge.
— Cool, j’y pensais justement ! souffla Oscar en réponse, soulagé. L’ambiance est vraiment trop pesante pour rester enfermés…

(Il s’était imaginé que la jeune fille était du genre à se plonger dans un livre sans lui adresser la parole—mais il avait eu tort.)

Elsa acquiesça avec un soupir, et il ricana un peu vite pour camoufler ses pensées, l’aidant à se lever. Ils quittèrent rapidement le Centre Pokémon, et choisirent une rue ensoleillée, attirés par les reflets du soleil sur l’eau du canal. Depuis leur arrivée mouvementée, la veille, le groupe n’avait presque pas échangé de parole, chacun s’embourbant dans ses ruminations. Cela faisait du bien de pouvoir discuter à présent.

— P-Parlons d’autre chose, proposa la brune. Aucun des deux n’avait envie d’entraîner ses Pokémon.
— De quoi ?
— De n-n’importe quoi. De Jeans ! rigola-t-elle légèrement, fuyant le regard d’Oscar pour se donner, paradoxalement, plus de courage.

Dommage. Elle rata la surprise discrète du baba-cool, le battement rapide de ses yeux et de ses lèvres. C’était le rire d’Elsa. Libre, courageux et presque—nu, oui c’était le mot, nu—pour la première fois.
Elsa avait un beau rire.

— Elle s’entraîne très dur… répondit-il. Mais elle n’est pas encore arrivée à remonter jusqu’en haut de mon pantalon.

Comme il l’espérait, la brune rigola encore, secouant un peu la tête devant les scènes embarrassantes qui lui venaient à l’esprit. Elle l’évitait encore du regard, et bientôt, quand la rue se fit plus animée, lui aussi dû renoncer à la détailler. Il ne put que l’entr’apercevoir, silhouette noire à travers la foule colorée, ses bras nus comme des éclats de lune parmi les corps de vacanciers.

Il se demandait comment il avait pu ne pas la remarquer auparavant.

Elsa n’était pas bruyante, insistante, directe, rapide, capricieuse, solaire. Elle balbutiait, comptait, recomptait, murmurait, souriait, disparaissait, céleste.

Le flot de vacanciers les porta vers une grande avenue et puis vers la plage, une grande plage de sable jaune qui brillait sous le soleil, percluse de parasols et recouverte de serviettes de plages colorées. La petite chanson d'un marchand de glace crépitait depuis de vieilles enceintes pas cher, et puis quelqu'un jouait et j'ai crié, crié, Aline ! pour qu'elle revienne... Oscar sourit à Elsa et elle s'acheta une glace à la vanille composée à quatre-vingt-dix-pour-cent de sucre, lui paya une boule de pistache et ils s'aventurèrent sur le sable. Elsa se défit ses sandales et Oscar retira ses belles baskets à contre-cœur. Ils relâchèrent Amaryllis et Jeans qui piaillèrent, l'une effrayée et l'autre enthousiaste.

Et puis Elsa finit sa glace et prit un air très sérieux.

— E-Est-ce que t-tu aimes les Ch-Chacripan ? s’enquit-elle lentement. Oscar pâlit, se demandant quel code secret il avait raté, et tiqua avec nervosité.
— Pas particulièrement, noon… je, euh… je préfère les Ponchiot ?
— É-Élin aussi préfère les P-Ponchiot. Mais S-Syd adore les Ch-Chacripans.
— Les chats de ne font pas des chiens ! ricana Oscar sans réfléchir.

De quoi déclencher une réflexion profondément philosophique chez les deux adolescents.

— Écoute, soupira Oscar, personnellement… j’aimerais bien que l’on pardonne à Élin et que tout redevienne comme avant. J’aimais bien comment on était tous devenus amis après le pacte, chaque journée se passait bien…
— M-Moi aussi, avoua Elsa. Mais e-en m-même temps, Élin aurait réellement pu nous tuer… c-comment peux-tu passer l’éponge aussi f-facilement ? l’accusa-t-elle, jalouse.

Oscar ne s’en rendit pas compte, toujours dans les nuages. La mer rutilait, sombre et éclatante.

— Cela aurait pu mal finir, certes, mais finalement on n’est pas morts… et on va même tourner dans un film Pokéwood ! ajouta-t-il, les yeux écarquillés en y repensant.

À ces propos, Elsa frissonna, fixant ses pieds. Elle mesurait, certes, la chance qu’elle avait de tourner auprès d’Artie et d’Anis… mais rien que l’idée d’apparaître sur un grand écran lui donnait l’impression de plonger ses entrailles dans un bain glacé !

— Hm… marmonna-t-elle vaguement alors, serrant les bras autour de sa poitrine.
— On va être connus par tous les Champions ! Et le Conseil Quatre ! ajouta Oscar, ravi.
Elsa se sentit de plus en plus malade.
— Tout Unys étudiera les affiches de notre film… des spécialistes disséqueront nos performances sur grand écran… s’émerveillait toujours son ami, les yeux luisants de cœurs roses, les mains jointes en guise de prière—peut-être que ce sera un grand classique du cinéma et qu’il sera joué dans des festivals interrégionaux !
Elsa gémit, hoqueta disgracieusement.
— Tu ne trouves pas ça SUPER ? termina finalement Oscar, tournant un regard exorbité vers son amie brune.

Un long silence s’écoula.

— … Ah, non… peut-être pas, réalisa soudain le garçon, se calmant. Il baissa les yeux, soudainement gêné. Mais ne t’inquiète pas, euh… si tu as trop peur, je pourrais toujours blaguer pour te rassurer. Et te faire rire.

Elle lui sourit faiblement, et, haussant les épaules, osa un petit gloussement. Se sentant d'un coup plus courageuse, elle prit Oscar par la main et l'entraîna vers la mer, titubant autour de petites filles et de leur château de sable et puis courant vite, vite, vers les vagues. Oscar s'esclaffa, se laissant faire, et puis l'eau, l'eau froide, l'eau salée, l'eau de l'océan submergea leur pieds et ils inspirèrent, levant les yeux.

La mer s'étendait de loin en loin, vaste comme le ciel. Oscar avança jusqu'à ce que la mer monte à ses genoux, tirant doucement Elsa, prêt à la relâcher si jamais elle avait peur. Ils sentaient toujours le sable sous leurs pieds, et des petites brisures de coquillages. Puis Amaryllis les dépassa, roula contre les vagues, plongea sous la surface, et Elsa rit encore. Ils marchèrent le long de la plage, taquinant Jeans qui n'osait pas mouiller ses écailles, et remontèrent vers la ville.

Amaryllis lava leurs jambes d'un Pistolet A O et ils se trouvèrent un banc pour remettre leurs chaussures. Le soleil leur était monté à la tête, la fatigue bourdonnait entre leurs tempes. Oscar proposa de rentrer ; Elsa acquiesça et se leva rapidement mais elle eut le tournis. Ils longèrent les bars de la plage et puis tournèrent dans une petite ruelle pour éviter la grande avenue par laquelle ils étaient arrivés. De nombreuses affiches tapissaient les murs et Oscar s'arrêta pour les lire, cherchant à repérer des concerts intéressants pour les prochains jours.

— T-Tu as v-vu celle-là ? lui demanda Elsa, pointant une affiche rouge et noire.
— Hmm... « La Jeunesse Contre Les Plasmas »... lut Oscar. « Contre Glaucus et son équipe de criminels, contre la séparation des Pokémon et des humains, pour la démocratie et la solidarité »...
— « M-Manifestation à l'Arène, Jeudi trente juin à treize heures trente »...

Ils contemplèrent l'affiche quelques secondes, interdits.

— M-Mon p-père dit que les manifestations c'est p-pas bien... hasarda Elsa.
— Moi je trouve ça trop cool ! sourit Oscar, des étoiles dans les yeux. On va pouvoir marcher au milieu de la rue et faire plein de bruit !
— M-Mais et si la police nous arrête...
— Eh bien on court !

Oscar rigola et l'entraîna plus loin, oubliant bien vite l'affiche, mais Elsa resta plongée dans ses pensées. Goyah et Tcheren avaient dit que Glaucus cherchait à se faire élire à Ondes-sur-mer... et s'il était élu... qu'est-ce qui se passerait ?


(Jamais seule)
Sans le savoir, Élineera avait suivi un chemin complètement opposé à Oscar et Elsa. En sortant du Centre, la gamine bougonne s’était tout de suite dirigée vers le canal le plus proche, avait dévalé la volée de marche menant au bord de l’eau au plus vite. Elle souhaitait se perdre dans la ville, disparaître.

Le soleil matinal illuminait les reliefs mousseux des pavés et des murs, jouait entre les vagues du canal, poursuivait les Goelise qui s’amusaient à fendre les eaux ; c’était une magnifique journée marquée par les embruns du large. Mais les yeux d’Élin balayaient la ville sans la comprendre et monde était voilé de colère. Elle fonçait vers l’inconnu les mains dans les poches sans se soucier de tomber ou de se cogner contre quelqu'un d'autre—heureusement qu’il n’y avait presque pas de passants.

Il lui semblait qu’elle était seule.

Mais alors qu’elle croyait s’y être habituée—alors qu’elle pensait avoir grandi dans la solitude—elle réalisait à présent qu’elle vivait une expérience nouvelle et douloureuse. Certes, petite, elle n’avait jamais côtoyé d’autres personnes que ses enseignants et sa famille. Jamais elle n'était allée à l'école pour se faire des amis. Et cela l’avait fait souffrir d’être toujours retenue, surveillée, étouffée sans comprendre pourquoi. Ses dix ans révolus, elle ne se souvenait pas d’une semaine où elle ne suppliait pas son père de partir en voyage initiatique, ou elle ne hurlait et ne pleurait pas.

Mais elle avait toujours eu—un filet de secours, une main tendue pour l’aider, un sourire rassurant si elle se retournait, effrayée. Jamais elle n’avait commis de si lourdes erreurs pour en porter la charge écrasante seule.

Et cette nouvelle sensation lui filait la nausée, non elle—l’électrisait, l’enflammait, l’interrogeait, la poursuivait, l’engueulait, la moquait, la détruisait, la prenait doucement par la main l’emmenait vers un monde nouveau, « Indépendance », oui c’était cela qu’elle lui susurrait depuis les hauteurs… Indépendance, indépendance, Unys, voyage initiatique dont elle avait toujours rêvé, regrets, erreurs. Toutes ces incertitudes faisaient partie de la vraie vie, une vie qui aurait toujours une saveur aigre-douce, amère et sucrée, une vie qui aurait sans doute le goût des larmes.

C'était la vie que son père lui avait interdit, la vie qu'elle avait tant voulu mener, au point de s'enfuir et de mentir à tout le monde. Elle avait tout risqué pour être indépendante et faire ses propres choix, elle avait risqué que son père la déteste alors qu'il était la personne qui comptait le plus au monde, elle avait risqué de se retrouver sans maison et sans argent. Cette vie, ces regrets, ces erreurs, ces triomphes étaient les siens. Elle était prête à se battre contre son père dès qu'il rentrait de Kalos pour défendre ses choix.

Pourquoi alors, souffrait-elle autant d’être seule ?

La blonde ravala un sanglot, inclinant son visage vers le ciel pour que ses larmes ne s’échappent pas du coin de ses yeux, pour qu’elles n’existent pas.

Lentement, l’adolescente parcourut Ondes-sur-mer du regard. Sans le réaliser, elle avait échoué dans une cour carrée, aux pavés rongés par le temps, la mousse et le sel. Au-dessus d’elle, des maisons de ville anciennes, pour certaines abandonnées, qui contemplaient la pierre se dégrader de leurs fenêtres noires. Depuis les fissures des pavés s’élevait une odeur d’humidité, de sel, de boue… la cour devait certainement être envahie par le canal quand celui-ci débordait. L'été tous les sédiments et le lichen s’effritaient au soleil.

Élin inspira.

Et soudain, une Pokéball à sa taille vibra, tripla de volume et se déclencha. Elle tituba, surprise, vers l’éclair rouge qui matérialisait son compagnon.

Baggy.

Le Pokémon la toisa avec morgue et croisa les bras, l’air de dire : « c’est tout ce que t’as ? Tu vas pleurer comme une petite fille qui a marché sur un légo ? ». Il leva le menton vers sa dresseuse, bandant ses muscles pour lui rappeler toute la puissance qu’il pouvait déchaîner malgré sa petite taille. Et Élin, Élin fronça les sourcils avec colère, serrant les poings autour de sa Pokéball.

— Tu te crois fort, c’est ça ? cracha-t-elle, offensée.

Son Pokémon acquiesça avec fierté—et ils se fixèrent avec provocation, s’approchant inconsciemment. Élin cligna des yeux en premier, irritée par ses larmes.

— Eh bien je…je ne suis pas aussi forte que toi, ok ? avoua-t-elle, le cœur gros.

Comment pouvait-elle sérieusement penser qu'elle allait réussir à battre son père dans deux mois ? Elle n'avait même pas récolté un seul badge alors que ses amis en avaient déjà un. Et si elle perdait ? Si son père insistait pour la ramener chez elle ? S'il l'enfermait encore et qu'elle ne pouvait même plus voir ses Pokémon ? Tous ses rêves seraient brisés !

Baggy souffla. Il n’accepterait jamais d’être le Starter d’une dresseuse faible. Comment l’humaine osait-elle se complaire dans son erreur, abandonner aussi vite ? Secouant de la tête, il jura et pointa brusquement la deuxième Pokéball de la dresseuse.

— Lucky ? réalisa Élin après quelques secondes de réflexion.

Elle hésita, puis obéit, appelant la seconde créature. Mais elle ne voyait pas trop en quoi elle était avancée. Atterré, Baggy soupira de manière exagéré, et asséna un massif Coup D’Boule au petit chiot.
Qui s’effondra.

— Lucky ! s’écria Élin, stupéfiée.

Mais Baggy ricana et son crâne s’illumina de nouveau, devenant aussi lourd et massif que du plomb.

— Lucky, défends-toi !

Tant bien que mal le chiot se releva, et aboyant avec défi, chargea son adversaire. Les deux créatures se cognèrent en un « BONG » inquiétant—au point que la vieille Madame Levoyer, qui avait été directrice de crèche dans le quartier et avait vacciné trois générations d'habitants de la cité des Quatre-Mille dans la Ville Haute—elle avait vécu une vie très intéressante dont on n'a malheureusement pas le temps de parler ici—passa sa tête par une fenêtre de sa chambre pour voir ce qu’il se passait. Quand elle remarqua une enfant inconnue elle souffla un « décidément, la jeune génération ! » méprisant.

— Encore ! l’encouragea Élin, faisant un pas en avant sans même s’en rendre compte.

Son cœur marquait sa poitrine au fer rouge, ses joues rondes s’enflammaient, elle n’avalait pas assez d’air. C’était comme si elle se battait à la place de ses Pokémon, tant elle pouvait sentir leur excitation et leur peur. Et puis—elle suivait chaque détail des yeux, remarquait comment le regard de Baggy s’aiguisait, comme Lucky commençait à rentrer sa tête, et les accents métalliques que prenait sa fourrure…

La prochaine collision fut encore plus brutale, mais Lucky ne chuta pas, endurant l’assaut de Baggy sans trembler. Élin capta de nouveau les reflets argentés qui parcouraient ses poils épais, et hocha de la tête, animée.

— Tu apprends une nouvelle attaque ! réalisa-t-elle avec un sourire, fière.

Elle dut vérifier le nom de la Capacité sur son Pokédex—de mauvaise grâce, et l’acte lui prit plusieurs minutes. Quand elle releva la tête, Baggy la fixait d’un regard brûlant. Elle frissonna.

Élineera Hei ne serait jamais seule. Elle avait lié son destin, irrémédiablement, avec celui de ses Pokémon.

Elle rentra au Centre Pokémon des heures après, essoufflée, en sueur, le ventre vide, mais le cœur plus léger. Elle avait pu essayer de nouvelles combinaisons—Jet de Sable et Flair, Jet de Sable et Coup d’Main, Coup d’Main et Balayette… Ele était tout sourire. À l’accueil, l’Infirmière lui tendit un message qui était adressé « à l’extraordinaire groupe d’adolescents qui a fait/va faire irruption sur le grand écran ! »—Élin se doutait que cette blague douteuse était signée Artie.

Ils étaient convoqués à la première séance de tournage le lendemain, à neuf heures.


(Devenir acteurs !)
— Vous ? Jouer au Pokéwood ?

La gardienne haussa un sourcil désabusé, balayant du regard les quatre adolescents mal réveillés qui se tenaient devant elle. Ils tentaient de rentrer par les loges des acteurs. Sans doute des fans ou des ados désespérés. La jeune génération se croyait vraiment tout permis...

— Eh bien, voyez-vous donc cela, s'étonna Gruikui, aux côtés de Riolu. Nos dresseurs ne sont pas attendus.
— Doit y avoir une erreur, répondit la chienne bleue, haussant les épaules.

Ils patientaient à quelques mètres des humains, mâchonnant des baies Pecha à l'ombre d'un buisson. L'herbe sous leurs muscles fatigués était fraîche, humide et agréable... la journée s'annonçait magnifique... au loin des Poichigeon roucoulaient...

— J'ai faim, dit Riolu.
— Hm.

Après quelques minutes de politesses et négociations, Syd convainquit la gardienne d'appeler sa supérieure qui, surprise, appela à son tour Anis. Le cœur des adolescents battait la chamade alors qu'ils guettaient la dresseuse de légende du Conseil Souverain d'Unys.

Elle vint à leur rencontre avec un sourire léger, clairement ailleurs, pensées sans doute perdues au beau milieu du scénario qu'ils allaient jouer... aussi, elle ne leur dit même pas bonjour, les scrutant simplement, hochant de la tête avec satisfaction. Mais au moins elle les fit entrer.

— Vous devriez... esquissa-t-elle tandis qu'ils traversaient des couloirs élégants au pas de charge.
— Nous devrions ? s'enquit Syd, arquant un sourcil.
— Vos Pokémon... pour la journée, compléta l'adulte avec un geste vague de la main. On va vous en prêter d'autres...

Oscar s’étonna.

— Pour le film ? Vous voulez dire faire sortir nos Pokémon ? Mais hein, attendez... ils vont pas déranger le staff du Pokéwood ? Ou la sécurité ?
— Observer... expliqua Anis. Ils peuvent...

Les adolescents échangèrent des regards hésitants... puis Gruikui et Riolu, trottinant derrière les dresseurs, furent rejoints par le reste de la troupe en une cacophonie joyeuse. Jeans-Pantalon, Baggy, Lucky, et Amaryllis. Élin envoya un sourire chaleureux à ses Pokémon, qu’elle étendit aussi à Gruikui et Riolu, haussant les épaules avec un air taquin.

— Eh bien, l'ambiance s'annonce plus détendue, déclara le cochon.
— Ah bon bon bon bon bon ? s'écria Jeans, sautillant devant lui, les yeux écarquillés.

Le cochon de feu rassembla tout son courage et affronta son regard déluré.

— Il me semble. Voulez-vous que je vous explique où nous nous trouvons ? Ce lieu se nomme le Pokéwood...
— J'ai faim, déclara Riolu.

Bientôt, la bande déboucha dans une immense salle aux murs verts, entièrement vierge de meubles ou d'accessoires. Plusieurs techniciens s'affairaient avec des spots de lumière et des costumes, rectifiant ci ou ça avec le plus grand professionnalisme. Au centre de la pièce, trois hommes vêtus d'étranges combinaisons vertes et trop... moulantes... attendaient patiemment. Gruikui déduit au fil de la conversation qu'ils se nommaient Artie, Zhu et Capitaine.

— Au fait... débuta ce dernier, gêné. Ma fille vous fait dire qu'elle refuse de vous affronter si le film n'est pas un succès.

Cette nouvelle fut accueillie dans un silence de plomb par les adolescents.

— Oh, mais point de souci, je suis sûr que le spectacle vaudra un Pokémon d’Or ! assura un Artie souriant. Tous les critiques l’attendent impatiemment depuis votre entrée on ne peut plus brutale dans le monde du cinéma !

Personne ne retrouva sa bonne humeur.

— Messieurs-dames, vous pouvez à présent vous changer.

Le groupe se tourna vers une technicienne aux traits sévères, qui tendaient aux adolescents quatre costumes identiques à ceux des adultes—trop verts, trop moulants. Syd, Oscar, et Elsa dissimulèrent tant bien que mal leurs grimaces sous des remerciements. Élin haussa de nouveau des épaules. Finalement, ils furent conduits vers des cabines d'essayage.

Anis sourit.

— Pokémon, vous pouvez... et elle leur indiqua une rangée de sièges et de coussins, à l'autre bout de la salle.
— Elle veut dire que vous pouvez vous y installer, très chers, expliqua Artie. Je m'excuse de sa part—une fois que l'inspiration la saisit, elle est dans la lune, plongée dans la... ah, la Dimension de l'Artiste !
— Voyons... Champion Artie... répliqua Anis, sourcils froncés.

Ils se lancèrent aussitôt dans une discussion enflammée sur le processus de création artistique. Pour le champion de Volucité, l'inspiration le foudroyait, puis s'envolait aussitôt ! La dresseuse du Conseil Quatre, quant à elle, était impliquée dans un processus long, lancinant, qui la possédait par vagues... tantôt elle était fatiguée, plongée dans une réflexion poussée, tantôt hyperactive, comme prise dans un match Pokémon, saisie par une foule de mots et d'émotions.

À la grande déception de Gruikui, qui écoutait le dialogue avec un intérêt, Capitaine les mena à leur endroit désigné et les y laissa avec consigne de ne pas déranger les techniciens. Ils ne pourraient sortir de leur enclos que pendant les pauses.

— Hm... bailla Riolu. Mais c'est de la ségrégation ou quoi ?
— Non, répondit Gruikui, je pense que le staff demanderait aussi à d’éventuels spectateurs humains de rester à la marge.
— Et les Pokéball, c’est pas de la ségrégation peut-être ? grommela Baggy, jetant un regard condescendant à l’équipe de Syd.

Mais le Pokémon wesh semblait curieusement de bonne humeur, et il ne fit qu’ignorer Riolu quand elle menaça de lui éclater la face à la prochaine pique. Quant aux autres : Lucky et Amaryllis essayaient tant bien que mal d’ignorer Jeans, qui sautillait avec entrain autour de leurs figures détendues.

Bientôt, leurs dresseurs sortirent des cabines. Riolu s'esclaffa. Gruikui évita de poser sur regard sur Syd, assez gêné. Ce costume... était réellement... trop moulant.

Mieux valait se concentrer sur autre chose.

[…]

Mieux valait se concentrer sur autre chose. Sur tout autre chose que les regards-supérieurs-chargés-de-jugements-moraux-à-la-noix que lui lançaient Syd.
Élin soupira, blasée. Pourquoi se sentait-il toujours supérieur à elle ? Surtout alors qu’elle s’était excusée ! Elsa et Oscar n’agissaient pas comme ça, alors pourquoi se le permettait-il ?

Les autres occupants de la pièce voguaient entre la foule de technicien, discutant parfois. Anis semblait alterner les périodes d’excitation intense avec des moments lointains où elle n’arrivait pas à terminer ses phrases. Elsa l’idolâtrait manifestement, son bégaiement s’étant empiré depuis qu’elle était en présence de la dresseuse du Conseil Quatre. Oscar discutait avec Artie, lui aussi endossant le rôle de fanboy, tandis qu’ils attendaient de connaître leurs rôles.

Le garçon avait toujours rêvé de rencontrer le Champion de sa ville. Artie incarnait tout ce qu’il avait toujours voulu être : il était beau, riche, romantique, un dresseur accompli… Quant à l’adulte, il trouvait le dresseur de Vipelierre très amusant, appréciant les histoires que lui racontait le jeune à propos de sa Starter. Enfin quelqu’un qui n’avait pas peur de rire devant lui et qui ne se prenait pas au sérieux. Ils prirent quelques poses ridicules dans les combinaisons moulantes, discutant de fringues et de mode.

Zhu les rejoignit alors qu’Oscar terminait une histoire à propos des chemises à carreaux d’Amaillide :

— … motif typique de la région que portent les hipsters ! Ou les bûcherons…

L’ex-Champion de type Glace écouta avec attention les descriptions imagées d’Oscar, croisant les mains derrière son dos. Avec son visage bourriné et impassible, son teint pâle, il pouvait aisément passer pour une statue de givre. Ainsi Oscar et Artie ne le remarquèrent pas immédiatement, trop occupés à comparer hipsters et bucherons, se demandant si les barbes des premiers étaient réellement inspirées par Émile Dola ou Jarl Marx. Ils n’aperçurent Zhu qu’après quelques minutes et sursautèrent, effrayés.

— Zhu ! s’exclama Artie d’une voix un peu aigüe. Quelle plaisante surprise !

Mais le vieil homme ne répondit pas. Il fixait Oscar avec fascination. Le grand dadais rougit, se triturant les mains, et se demanda si Zhu avait entendu les histoires sur Jeans qui remontait dans son pantalon. Gênant.

— Tu es très beau, jeune homme, fit Zhu gravement.
Oscar écarquilla les yeux.
— Euh… merci ? couina-t-il, se sentant comme une bête acculée.

Voyant son malaise, Artie fronça les sourcils et s’interposa entre lui et Zhu, embarquant celui-ci dans une discussion avec un sourire éclatant. Oscar s’éloigna rapidement, gêné. Il avait l’impression de sortir d’un rêve tant la scène lui avait semblé irréelle.

Élin s’ennuyait.

Finalement, Anis poussa un dernier soupir et fronça une dernière fois les sourcils. Artie et Zhu comprirent le signal et se turent, tandis que Capitaine et les adolescents se rapprochèrent de la dresseuse du Conseil Quatre pour l’écouter. Le silence s’installa.

— Champion Artie… commença la femme élégante, replaçant ses lunettes. Votre rôle…

La distribution eut lieu rapidement. D’abord la Championne lista les rôles des hommes, puis elle se tourna vers Elsa et Élin avec un sourire bref.

— Jeune fille… le rôle principal.

Mais Anis ne s’était pas adressée à la blonde, dynamique et solaire. Non, elle avait préféré l’étudiante sérieuse et timide de Volucité, malgré son bégaiement. Les acteurs restèrent surpris. Elsa rougit et s’étrangla, à la fois terrifiée et émerveillée.
Le sang d’Élin se glaça.
Puis elle explosa.

— Comment pouvez-vous lui donner le rôle, à elle ? rugit la gamine, sa queue-de-cheval tremblant sous le choc.
— Jeune fille, tu as… aussi un rôle… rétorqua Anis, fronçant des sourcils. La sorcière…
— La sorcière ? J’ai vu le script—elle a à peine trois répliques !
— Arrête de te plaindre, tu ne fais que te donner en spectacle, siffla soudain une voix méprisante.

Élin se figea et renvoya un regard meurtrier à Syd. Celui-ci secouait de la tête, absolument atterré par le comportement de son « amie ». Comment la blonde pouvait-elle se plaindre ainsi devant deux Champions et une dresseuse du Conseil Quatre ? Comment pouvait-elle se lamenter ouvertement du bonheur d’Elsa, son amie ? Cela confirmait tout ce qu’il avait pensé de la blonde dès le premier jour : elle était égoïste et capricieuse.

— Pourquoi aurais-tu le rôle et pas Elsa ? poursuivit-il, énervé.
— Pourquoi elle et pas moi ? rétorqua Élin, croisant les bras. Je ne bégaie pas.

Elsa baissa muettement les yeux, sous le regard désolé d’Oscar. Pendant ce temps, Artie et Anis s’étonnaient du caractère de la gamine, qu’ils avaient parfois croisé jeune. Elle avait toujours été vive et exigeante, mais à ce point ?

— Tu devrais avoir honte de mettre son bégaiement sur le tapis devant tout le monde.
— En avoir honte, ce serait la traiter comme une honte, opposa Élin. Au contraire, je la considère comme mon égale. Pas une petite chose à défendre !
— Non. Ton raisonnement est ridicule. Et quoi que tu puisses dire, jugea Syd, le regard s’assombrissant, tu devrais être heureuse pour elle.
Élin s’arma pour répondre—mais—
— C’est tant mieux que tu n’aies pas eu ce rôle ! asséna Syd. Ça te fera grandir un peu ! C’est tant mieux que tu sois en probation, tu ne mérites vraiment pas autre chose.

Soudain, Élin capta le regard de Baggy, et elle ravala immédiatement sa réplique. Seule Zhu le remarqua, et il fronça les sourcils, intéressé. Mais l’heure n’était pas à l’analyse des Pokémon. Devant le mutisme de la blonde, les adultes se désintéressèrent de la scène, et les répétitions commencèrent.

Voici la manière dont elles se déroulaient : Anis donnait des ordres aux acteurs avec de grands gestes, et leur fournissait quelques explications. Si leurs jeux et positions ne la satisfaisaient pas, elle soupirait, sinon, elle se taisait. Oscar et Elsa semblaient jouer des rôles de premier plan. Artie et Capitaine étaient apparemment dans l'équipe d'Oscar. Syd et Zhu s'opposaient régulièrement à eux. Élin se faisait souvent repousser par divers acteurs.

Finalement, il y eut une pause—le temps que les acteurs, transpirant dans leurs costumes trop moulants, se reposent un peu. Artie, Zhu, Anis et Capitaine se plongèrent dans une conversation sur Strykna.
Élin et Elsa échangèrent un regard chargé de tension.

— Oui, je voulais ce rôle, cracha Élin, se sentant—acculée. Et ça ne me dérangeait pas que tu aies le mien, que tu ne livres que trois répliques à un moment ennuyeux du film, je m’en fichais !

Elle serra les poings, comme pour frapper un ennemi invisible, frustrée que la rédemption soit si difficile. Pourquoi ne pouvait-elle pas remporter simplement la mise comme dans un match Pokémon ?
Elsa lui rendit un regard brûlant, glacée. Comment son « amie » pouvait-elle tenter de lui voler la mise aussi ouvertement ? La déconsidérer devant des dresseurs aussi importants ? Et ensuite, trouver ça parfaitement normal.
Pour la première fois, la brune vainquit sa peur.

— On ne dit pas ce genre de choses à ses amis, répliqua-t-elle brutalement.

Élin lui tourna le dos après avoir serré les poings une dernière fois, et s’enfuit de la salle.
Pantois, les adolescents restants se tinrent immobiles pendant quelques longues secondes.
Elsa… avait-elle gagné une confrontation… face à Élin ?
Puis Oscar se rua à la suite de la blonde, pilant brusquement devant Elsa.

— … Tu dois lui pardonner, la supplia-t-il, d’une voix désolée. Elle… écoute, je connais mieux Élin que vous et je sais… Et puis elle était en colère à cause de Syd—il l’a humiliée !
Mais Elsa secouait déjà de la tête, n’en croyant pas ses oreilles.
— E-Et a-alors ? Il y a des ch-choses qu’on ne dit pas à s-ses amis !
— Mais tu aurais dû te défendre seule ! insista Oscar. Pourquoi tu ne t’es pas défendue seule ? T’as laissé Syd faire !
— M-mais merde j-je s-suis t-timide ! P-Pourquoi t-tu ne comprends p-pas ?
Oscar entr’ouvrit les lèvres—non, ravala ses paroles. Il attrapa la main d’Elsa. Un murmure.
— C’est vrai. Je suis désolé.

Puis il s’élança à la suite d’Élin.

À nouveau, Elsa resta coite. Ce dialogue l’avait chamboulée—elle s’interrogeait désormais sur sa propre responsabilité, alors qu’elle avait toujours fait porter le chapeau à Élin… à force de rester en retrait, fallait-il s’étonner que d’autres mènent la barque—littéralement parfois ?

Elle déglutit difficilement, en lutte avec le caillot—le bégaiement—qui obstruait sa gorge.
Puis une voix la tira de ses réflexions, lui arrachant un sursaut.

— Élin est impossible, mais ne t’inquiète pas. Tu mérites ce rôle, déclara Syd.
Mais Elsa repensait aux paroles d’Oscar.
— T-Tu aurais d-dû me laisser m-me défendre seule ! se lança-t-elle, avec reproche. T-Tu n’es pas le ch-chef du g-groupe, ce n’est pas à toi de r-ramener Élin à l’ordre !
Syd se figea, une main presque posée sur l’épaule d’Elsa.
— T-Toi aussi tu es arrogant, souffla Elsa, souriant presque.

Interloqué, le dresseur se retira.


(What Friends Do)
— Élin.

La blonde se figea, sur le point d'ouvrir la porte du hangar. Merde. Elle qui pensait être passée inaperçue, se faufilant le plus légèrement et discrètement possible à travers les couloirs, quittant cette horrible salle vert fluo et ce film pourri...

— Oscar. répliqua-t-elle, se retourna et tentant de garder un air impénétrable.
— Ouh la ! ricana le garçon, levant deux paumes apaisantes. Tu me fais peur !
— Bah, je sais pas pourquoi tu m'as suivie. Tu pourrais me laisser partir, comme ce matin, non ?
Il la scruta, une moue déçue sur le visage.
— J’te suis… juste comme ça… Pour t'accompagner. Tu ne veux pas qu'on se balade ensemble ?
— Si tu veux, répondit-elle indifféremment.

Elle faisait sa « Syd ». Et elle devait reconnaître, que comme vengeance, c'était agréable. En plus, s'ils la trouvaient désagréable ainsi, ils ne pourraient que le reprocher au dresseur de Gruikui...
Oscar lui ouvrit la porte, et se pencha pompeusement.

— Après vous !

Mais avant qu'il ne referme la porte, elle l'entendit glisser : ... madame Hei. Elle se figea, repensant à l'incident. Et plongea ses yeux noirs dans le regard clair d’Oscar avec défi.

— Je me suis déjà excusée, articula-t-elle, gardant ses yeux fixés sur le trottoir pavé.

Oscar, derrière elle, soupira.

— Personnellement... je t'ai déjà pardonné depuis longtemps. Je n'arrive jamais à t'en vouloir, Élin.

Elle cligna des yeux. Alors Oscar crut qu'elle allait s'adoucir, posa une main délicate et hésitante sur son épaule... mais il n'en fut rien.

— Eh bien tu devrais, cracha la blonde avec amertume, le repoussant sans ménagement. D'après Syd je suis une peste pourrie-gâtée.
— Peut-être que tu l'es un peu.

Cette fois c'en était trop. Elle avait passé deux mauvaises journées à se faire ignorer par ses amis—Oscar aussi d'ailleurs—et à se faire engueuler pour une stupide blague, on lui avait relégué un rôle de merde, c'était fini elle en avait marre ! Elle s'était excusée dix mille fois, mais nooon on ne voulait pas du tout reconnaître qu'elle avait fait des efforts !

— VOUS ÊTES TOUS DES CONS ! s'époumona-t-elle, et elle partit en flèche.

Elle ne sut pas combien de temps elle courut. Des immeubles colorés, bonbons de verre aux emballages éclatants, se confondaient aux coins de ses yeux sans qu'elle n'y prête attention, sans qu'elle ne puisse y prêter attention, tant elle filait vite. Elle avait l'impression de devenir un être d'énergie pure, brûlante, toute sa colère s'évanouissait au fil de sa course... elle bondissait devant des voitures et ignorait tout le staff, toutes les mesures de sécurité, détruisait des parterres de fleurs, peu importe, elle filait en ligne droite...

Et derrière elle, elle entendait Oscar crier des excuses aux divers employés.
Mais bientôt elle pénétra une forêt sombre et immense. Et quand elle l'eut traversée, elle l'avait semé.

Élin se trouvait... dans immense terrain vague, perdue dans une herbe fauve, à l'ombre de hangars imposants. Seule. Elle sortit ses Pokémon. Lucky lui sauta dans les bras. Et elle marcha, le caressant distraitement. Un panneau délavé lui indiqua : « Z.I d'Ondes-sur-Mer ».

... Vu qu'elle ne savait pas ce que ça voulait dire et avait la flemme de comprendre, elle s'enfonça plus profondément dans la zone.

Élin ne voulait ni penser, ni parler. Tout simplement, elle observait la nature, parlait aux Pokémon qui passaient, leur envoyait des sourires amicaux, et ils répondaient en piaillant joyeusement. Les Pokémon n'avaient aucun sens du bien et du mal, d'Idéal et Réalité, c'était pour cela qu'ils n'étaient pas Humains. Mais c'était aussi ce qui les rendaient si gentils, emplis de bonté et toujours prêts à pardonner... les Pokémon étaient bien meilleurs que les humains...

La journée légère de début d'été. La brise fraîche. Le silence total. C'était la paix, enfin. Elle en avait besoin.

Car si pour les autres, le quotidien s'améliorait, l'intégration au groupe se faisait, dans son cas, la situation empirait. Et pourtant, elle estimait être celle qui avait fait le plus d’effort pour se lier d’amitié avec les autres dès le départ.

La jeune fille échoua sur un banc, au bord de la mer humide et salée. Le vent marin emmêlait ses mèches d'or, se faufilant par le col de son tee-shirt vers une peau moite de transpiration, la rafraîchissant. Elle ferma les yeux, portée par le soupir des vagues, et chantonna—une mélodie de son enfance lui revenait. Aussi douce que le soleil, aussi lointaine que le souffle de l’océan.

— Élin !

Et brutalement.
La réalité revint.

— Pourquoi t'es partie comme ça ?

Elle cligna des yeux, groggy, si longtemps exposée au soleil qu'elle voyait tout en blanc, la jetée, la mer, le ciel. Sa gorge se noua, mélopée mourant lentement.

— Si c'est ma remarque je suis tellement désolé, tu sais... Pardon.

Il s'était rapproché, sa voix flottait juste derrière son crâne, sa nuque et ses épaules tendues.

— Peut-être que t'es une « peste pourrie-gâtée »... soupira le beau-gosse aux iris verdoyants, timidement. Mais moi je suis ton ami, et... je t'aime comme cela. Je te soutiendrai toujours, comme au Ranch. Face à de la famille, des amis, peu importe.

Élin ne voulait pas se laisser attendrir. Même par Oscar. Parce que chaque regard supérieur de Syd l'écorchait. Parce que le souvenir de ses propres excuses cinglait son cœur et son égo dès qu'il en revenait, à chaque fois plus douloureux, parce que le temps passait et son aveu de culpabilité n'avait servi à rien. Juste à s'humilier.
Elle aurait toujours ses Pokémon, mais les humains, eux, n’étaient que source d’ennuis.

Oscar s'assit à ses côtés.
— Eh... souffla-t-il. Ça arrive les mauvaises passes, non ?
— Parfaitement, répliqua-t-elle abruptement.

Elle se leva pour le fuir, pour fuir la gentillesse, pour retrouver une colère protectrice. Mais il la suivit. Ensemble dans les herbes, aux odeurs sauvages, aux couleurs de pâquerettes. L'anarchie des zones abandonnées.

— Viens, on s'entraîne, dit-elle pour combler le silence. Elle avait toujours trouvé le silence insupportable.
— ... t'es sûre ?
— Oui.

Alors les Pokémon sauvages devinrent des cibles. Élin observa. Des Élékid, des Magnéti. Elle ne voulait pas ceux-là. Ils contournèrent un hangar. L'herbe devint plus sombre, dure, et rêche. Oubliés la mer et le grand air. Le soleil se dissolvait dans une ombre noire et presque solide, seuls brillaient leurs yeux, ils ne disaient rien. Il y avait comme une coupure entre eux, elle ne voulait pas qu'il soit là, il ne voulait pas partir. Puis une autre lueur jaillit des ténèbres, deux éclats jumeaux.

— Baggy, utilise Coup D'Boule.

L'attaque fut si forte qu'elle éteint la Flammèche du Caninos.
Un deuxième bondit sur Oscar, qui appela Jeans malgré son désavantage de Type. Sa seule Pokémon.
(Élin aurait toujours ses Pokémon.)

— Charge !

Une brûlure, à laquelle la serpente résista vaillamment, sifflant pour évacuer la douleur. Élin plissa les yeux.

— Balayage sur les deux. Mets-les K.O.
Et Baggy tentait tant bien que mal...
— MAIS T'ES PUISSANT ALLEZ ! T'ES FORT NON ?

En un coup de pied magistral, les deux chiots s'écrasèrent par terre, accueillis par des Fouets Liane de Vipelierre. Ils grondèrent, se jetèrent sur Jeans et Baggy, mais déjà des ordres fusaient, et les Pokémon sauvages, à peine coordonnés, n'eurent aucune chance..

— Élin... souffla Oscar, mal à l'aise.
— Moi je le capture. Toi fais ce que tu veux.

Oui. Oui, il avait envie d'attraper un des Caninos. Mais avec Élin, dans cette humeur, cette colère, cette tristesse, il ne savait même pas la décrire... la capture allait se transformer en mauvais souvenir... Cependant, il l'imita quand elle lança une Pokéball, et sourit, une fois la capture réussie.

Élin murmura : Hope.

Et il lui fit un immense câlin, chaleureux et agréable et compréhensif... oui. Son cœur battait la chamade. Il l'aimait.
Elle lui sourit, il fit une blague à la con. Et ils rentrèrent au Pokéwood ensemble.


(Apaisement)
Les Pokémon s'ennuyaient.

— Je me demande bien quel est le scénario de leur film... soupira Gruikui en étirant ses pattes une à une.
— J'ai faim.
— P-Peut-être un film m-médiéval... O-On vient de leur p-prêter un Drakkarmin... spécula Amaryllis.
— Oh Oh Oh Artie monte dessus ! s'enthousiasma Jeans. Il est trop coool Artie !
— Cheum, daigna commenter Baggy.
— Ah ? s'étonna Gruikui, qui trouvait pourtant sa vision du processus artistique assez simpliste, et se trouvait plutôt d'accord avec Anis. Vous trouvez ?
— Bah bah nooon il est beauuu.
— Wouf ! approuva Lucky. Si j’aimais les humains, je pourrais certainement en tomber amoureux.

Le cochon grouina d'un air confus, et choisit de se taire, trouvant les passions amoureuses trop complexes et épineuses. Aussi la discussion reprit sans lui, le reste des Pokémon s’appuyant sur leur enclos avec intérêt.

— Je parie que c'est un film où il faut sauver la princesse, ricana Riolu. Et qu'Elsa sera la princesse.
— Wouf, il est vrai que le staff l'a emmenée à l'autre bout de la salle... approuva Lucky.
— Et regarde, ils filment Artie en vol sur Drakkarmin.
— Mais le Prince Charmant n'est-il pas supposé défaire le Dragon ? se demanda le chien. Ici, Artie le chevauche, c'est assez contradictoire.
— P-Peut-être qu-qu'Anis vise une fin é-étrange... suggéra Amaryllis. Ma dresseuse m'en a p-parlé.
— Ah oui oui oui oui, étraaange !

Et ils spéculèrent.
Baggy bailla.

[...]

De leur côté, les humains finissaient une scène assez ardue. Elsa soufflait, fermant les yeux, tentant de s'oublier, de dissoudre cette nervosité qui la lançait dans des tremblements maladroits... Même derrière ses paupières, le vert fluo de la salle agressait ses rétines. Elle ne pouvait oublier le décor.

La jeune fille se tint immobile, en équilibre léger, sur la pointe des pieds.
Perdue dans la chaleur de la salle.

— Tu sais, tu joues hyper bien... t'es transformée à l'écran !

AH ! Brutalement sa concentration s'évanouit, elle tituba en avant et manqua de s'écraser par terre mais on la rattrapa ! Elle fit volteface, sa main enfouie dans une poigne chaleureuse, et rencontra des prunelles vertes. Claires et délavées.

Ce n'était pas Artie mais Oscar.

— Ça va ? s'inquiéta le beau gosse à la queue-de-cheval, l'aidant doucement à se redresser.
— O-Oui, répondit-elle, essoufflée. T-Tu m'as juste fait un peu peur.
— Pardon, répondit son ami, baissant un regard désolé. Pour tout à l’heure. Je sais que… je sais que tu es timide.
— C'est p-pas grave. T-Tu a-avais un peu raison aussi. Et j-j’ai…p-parlé à Syd.

Oscar hocha de la tête, choisissant prudemment de ne pas commenter. Ensemble, ils observèrent la salle verte, si vaste. Les techniciens leur avaient demandé une pose pour corriger l'éclairage. Élin boudait dans un coin. Syd discutait avec Capitaine. Anis et Artie débattaient.

— Elle est un peu bizarre, la membre du Conseil Quatre, non ? lança Oscar. Elle n'arrive pas à terminer ses phrases.
— O-Oui. Mais son scénario est super. E-Enfin sauf pour É-Élin.
— Ouais... répliqua Oscar, mal-à-l'aise. Mais il te donne l'opportunité de briller...

Elsa allait répondre. Mais elle se mordit la lèvre, effrayée. Elle venait d'avoir une idée—une longue scène de discussion entre elle-même et Élin, en parallèle des autres péripéties... Ce qui aurait des conséquences inattendues sur la fin... Tout le monde serait content. Mais cela voulait dire modifier le scénario. Et ça, elle... jamais elle n'oserait avoir l'arrogance de...

— T'as quelque chose en tête, vu toutes les pièces de théâtre que t'as écrites ? demanda son ami, innocemment.
Elsa prit une grande inspiration. Et les iris verdoyants d'Oscar s'illuminèrent.
— Ahah je le SAVAIS ! Viens, on va voir Anis ! s'écria-t-il en la tirant brusquement par la main.
— M-Mais ! Non !
— Si si allez ça va être génial !

Devant Anis. Elle osa à peine parler. Oscar, Artie, Capitaine l'encouragèrent. Elle bafouilla. Sua. Sa voix s'éteignit un instant. Puis revint plus forte et assurée que jamais... et Anis sourit.
Réfléchit.
Sourit encore.
Puis, d'un coup, elle sautilla.

— Très bien !

Elsa n'en crut pas ses oreilles.
Mais autour d’elle les adultes sourirent, heureux de voir que l’adolescente timide eût une chance de briller.

— C'est bon, extra, super, fantastique, incroyable, légendaire !

Le débit de la dresseuse du conseil Quatre était soudainement aussi rapide qu'une mitraillette, Anis était brusquement en vie, balayant les acteurs d'un regard inspiré, proche du génie !

— Ça remplacera le rôle laissé vacant, vide, inoccupé par la défection d'Inezia ! Invraisemblable, étonnant, sensationnel !

Elsa en eut les larmes aux yeux.
On la congratula.

[…]

— Prince Charmant, vous être trop sexy pour votre chemise ! Rendez-vous ! s'écria Élin, tendant sa fine épée vers Artie.
— Jamais, vile ninja, jamais !

Ils échangèrent quelques coups de fleurets qui à l'écran semblaient très brutaux, puis s'effondrèrent dramatiquement, se roulant sur le sol vert fluo. On cria : « coupez ! ». Alors ils se redressèrent, ricanèrent, et Anis déclara que c'était la dernière scène de la journée, que chacun pouvait à présent rentrer chez soi.
Strykna attendait son père à l'entrée, fumant une clope, et leur jeta un regard menaçant.

— J'vous préviens, ça a intérêt à être rock'n'roll !

Mais ils ne firent pas gaffe, l'heure était au sourire, même Syd était plutôt émerveillé d'avoir tourné dans un film Pokéwood. Il se tourna vers Élin pour blaguer avec elle sur la journée et leurs débuts incongrus dans le monde du spectacle, lui lancer une pique légère sur toutes les catastrophes qu'elle causait... puis se rappela qu'il ne voulait—devait ?—pas lui parler.

L’adolescent se mordit la lèvre devant l'air à peine détendu de la blonde, qui les observait d'un air fermé, dans lequel il ne pouvait que détecter la peur de se faire rejeter. Il repensa aux paroles d’Elsa, se demanda s’il était vraiment pareil qu’Élin… tout aussi arrogant.

La brune ne capta pas son regard, pensant à sa réécriture du script, prise dans sa propre joie, sa propre fierté.
Perdu, Syd soupira. Il allait falloir qu’il réfléchisse à ses propres actes, peut-être.

N'empêche que, la dîner se passa dans une ambiance beaucoup plus douce.