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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:04
» Dernière mise à jour le 04/04/2020 à 05:03

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 05 : Le jour après le lendemain
(Modifié le 04/04/20)

(Unknowable Geometry)
Une alarme stridente. Un sursaut moite. Puis une main maladroite, attrapant le Vokit, le portant à des lèvres gercées. Une lumière bleuté.

— Tcheren ?
— Bianca ? Qu'est-ce—
— La Team Plasma est de retour.

Il se redressa. Sa mince silhouette d’intellectuel esquissée d’ombres de fatigue. Première réaction face à une perte, un choc : le déni. 

— Pas possible, siffla-t-il immédiatement.

Mais alors que le Champion niait l’évidence, devrait logiquement se recoucher, son corps s’élevait déjà, se dépêtrait des draps chauds et blancs. 

— Si, c’est possible, déblatérait la voix aiguë et paniquée de Bianca, trop rapide, alors qu’elle lui envoyait : t’es plus pareil depuis que t’es Champion !

De quoi déclencher la deuxième étape : la colère. Serrant les dents, Tcheren cracha une réponse stressée, agressive :

— Au moins j’me suis pas cassé pendant trois ans.

Un long silence plana. Puis son amie d’enfance lui conta tous les détails, de long en large, d’une voix monocorde. Quatre Sbires Plasma avaient tenté de voler une portée de Ponchiot possédant la capacité spéciale du monde des rêves aux propriétaires du Ranch d’Amaillide. Albert, l’homme de Marie Camus, avait écopé d’un bras cassé. Cependant, Élineera Hei et les trois autres adolescents qui faisaient parti de son programme avaient sauvé les Ponchiot. Quoi, Élin ? Oui, Élin faisait bien un voyage, elle s’était incrustée dans le programme de Bianca, enfin c’était une longue histoire… les Sbires avaient disparu. Marie Camus avait appelé Bianca, puis Goyah qui était un ami de famille ; ensuite, elle avait conduit son mari à l’hôpital.

Tcheren devait rentrer dans la région de Pavonnay. Il était le Champion responsable d’Amaillide et le spécialiste de la Team Plasma parmi le corps d’élite. Ce matin à l’aube, Goyah l’attendrait au Ranch.

S’il-te-plaît, Tcheren.

Il céda.

[…]

Tcheren ouvrit la porte et se faufila doucement dans la pièce. Les baies-vitrées étaient ouvertes, légers rideaux lavande voletant au grès de la brise marine, et les draps blancs de White se soulevait imperceptiblement… La chambre était fraîche, cela sentait le sel, le grand air. Le soleil peinait encore à se lever. Un voile gris recouvrait le monde.

La tignasse sauvage de White, encore endormie. Le masque atroce qui bandait ses yeux, pour défier le sommeil, la laisser dormir encore un peu… ses lèvres rieuses et cyniques. Son cou fin. Ses seins, dont la claire auréole se devinait à travers la nuisette. Puis la forme de ses cuisses, de ses jambes infiniment plus musclées que les siennes, à travers les draps blancs… Tcheren sentit son cœur battre à tout rompre et se gorge se nouer. White était endormie. 
Et lui ne pouvait plus se voiler la face.

Il l’aimait. Bien. Bref.

Prenant une grande inspiration et chassant toute pensée impure de son esprit cartésien, Tcheren posa fermement sur le bureau de métal la lettre qu’il laissait à son amie d’enfance, pour lui expliquer son départ précipité. En somme : « je prends les MystèreBall, je vais à Amaillide, tout va bien ». 

Le Champion d’Arène se tourmentait évidemment au sujet de son évanouissement, mais White lui avait promis de consulter un spécialiste—et de toute manière, avec sa force et son cul-bordé-de-nouilles, elle s’en sortait toujours haut-la-main avec un ricanement arrogant. Dans trois jours, la championne serait elle aussi sur place pour traquer tout restant de la Team Plasma, il en était certain !

Mais… hésitant au seuil de la porte, Tcheren soupira… il n’avait pas envie de partir. Il n’avait pas envie d’appeler un taxi Roucarnage et de se farcir dix mille soucis, pas encore… les Ball, la Team, la santé de White, Bianca qui avait changé, Élineera Hei qui faisait encore et toujours des siennes… ça va quoi, y en avait marre, lui aussi voulait faire la grève !

Étrangement, un souvenir de sa plus tendre enfance lui revint. C’était avant leur voyage initiatique encadré—il était avec Bianca, Black et White dans un bus se rendant vers Arabelle, où se trouvait leur Académie Nationale de Dressage… Chaque matin, ils s’y rendaient ensemble, et lui et White ne manquaient jamais de se chamailler—au grand dam de Bianca, qui a l’époque ne savait même pas différencier le premier degré du second. En plus, White et Tcheren en venaient souvent aux mains—mais ça, c’était toujours de la faute de White. Et c’était toujours elle qui gagnait.


Yumeiideviantart
Ce matin ensoleillé du 14 Septembre, la veille des douze ans du garçon, ils s’étaient encore disputés. Entre autres parce que White l’avait fait tomber dans une flaque de boue et que la chemise blanche de son uniforme était irrémédiablement tâchée. Mais ce jour-là, White ne l’avait pas que poussé dans la forêt. Elle lui avait aussi écrasé la joue contre la cage en verre contenant la lance à incendie. Et la peau de Tcheren s’était fendue, d’abord une première couche, puis une deuxième, l’arrête tranchante de la cage sectionnant net les nombreux capillaires qui entouraient son œil…

Il en gardait une cicatrice, encore aujourd’hui. Blanche, dentelée, discrète… mais présente. Pour Tcheren, cela représentait la première fois que la vie l’avait frappé en pleine gueule. Le soleil de la claire journée s’était cristallisé et l’avait transpercé de part en part, laissant comme un froid, un trou vide et béant… Et depuis il restait méfiant de tout : pourtant, ils reparlaient peu cet incident, et ses trois amis avaient sûrement tout oublié depuis le temps ! En plus, la blessure n’avait nécessité que quelques points de suture. Et du temps.

Mais le Champion d’Arène se souvenait de la force de White, de sa méchanceté ce jour-là.

Et s’il y pensait aujourd’hui, c’était peut-être parce qu’il avait un mauvais pressentiment. La prochaine fois que les amis d’enfances se reverraient, ça ne serait pas dans d’heureuses circonstances…

(Another Sun)
Les réveils d’Oscar étaient toujours lents, brumeux. Ce devait être la raison de ses si nombreux retards en cours. Ce matin-là, il prit un temps fou à bailler, à s’étirer langoureusement parmi les (trop) chaudes couvertures à carreaux du ranch… Elles grattaient un peu, comme les draps rêches de son oncle Bob, le ramenant à l’enfance, à la vie sans soucis… quoique, Oscar n’avait jamais eu de soucis, enfance ou pas !

Le soleil s’étalait sur les murs et le plancher de bois clairs, jouant parmi les aspérités et le grain dur, pour se perdre dans les blonds épis d’Élin. Il avait dormi à côté d’elle… son rêve aurait été d’observer Élin dormir silencieusement, de la voir se pelotonner contre lui et lui avouer son amour entre deux ronflements… mais lui-même avait perdu conscience bien trop tôt pour cela. Le monde s’était ligué contre lui !

Il prit la peine de l’observer, cependant, en se redressant. Ce qu’elle avait été forte, la veille… C’était elle qui l’avait mené dans le combat, qui avait mis le plus d’ardeur à poursuivre les Sbires, à sauver les Ponchiot. Maintenant, il l’admirait.

L’adolescent lâcha un soupir théâtral, puis se leva difficilement, et fit quelques pas vers un miroir ouvragé. Rapidement, il s’habilla dans ses habits flottants habituels—priant que personne n’ait la mauvaise idée de se réveiller pile au moment où il était nu—puis noua sa traditionnelle queue-de-cheval, souriant. Là. C’était parfait.

Oscar s’étonna de voir que Syd était encore au lit, raide et renfermé même dans l’inconscience. Gruikui à ses côtés, dormait en ronflant légèrement, roulé en boule. D’ailleurs, où était sa Vipelierre… ? Ah, d’accord, elle s’était lovée en haut de l’armoire.

— Jeans ! Jeaaans ! l’appela-t-il discrètement, espérant qu’elle reconnaissance son nouveau surnom—il avait été donné en mémoire de l’aventure de la serpente dans son pantalon, après tout—.

Heureusement, un museau ensommeillé apparut bientôt à deux centimètres du plafond, et il put la rappeler et se diriger vers la porte. Un dernier regard vers Élin. Aaah il se sentait de nouveau fondre d’amour ! De bonheur ! D’exaltation ! 

Mais son regard ripa sur la bouille ronde de la gamine et rencontra deux grands yeux bleus. Brusquement il se tendit et se cœur s’accéléra. Elsa. L’autre jeune fille, la brune était réveillée, le fixait muettement. E-L-S-A. Celle avec qui il avait combattu les Sbires. Elsa. Les souvenirs de la veille envahirent Oscar, et il se rappela comment son visage s’était animé, furieux, comment elle lui avait crié dessus, et surtout ce qu’elle lui avait dit—ils étaient dans la même classe depuis les maternelle…

Sous son regard choqué, lointain, Elsa rosit. Ses pommettes saillantes prirent des nuances fleuries et ses lèvres fines se serrèrent de gêne—l’avait-elle vu s’habiller ? Oscar se sentit lui aussi gêné. Il aurait pu rire de son indiscrétion dans d’autres circonstances, avec une autre fille… Mais là… Il se trouvait face à une personne à laquelle il avait causé du tort. 

Et le pire, c’est qu’il ne se rappelait absolument pas de son existence.

— T-Tu veux qu’on parle ? chuchota-t-il tout doucement, avec hésitation.

Elle acquiesça. 
Alors il ferma les yeux et se tourna vers la porte, attendant qu’elle soit habillée correctement.
La lumière du matin chauffait tout son profil gauche, mais il resta immobile comme s’il ne méritait pas ce simple confort.
Après tout, Oscar avait toujours fait dans le mélodrame.

Une main fine le tira de sa torpeur et il ouvrit lentement la porte, échangeant un regard inquiet avec Elsa quand les gonds grincèrent. Heureusement, Élin et Syd ne se réveillèrent pas, la blonde marmonnant simplement une injure et le garçon fronçant les sourcils, tourmenté au creux de ses songes. Une fois dans le sombre couloir du ranch, parmi les peaux de Buffalon et les têtes de Pokémon empaillées, Oscar s’autorisa un soupir. Puis il se rappela de ses erreurs et se tourna vers Elsa, incertain. Que devait-il dire ? « Je te présente mes excuses pour t’avoir oubliée ? » Mais il ne l’avait pas oubliée, non—il ne l’avait juste… jamais remarquée. « Je suis désolé de ne pas m’être intéressé à toi ? » Non, avec ces mots, il rejetait presque la faute sur elle, la traitant pratiquement d’insipide…

Il souffla, se gratta la nuque, et finit par simplement souffler :

— Je crois que je te dois des excuses.
— T-Tu… tu « c-crois » ? répéta la jeune brune. 

Oscar crut détecter une pointe d’ironie ou d’agacement dans son timbre et rougit.

— Raconte-moi… bafouilla-t-il. Raconte-moi ton…

Enfance ? Notre enfance ? Nos liens ?

— Raconte-moi ton histoire. 

Elsa souffla. Elle planta ses grands yeux bleus dans ses iris verdoyants et, rassemblant tout le courage qu’elle avait acquis contre les Plasma, se lança dans le récit de leur scolarité. Oscar en apprit peu à peu plus sur la jeune dresseuse et ouvrit grand les yeux, surpris à chaque instant de voir combien de fois leurs chemins s'étaient croisés sans qu'il ne la remarque. Depuis la maternelle, ils étaient dans la même classe de vingt élèves. Elle était une ombre brune parmi les tignasses colorées de leurs camarades. En CE2, elle avait participé à un concours d’orthographe et était arrivée première sur l’académie de Volucité—en réalité, elle était première de leur classe, dans toutes les matières, depuis aussi longtemps que l’école tenait un classement. En sixième, la plus populaire du collège l’avait acceptée dans sa bande, la même fille qu’Oscar avait invité chez lui un nombre incalculable de fois. Depuis toute petite, Elsa le connaissait, l’observait. Leurs vies étaient liées de cette façon.

Le poids de la culpabilité se faisait plus écrasant à chaque mot d'Elsa, il baissait régulièrement les yeux d'un air honteux, mais bizarrement, ses épaules étaient si légères... car le garçon à la queue-de-cheval, malgré toutes les fautes dont il prenait conscience, réalisait aussi qu'il changeait. Ce voyage le faisait grandir, et réaliser ses propres erreurs n'en était que le premier pas. 

Ça lui faisait comprendre, quelque part, pourquoi ses parents étaient en permanence absents, sur la route. Un peu. 

— Et donc t'as aussi écrit le scénario de « La Belle au Haricot » ? interrogea-t-il Elsa, perplexe.
— O-oui, rigola la concernée, gênée. Mais c-c'est pas moi qui ai choisi le titre.
— Mais ça veut dire que t'as écrit toutes les pièces de l'académie depuis tes onze ans alors... souffla-t-il, ébahie. 
— J-J'adore le théâtre, rougit Elsa.

Ouah, d'accord... n'empêche que c'était juste trop fort... Oscar de son côté, n'avait pas du tout la fibre artistique, son plus grand accomplissement en classe de quatrième avait été de se faufiler dans les bars branchés de Volucité… Il avait même aperçu le légendaire dresseur Mélis de loin, une fois. Il lui relata cette aventure, y ajoutant beaucoup de sel et d'autodérision, et bientôt Elsa en eut les larmes aux yeux, des ricanements confus s'échappant sans interruption de ses lèvres sans qu'elle ne puisse les retenir. Une bulle de bonne entente grossit soudainement entre eux jusqu'à les englober dans une atmosphère agréable et chaleureuse... Oscar se laissa glisser vers le sol, soulagé. 

— Je me sens nul de ne pas t’avoir calculé toutes ces années… bredouilla-t-il. J’suis vraiment, vraiment désolée.

Elsa, émue, ravala tout de même un « pas grave ». Car Syd lui avait conseillé de s’imposer, et s’imposer lui avait réussi… Elle avait eu la force de vaincre les Plasma. Alors elle inspira profondément, et tendit la main à son chéri d’enfance.

— S-Sois mon ami m-maintenant.

Le beau-gosse lui prit la main avec un grand sourire et bafouilla un « bien sûr » presque étranglé mais empli de sincérité. Il voulut même l’enlacer mais ce geste fut trop pour Elsa qui, rouge jusqu’aux orteils, s’échappa à son emprise et prétexta devoir rentrer dans la chambre pour chercher sa Starter ! Oscar resta un temps confus dans le couloir avant de hausser les épaules, ricanant un peu, et de se dirigea vers le pallier de l’étage.

Il n’en revenait pas. Il avait réussi à ne pas remarquer une personne qui était dans sa classe depuis des années. Évidemment, il avait toujours su qu’il y avait des camarades de qui il était moins proche, des gens qui n’étaient pas dans sa bande de potes… mais il pensait quand même connaitre tous les élèves de son école de vue—et lui qui papillonnait souvent de groupe en groupe croyait avoir parlé à la majorité ! Y avait-il d’autres gens qu’il n’avait tout simplement jamais vu, des gens qui étaient restés transparents pour lui depuis la maternelle ? Ou était-ce juste elle ? Surtout, comment avait-il pu la rater ? Avec son drôle de visage et ses grands yeux… Certes, elle ne riait pas beaucoup, mais elle souriait. Elle ne criait pas, mais sa voix était douce. 

Perdu dans ses pensées, Oscar ne prêta pas grande attention au monde extérieur, se prit les pieds dans la moquette et dévala tout le long des escaliers avant de s’écraser contre un ventre rebondi.

— Aaaayayayayaiiie… gémit-il, se laissant glisser à terre, coccyx, menton et coudes complètement endoloris… 
— Oh la le p’tit jeune ! Où cours-tu comme ça ? 

Le voix grave résonna, dans toute la pièce, dans sa cage thoracique, entre ses tempes—de plus en plus forte, elle se répercutait contre chaque meuble, chaque os, l’amenant chaleureusement à lever son regard et rencontrer… l’ancien maître de la ligue, Goyah, en train de bouffer un sandwich. Quoi ?!

Oscar sursauta et crut faire une crise cardiaque, se redressant brutalement mais trébuchant de nouveau sur un tapis et s’effondrant sur un canapé en cuir.

— Hrm, s’amusa l’homme à la tignasse flamboyante, tout en mâchonnant son repas. En voilà un pas très porté sur la verticale.

Oscar pâlit, croyant sérieusement voir un spectre, un fantôme. On devait se moquer de lui, ce n’était tout simplement pas possible de se lever le matin et de croiser le… celui q-qui avait été maître incontesté d’Unys pendant plus de trente ans, en peignoir, tongs et bonnet de bain ! En plus en train de manger un sandwich ! Pour autant, l’homme ne disparut pas, se contentant de s’asseoir en face d’Oscar, d’avaler une énorme bouchée de thon fumé, et de se gratter le bas du dos. 

— Eh bien eh bien, soupira-t-il d’un air béat. Ce ranch est toujours aussi merveilleux.

Finalement, Oscar s’autorisa à parler.

— C-c’est bien vous ? s’étrangla-t-il, sa raison toujours en voyage interstellaire. 
— Qui, moi ? s’étonna l’ex-champion.
— Oui, vous !
— Tu veux dire « est-ce vous êtes bien vous » ?
— EST-CE QUE C’EST VOUS ?
— Ah, eh bien je crois que oui, répondit l’homme d’un air perplexe.

Un ange passa. Oscar déglutit.

— Ah bon.
— Sinon, t’veux un ch’andwich ? lui proposa Goyah, souriant. Marie en fait de chuper bons, tu sais !
— Marie ?
— La gérante du ranch !
— … Ah.

Pour le coup, Oscar ne savait pas quoi dire. La situation était tellement cocasse ! Bon, en même temps, c’était hyper cool, mais… et si l’ex-champion le provoquait en duel ? … Nan, ça ne se passerait pas, Goyah n’aurait aucun intérêt à faire ça… N’empêche que ça faisait peur. Et que c’était cool.

Au moment où Oscar se faisait cette réflexion éloquente, Goyah termina son sandwich, et prit tout de suite un air plus sérieux. S’asseyant en tailleur, il se pencha en avant, et posa ses yeux d’un vert ombrageux sur l’adolescent. Longtemps, Osar fut scruté, de haut en bas, jusqu’à en devenir mal à l’aise…

— Jeune dresseur, je décèle chez toi trop d’indécision, et de décisions avortées. Ne te perds pas dans les nuages… sache que même le vent a besoin de se reposer quelque part. Va jusqu’au bout de tes projets ! Car ce sera uniquement de cette manière que tu triompheras. 

Un frisson parcourut Oscar, et il força un sourire… 

— Hein ? Mais qu’est-ce que vous voulez dire ?

Mais Goyah se fendit d’un rire tonitruant et ignora complètement sa question. Plutôt, il plissa les yeux, et se gratta le menton d’un air sage.

— Alors, c’tait comment le premier contact avec la Team Plasma ? Un peu frais, de c’que j’ai pu comprendre ?

Cette fois, Oscar se figea. L-le maître était au courant ? Allaient-ils être punis parce qu’ils n’étaient pas restés au ranch ? Pourtant ils avaient secouru les Ponchiot ! L’adolescent jeta un regard prudent au grand homme, dont l’expression n’avait pas changé d’un iota.

— E-euh oui on… s’est battus… Pardon mais on pouvait pas laisser Élin y aller seule, alors on l’a suivi. Et puis ils étaient quatre, donc Élin et moi on en a battu un, ensuite… 

Oscar raconta tout de long en large, incluant les détails de leurs conversations avec les Sbires. Il s’était découvert, petit, un talent pour les histoires, et à mesure qu’il narrait leur aventure, l’adolescent sentait l’intérêt de Goyah croître ! Pourtant, l’ancien champion d’Unys garda un silence respectueux. Ce fut seulement après quelques minutes de silence pensif que le rouquin reprit la parole :

— T’es bien sûr que leurs uniformes étaient gris et blanc ?
— Oui.
— Et ils portaient le sigle de la Team Plasma ?
— Ben je sais pas… une sorte de symbole en forme de bouclier, avec du bleu ?
— C’est ça. Bon, et ces Ball…. Décidément, y a beaucoup d’histoires de Ball en ce moment… grommela mystérieusement l’adulte, se relevant.

Oscar imita son mouvement, se sentant tout à coup nerveux.

— Dites, monsieur… on va pouvoir continuer notre voyage, au moins, hein ? On a rien fait de mal ?

Un rire chaleureux lui répondit, comme une explosion de liesse, et il reçut un coup violent—qui se voulait très certainement paternel—sur l’épaule. Goyah l’embrassa d’un regard sage et amusé.

— Mais bien sûr, p’tit gars ! il se gratta le bas du dos, souriant… mais ensuite, perdant de sa bonne humeur, grimaça d’un air gêné. Le truc, c’est que vous allez devoir attendre demain pour partir, le Champion Tcheren et moi-même allons vous poser tout un tas de questions…  Il faudra aussi faire un rapport écrit en trois exemplaires à graver dans du marbre… 

Ce fut au tour du sourire d’Oscar de se transformer en rictus crispé. Dans du marbre ? Des questions ? Comme avec des flics ? Était-ce parce qu’ils avaient désobéi à Marie Camus en poursuivant les sbires ? Avaient-ils fait quelque chose de mal ? Et puis, dans du MARBRE ? Il ravala sa panique d’adolescent, se redressant sur son siège.

— D’accord, on sera là… confirma-t-il, soudainement calme. Doit-on rester au Ranch toute la journée, du coup ?

Goyah retrouva son franc sourire, donnant une nouvelle tape au p’tit gars si sérieux.

— Oui, mais vous allez voir que le Ranch est super ! Les champs sont vastes et habités par des Pokémon rares ! Vous ne vous ennuierez pas.

Hm. Mieux valait ne pas questionner un ancien maître de la ligue. Le garçon à la queue-de-cheval répondit simplement :

— D’accord.

À cet instant, les autres ados débarquèrent. Syd et Elsa se trouvèrent d’abord intimidé avant de sourire face à la bonne humeur de l’ex-Maître. Quant à Élin, passé un moment d’incertitude—Goyah était-il au courant pour la fugue ?—elle lui fit un câlin. Les autres s’étonnèrent de la voir sur des termes aussi familiers avec quelqu’un d’aussi célèbre, mais elle ne répondit pas à leurs regards et ne s’expliqua pas. Goyah put leur servir un costaud petit déjeuner.

— Hein ? M’non j’n’ai pas pris de poids, Chacripan !

[…]

Élin et Syd se retrouvèrent seuls dans la cuisine au moment où Goyah embarqua Elsa et Oscar à la cave, où se situait la réserve du Ranch, soi-disant pour faire un peu de rangement—mais officieusement pour vérifier s’il n’y restait pas un peu de bœuf braisé dans le deuxième frigo.

Ils se fixèrent dans le blanc des yeux, incertains. Si la semaine précédente ils se trouvaient insupportables, ils étaient maintenant bien forcés d'admettre qu'ils n'auraient pas pu triompher de la Team Plasma sans faire équipe. Syd devait admettre qu’Élin était courageuse, et la blonde constatait qu’on pouvait compter sur Syd. Elle se souvenait de la blessure d’Elsa, que le dresseur avait soigné en deux temps trois mouvements. Aussi, même si le garçon était chiant et qu’il la prenait de haut… elle voyait bien qu’il était aussi doué qu'elle au combat Pokémon. Quant à Syd, il reconnaissait que pour toute son ignorance, Élin se aimait ses compagnons et ne se laissait jamais surprendre.

— On fait la paix ? lancèrent-ils spontanément.

Élin s’esclaffa mais Syd plissa les yeux.

— Temporairement, amenda-t-il, prudent.
— Bien évidément, contra la blonde. Bientôt je te colle la raclée de ta vie.
— Apprends les attaques de tes Pokémon avant.
— Ah, ça, ça je ne le ferai jamais !

Ils rigolèrent tous les deux, et quand Oscar et Elsa remontèrent, ils furent surpris de voir qu’une bonne ambiance régnait. Certes, Syd avait sorti son téléphone portable pour discuter avec sa famille, tandis qu’Élin jouait bruyamment avec Baggiguane. On ne pouvait pas dire qu’Élin et Syd étaient amis—non, pas encore, ils se connaissaient depuis trop peu de temps et étaient bien trop différents. Mais ils avaient acquis un respect mutuel, et cet égard envers l’autre n’est-il pas le premier pas de toute relation stable ?

Les adolescents discutèrent rapidement, puis décidèrent de se séparer. Oscar voulait remanger un sandwich avec Goyah, qu’il admirait beaucoup, tandis qu’Élin préférait aller jouer avec les bébés Pokémon à l’arrière de la maison. Syd et Elsa, quant à eux, préférèrent aller explorer les forêts du Ranch pour y observer des Pokémon rares. Après quelques aux-revoirs hâtifs, et des promesses de revenir avant seize heures ?—« pourquoi ? » demanda Élin, mais Goyah empêcha Oscar de lui répondre—ils s’en allèrent chacun de leur côté.


(Ouvre tes bras !)
Syd et Elsa s’enfoncèrent dans les bois profonds et humides du Ranch, clignant des yeux pour chasser les flash lumineux du soleil. À l’ombre des arbres centenaires, il faisait frais ; l’on baignait dans un parfum agréable de fleurs d’été, d’humus et de mystère. Syd lança un coup d’œil à la dresseuse qui avançait à ses côtés, trébuchant parfois sur des ronces, des racines protubérantes. Au creux de la pénombre, ses joues s’allongeaient davantage, son nez se faisaient délicat, ses boucles orageuses. Et ses prunelles brillaient de couleurs sans pareil. Elle avait aussi l’air bizarrement heureuse et épanouïe, comme si elle marchait au creux de nuages roses et non dans un bois sombre et noir.

— Tu vas bien ? s’inquiéta-t-il, se demanda si l’attaque des Plasmas ne lui avait pas dérangé le cerveau.
— O-Oui, rosit-elle.
Il fronça les sourcils, intrigué.
— Dis… tu n’aurais pas crié sur Oscar, hier, durant la bataille…?
— J’ai s-suivi t-tes conseils. M-Maintenant on est amis !

Son regard intense se détourna d’Elsa pour suivre la route que Gruikui avait tracée autour d’un buisson épineux. De temps à autres, le cochon émettait une petite Flammèche, éclairant le sous-bois d’une vive lueur rouge—à chaque fois, Moustillon crachotait quelques bulles inquiètes, surprise et apeurée alors que le feu n’était pas un danger pour elle. Cette fois, Syd en rit.

— Ta Pokémon est d’une nervosité !
— O-Oui il-f-faudrait que je l-l’entraîne.

C’est vrai, Elsa était bien gênée que sa Pokémon soit aussi peureuse… On dit « tel maître, tel Pokémon », eh bien dans le cas d’Elsa et Moustillon ça n’était pas du tout usurpé. Si le duo s’était bien ressaisi la veille et avait finit par abattre un Sbire Plasma, le combat aurait pu très mal finir si Élin n’était pas intervenue… encore et toujours Élin.

— Tu comptes capturer d’autres Pokémon ? s’enquit Syd, à tout hasard.
— P-Pas t-toute de s-suite, répondit-elle pensivement. L-Les Pokémon comme j-j’aime bien n’habitent p-pas par ici.
—Ah bon, et tu préfères lesquels ?
— C-Cryptéro p-par exemple.

Un examen rapide d’Elsa, et Syd le conclut tout de suite : Cryptéro était un Pokémon qui ne lui allait que trop bien. La dresseuse ressemblait déjà à moitié à un oiseau apeuré, alors la bête ne ferait que compléter la ressemblance ! Syd et laissa galamment la dresseuse grimper la première le long d’un arbre mort. 

— Maintenant qu’Oscar a retenu ton nom, il faut passer à la prochaine étape, annonça-t-il avec un grand sérieux.

Malheureusement ce sujet était toujours sensible. Elsa se figea et en tomba presque à la renverse. Elle rougit tellement qu’il crut qu’elle n’allait jamais reprendre sa teinte originelle, et surtout, qu’elle allait mourir ici et là. Inquiet, il se précipita vers elle et la rattrapa de justesse. Alors, ils partagèrent une étreinte maladroite, perché sur le tronc d’arbre mort.

Elsa balbutiait tellement, à la fois à cause du sujet de leur conversation et du câlin, qu’elle ne parvint pas à répondre. Syd, attendri mais acceptant de laisser tomber le sujet, aida la dresseuse à redescendre. Suite à cet instant de proximité, le silence retomba pendant un temps.

La paire pénétra plus profondément dans le sous-bois. Parfois, au loin, l’éclat d’un champ doré paraissait fugacement entre les arbres, mais ils ne s’en approchaient pas.

Puis, la conversation reprit. Bien que rendue un peu difficile par les bégaiements d’Elsa, elle dériva vers mille et un sujets et les ados apprirent à se connaître. Syd lui raconta quelques histoires de famille sur l’ex-Championne Aloé, ce qui impressionna Elsa, qui l’admirait beaucoup et lisait souvent ses articles d’archéologie. Elsa avait grandi avec un père veuf à Volucité. Elle bégayait depuis sa naissance, pourtant les médecins avaient déclaré que le problème n’avait pas de cause physique visible. Elle se trouvait dans la même classe qu’Oscar depuis toute petite. Syd de son côté, avait grandi à Maillard. Il n'était pas allée à une Académie Pokémon, mais dans une école publique de quartier. Aujourd’hui, il souhaitait capturer un Pokémon au Ranch. 

Pour cette dernière raison, quand Elsa entendit un craquement distinctif à la gauche de Syd, elle lui signala de s’arrêter, de se taire. 

Quelques secondes après, une robuste petite Riolu bondit en travers de leur chemin, et leva un poing défiant vers les intrus du sous-bois. Sans plus de procès elle fonça sur Gruikui—peut-être parce que Moustillon avait disparu, sautant avec effroi dans les bras de sa dresseuse—.

— Gruikui, Charge ! répliqua immédiatement Syd, fronçant les sourcils.

Son cochon s’exécuta avec souplesse, et les deux adversaires se percutèrent en un choc palpable. Riolu, étourdie, ne vit pas venir les Flammèches de son ennemi du moment—son flanc droit entier se vit douloureusement écorché.

— Riooo !

Furieuse, la petite Pokémon riposta d’une… Riposte, justement. S’illuminant d’un rouge vengeur, elle asséna un large coup de poing au ventre sensible de Gruikui, qui chancela dangereusement avec un cri de douleur. Cependant Syd ne se laissa pas démonter.

— Tiens bon, ordonna-t-il. Il ne te reste plus qu’une Attaque à exécuter et c’est bon… Flammèche, encore !

Riolu chargeait déjà Gruikui d’une Vive Attaque. Elsa retint sa respiration. Les flancs du cochon se gonflèrent brusquement.  Au moment où il allait se faire toucher, il relâcha une Flammèche brûlante et concentrée, bleutée, qui envoya brutalement Riolu au tapis. La petite Pokémon s’écroula, gémissant de rage même dans l’inconscience.

Syd attrapa une de ses Pokéball de rechange, et la lança. Elle aspira sa cible dans un flash aveuglant, et vibra… une fois… deux fois… trois fois… puis s’immobilisa.

Le garçon se fendit d’un immense sourire, et tandis qu’Elsa le congratulait, soulagée, il ramassa sa toute nouvelle Pokéball en murmurant « Merci beaucoup, Gruikui, tu peux te reposer maintenant ».

Puis il se retourna vers Elsa…

— Merci beaucoup à toi aussi. 

Ils échangèrent un regard amical, avant de s’en retourner vers le Ranch, leurs ventres gargouillant méchamment après leur longue balade. Elsa rigola brièvement, légèrement incrédule—quoi, une matinée se passait bien, sans accroche ? Elle avait le cœur léger…

Quant à Syd, il pensait avec une pointe d’ironie qu’au rythme où il s’attachait, dans trois jours, il aurait oublié Otis.

[…]

Marie Camus revint au Ranch avec son mari en fin de matinée. Elle demanda à Goyah où se trouvait la petite blonde qui avait insisté pour sauver ses Ponchiot, et retrouva Élin dans le jardin de derrière. Elle s'arrêta un instant sur le pas de porte, portant une main épaisse à ses yeux, scrutant les champs dorés, les vastes pâturages. Sa Ponchien vint doucement lui lécher la main, abandonnant un instant ses petits, qui jouaient dans l'herbe un peu plus loin.

— Foline… murmura Marie, s'accroupissant difficilement pour regarder sa chienne dans les yeux. Voudrais-tu m'aider à trouver la petite Élin ? C'est l'adolescente blonde qui nous a aidé, hier.

La Pokémon approuva d'un aboiement délicat et, prévenant sa portée qu'elle allait s'absenter un temps, elle indiqua à sa maîtresse de la suivre. D'abord elles franchirent un petit terrain laissé en friche, herbes sombres et sauvages sous le soleil dru, parfois colorée de fines fleurs blanches. Puis elles traversèrent un potager éclatant de couleurs, débordant de tomates, de carottes, d'oignons, de haricots, bordé d'un treillis fleuri. Au fond du potager avait été construit, en des temps immémoriaux, une tonnelle de fer forgé, le métal bleuté maintenant envahi par une glycine aux tons violets. 

L'enfant qu'elles cherchaient était assise en tailleur, à même le sol, ignorant complètement le solide banc de chêne à ses côtés. Plongée dans une mosaïque d'ombres et de lumière, elle jouait avec un petit Ponchiot, riait aux éclats à chacun de ses aboiements. Cependant quand l'humaine releva ses yeux d'un noir surprenant et vit Marie et Foline, elle retira vivement sa main du pelage de son compagnon, et le Pokémon lâcha un aboiement déçu. 

— Si votre Ponchien cherche son bébé, je lui rends tout de suite, hein… marmonna-t-elle en détournant son regard, tendue.
— Ha ! rétorqua Marie. C'est plutôt moi qui t'cherche ma p'tite !

De nouveau les prunelles noires virent se fixer sur la figure robuste de Marie, et Élin souffla, surprise :

— Pourquoi vous voulez m'voir ?
— Je veux te remercier pour ta bravoure d’hier soir, fit simplement Marie. Sans toi, mes Ponchiot seraient loin à l’heure qu’il est.

Elle sourit, s'installa sur le banc à ses côtés, et remercia Foline. La chienne lui rendit un regard lourd de sens, avant d'acquiescer une fois, symboliquement. L'humaine comprit, comprit ce que sa Pokémon voulait dire. Il y eut un au-revoir entre mère et fils. Puis seul le chiot resta, à côté de l'enfant, un peu perdu.

Élin ne remarqua rien de ce manège, et commenta plutôt, pensive :

— Ce Ponchiot m'a suivie toute la matinée, où que j’aille, vous savez ?
— Ah ça non, j'étais au commissariat ! répondit Marie, s'arrachant à la torpeur mélancolique dans laquelle le regard de Foline l'avait plongée. Mais j'peux t'assurer que si j'avais été là, le petit serait pas sortit de la maison ! Après l'attaque d'hier, on va faire plus attention.
— J'ai été hyper insolente avec vous, hier… murmura Élin en se rappelant l’échange, écarlate.
— Boh, ce n'est pas grave si ce n'est qu'une fois. 

Une fois pouvait être un accident, deux fois, cela commençait à faire beaucoup ; telle était la sage opinion de Marie. Du coup, son sourire se crispa très fortement quand Élin siffla nonchalamment :

— Ah bah oui, mais moi je suis tout le temps comme ça !

On cessa de parler pendant un temps. Les insectes stridulaient une berceuse ensoleillée ; la glycine sculptait leur quiétude d'ombres et de fraicheur. Au loin, l'immense Ranch de pierre se paraît des couleurs de l'après-midi, nuances légères à l'opposé de l'obscurité des bois. 

Puis Marie se redressa, tendant chacun de ses membres engourdis, s'éveillant peu à peu. Elle arracha Élin à sa contemplation mécanique du paysage ; les doigts de la gamine se crispèrent sur la fourrure du Ponchiot, qui sursauta piteusement, mais elle le calma d'une caresse repentante.

— Dis-moi, avait déclaré Marie : ça te dirait de capturer ce Ponchiot ?

Un ange passa.

— Mais… oh mais… balbutia Élin, rougissant, pris de court. Vous n'en avez pas besoin ? Enfin je veux dire, vous ne voulez pas le garder ?

L'adulte sourit, et se pencha vers la plus jeune, lui envoya un doux sourire.

— Non. Nous donnons ses frères et sœurs aux fermes alentours, mais celui-là, c'est pour toi. Enfin si tu le veux !
— O-oh euh bien sûr ! s'exclama Élin, se levant brusquement, un sourire lumineux s'étirant sur sa frimousse ronde.

À ses côtés, Ponchiot aboya joyeusement, sautillant en cercle autour de sa future dresseuse et faisant allégrement frétiller sa petite queue. Alors Marie ordonna à Élin de la suivre ; elles retraversèrent le potager en un battement de cœur. Elsa et Syd qui étaient rentrés, Oscar, Goyah et Albert Camus les accueillirent avec des regards étonnés.

— JE VAIS CAPTURER PONCHIOT ! s'écria Élin avec un grand sourire.

Aussitôt Goyah, Oscar et Elsa se redressèrent, suivirent Marie Camus dans un coin du salon sous le regard bienveillant d'Albert. Marie Camus s'activa à fouiller chaque recoin de la vieille coiffeuse, soulevant parfois des petits nuages de poussières ; tandis que les adolescents—plus Goyah—étonnés se regroupaient autour d'Élin.

— T-T-Tu v-vas vraiment le faire ?
— Les gérants t'ont dit oui ?
— Nan j'ai même pas eu à demander, c'est Marie qui m'a proposé !
— Aha ! C'est bien gamine, c'est bien ça !

On jeta des regards jaloux à Élin avec de grands yeux verts et bleus et ambres—sauf Goyah qui avait déjà capturé assez de Pokémon pour une vie. Seulement, Syd ne put s’empêcher de révéler « accidentellement » sa nouvelle Riolu, qu’Albert Camus venait de soigner.

— Tu seras la deuxième à capturer un Pokémon, sourit-il avec une fausse sincérité.
— Quoi ? s’exclama Élin, déçue. Qu’est-ce que tu veux dire ?
— J’ai capturé une Riolu il a une heure. Elle est juste là, tu vois ?

Élin croisa les bras, vexée. Elle qui pensait prendre une longueur d’avance sur Syd, elle ne faisait que le rattraper ! Les deux adolescents se toisèrent, envisageant déjà, sans se le dire, leur prochain match Pokémon.

Pendant ce temps-là, Marie Camus avait trouvé une Pokéball au fond d’un tiroir poussiéreux. Elle revint vers le groupe en agitant sa trouvaille, amusée et triomphante.

— Alors Ponchiot, veux-tu de ta nouvelle dresseuse ? demanda-t-elle sérieusement au petit Pokémon.
— PONCH ! déclara le chien, fixant Élin avec des étoiles dans les yeux, mini-moustache tressautant de bonheur.

Face à cette bouille adorable, Élin ne put s’empêcher de fondre et retrouva toute sa bonne humeur. Tant pis si Syd avait déjà une Riolu—elle gagnerait leur prochain combat ! Elle se baissa au niveau de son futur Pokémon, plongeant son regard pétillant dans les iris innocentes du chien.

— Et toi Élineera Hei, veux-tu de ce Ponchiot ?
Oui ! répliqua la blonde, souriant, ne tenant plus en place.

Oscar fronça les sourcils, amusé, et marmonna dans sa barbe « ça ressemble à une cérémonie de mariage… ». À ses côtés, Elsa sourit, Goyah quant à lui éclata de son rire tonitruant.

— Alors ouvre tes bras, ordonna Marie Camus.

Élin obéit, sûre de mourir d'impatience. Et elle reçut le petit chiot, au creux de ses bras, une masse poilue, chaude, excitée… et surtout, vivante… 

— Bonjour toi, murmura-t-elle, ravie. Alors dis-moi, comment je vais t'appeler ?
— PONCH ! aboya fortement le Pokémon, joyeux, la dévorant de ses yeux noirs.

Bon gré mal gré, tous les humains présents sourirent, attendris par la scène émouvante se jouant devant eux. Même Syd eut un rictus.

— Il a eu beaucoup de chance que vous soyez tous là, commenta Marie Camus, croisant les bras.
— Et nous aussi on a eu de la chance de gagner, c'était pas facile hein… rit légèrement Oscar, lançant un clin d'œil à Élin qui vira rose de plaisir.
— Bon alors, je crois avoir trouvé le surnom de Ponchiot, enchaîna-t-elle, se remettant.

La salle entière—sauf Syd, l'éternel impassible—retint son souffle. On se pencha en avant vers le Pokémon attentif, qui scrutait sa nouvelle dresseuse des yeux avec adoration… 

— Tu t'appelleras Lucky ! s'écria la petite blonde, le faisant joyeusement tournoyer en l'air.

La suite s'enchaîna vite, chacun complimenta le surnom, puis Marie Camus tendit la Pokéball désignée à Élin. La blonde la prit en un rire comblé et fit rouler la balle le long de son bras, comme elle en avait toujours rêvé depuis qu'elle regardait du Pokéfoot à la télé.

Puis elle fixa Lucky.

— POKÉBALL, GO ! 

Il n'y eut aucune résistance. La Pokéball absorba le chiot dans une fontaine de lumière et s'immobilisa immédiatement, affectueusement. Ainsi, sous le regard de ses amis, Élin captura Lucky le Ponchiot. 


(Au rapport)
Tcheren se posa devant le Ranch à la hâte, remerciant brièvement son Pokémon avant de le rappeler. Le soleil, la chaleur, le chant des insectes, l’assaillirent en une vague dévastatrice en même temps que la fatigue. Avec, pour compagne perfide, la mauvaise humeur. Ô oui, Tcheren était de mauvaise humeur… la Team Plasma ! La Team Plasma, celle qu’ils étaient supposés avoir défait il y a six ans, celle dont Mélis, Écho et Matis avaient proclamé la défaite il y a quatre années !

Et pourtant elle revenait encore !

Goyah accueillit l’intellectuel à lunettes avec un air grave, bien différent de celui qu’il avait arboré toute la journée. Il le prévint qu’il avait envoyé les ados étaient dans la cave avec Marie Camus, cherchant de quoi préparer le repas du soir.

En les attendant, Tcheren faisait les cent pas dans le salon, meurtrissant le tapis centenaire qui le réchauffait doucement durant les rudes hivers. Goyah le contemplait avec mécontentement. En effet, l’imposant ex-Maître s’éteint calmement installé sur le canapé, plongé dans des pensées hautement philosophiques ayant trait au nombre de calories dans un sandwich, et il ne comprenait pas pourquoi Tcheren ne pouvait pas l’imiter.

Après tout, les adolescents n’allaient pas revenir plus vite parce que Tcheren s’énervait. Tout au plus, malgré la fraîcheur du salon, allait-il s’épancher en transpiration. Et puis quand Marie et Albert remonteraient au salon, ils seraient très mécontents de l’état du tapis.

— Calme-toi donc, jeune Padawan, conseilla gravement Goyah. L’impatience mène à la frustration, la frustration à la colère, la colère à la haine ; et la haine mène au côté obscur.

Tcheren se figea. Se tourna vers lui. Remonta ses lunettes. 

— Mais qu’est-ce que vous racontez ? marmonna-t-il sèchement, avant de se remettre à marcher.

Goyah soupira. On devait le penser sénile, mais il n’en était rien. L’ex-Maître avait bien été témoin des événements tragiques qui avaient secoué une galaxie bien loin de la nôtre…

Finalement, les adolescents revinrent avec les maîtres des lieux. Albert expliquait à Oscar combien sa chemise à carreau était typique des motifs de la région et Elsa souriait timidement. Syd et Marie étaient plongés dans une discussion sur la meilleure manière de monter des œufs en neige tandis qu’Élin écoutait avec attention, son ventre gargouillant. En revanche, quand la blonde vit Tcheren et remarqua son air sec, elle se figea et pâlit. Marie et Syd firent quelques pas de plus avant de se rendre compte qu’elle n’était plus parmi eux et se retournèrent, confus.

— Élin ? l’appela Syd, les sourcils froncés.

Mais la gamine l’ignora, plaquant simplement un sourire suintant de fausseté sur sa frimousse et s’approchant du Champion d’Arène.

— Yosh, Tcheren… balbutia-t-elle.

Que craignait-elle ? Les autres occupants de la pièce cherchèrent la raison de sa peur sur son visage actuellement lumineux… Surtout, les autres adolescents se demandèrent comment elle connaissait le Champion d’Arène. Ils avaient déjà trouvé son lien avec Goyah étrange, sans pour autant commenter. Mais là… connaître autant de personnes célèbres… ! Même Syd, qui était le neveu d’Aloé, n’avait jamais rencontré Tcheren. Le dresseur se demandait bien quels secrets Élin leur cachait, et pourquoi elle avait l’air si penaude.

— Ne commence pas, souffla cependant le Champion, ne captant l’humeur de la gamine. Je suis là de la part de Bianca. Goyah et moi-même allons vous questionner en vue d’un rapport à la Maîtresse Iris, alors efforcez-vous d’être précis.

À ces mots, la bouille d’Élin se tranquillisa. Ainsi Tcheren n’était pas venue au Ranch pour elle—parce qu’il avait découvert sa fugue d’une manière ou d’une autre—mais simplement pour l’incident de la veille. Il allait leur poser quelques questions puis repartirait, et Élin pourrait continuer son voyage. Vaincre son père. Accomplir ses rêves.

Le groupe s’assit à la grande table de la cuisine, certains jouant avec les aspérités du bois, chacun adoptant une mine grave, inquiète. À travers les mottes luisantes de poussières, les adolescents observaient le visage maigre, sérieux de Tcheren, les yeux sombres du Champion cachés par l’éclat aveuglant de ses lunettes. 

— Commençons. Racontez-moi tout. 

Alors, les quatre expliquèrent leur parcours de long en large, l’arrivée, la traque, la médiocrité des Sbires et leur disparition soudaine à la fin du combat. On parla des Pokémon utilisés par les adversaires, ainsi que du nombre du commando et de leurs rangs. Puis, un point inquiétant fut évoqué par Élin : les uniformes.

— Ils étaient bleus et blancs. C’était ceux de l’ancienne Team Plasma, j’en suis sûre, affirma-t-elle sans détour.

Tcheren ne put retenir une grimace dubitative. Mais les autres adolescents hochèrent de la tête, confirmant qu’ils se rappelaient tous de ces couleurs précises, du style chevaleresque des habits. Aucun doute à avoir. C’était l’Ancienne Team Plasma qui avait tenté ce vol.

— Impossible, nia quand même Tchere, farouchement. L’ATP s’est pacifiée, les Sages Carmine et Azuro collaborent avec les autorités depuis des années. Ils siègent même au conseil municipal de Port Yoneuve aux côtés de Bardane. Ceux que vous avez rencontrés, devait être des Sbires déguisés de la Nouvelle Team.

Un silence pensif plana, duquel Goyah profita pour se gratter le ventre.

— V'la autre chose, dit-il. On savait bien que pas mal de Sbires s'étaient reconvertis en voleurs et en p'tites frappes, mais là c'est quand même inquiétant... Et tout cela deux semaines avant les élections parlementaires !

Tcheren, Marie et Albert Camus froncèrent les sourcils.

— Il y a des candidats venant de Team Plasma à Ondes-sur-Mer, Volucité, Port Yoneuve, Parsemille, Flocombe et Rotombourg... marmonna le Champion.
— Oh ! Toutes les listes du Parti Royaliste, récapitula Marie Camus.
— Et Maillard ? s'inquiéta Syd.
— Non. Le parti royaliste n'a pas de section à Maillard, alors ils n'ont pas réussi à monter de liste, répondit Tcheren.

Élin hochait vigoureusement de la tête, mais ne captait rien à la conversation. Elsa et Oscar ne comprenaient pas grand chose non plus—les trois ados ne s'étaient jamais intéressés à la politique, ils trouvaient cela extrêmement chiant et compliqué et de toute façon personne n'était jamais contents après les élections. À quoi ça servait la politique ? Et quel rapport avec les Sbires qu'ils avaient battu hier soir ?

— Mais c'est pas les Champions qui dirigent les villes ? demanda Élin, étonnée.
— Ben non, sinon comment ils feraient à Entrelasque et puis même chez toi, à la Ville Noire ? rétorqua Syd, levant les yeux au ciel.
— Oh ça va... grommela la blonde.
— Il y a des maires dans chaque ville, expliqua gentiment Goyah. Les maires viennent de différents partis politiques. Et un des partis s'appelle le Parti Royaliste, et laisse-moi te dire qu'ils sont sacrément tarés... Ils veulent mettre un roi à la tête d'Unys ! Le roi N, qu'ils l'appellent.
— Ah ouais quand même... souffla Oscar. Ouais donc le Parti Royaliste c'est comme la Team Plasma ?

Tcheren serra les dents.

— Pas tout à fait. Disons que le Parti Royaliste c'est la façade légale de la Team Plasma. Ils prétendent n'avoir aucun lien avec la Team, mais nous savons très bien que beaucoup d'anciens Sbires sont membres... et les Sages Azelan, Auric, Carmine, et Glaucus en font partie...
— Mais alors pourquoi les gens votent pour eux ! s'énerva Élin. Ils devraient savoir que c'est des terroristes !
— Ce n'est pas si simple !

Tcheren souffla, tenta de lui expliquer tous les facteurs qui poussaient les Unyssiens à voter pour le Parti Royaliste, même en connaissant leurs liens avec la Team Plasma, mais Élin s'impatienta. La politique c'était compliqué et ça la saoulait. Les autres adolescents opinèrent avec incertitude. Ils n’en savaient pas plus qu'Élin—ils étaient si jeunes... Tcheren cessa de parler, Goyah prit la relève, et puis les adultes discutèrent de choses encore plus compliquées. Les adolescents se mirent à papoter de leur côté.

Et puis Tcheren se releva, faisant presque tomber sa chaise à la renverse. Cinq paires d’yeux se braquèrent sur lui, il ne leur offrit qu’un regard fermé.

— Maintenant, on va appeler vos parents. 

Alors les yeux d’Élin s’écarquillèrent et la jeune fille prit le même teint cireux d’un peu plus tôt. Elle se crispa, serrant par réflexe ses deux Pokéball, et jeta un regard apeuré à Tcheren. C’est d’une toute petite voix qu’elle demanda :

— Même mon père…?