Nuage Gris
FEUILLE D'AUTOMNE
CHAPITRE 1 : NUAGE GRIS
"Bip bip bip bip bip bip bip bip bip bip bip bip bip !"
Ainsi sonnait le réveil de Clément, insistant, le tirant de sa rêverie.
Qu'il était bien, à rêver. Loin du réel, où tout était possible.
Il resta un moment allongé. Il se réveillait lentement. Le temps de rassembler son courage.
Pourquoi en avait-il besoin ? Il s'agissait d'une journée de cours tout à fait ordinaire, penserait n'importe qui.
Parce que c'était une journée de cours ordinaire.
"Grouille-toi ! J'ai pas que ça à foutre que de te dire de te dépêcher !".
C'était sa mère, lui disant bonjour, et lui demandant ainsi si il avait bien dormi.
Habillé et son petit déjeuner prit, il enfila son sac et commença à se diriger vers l'arrêt de bus. Cette marche lui sembla, comme d'accoutumée, interminable. Ses cheveux châtains étaient pleins d'épis et mal peignés. Qu'importe. Que pouvait bien lui faire le regard des autres. Ses jambes flagoleaient tandis que les lycéens et collégiens attendant le bus le regardaient. Non, il se fichait bien de ce qu'autrui pensait de lui. Il se faufila dans le groupe et se mit à patienter à son tour. La proximité des autres le faisait trembler.
La vérité, c'est qu'il ne supportait pas d'être parmi d'autres personnes. Et pour cause : les gens sont méchants. Ils vous dévisagent de leurs yeux bestiaux, et se moquent de vous le dos tourné. Ces charognards n'attendent que le moment propice pour vous attaquer de propos blessants, et vous achèvent en vous humiliant. Il n'y a pas une once de bonté en chacun d'entre eux. Clément en avait marre de cette race qui se croyait meilleure que les animaux, parce que le destin les avait doté de ce qu'ils croyaient être une intelligence supérieure. C'était faux. Complètement faux. En réalité, les humains sont moins intelligent que les bêtes. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Tout ce qui est mis à leur disposition, ils s'en servent pour faire le mal. L'acier, ils en ont fait des armes. Les opinions, ils en ont fait des guerres. Les différences, ils en ont fait des impuretés.
Malade du quotidien. Voilà comment on aurait pu le décrire.
Son bus stoppa à l'arrêt fatidique. Son âme lui hurlait de rester assis dans ce bus, de se laisser emmener loin, peu importe où. Il devrait peut-être le faire. Il n'en a pas le courage. C'est un faible.
Il tourna à l'angle de rue. Il était devant le lycée. Une foule était amassée devant. Lentement et à contrecœur, il traversa la route, et marcha en direction du portail grand ouvert. Il s'efforcait de ne regarder personne dans les yeux. Mais personne ne le regardait. Il le savait bien. Malgré tout, l'impression de ne pas être à sa place persistait. Un profond malaise.
Il rentra dans le grand hall. Tout les groupes d'amis discutaient à vive voix, produisant un vacarme assourdissant. Lui, il continua son chemin jusque dans les couloirs. Il s'adossa au mur, juste devant la salle où se déroulerait son premier cours de la journée. De l'histoire. La matière qu'il aimait le moins. Les autres élèves de sa classe vinrent à leur tour. Personne ne le regardait. Mais à nouveau, il se sentait mal d'être avec eux. Ils se rangèrent deux par deux. Au fur et à mesure de leur arrivée, il reculait jusqu'au fond du rang. Seul. Une fille de sa classe le regarda. Dans ses yeux, il put voir une lueur compatissante. Alors il lui sourit. Un sourire qui se voulait sincère.
Elle s'appelait Lisa. Ses yeux étaient couleur azur. Un peu comme ceux de Clément il y a quelque années. Ils étaient devenu pâles au fur et à mesure qu'il grandissait. Elle, ses yeux brillaient. Elle venait lui parler quelquefois. C'était assez rare, mais quand cela arrivait, il avait l'impression d'exister. D'être quelqu'un. Et ça lui faisait tant de bien.
Le cours d'histoire fut encore plus ennuyeux que prévu. Cette journée commençait mal. L'heure de la récréation vint. Il aurait pu la passer à discuter avec son ami, bien que leur discussion soient silencieuses en général. Clément n'avait rien à dire. Rien à raconter. Il était inintéressant. Il se demandait comment Thomas pouvait le supporter. Certes, ils étaient rarement seuls. Des amis de Thomas venaient souvent parler avec eux. Mais Clément se sentait encore plus transparent.
Mais Thomas n'était pas venu aujourd'hui.
Puisqu'il n'avait rien à faire, il alla patienter à nouveau devant la salle. Le temps sembla s'écouler avec une lenteur inouïe. Un élève s'approcha de lui, et lui cracha au visage. Ses camarades éclatèrent d'un rire méchant. Les larmes aux yeux, il voulut le frapper. Il se retint, car il ne savait pas se battre. Il était faible. Mais trop tard. Sa main avait déjà fait une ébauche de mouvement.
"T'as voulu me frapper, connard ?" déclara avec agressivité Aymeric.
"Non... J'ai... Mal à la main, c'est tout."
Mais il se prit un poing dans le nez. Suffisamment fort pour qu'il saigne abondamment.
Il tenta de répliquer à son tour, en cognant le visage de son adversaire.
Ce dernier sembla avoir un peu mal sur le coup, puis se mit à rire.
D'une balayette, il l'envoya à terre.
Clément resta au sol. Il ne fallait pas qu'il se relève. Sinon il allait encore morfler. Sa faiblesse lui laissait une honte douloureuse.
"Retourne chialer chez ta salope de mère !" cria Aymeric.
Le public était hilare. Mis à part quelques uns de ses camarades de classe, qui le regardaient avec pitié.
Un des amis d'Aymeric, Aurélien, s'avanca alors.
Que lui voulaient-il encore, se demandait Clément.
Il ne tarda pas à savoir.
Aurélien profita que sa montre soit mal attachée pour le la lui prendre d'un coup sec.
"Non, non, pitié, rend moi ça !" gémit Clément.
Soudainement, Aurélien la brisa. Clément sentit son cœur s'arrêter de battre.
Cette montre, c'était sa grand mère qui le lui avait offert. Ce cadeau l'avait profondément touché, car elle avait à peine assez d'argent pour subvenir à ses besoins. Depuis, il la portait tout les jours.
La sonnerie retentit. Tout le petit monde qui observait la scène se dispersa. Le moment de retourner en classe était venu.
La journée avait semblé interminable, mais elle s'acheva enfin. Sur le chemin du retour, Clément croisa Lisa. Elle lui proposa de rentrer avec lui, ce qu'il accepta de bon cœur.
"C'est vraiment nul ce qu'ils ont fait...
- Oh, t'inquiètes. J'ai l'habitude.
- Il faut pas que tu reste comme ça. Demande de l'aide à quelqu'un. A tes parents, par exemple.
- Oh, là, non ! Je préfère encore passer le week-end avec Aymeric que de me plaindre à mes parents.
- Oui, mais il faut faire quelque chose. Mais merde, enfin ! Tu souffre au quotidien, je le vois ! Tu es quelqu'un de bien, tu sait. Je ne veux pas que tu continue à gâcher ta vie.
- Si j'avais le choix...
- Tu l'as. Je part par là. On en rediscute ce soir sur Skype !
- Ok, merci beaucoup.
- De rien, tu le mérite."
Le soir venu, Clément et Lisa discutèrent longtemps du problème. Cela lui fit un bien fou. A elle aussi, car elle parvint à le convaincre d'en parler à ses parents.
Il le fit. Il leur expliqua l'incident de la journée.
Ce à quoi son père répondit "Mais quelle tarlouze; pas foutu de se défendre... Et de quoi tu te plaint, petit con ! Tu crois que moi, j'ai pas des soucis plus grave ? Hein ? HEIN ? Dégage, je ne veux plus te voir.".
Clément était assis sur son lit, la tête dans les bras, adossé au mur. Il ruminait des idées noires. Sa mère fit irruption dans sa chambre.
"Ne lui en veux pas. Ta grand-mère est morte hier soir, de son cancer. Tu as le droit de pleurer si tu es triste. Au fait ! On mange à 20 heures. Bonne soirée."
Ce manque de tact était tout à fait caractéristique de sa mère. Mais l'annonce qu'elle lui avait fait, il le prit comme un coup de massue.
Comme la goutte qui faisait déborder le vase.
Il déprimait depuis longtemps.
Il était assis sur le rebord de sa fenêtre, au deuxième. Il contemplait les étoiles à travers les nuages gris. Elles étaient si belles... Si lointaines... De là où il était, il voyait la maison de Lisa. Il la contempla longtemps. Puis il prit une profonde inspiration, et dit d'une voix tremblante : "Adieu.".
Et sans crier gare, il sauta.
Et il quitta cette vie qui ne voulait pas de lui.
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Message de l'auteur :
Ce premier chapitre fut assez dur à écrire.
Il fallait lui confier une ambiance assez triste et sombre, contrat rempli à moitié.
L'écriture est assez maladroite, ça m'a dérangé aux premiers abords, c'était un effet que je ne désirais pas.
Mais au final, je trouve que ça colle assez bien.
Dans le corps du chapitre, il fallait bien entendu du contenu concret et ne pas survoler la détresse de Clément.
Pour cela, je me suis inspiré de vrais faits auxquels j'ai déjà été confronté.
Je suis moyennement content de ce premier chapitre en fin de compte.
Mais il était crucial pour le déroulement de l'histoire.
Je considère le suivant comme plus réussi.