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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 09/08/2015 à 17:01
» Dernière mise à jour le 09/08/2015 à 18:54

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 11 : Celui de trop

Celui de trop - Sandrine François


Les événements contenus dans ce bonus se déroulent un siècle après la fuite de Lilith dans le Monde Inversé.


Des bruits de pas se firent entendre. Ils résonnaient sur le sol rocailleux de la grotte. La personne qui les émettait portait une cape, car le tissu frottait dans son sillage. Ils étaient de plus en plus proches. Quand ils ne semblèrent plus qu'à une dizaine de mètres, la jeune femme descendit de la saillie de la paroi où elle était perchée pour atterrir sur le sol en souplesse.

Elle possédait une sorte de cuirasse métallique qui couvrait son buste. Le vêtement d'acier était à la fois fin et léger, si bien qu'il ne la gênait dans aucun de ses mouvements. Elle arborait un pantalon issu du même matériau. Cette armure pratique protégeait son corps, sans l'handicaper pour autant.

Elle repoussa ses longs cheveux d'ébène dans son dos et fixa l'entrée de la caverne dans laquelle elle était nichée. Ses yeux froids, insondables, sondaient le boyau rocheux qui donnait sur son antre. Solitaire dans l'âme, elle n'aimait pas recevoir de visite, encore moins lorsqu'elle parvenait à échapper à ses obligations pour s'exiler un moment.

Un homme pénétra dans la pièce. Grand et élancé, il paraissait plus âgé que ne le laissait transparaître sa démarche vigoureuse. Armé d'un sceptre en forme d'éclair, il s'immobilisa sur le seuil -si toutefois il s'en agissait vraiment d'un- de la salle souterraine.

- Zeus, le salua Lamia avec une totale indifférence. Que me vaut cet honneur ?
- Athéna t'attend. Elle dit que tu ne t'es pas présentée à ta leçon, en dépit de ce qui était convenu.
- Je n'en avais pas envie.

La franchise de la fille d'Eve le déstabilisait à chaque fois qu'il y était confronté. Que ce soit devant lui, Arceus ou même ses propres parents, elle faisait preuve d'une arrogance que nul ne se serait autorisé à sa place. Ce tempérament impétueux que tous déploraient chez elle, il l'admirait secrètement.

- C'est pour ton bien. Tu fais partie de la Confrérie, Lamia. Tu dois être éduquée. Horus l'a été également, après sa naissance. Tu n'as même pas encore découvert quel est ton don. Athéna peut t'y aider.
- Pourquoi ? A quoi me servirait-il ?
- A découvrir qui tu es vraiment.
- Je le sais déjà. Je suis Lamia, humaine légendaire de Registeel, fille unique d'Adam et Eve. Cela ne suffit-il pas ?
- Non. A moins que tu ne veuilles te contenter de cette médiocrité quand tu pourrais être davantage.
- Sauf que je ne le désire nullement, répliqua l'intéressée.

Ses yeux jetaient désormais des éclairs avec autant d'élégance que le sceptre de son interlocuteur lorsqu'il décidait de l'utiliser à cet escient. Zeus avait beau être le chef suprême de la Confrérie, elle ne l'appréciait pas. C'était d'autant plus pénible à tolérer pour elle qu'il avait décidé de faire actuellement de sa personne le centre de son intérêt.

Il venait souvent la voir, lui parler. Il inventait toujours tes excuses triviales afin de justifier ses visites, qui agaçaient singulièrement Lamia. Elle s'était déjà plainte de son attitude à sa mère, mais celle-ci lui avait sèchement rétorqué qu'il lui faisait un véritable honneur en se souciant d'elle et qu'elle aurait dû en être fière plutôt que de se lamenter.

- Allons, viens avec moi. Je suis certain que, si tu t'excuses, Athéna acceptera de...
- Moi ? M'excuser ? Vous riez. Il n'est pas dans ma nature de demander pardon à qui que ce soit, pas même à votre fille. Je n'ai pas besoin d'elle pour apprendre. Je n'ai besoin de personne. Tout ce que je sais m'est acquis et ce que j'ignore ne me manque pas.
- Il est inutile de chercher à discuter avec toi, n'est-ce pas, Lamia ?
- Inutile, en effet. Vous perdriez votre temps.
- Par chance, nous avons l'éternité devant nous.

Zeus lui adressa un sourire qui éveilla en elle un profond dégoût. Elle n'aimait pas cette petite lueur qu'elle percevait dans ses yeux à chaque fois qu'il posait son regard sur elle. Cela ne lui inspirait rien de bon. Même si aucun de ses traits ne l'exprima, elle fut soulagée de le voir quitter la grotte dans laquelle elle se terrait afin d'échapper au protocole.

***
- Plus haute, ton épée, ordonna Aphrodite d'un ton sec. Et le coude plus leste. Même quand tu attaques, tu dois toujours être prête à parer. Feinte !

Lamia s'exécuta. Elle plia un genou vers l'avant, étendit le bras, mais réalisa au dernier moment une frappe latérale que la Beauté para en soulevant le somptueux bouclier que Vulcain lui avait forgé.

- Encore trop prévisible. Il faut que tes gestes soient plus inattendus, sans quoi je les anticiperai tous.

Aphrodite repoussa ses mèches blondes, qui retombaient devant son magnifique visage. Son corps était recouvert d'une côte de maille légère afin de la protéger des éventuelles blessures que la lame de son élève risquerait de lui causer si elle venait à l'atteindre, ce qui était encore loin d'être le cas.

- Tu as du potentiel, Lamia, mais tu es encore trop agressive. Tes coups respirent la hargne, la colère. Maîtrise-la. Sublime-la. Imprègne-t-en afin de la transformer en force et d'en nourrir ton être. Si tu ne penses qu'à l'assaut, tu n'arriveras jamais à rien. Un combat ne se résume pas à deux épées qui s'entrechoquent. Il y a derrière cela toute une orchestration minutieuse.

La jeune femme aux cheveux noirs approuva ses propos d'un hochement de tête, leva verticalement sa lame devant son buste, puis l'abaissa rapidement vers la droite pour saluer son enseignante. Aphrodite l'imita, avant qu'elles ne déposent leurs armes dans l'écrin de velours pourvu à cet effet.

La Cave d'Hadès ne possédait rien de la faste de la Salle Originelle. Les légendaires avaient tenté d'y recréer au mieux leur univers, mais cela n'avait servi à rien. Les lieux étaient sombres, humides... Beaucoup trop différents des murs cristallins qu'ils avaient connu dès leur apparition.

- Me dispenserez-vous bientôt une autre leçon, dame Aphrodite ? demanda courtoisement Lamia.
- Pas avant un moment, je le crains. Il faut que je tienne mon rôle. Sulfura et moi devrons nous absenter un temps pour maintenir l'équilibre du climat sur les diverses régions qui nous entourent. Je compte sur toi pour t'entraîner pendant mon absence.
- Je le ferai, ma dame.
- Tiens, tiens... lança soudain une voix qui paraissait légèrement amusée. Comme je puis le constater, tu ne manques pas tes cours d'escrime, contrairement à tous les autres. Dois-je en conclure que mon art t'intéresse moins que celui des guerrières ?

Lamia observa Athéna avec circonspection lorsque celle-ci pénétra dans la salle d'entraînement. Aphrodite la salua d'un bref hochement de tête, mais son élève ne l'imita pas. Elle demeura stoïque.

- Laissez-nous, voulez-vous ? demanda la fille de Zeus.

La Beauté referma soigneusement l'écrin qu'elle cala sous son bras, juste avant de s'éloigner. Athéna attendit que le bruit de ses pas légers se soit totalement estompé pour reprendre la parole. Lamia savait déjà ce qu'elle avait l'intention de lui dire : elle s'apprêtait à lui reprocher son manque d'assiduité dans sa propre éducation. Elle fut néanmoins surprise des propos que lui tint son interlocutrice.

- T'intéresses-tu à l'art du combat ?
- Beaucoup, répondit-elle aussitôt avec sincérité. Je sais également que vous êtes l'une des quatre déesses guerrières de la Confrérie. Si je puis me permettre... Cela ne se devine pas.
- C'est parce que je déteste me battre. Pour moi, tout affrontement physique est le dénouement d'un conflit dans lequel nous nous sommes montrés trop sots pour ne pas l'avoir résolu par une simple discussion.
- Est-ce cela que vous tentez de m'inculquer depuis ma naissance ? L'art de converser.
- Tu es loin de la vérité, Lamia. Mon but est de t'aider à te découvrir, à te connaître. Avant de choisir ta voie, tu dois d'abord avoir à l'esprit toutes celles qui s'offrent à toi.
- Et si je savais déjà ce que je veux ? Etre libre, sans entrave. Je suis différente de vous. Je n'ai pas été créée, je suis née. Je suis légendaire par hérédité, mon pokémon ne m'a pas désirée. Il m'a été sélectionné.
- Cela s'est produit de la même façon pour Horus, or il a fini par s'habituer à cette particularité. Si cela a été dur les premières années, il le vit désormais très bien.
- Pas moi ! protesta Lamia. Je ne veux pas de vos leçons. Je ne veux pas que l'on m'enseigne de quelle façon je dois me tenir, ni comment obéir à Arceus. Ce que j'apprends avec Aphrodite me plait et c'est cela que je souhaite : faire ce dont j'ai envie. Je n'ai pas l'intention de me soumettre devant quiconque. Ni devant vous, ni devant votre père, ni même devant l'Alpha. Personne.

Malgré les propos qu'elle tenait, Athéna ne paraissait ni fâchée, ni déçue. Au contraire, elle conservait une attitude parfaitement sereine, à travers laquelle seule sa douceur naturelle transparaissait.

- Demain, je veux que tu me retrouves à l'aube, dans la Cave d'Hadès. Ne te désiste pas, parce que c'est toi qui choisiras ce que tu veux faire.
- Vraiment ? s'étonna Lamia.
- Tu sembles posséder un coeur d'acier. Tu es déterminé et tu sais te battre jusqu'au bout pour tes idées. Je perdrais du temps et de l'énergie à tenter de me dresser contre toi, d'autant que ce n'est pas ce que je désire.
- Merci de votre compréhension, ma dame. Je viendrai.

***
- Sais-tu qu'en dépit des frasques que tu multiplies, ma fille tient des propos très élogieux à ton encontre ?

Lamia manqua son saut de main lorsque Zeus fit irruption dans l'exigu boyau où elle apprenait à développer son agilité. Elle voulait en posséder une identique à celle d'Aphrodite, afin d'espérer un jour l'égaler au combat, même s'il lui faudrait sans doute des siècles avant d'y parvenir.

- Vous m'en voyez flattée.

Sa réponse était froide, concise, comme toutes celles qu'elle adressait au dieu de la foudre. Elle commençait à le trouver singulièrement pénible, à force de le voir toujours tourner autour d'elle. Cela ne lui plaisait pas du tout.

- Me laisseras-tu un jour saisir les méandres de ton caractère hardi ? Nul ne se permet de s'adresser à moi avec autant de sécheresse dans la voix, pas même ma propre fille ou mes frères.
- Les titres ne valent rien, à mes yeux. Ce n'est pas parce que vous êtes l'humain de l'Alpha que je devrais vous témoigner plus ou moins de respect qu'à n'importe qui d'autre, or je n'en éprouve pour personne, à l'exception de dame Aphrodite.
- Qu'a-t-elle de plus que nous tous pour avoir le droit à une telle faveur ?
- Elle ne m'ennuie pas.

Registeel, qui se tenait en retrait, cliqueta bruyamment. Il ne la réprimandait ordinairement jamais, mais il lui semblait que, cette fois-ci, elle avait été beaucoup trop loin. Lamia ne connaissait rien du courroux d'Arceus. Elle avait la chance de ne jamais encore avoir eu à le subir. Rien ne la mettait à l'abri, néanmoins.

Zeus esquissa un sourire. Cette fille-là était plus insaisissable que la foudre, or celle-ci ne lui échappait jamais, puisqu'il en était le maître incontesté. Il ne voulait pas apprivoiser Lamia, car son caractère était tout le charme qu'il lui trouvait, cependant il aurait aimé savoir ce que renfermait son coeur. Nul ne savait déchiffrer les pensées ou les émotions de cette énigmatique légendaire, pas même Athéna.

- Aviez-vous autre chose à me dire, seigneur Zeus ? Parce que si tel n'est pas le cas, je désirerais que vous me laissiez seule.
- J'aurais apprécié le plaisir de ta compagnie, mais puisqu'il en est ainsi, je me retire promptement.

Il s'inclina brièvement devant elle, puis tourna les talons pour s'éloigner. Lamia le regarda disparaître dans l'un des tunnels qui jouxtaient celui-ci, les lèvres légèrement pincées. N'allait-il jamais la laisser tranquille ? Etant donné qu'elle serait seule avec Athéna le lendemain, elle se promit de lui en souffler un mot.

***
L'influence de la fille n'eut hélas aucun effet sur le père. Zeus se montrait plus pénible et entreprenant que jamais. Lamia prenait toujours grand soin à l'éviter, pourtant il ne se passait pas un jour sans qu'elle ne soit contrainte de le croiser. Parfois, il assistait même à quelques-unes de ses leçons -pour évaluer sa progression, selon ses propres dires.

- Cela suffira pour aujourd'hui, Aphrodite, ordonna-t-il à la déesse après qu'elle ait jeté son élève au tapis pour la cinquième fois.
- Je n'ai pas encore terminé de...
- Veuillez nous laisser, s'il vous plaît.

La Beauté le jaugea un instant du regard, puis tourna les yeux en direction de Lamia, dont les traits s'étaient durcis. Voici qu'à présent, il se plaisait à lui arracher ses leçons favorites. Quel sentiment une telle bassesse pouvait bien lui procurer ?

Il attendit qu'Aphrodite eut disparu hors de la caverne pour s'approcher de la jeune déesse, qui l'observait avec prudence. Lorsqu'il ne fut plus qu'à un mètre d'elle, elle recula d'un pas. Elle n'aimait pas que l'on se tienne trop près d'elle et encore moins qu'on la touche, or c'était précisément ce qu'il désirait faire, puisqu'il étendit une main dans sa direction.

- Reculez.
- Allons, Lamia... Ne joue pas les timorées. Où est passée ton impulsivité légendaire ? Cette fougue dont tu nourris chacune de tes répliques ?
- Elle est toujours là. Ne la voyez-vous pas ?
- Ce que je vois, c'est une femme sublime, au tempérament de feu.

Zeus voulut effleurer sa joue de ses doigts, mais elle repoussa violemment son poignet avant qu'il n'y parvienne. Elle avait la chance de posséder une capacité exceptionnelle qui lui permettait de rester toujours maîtresse d'elle-même en dépit des circonstances. Elle ne céda donc pas au dégoût que le geste du dieu lui inspirait.

- Qu'est-ce que vous attendez de moi, au juste ?
- Tout. Tu es belle, Lamia. Désirable. Je ne peux me priver de toi plus longtemps.
- Vous priver de moi ? Je ne vous appartiens pas, seigneur Zeus. Je ne suis pas votre poupée, vous ne pouvez pas disposer de moi comme bon vous semble. Je crois d'ailleurs que, dans votre folie, vous oubliez Héra.
- Héra ne te ressemble en rien. Tu es tout ce qu'elle n'est pas, tout ce que je convoite. Elle est peut-être mon épouse, mais tu pourrais être bien plus, à mes yeux.
- Votre objet ? Il n'en est pas question. Et je vous demanderai de vous tenir à distance, dès à présent.

Sans lui laisser le temps de répliquer, Lamia glissa sa lance d'entraînement dans son dos et suivit les pas d'Aphrodite, qui devait déjà être loin. Une grimace lui tordit la bouche au moment de quitter la pièce. Zeus souhaitait la posséder. Cette simple idée la répugnait.

***
- Mère ?

Eve était installée dans ses quartiers où elle jouait de la harpe, un présent que lui avait adressé Volupté avant de quitter la Cave d'Hadès pour suivre Suicune et les autres Chiens dans la tour de Johto construite en leur honneur.

Elle cessa de pincer les cordes de ses doigts délicats pour lever les yeux en direction de sa fille. Elles n'avaient rien de comparable. Eve était chétive, de taille moyenne, le teint un peu blafard et l'apparence soignée, alors que Lamia avait une chevelure sauvage, une allure de tigresse et une rudesse apparente.

- Puis-je te parler, mère ? C'est important.
- Bien sûr, mon enfant. A quel sujet ?
- Zeus est venu me voir, aujourd'hui. Encore.
- C'est parce qu'il semble beaucoup tenir à toi. Tu es encore très jeune, il a une attitude protectrice louable.

Même leurs voix étaient différentes. Eve s'exprimait avec douceur, presque mélancolique, contrairement à sa fille qui possédait un timbre beaucoup plus rauque. En fonction de son humeur, il s'aggravait davantage, comme ce fut le cas en cet instant.

- Ce n'est pas une attitude protectrice, mère. Il s'est montré très clair. Il me veut. Il est visiblement déterminé à se détourner d'Héra pour me mettre dans sa couche.
- Fort bien.
- Fort bien ? Mère, es-tu sérieuse ? Que fais-tu de mes émotions ? De ce que je peux ressentir ?
- Ce serait bien la première fois où tu donnerais l'impression d'éprouver des sentiments, Lamia.
- Je refuse de le laisser me toucher !

Elle s'était mise à crier. Eve se leva du petit tabouret en bois sur lequel elle était assise, puis marcha à sa rencontre d'un pas lent. Lamia l'observa, les sourcils froncés par la méfiance, tandis qu'elle lui prenait la main.

- Zeus est l'humain légendaire le plus puissant qui soit. Il est important qu'il ait une très haute estime de nous car il assure notre protection...
- Face aux Renégats, je sais. Ta peur doit-elle cependant me contraindre à m'abaisser à une telle vilenie ? Veux-tu que je devienne sa putain uniquement pour satisfaire ton besoin maladif de sécurité, ainsi que celui de père ?
- Lamia, il n'est pas question que je t'entende t'exprimer une nouvelle fois de la sorte. Ce langage est grossier, indigne de ton rang. Tu devrais te sentir flatter qu'un homme de l'envergure de Zeus ait posé les yeux sur toi. C'est la preuve que tu es unique.

La jeune femme secoua la tête. Sa mère était décidément prête à tout pour la forcer à accepter les avances du maître de la foudre. Elle n'arrivait pas à le croire. Comment des parents pouvaient-ils être aussi égoïstes que les siens ? C'était sans doute pour cette raison qu'elle ne parviendrait jamais vraiment à s'intégrer au sein de la Confrérie : elle n'aimait pas cette attitude où chacun agissait de façon à servir ses propres intérêts.

Les Renégats, en dépit de tout le mal que l'on racontait sur eux, étaient différents. Ils étaient soudés, unis et formaient un groupuscule loyal autour de Lilith, même si celle-ci était désormais captive du Monde Inversé. S'ils n'avaient pas mis la tête d'Eve à prix, elle aurait sûrement admiré leur cohésion.

***
Lamia s'assit sur un siège, face à Athéna, qui se tenait à l'autre extrémité d'une table en bois rudimentaire. Beaucoup de légendaires se plaignaient de leurs nouvelles conditions de vie, à des lieues de celles qu'ils possédaient à la Salle Originelle, et la plupart choisissait de quitter la Cave d'Hadès afin de s'installer ailleurs, même s'ils revenaient parfois rendre des comptes à Arceus.

- J'aimerais vous poser des questions, si vous me le permettez, ma dame.
- La curiosité est une vertu qu'il faut savoir cultiver, répondit la déesse avec un sourire. Parle, je t'en prie.
- C'est un sujet un peu tabou... Il s'agit de Lilith.

Une expression fugace passa sur le visage de la fille de Zeus, mais disparut avant que Lamia n'ait eu le temps de cerner le sentiment qu'elle représentait. La neutralité revint sur les traits d'Athéna, qui ouvrit la bouche afin de prendre la parole :

- Ce n'est pas une réelle surprise pour moi que de te voir t'intéresser à elle. Elle provoque une certaine fascination, même chez ceux qui ne la connaissent pas.
- Pensez-vous que, si mes parents n'étaient pas placés sous la protection d'Arceus et de ses sbires, les Renégats parviendraient à les tuer ?
- Ceux qui le composent sont des légendaires redoutables. Satan est aussi puissant que mon père, ce qui n'est pas peu dire. Tant qu'Adam et Eve sont aussi bien entourés, ils n'ont rien à craindre. Artémis et Scathach sont bien trop malignes pour cela, elles savent que s'en prendre à eux au coeur de la Confrérie serait du suicide. Qui plus est, je ne pense pas qu'aucun d'eux n'ait l'intention d'attenter à leur vie.
- Pourtant mes parents sont convaincus que...
- Tes parents, et surtout Eve, vivent dans la peur à cause des menaces que Lilith a proféré avant d'être condamnée à l'exil. Néanmoins, le sort qu'ils pourraient subir n'est rien à côté de celui qu'elle infligerait à ses propres partisans s'ils la privaient de sa vengeance. Bien sûr, ce n'est que mon avis, mais je ne pense pas qu'ils leur feraient du mal. Si quelqu'un doit le faire, ce sera elle, or elle est enfermée.
- Il n'est pas impossible de la libérer, pourtant. Si les Renégats rassemblent les trois Cré's...
- Les lacs sont régulièrement surveillés. Si jamais l'un d'entre eux s'en approche, nous le saurons. Et si, malgré les précautions d'Arceus, elle revenait dans ce monde, il s'empresserait d'ordonner son assassinat.
- Je ne saisis pas, ma dame... Je croyais que vos Zarbi vous offraient une connaissance absolue. Pourquoi ne pas les utiliser plutôt que de vous en remettre au destin ? Vous pourriez découvrir à l'avance les plans des Renégats, n'est-ce pas ?
- Entre autres choses, oui. Le savoir est cependant une arme à double-tranchant et je préfère l'acquérir par moi-même plutôt que par le biais de la magie.
- Et si Lilith venait un jour à s'échapper, devrions-nous craindre pour nos vies ?
- Oui.

La réponse d'Athéna fut froide et sans appel. Lamia l'encaissa sans sourciller. Elle comprenait désormais mieux les inquiétudes de sa mère. Même si le danger n'était pas immédiat, il demeurait omniprésent et elle le savait. Il suffisait d'une seule femme pour la faire passer de vie à trépas.

- J'ai une autre interrogation à vous soumettre, ma dame.
- Je t'écoute.
- Elle risque de ne pas vous plaire, mais je ne peux la contenir davantage. Que peut redouter une personne qui refuse de se soumettre à votre père ?
- Je l'ignore, cela ne s'est jamais produit. Tout dépend de sa volonté et de ce qu'il attend, j'imagine. Lamia... Tu l'as repoussé, n'est-ce pas ? Tu as refusé ses avances et tu t'inquiètes pour les conséquences.
- Pensez-vous qu'il puisse refuser de continuer à assurer la sécurité de mes parents ?
- Honnêtement... Non, je ne crois pas. Ce serait laisser la porte grande ouverte aux Renégats, or Arceus ne désire absolument pas cela. En revanche, il ne renoncera pas tant qu'il n'aura pas obtenu de toi ce qu'il désire. C'est toujours de cette façon qu'il agit.
- Et si je le lui accorde, me laissera-t-il tranquille ?
- C'est à supposer. En ce qui concerne mon père, néanmoins, je ne saurais me montrer plus précise. Il est extrêmement versatile.

La jeune déesse ne releva pas. Elle en avait déjà bien assez entendu comme cela. Elle avait eu raison de se méfier de la situation, mais celle-ci prenait une tournure qui la dépassait totalement. Elle se leva, remercia Athéna dans un souffle, puis s'éloignait. Son interlocutrice l'interrompit après un seul pas.

- Lamia, quoi que tu fasses... Sois prudente.

Elle acquiesça d'un hochement de tête. En dépit de sa nature téméraire, elle allait devoir apprendre à réfléchir à ses actes et à ce qu'il lui convenait de faire. Elle ne pouvait pas se permettre la moindre erreur de stratégie en sachant qu'elle affrontait sur un terrain qui lui était inconnu le dieu des dieux.

***
Au cours des semaines qui suivirent, Lamia s'efforça de se montrer plus courtoise à l'encontre de Zeus, afin que sa mère ne lui reproche pas son attitude, sans pour autant céder à son bon-vouloir. Il devait néanmoins prendre son changement pour un encouragement, car il la courtisait d'une façon plus empresser que jamais.

Il la dévorait d'un regard enflammé à chaque fois qu'elle passait devant lui, qu'il y ait ou non des témoins autour d'eux. Eve se félicitait de ceci, Adam aussi, bien qu'il ne le montre pas aussi ostensiblement que son épouse. Bientôt, nul n'ignora plus dans la Cave d'Hadès les sentiments que le maître de la foudre éprouvait à l'encontre de leur fille.

Personne, pas même Héra. Si elle ne laissait rien paraître, Lamia eut rapidement la confirmation qu'elle soupçonnait quelque chose. Le comportement de son mari n'avait pu lui échapper, elle était bien trop intelligente pour cela, mais surtout extrêmement vindicative, comme la jeune humaine légendaire s'apprêtait à en faire les frais.

- Aujourd'hui, je veux évaluer ton lien avec ton pokémon, déclara sèchement la déesse-mère alors qu'elles se réunissaient dans la caverne la plus spacieuse. Je te défie en combat singulier.

Lamia l'observa, les sourcils froncés. Tout le monde connaissait la répugnance qu'elle avait à utiliser Manaphy lors d'un combat, lui préférant nettement ses propres pouvoirs, tout aussi puissant. La créature bleue se tenait déjà à côté d'elle quand la fille d'Eve fit signe à Registeel de la rejoindre.

Héra ne lui laissa même pas le temps de réfléchir à une quelconque stratégie. Elle ordonna d'entrée un premier Vibraqua, que le Golem, trop lent, encaissa de plein fouet. La force de l'onde aquatique le sonna si violemment qu'il tituba, incapable de se concentrer. Si en apparence, l'attaque ne lui avait pratiquement causé aucun dégât, celles qu'il reçut ensuite alors qu'il tentait de recouvrer ses esprits le meurtrirent quelque peu.

- Registeel, ne te laisse pas faire. Rayon Chargé !

Le prince des mers était beaucoup trop vif pour être atteint aussi aisément. Plutôt qu'un simple duel pokémon, c'était une véritable lutte sans merci qui s'était engagée entre les deux femmes. Les prunelles métalliques de Lamia ne quittaient pas le beau visage halé, entouré de somptueux cheveux noirs, d'Héra, qui lui jetait des regards assassins.

Un vague gigantesque, provoquée par Surf, déferla sur la salle et heurta aussi bien la jeune légendaire que son pokémon. Si Registeel planta ses pattes puissantes dans la roche pour résister, Lamia fut projetée vers l'arrière jusqu'à se cogner contre lui. Détrempée, elle s'ébroua méchamment.

- Tête de Fer !

Manaphy n'eut aucun mal à esquiver. Le Golem était encore à un mètre de lui lorsqu'il commença à se mouvoir. Sa force physique et sa robustesse, qui s'avérait souvent être un atout, le lésait en de telles circonstances. Il n'arriverait jamais à toucher un adversaire aussi souple et agile que le sien.

- Verrouillage ! ordonna Lamia, car il s'agissait de sa seule chance.

Le temps pour Registeel de se concentrait sur sa cible, cette dernière cracha un Laser-Glace dans sa direction. Son corps, entièrement composé d'acier, se recouvrit d'une fine couche de givre qui le paralysa. Il était incapable de bouger, désormais, pas même pour lever ses pattes et lancer le Rayon Chargé que sa maîtresse aurait souhaité le voir exécuter.

Les lèvres d'Héra se tordirent en un rictus machiavélique quand sa masse, réduite à l'impuissante, fut soulevée par une attaque Psyko de Manaphy, sans que cela nécessite de sa part le moindre effort. D'un mouvement des iris, il projeta le Golem contre la paroi rocailleuse, dans leur dos, où il s'encastra. Plusieurs pierres se décrochèrent suite au choc pour rebondir sur son crâne solide.

Le choc avait été d'autant plus puissant que son poids colossal en avait doublé les effets. Lamia voulut se précipiter vers son pokémon qui, à nouveau sonné, peinait à revenir vers lui, mais son adversaire lui ordonna de rester immobile.

- Le combat n'est pas terminé, cracha Héra d'un ton mauvais.
- Même s'il sort de là, il ne sera sans doute plus en état de se battre, il...
- Toi, tu es encore debout. Manaphy, Pouvoir Antique !

Les rochers écroulés se soulevèrent pour converger tous ensemble vers la fille d'Eve, qui se protégea le visage de ses poignets, parés de bracelets métalliques. Elle tenta de résister du mieux qu'elle put contre les pierres en lévitation, mais la force de celles-ci eurent raison de sa détermination. Elle ploya et bascula à la renverse.

Endolorie, elle cligna des yeux à deux reprises, puis repoussa les minéraux abattus sur son corps. Héra était penchée au-dessus d'elle, le regard mauvais. Elle usait vraisemblablement de ses pouvoirs, car Lamia sentait un fluide magique parcourir son être et elle ne parvenait même plus à esquisser le moindre mouvement.

- Tu as réussi à protéger ce joli minois, il semblerait. Tu ne tiens pas à l'abîmer, n'est-ce pas ? Parce que tu es jeune ? Parce que tu es belle ? Parce que tu continues de vieillir avant de, comme nous, te figer dans le temps ? Que se passerait-il, s'il venait à être écorché ? Crois-tu que quiconque attarderait encore son regard sur toi ?

Le bras de la jeune légendaire échappa à son emprise et se souleva contre son gré, pour rapprocher dangereusement sa main de son visage. Lorsqu'elle prit conscience de l'idée d'Héra, ses ongles n'étaient plus qu'à quelques centimètres de sa joue, qu'ils s'apprêtaient à lacérer.

- Pourquoi ? lâcha-t-elle, parfaitement maîtresse d'elle-même. Pourquoi me faites-vous subir cela ?
- Tu apprendras bien vite, et à tes dépends, que si je suis la femme la plus importante au sein de la Confrérie, il y a une raison. J'ai obtenu ce titre grâce à mon mariage avec mon frère, mais si je le conserve, c'est uniquement grâce à mes efforts. Je ne laisserai pas une enfant comme toi prendre ma place. Quoi que tu tentes pour me nuire, tu perdras.

Lamia se concentra. Elle ne cédait jamais à la panique, ce qui se révélait être un atout en un tel instant. Elle fixa son esprit sur ses doigts et tenta d'en reprendre le contrôle. Cela nécessita une énergie mentale considérable, mais elle réussit à interrompre leur progression juste avant qu'ils ne frôlent sa peau. Il lui fallut une minute supplémentaire pour arriver à se libérer totalement de l'enchantement.

Elle se redressa, éprouvée, et puisa dans ses dernières forces pour se projeter sur le côté, afin d'échapper au sortilège qu'Héra venait de jeter dans sa direction. Elle n'eut pas autant de chance la seconde fois. Un rayon pourpre la heurta en pleine poitrine et elle eut l'impression que des milliers d'aiguilles s'enfonçaient dans son corps en même temps.

Elle craignit un instant que sa souffrance ne la rende folle, mais une fois encore, elle résista. Elle ne cédait pas à la douleur, pas plus qu'à l'angoisse. La déesse-mère la frappa derechef, ce qui la contraignit à s'effondrer à ses pieds, dont elle lui asséna un coup en plein visage.

La lèvre enflée, le nez en sang, Lamia essaya de répliquer, en vain. Elle était à des lieues de posséder un niveau similaire à celui d'Aphrodite et, bien que sa rivale ne soit pas une guerrière, un siècle de plus qu'elle avait suffi à la rôder.

- Rampe devant moi, car c'est là qu'est ta place, pesta Héra. Tu penses être mon égale ? Tu as tout faux.

Elle la frappa aux cervicales alors que la fille d'Eve s'apprêtait à se redresser en prenant appui sur ses coudes, mais ceux-ci ployèrent sous elle. Son adversaire fit appel à sa magie pour lui infliger de nouveaux maux et elle dut se recroqueviller sur le sol pierreux, meurtris.

Comme tous les légendaires, elle se régénérait très vite, mais Héra ne lui en laissait pas le temps. Elle était étendue par terre, à sa merci, et la femme aurait tout aussi bien pu l'achever en cet instant si une voix ne l'avait pas interrompue.

- Puis-je savoir ce qui se passe ici ?

La vision de Lamia était floue et elle-même demeurait encore sonnée, si bien qu'elle n'identifia pas immédiatement la silhouette d'Athéna lorsque celle-ci pénétra dans son champ de vision. Les deux divinités se jaugèrent du regard un instant, avant que sa belle-mère ne réplique :

- J'ai voulu lui enseigner l'art du combat pokémon, mais elle ne dispose hélas d'aucun talent dans ce domaine, pas plus que dans un autre, d'ailleurs.
- Le combat pokémon ? Et c'est pour cette raison qu'elle est dans cet état ? interrogea l'humaine de Jirachi, suspicieuse.
- Un regrettable accident. Je m'apprêtais justement à la guérir et...
- Vous en avez suffisamment fait pour aujourd'hui, Héra. Je crois qu'il serait préférable que vous vous retiriez.

Il n'y avait pas qu'envers Lamia que l'épouse de Zeus éprouvait une jalousie farouche. Elle détestait également Athéna, car si quelqu'un pouvait prétendre à posséder un rang équivalent au sien, il s'agissait bien d'elle. Dotée d'une puissance incomparable et fille du dieu des dieux, Héra elle-même aurait été tenue de s'incliner devant elle si elle l'avait exigé. L'intéressée était cependant trop modeste pour cela.

La fille d'Eve s'assit laborieusement sur son séant. Tous ses muscles la tiraillaient, elle qui avait pourtant l'habitude de les utiliser afin de se rompre au combat. Athéna l'aida à se mettre debout, pendant que sa belle-mère quittait la salle, mais sitôt que Lamia tint sur ses deux jambes, elle la repoussa brutalement.

- Je n'ai pas besoin de vous, rétorqua-t-elle. Je n'ai besoin de personne. Au moins, quand je suis seule, je n'attire ni les foudres, ni les faveurs de quiconque.

Sur ces mots emplis de haine, elle tourna les talons à son tour. Ses poings se crispèrent si fort que les veines de ses bras saillirent. Elle avait refusé d'être le jouet de Zeus et il était encore moins question qu'elle devienne le souffre-douleur d'Héra.

***
- Lamia, attends !
- Ne m'approchez pas ! Vous en avez suffisamment fait ainsi.

Elle tourna rageusement les talons pour échapper à Zeus, qui obstruait le passage dans le tunnel qu'elle suivait jusqu'à présent. Elle n'eut pas le temps de s'éloigner qu'il l'attrapa par le coude. Elle retint une grimace de douleur : les blessures magiques causées par Héra mettaient du temps à s'estomper, plus qu'un mal physique ordinaire.

- Votre femme a failli me tuer. Que vous faut-il de plus ?
- Tu n'allais pas mourir, Lamia. Il en faut davantage pour détruire des êtres tels que nous. Qui plus est, Arceus le lui ferait payer chèrement si elle attentait à ta vie.
- Oh, excusez-moi, je n'avais pas compris que son objectif était uniquement de me torturer. J'ai vu dans son regard qu'elle n'en avait pas terminé avec moi. Elle a l'intention de faire de mon existence un enfer.
- Et elle y parviendra. Héra a beaucoup d'influence, personne ne s'interposera entre elle et ce qu'elle souhaite faire.
- Est-ce votre glorieuse façon de me réconforter ? rétorqua Lamia.
- Personne, sauf moi. Je peux la tenir à l'écart. Je peux la contraindre à te laisser tranquille. Par contre, tu devras me donner satisfaction, en échange.
- Vous donner satisfaction ? Si je désire échapper à la souffrance qu'elle a l'intention de m'infliger, ce n'est pas pour m'en imposer une autre forme.

Elle tenta de se dégager de la prise de Zeus, en vain. Celui-ci raffermit sa prise sur son coude, ce qui lui fit encore plus mal. Elle figea néanmoins ses traits afin qu'il n'ait pas conscience de la douleur qu'elle endurait par sa faute.

- Héra est extrêmement vindicative. Puisqu'elle t'a visiblement désignée en tant que rivale, tu as tout à craindre d'elle, y compris le pire.
- Qu'elle me tue ? Je ne la laisserai pas faire sans lutter.
- Non, mais elle peut frapper là où cela fait le plus mal. Tu ne tiens pas à ce qu'il arrive malheur à tes parents, n'est-ce pas ?
- Vous... Athéna m'a dit que jamais vous ne cesseriez de les protéger, même si je refusais de céder à vos avances. Comment votre fille peut-elle se méprendre à ce point sur votre vilénie ?
- Que de courroux... Laisser Adam et Eve à la merci des Renégats n'est pas mon dessein. Rien, cependant, ne l'empêchera d'en faire le sien si elle sait que cela te frappera au coeur.

Zeus fit remonter sa main le long du bras de Lamia, qui s'était figée. Elle avait blêmi tandis qu'il prononçait ses paroles et était si choquée qu'elle ne prêta aucune attention à ses doigts, qui caressaient désormais sa nuque. Il s'était rapproché d'elle, elle pouvait sentir son souffle chaud sur sa peau.

- Tu n'as qu'un mot à dire, un seul, et je te jure de protéger tes parents coûte que coûte, d'Héra ou de quiconque. Si j'assure leur sécurité, Lilith elle-même ne pourra rien contre eux. Alors ?
- Vous me le promettez ? Sur votre honneur ? s'enquit la jeune légendaire, la voix rauque.
- Absolument.

Elle se dégoûtait du chantage ignoble auquel elle s'apprêtait à céder, néanmoins ses parents ne lui pardonneraient jamais de les mettre en danger à cause de son orgueil, qui la poussait à résister au dieu des dieux. A contrecoeur, presque nauséeuse, elle murmura :

- D'accord. Disposez de moi. Faites ce que vous voulez, mais préservez la vie de ma famille.

***
Lamia porta une main à ses lèvres. Les humains légendaires étaient incapables de vomir, pourtant elle se sentait presque sur le point d'y parvenir. Elle éprouvait la même répulsion à chaque fois que Zeus posait ses mains rugueuse sur elle, qu'elle devait subir leurs tâtonnements pénibles sur l'ensemble de son corps.

Elle ne pouvait pas davantage pleurer. Si tel avait été le cas, un ruisseau de larmes aurait certainement dévalé ses joues en cet instant. Sa fierté et son orgueil avait volé en éclats à l'instant même où la bouche du maître de la foudre avait frôlé son épiderme pour la première fois, qui datait déjà de plusieurs semaines.

Sa loyauté envers ses parents plus que l'assurance de sa propre sécurité face à Héra la contraignait à ce genre de bassesse. Elle n'avait pas l'impression d'être la maîtresse de Zeus, mais son objet, son esclave. Il ne se souciait jamais de ses émotions, si bien qu'elle avait appris à les faire disparaître totalement pour n'afficher plus qu'un masque de glace.

Sans cette capacité à maîtriser le moindre de ses sentiments, elle lui aurait sûrement craché au visage à chaque fois qu'il l'avait conviée à rejoindre sa couche. Au ton qu'il employait dès qu'il émettait cette requête, il paraissait lui accorder un honneur immense. Pour Lamia, ce n'était qu'une tâche morbide et répugnante à accomplir.

- Il y a encore quelque chose que j'attends de toi, annonça Zeus après qu'il ait à nouveau abusé d'elle.

La jeune légendaire ne comptait plus le nombre d'exigences qu'il lui avait soumis depuis le début de leur liaison, qui n'était d'ailleurs un secret pour personne dans la Cave d'Hadès. Elle fut néanmoins surprise. Après tout ce qu'elle lui avait déjà accordé à contrecoeur, il en souhaitait davantage ?

- Dis-moi que je ne sers pas qu'un pantin dans mes bras. Que tu n'aies pas qu'une ombre, une chimère fugace qui disparait dès que je desserre mon étreinte. Je veux te l'entendre dire, Lamia. Dis-moi que tu m'aimes.

Comme elle lui tournait le dos, à ce moment-là, assise à l'extrémité des multiples soieries qui composaient sa couche nuptiale, elle se permit de porter une main à son front, qui dissimula ses yeux désespérément vides de la moindre lueur. Elle ne pouvait pas se permettre de contrarier le dieu des dieux.

Autrefois, elle ne s'en serait pas privée, mais à présent, elle avait peur de lui. Il était suffisamment fourbe pour rompre sa promesse si elle ne lui donnait pas entière satisfaction. En dépit des propos tenus par Athéna, elle n'avait pas la moindre confiance en lui.

- L'amour n'est pas qu'un mot, et je n'en ferai pas celui de trop... souffla-t-elle dans un murmure. Il y a des centaines, sûrement des milliers de façons de prouver que l'on tient à quelqu'un. Une simple formulation n'est rien à côté de cela.
- Alors démontre-le-moi, car j'ai pour l'heure l'impression de ne tenir contre moi qu'un fantôme.

"Non, ta catin. Ton jouet." songea amèrement Lamia et une bile acide afflua dans sa bouche. Si cela n'avait pas risqué de provoquer de graves répercussions sur la Confrérie, voire l'univers tout entier, elle aurait volontiers tué Zeus à l'instant même. Si elle agissait de la sorte, toutefois, elle se retrouverait seule contre tous, et ses parents deviendraient livrés à leur sort. Elle devait rester de glace. D'acier. A l'instar de Registeel.

- Allons, tu peux disposer. Je crois que tu m'as suffisamment comblé pour aujourd'hui.

Elle se leva, sans un mot. Il la traitait sans le moindre respect, comme le Caninos qu'elle était devenue, un chien servile qui se roulait à ses pieds sans aucune dignité. Elle rajusta la fine armure qui recouvrait son corps, mais qui ne savait pas la protéger des doigts moites du dieu lorsqu'il désirait voir ce qui se dissimulait en-dessous.

D'ordinaire, il la congédiait rarement après si peu de temps passé en sa compagnie, mais ce jour-là était exceptionnel. Arceus, après avoir voyagé dans les cieux pendant de longs mois, pour s'éloigner de cette terre et de ces humains qui l'exaspéraient tant, était de retour. Zeus était pressé de retrouver le pokémon auquel il était lié.

Lamia s'apprêtait à disparaître hors de son champ de vision lorsqu'il la rappela. Morne, elle revint sur ses pas et se soumit à nouveau à son regard, qui la détaillait de la tête aux pieds. Avec un sourire, il déclara :

- La dernière fois qu'il t'a vue, tu venais à peine de naître. Sois sublime.
- Etre sublime ou être moi-même ? Etre ta maîtresse ou être Lamia ? Les deux sont incompatibles. J'ai toujours pensé que je te plaisais pour celle que j'étais, mais en fait, la seule chose que tu aimes, c'est ce que tu peux faire de moi.
- Que dois-je entendre par là ? interrogea Zeus, les sourcils froncés.

Elle ne répondit pas. Elle avait déjà été trop loin. Avec le retour imminent d'Arceus, elle ferait mieux de se tenir à sa place. Où était-elle, cependant ? Ici, à satisfaire le maître de la foudre ? Auprès de ses parents pour lesquels elle s'avilissait ? Elle n'en était pas convaincue. Elle n'était pas une légendaire comme les autres, mais était-ce réellement le sort qui l'attendait ? Etre manipulée par la volonté de son entourage ?

***
- Lamia ? appela doucement une voix. Lamia ?

Elle était assise sur le sommet de la Grotte Origine, qui renfermait la Cave d'Hadès. La tête penchée vers l'arrière, elle contemplait la voûte céleste au-dessus d'elle. Elle avait beau compter parmi la Confrérie, autrement dit les êtres les plus puissants de la galaxie, elle se sentait minuscule face à une telle immensité.

Les étoiles scintillaient et la lumière blafarde de la lune recouvrait sa peau d'un halo argenté, assorti à celui de sa cuirasse. Elle ne détourna pas son regard de l'éther, même lorsqu'Aphrodite vint prendre place à côté d'elle.

- Tu n'es pas venue saluer Arceus.

Ce n'était pas une question, mais une affirmation. A l'expression qui se lisait sur les traits de la Beauté, elle n'en semblait pas le moins du monde surprise. Elle passa un bras autour des épaules de Lamia, qui s'autorisa enfin à poser les yeux sur elle.

- J'ignore toujours quel est le don que tu renfermes, mais je suis convaincue d'une chose : cette vie-là n'est pas pour toi. Tu vaux beaucoup mieux que cela.
- Je ne comprends pas... Pourquoi me dites-vous cela ?
- Tes parents sont probablement les êtres les plus égoïstes que j'ai rencontré. Tu te prostitues pour eux et ils ne t'accordent pas la moindre reconnaissance, comme si ceci leur était acquis parce que tu es leur fille.
- N'est-ce pas le cas ?
- Non. Tu es peut-être la chair de leur chair, mais cela n'excuse pas tout. Les liens du sang n'ont aucune valeur, chez nous. Apollon et Artémis en sont la preuve vivante.
- Ce n'est pas vraiment comparable. Ils sont jumeaux spirituellement, tout comme Poséïdon, Hadès, Zeus et Héra sont frères et soeurs. Moi, c'est différent. Je suis liée à eux irrémédiablement, plus encore qu'à mon pokémon. Dame Aphrodite, vous avez toujours servi la cause d'Arceus et des siens. Pourquoi tenir aujourd'hui des propos qui pourraient vous apporter grand tort ?
- Crois-tu que je serve Arceus par choix ? Non, c'est par défaut. Notre situation est plus manichéenne qu'il n'y parait, du moins à ses yeux. Pour lui, il y a son camp et celui de Lilith. Il n'y en a pas d'autre. Si nous ne sommes pas avec lui, nous sommes contre lui, et j'imagine que tu n'es pas sans connaître la persécution incessante qu'il fait subir aux Renégats. Moi-même, je les combats. Lorsque je m'éloigne, le plus souvent, c'est pour traquer Scathach. Je reste par défaut, parce que je suis contre eux. Que faire d'autre ?

Lamia fut contrainte d'approuver ses propos. Si elle se séparait de la Confrérie pour emprunter une voie solitaire, les Renégats prendraient l'ascendant sur elle et n'aurait aucun mal à la vaincre. A l'instar de tous, y compris de ses propres parents, elle demeurait par soucis de sécurité, mais également de convictions communes.

- En revanche, personne, pas même Arceus, ne me poussera à agir d'une façon que je désapprouve et je trouve cela ignoble que Zeus t'y oblige.
- Se comporterait-il de la sorte si j'étais l'une d'entre vous ? Si j'étais votre égale ?

Aphrodite ouvrit la bouche pour répondre, mais la referma aussitôt car des bruits de pas précipités l'interrompirent. Un pied sûr escaladait la surface rocheuse de la Grotte Origine pour les y rejoindre. Elles tournèrent toutes les deux la tête en direction de bruit pour voir apparaître Athéna.

- Lamia, tu dois partir. Tout de suite !
- Que se passe-t-il ? Qu'est-ce que...
- Zeus vient de te trahir. Héra a réclamé ta tête à Arceus afin de rétablir son honneur et il est d'accord avec cette mesure radicale.
- Quoi ? C'est votre père, enfin ! N'y a-t-il rien que vous puissiez faire pour...
- Je suis navrée de devoir t'apprendre cela et tu risques fort de très mal le prendre, mais la dernière fois que je me suis dressée contre un jugement d'Arceus, c'était pour tenter d'épargner Lilith et les Renégats. Mon intervention n'a eu aucun effet. Tout ce que je peux pour toi, en cet instant, c'est t'aider à t'échapper.
- Pour aller où ? Et où est Registeel ? Je ne partirai pas sans lui.
- Janus a été l'avertir, il t'attend sûrement devant l'accès aux souterrains d'Hadès. Gagne une autre région et cache-toi dans un endroit où il ne viendra jamais te chercher.
- Comment le pourrais-je ? C'est l'Alpha, il me retrouvera.
- Les Renégats y arrivent, eux.
- Croyez-vous que je ne suis pas tombée suffisamment bas au cours de ces dernières semaines ? rétorqua Lamia, en colère. Voulez-vous me réduire au rang de fugitive, au même titre que ces gens qui en veulent à mes parents, uniquement parce qu'ils existent ?
- Pas uniquement parce qu'ils existent. Parce qu'Arceus a béni leur union, mais pas celle de Lilith avec Giratina. Là n'est pas l'important, de toute manière. Tu dois quitter la Cave d'Hadès avant que quelqu'un ne décide de te conduire à lui.

Athéna empoigna le bras de la jeune légendaire d'une main ferme et la souleva avec une facilité déconcertante, en dépit de son absence totale de musculature. Aphrodite bondit sur ses pieds avec grâce, pour fusiller la déesse du regard.

- J'espère que vous êtes satisfaite. Pourquoi ne vous faites-vous jamais entendre ? Vous en avez le pouvoir et vous êtes plus juste que la Confrérie réunie.
- Moi ? Juste ? Si je l'avais vraiment été, je L'aurais laissée accomplir sa tâche plutôt que la combattre afin de satisfaire la volonté d'Arceus.

Aphrodite frissonna à Son allusion, mais Lamia ne cilla même pas. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Elle ignorait tout de Némésis, dont plus personne ne prononçait le nom depuis son bannissement aux ruines Sinjoh.

- Dépêche-toi ! ordonna Athéna en se faisant plus pressante.
- C'est de la folie, je n'ai nulle part où aller ! Et mes parents, que...
- Je veillerai sur eux, je t'en fais le serment.
- Pourquoi me promettre une telle chose ?
- Parce que je m'en veux de ne pouvoir faire davantage. Aphrodite ?

La Beauté, plutôt que de leur emboîter le pas, était restée figée. Ses longs cheveux, à l'apparence aussi dorée et onirique que les fins rayons du soleil, voletaient autour de son sublime visage. Ses traits, néanmoins, étaient déformés par la rage.

- Vous me répugnez, Athéna. Vous, Zeus, Arceus... Y a-t-il un seul humain légendaire qui valent quelque chose ? Les Renégats, au moins, ont su utilisé leur voix, même si c'était pour semer le mal. Vous, vous vous réduisez au silence et vous courbez l'échine. Vous n'aimez pas vous battre, pourtant la justice n'en vaut-elle pas à peine ?
- Personne ne vous retient ici, Aphrodite. Quittez donc la Confrérie, si vous n'en êtes pas ravie. Pourquoi restez-vous ? Parce que, comme nous tous, vous avez désespérément besoin d'appartenir à une cause, or vous êtes trop honnête pour rejoindre celle de vos ennemis. Vous n'accepterez jamais de servir la femme à laquelle Satan est dévoué corps et âme.

La divinité ne releva pas. Lamia ne comprenait pas un traitre mot de la conversation, cependant elle devina qu'Athéna l'avait piquée au vif. Ses joues s'empourprèrent légèrement sous le coup de la colère, avant qu'elle ne lui tourne le dos. La fille de Zeus n'insista pas et reprit sa progression.

- Pourquoi tant de haine ? interrogea la jeune légendaire alors qu'elles revenaient dans les longs tunnels creusés par Groudon. Ne sommes-nous pas censés être l'élite ?
- Si, bien sûr. C'est la raison pour laquelle nos erreurs sont monumentales. Tu...

Athéna s'interrompit. Des bruits de pas approchaient en sens inverse et il était trop tard pour songer à battre en retraite. Blafarde, elle regarda Poséïdon apparaître au détour d'un boyau. Dans son dos, Lamia avala péniblement sa salive. D'après ce qu'elle avait compris, il était là pour elle. Il allait la conduire à Arceus.

- Chère nièce, puis-je savoir où tu avais l'intention de l'emmener ?
- Je... Euh...
- Ne recommence pas. La dernière fois déjà, tu as tenté d'aider les Renégats à échapper au jugement d'Arceus. Il n'est pas question que tu te comportes de la même façon.
- La situation n'a rien de comparable. Lamia n'a trahi personne, elle ne menace aucun équilibre et elle est loyale à notre cause, elle...
- S'il veut la voir, il la verra. Conduis-la à la Cave immédiatement.

Athéna marqua une brève hésitation, contrairement à Lamia qui fit un pas en avant. La déesse ouvrit des yeux ronds en constatant son geste, mais il était trop tard. Elle ne put la retenir.

- Ne fais pas cela ! chuchota-t-elle.
- Je n'ai pas peur. Je vais affronter Arceus, Héra et surtout Zeus. S'il y a un coupable, dans cette histoire, c'est bien lui.
- Crois-tu qu'il condamnera son propre humain ? Tu cours à ta perte. Je peux retenir Poséïdon et te permettre de fuir.
- Quelles en seraient les conséquences pour vous, dame Athéna ?
- Personne n'osera jamais s'en prendre à moi, pas même l'Alpha. Je n'ai rien à craindre
- Ecoutez, je n'ai pas tout compris de votre conversation avec Aphrodite, mais je suis convaincue qu'elle a raison sur un point. Vous avez le pouvoir de réparer les torts. Servez-vous en. Utilisez votre voix.

Athéna ne répondit pas tout de suite. Le temps qu'elle s'accorda pour réfléchir fut celui qu'ils mirent pour rallier la Cave d'Hadès. Lamia s'attendait à la voir grouiller de monde, or elle était pratiquement déserte. Seuls Arceus, Zeus, Héra, ses parents et leur pokémon respectifs s'y trouvaient. Tous les autres avaient dû être congédiés.

Poséïdon plaqua ses deux mains sur les épaules de la jeune légendaire et la força à s'agenouiller aux pattes du Créateur. Sitôt qu'elle parvint à échapper à son étreinte de titan, elle se releva d'un bond, le regard méprisant.

Elle ne gardait de l'Alpha qu'un vague souvenir, mais il n'était guère différent dans la réalité, avec sa soyeuse fourrure blanche et ses anneaux dorés. Il ne lui faisait pas peur, pas plus que quiconque. Sa volonté était telle, en cet instant, qu'elle se sentait capable de soulever des montagnes.

- Tu n'as plus besoin de ta catin, Zeus ? Elle ne te convient plus ? Qui sera la prochaine à partager ta couche ? Volupté ? Inari ?

Arceus rugit si violemment que son souffle la poussa vers l'arrière d'un bon mètre. Apparemment, il appréciait encore moins que quiconque l'arrogance dont elle faisait naturellement preuve à chaque fois qu'elle s'exprimait.

- Silence ! Tu ne seras autorisée à me répondre qu'au moment où je te donnerai la parole, et sur un autre ton.
- Elle n'en aura pas besoin, coupa sèchement Athéna. C'est moi qui vais la défendre.
- Allons, ma fille, aurais-tu perdu l'esprit ? gronda Zeus. Je t'ai déjà dit, il me semble, de ne pas te mêler de...
- Je n'interférerai pas sans le désir de m'assurer que justice soit équitablement rendue. Que reproche-t-on à Lamia ?
- Cette petite traînée m'a déshonorée, affirma aussitôt Héra, catégorique. Elle a séduit mon époux jusqu'à devenir sa maîtresse, afin d'assouvir son ambition.
- Ma seule ambition est de...
- Lamia ! la réprimanda Athéna. Tais-toi. Je m'en charge. Elle a toujours refusé toute relation avec mon père. Tante, tout ceci est arrivé à cause de ton attitude. Elle a cédé aux avances de Zeus le jour où tu as tenté de la tuer, car il lui avait promis de la préserver de ton courroux.
- Mensonge ! Cette séviper sournoise lui tournait déjà autour depuis bien longtemps.
- C'est faux, c'est lui qui...
- Lamia, qu'est-ce que j'ai dit ! J'ai la preuve irréfutable que ton argument ne dispose d'aucun fondement logique.
- Et quel est cette preuve ? s'enquit Héra avec un sourire mauvais.
- Elle réside dans son don. Il m'a fallu du temps pour étayer mes théories, mais à présent, il n'y a plus de doute. Elle possède un coeur d'acier. Ses émotions ne la dominent pas, elle en est la parfaite maîtresse et elle sait les refouler de façon à ce qu'elles ne forment jamais un obstacle à sa raison. C'est une capacité que nous devrions tous avoir, d'ailleurs. Elle nous guiderait sur le chemin de l'équité.
- Touchant plaidoyer, Athéna, mais cela ne résout en rien notre affaire. Elle a eu des rapports intimes avec mon mari, de façon illégitime puisque ce droit m'appartient, en tant qu'épouse. Arceus, je te demande de la châtier en conséquence, sans quoi je me verrai dans l'obligation de la tuer.
- Personne ne tuera personne. Vous êtes essentiels à l'équilibre de ce monde et la mort des Renégats, lorsqu'elle surviendra, lui causera suffisamment de torts ainsi sans avoir besoin d'en allonger la liste. En revanche, tu as raison sur un point, Héra. Elle mérite d'être punie.
- As-tu retenu le moindre mot de mes propos ? protesta Athéna. Lamia n'y est strictement pour rien. Elle n'avait pas l'ambition de remplacer quiconque. Son unique souhait est de protéger ses parents.

La réaction d'Arceus tarda. Il lui fallut plusieurs minutes de réflexion avant de se tourner vers Adam et Eve, qui se tenaient en léger retrait, aussi livides l'un que l'autre. Lorsque son regard croisa le leur, ils frissonnèrent.

- Aviez-vous connaissance de tout cela ? demanda-t-il.
- Cette relation n'est un secret pour personne, ici, bredouilla la femme. Nous sommes cependant étrangers à la débauche à laquelle Lamia s'est livrée. Soyez certain, Arceus, que nous déplorons son attitude. Nos plus profonds respects vont à dame Héra, évidemment. Le comportement dont elle a fait preuve est inqualifiable et nous nous rangerons à votre jugement. Nous vous présentons encore nos plus plates excuses, mais cette enfant est incontrôlable.
- Quoi ? s'époumona l'intéressée et même Athéna, d'ordinaire si calme, laissa échapper un cri offusqué. Mère ! Comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu...
- Tu nous as profondément déçue, Lamia. A partir d'aujourd'hui, et à jamais, tu n'es plus notre fille, lâcha Adam d'un ton grave.

Leur visage n'exprimait pas la moindre émotion. Aphrodite avait raison : il s'agissait des pires égoïstes au monde, plus encore que ces humains que les légendaires méprisaient tant. Ils n'hésitaient pas à la sacrifier, à la jeter au devant de sa sentence, uniquement pour ne pas encore le moindre danger.

- Arceus, tu...
- Silence, Athéna. J'ai été suffisamment généreux en te laissant t'exprimer, mais tu n'as aucun droit, ni aucune autorité. Il n'y a qu'un Alpha et c'est moi. Tu n'as pas à interférer dans mes idées, ni dans mes décisions. Lamia, en vertu de ma toute-puissance, je te condamne à l'exil. Tu seras emprisonnée pour le restant de tes jours... aux ruines Sinjoh.

Un murmure désapprobateur parcourut l'ensemble des personnes présentes dans la pièce. Zeus murmura quelque chose, que seul le Créateur put entendre. Pour toute réponse, il secoua la tête d'un air rassurant, avant d'ajouter :

- Elle restera à la surface. Un simple sortilège suffiront à appliquer les scellés à sa personne, sans les détourner d'Elle pour autant.

Lamia ne comprit strictement rien, sauf que Poséïdon et Hadès, qui venait de rejoindre son frère dans son dos, la saisirent chacun par un bras pour l'entraîner vers la sortie. Elle ne chercha pas à se débattre : ils étaient bien trop robustes pour elle. D'un simple geste, ils étaient capables de lui briser les os.

Elle tourna la tête par-dessus son épaule, le regard mauvais, en direction de ses parents. Ils n'affichaient pas le moindre regret, ils ne semblaient même pas se sentir coupables du sort auquel ils l'avaient condamnée par pur égocentrisme.

- Je me vengerai ! s'écria-t-elle. Ni votre ordonnance, ni vos scellés ne me retiendront captive éternellement. Je reviendrai et je vous le ferai payer ! A vous tous ! Et si je n'y parviens pas, je souhaite de tout mon coeur que Lilith réchappe un jour de sa prison et qu'elle accomplisse sa vendetta, car elle servira mes desseins. Mère, père, je comprends à présent mieux pourquoi elle désirait vos têtes. Puisse-t-elle les obtenir !

Arceus poussa un rugissement de rage avant que Lamia ne soit traînée pour de bon hors de la Cave. La main d'Eve se crispa automatiquement sur celle de son mari, qui s'était figé comme une statue de cire. Ni l'un ni l'autre n'aimait entendre prononcer le nom de leur ennemie de toujours.

Athéna fusilla l'Alpha des yeux, puis tourna rageusement les talons pour disparaître derrière la large porte qui donnait sur les entrailles de la grotte. Ses pieds martelaient le sol de pierre avec colère à chacun de ses pas.

***
- Aphrodite est partie, annonça Horus.
- Partie ? Vraiment ? A-t-elle dit quelque chose ? interrogea précipitamment la fille de Zeus.
- Lorsque Rayquaza l'a rattrapée, alors qu'elle s'éloignait déjà au large avec Sulfura, elle a simplement affirmé qu'elle avait besoin d'être seule et de quitter un temps la Confrérie. Que se passe-t-il, Athéna ?
- Je crois que notre communauté aura subi autant de bouleversement ce soir que lors du schisme provoqué par les Renégats. La situation évolue et je crains que nous ne devions en faire de même si nous souhaitons voir l'équilibre perdurer.
- Tu m'effraies à chaque fois que tu t'exprimes de la sorte. Est-ce à cause du retour d'Arceus ?
- En quelque sorte.

La déesse se mit en devoir de lui relater tous les événements qui s'étaient produits un peu plus tôt dans la Cave d'Hadès. A la fin de son récit, Horus ouvrit des yeux ronds et son visage afficha une expression choquée.

- Comment Adam et Eve ont-ils pu se comporter de la sorte ? Comment Zeus lui-même...

Il s'interrompit en secouant la tête de gauche à droite, l'air penaud. Il ouvrit ensuite la bouche à deux reprises, comme pour s'exprimer, mais il la referma aussitôt sans avoir pris le temps de prononcer le moindre mot.

- Qu'est-ce que tu n'oses pas me dire ? interrogea Athéna d'une voix douce.
- Les légendaires parlent. Ils parlent beaucoup. Personne ne t'apprécie parce que tu es trop... trop neutre. Ce n'est pas un reproche que je te fais, simplement je ne comprends pas ce qui te pousse à rester en retrait quand tu as le pouvoir d'éviter toutes ces injustices. Peut-être que si, déjà, tu avais agi il y a un siècle de cela, les Renégats n'en seraient pas là aujourd'hui, pas plus que Lamia. Elle ne mérite pas le sort auquel elle vient d'être condamnée.
- J'ai prêté serment, Horus. J'ai donné ma parole à mon père, ainsi qu'à Arceus, que ma loyauté se tournerait toujours vers eux.
- A une autre époque, peut-être, mais les temps ont changé.
- Je ne crois pas qu'une promesse puisse être brisée, quelque soit le nombre d'années écoulées ou l'évolution des circonstances, hélas. Si je m'abaissais à le faire, je ne vaudrais pas mieux que ce que je leur reproche, or ils ne sont plus un exemple à suivre, contrairement à autrefois.

Athéna baissa à son tour les yeux, les traits emprunts d'une profonde tristesse. Un silence profond s'abattit entre eux, durant lequel elle se perdit dans ses pensées, avant de le briser pour murmurer :

- Si tu l'avais vue... Si tu avais vu Lamia, tout à l'heure... Pendant un instant, j'ai eu l'impression d'être de retour aux Colonnes Lances, le jour où Arceus a banni Lilith. Elle a proféré des menaces presque identiques à son encontre, ainsi qu'à celle de ses propres parents. Elle a même mentionné son nom, d'ailleurs.
- La pauvre enfant, je la comprends. Cela n'a jamais été simple pour moi, depuis la mort de ma mère, mais être trahie ainsi par la sienne, ouvertement... Bien que je n'approuve pas la vengeance, je peux en comprendre sa soif.
- Horus... souffla Athéna au bout d'un moment. Je crains qu'aujourd'hui, les agissements d'Arceus ne nous aient condamnés, nous autres légendaires, à une guerre sans merci entre ses partisans et les autres. Il n'est pas question que nous regardions la Confrérie courir à sa perte. Tu sais ce qu'il te reste à faire.

***
- Arceus !

Les portes de la Cave d'Hadès s'ouvrirent à la volée pour permettre à Athéna d'en franchir le seuil. L'Alpha, en pleine méditation, lévitait à quelques mètres du sol. Le halo immaculé qui encerclait ses anneaux dorés disparut au moment même où il entrouvrit une paupière afin de la fixer.

- Si tu reviens, je suppose que ton courroux s'est atténué. Le ton que tu emploies me laisse pourtant penser le contraire.
- Et tu as raison. Je t'en veux, Arceus. Souviens-toi de ce que nous avions convenu : si j'enfermais Némésis aux ruines Sinjoh, c'était à la condition que tu continues à perpétrer une justice aussi équitable que la sienne, pas que tu remplisses le temple de tous ceux qui vous déplairont, à toi, Zeus ou Héra.
- Je n'ai pas le choix, Athéna. C'est beaucoup trop risqué de laisser libre des personnes qui peuvent représenter une menace à mon secret. Tu m'as juré de le protéger. De la protéger. Changerais-tu d'avis, à présent ?
- Non. Tu sais très bien que sa vie m'importe autant qu'à toi. Je ne tiens pas à ce qu'il lui arrive malheur, mais ce n'est pas en persécutant tous tes ennemis que...
- Si, justement. Si jamais quiconque découvre son existence, cela viendra jusqu'aux oreilles des Renégats et ils s'empresseront de la tuer, uniquement pour se venger de ce que j'ai infligé à Lilith.
- Je ne les laisserai jamais faire, tu le sais bien. Lamia, cependant, ne représentait pas une menace, ni pour elle, ni pour toi. Pourquoi l'avoir exilée ? Tu deviens paranoïaque, Arceus. Tu vois le mal partout.
- C'est parce qu'il est partout. Je ne peux faire confiance à personne. Aphrodite en est la preuve vivante. Zeus m'a rapportée qu'elle était proche de Lamia et, comme par hasard, elle a disparu depuis que j'ai prononcé sa sentence.
- Sulfura a repéré la trace de Scathach, mentit précipitamment Athéna. Il n'y a aucune trahison dans son absence, elle s'est seulement lancée à sa poursuite. C'est ce que tu veux, non ? Que tes sbires te rapportent la tête des Renégats ?
- Il n'est pas seulement question d'elle. Depuis un moment déjà, j'éprouve de nombreux doutes à l'égard de Darkrai. Il m'a assuré qu'il n'avait rien à voir avec les partisans de Lilith, pourtant je suis convaincu qu'il sait où est Satan et qu'il refuse de me le dire. Il continue à prétendre qu'il a coupé leur lien grâce à un sortilège.
- C'est son humain, tu ne peux lui en vouloir de...
- Un humain qui a comploté contre moi, et je suis presque sûr désormais que Darkrai était de connivence avec eux tous. Lorsque je parviendrais à le prouver, il le payera de sa vie, exactement comme chacun d'entre eux.

Athéna ne releva pas. Depuis le début, elle savait le rôle que le pokémon noirtotal et Inari avaient joué dans la fronde, néanmoins elle n'en avait jamais soufflé le moindre mot à quiconque, pas même à ses proches. Elle cherchait à les protéger, même si elle devinait parfaitement qu'ils communiquaient des informations aux Renégats. Elle ne tenait pas à ce qu'aucun d'entre eux ne meure. Contrairement à Arceus, elle était réellement soucieuse de l'équilibre.

- Ne recommence jamais cela, Athéna, murmura-t-il et son souffle chaud parvint jusqu'à ses cheveux d'ébène, qu'il agita légèrement. Ne prends plus leur défense et ne t'oppose plus à moi. Je ne te le pardonnerai pas.
- Tu n'es pas le seul. Moi non plus, je ne te pardonnerai jamais ce qui vient de se passer. Ni à toi, ni à mon père. C'est la raison de ma présence ici : je suis venue te dire adieu.
- Adieu ? Comment cela ?
- Aujourd'hui plus que jamais, j'ai été tenté de briser ma promesse, parce qu'aucun d'entre vous n'est capable de tenir la sienne. En cela, je respecte Lilith, elle n'a qu'une parole, ce qui est loin d'être ton cas. Tu m'avais juré d'être juste, mais tu m'as menti dans le seul but que je serve tes desseins et que j'affronte Némésis. Ce que j'ai vu tout à l'heure était tout, sauf juste. Je ne veux pas risquer de mettre un jour la vie de Pandore en danger, uniquement parce que tu m'auras poussée à bout. Si je ne t'avais pas fait allégeance il y a des décennies de cela, je t'aurais déjà tourné le dos, Arceus. Au lieu de cela, je me contente simplement de partir. Il n'est pas question que je reste une minute de plus sous ton joug égoïste.
- Tu n'as pas le droit ! gronda-t-il. Ton père...
- Ne me parle pas de mon père. Pas maintenant. Tu sais mieux que quiconque à quel point je suis pacifique, mais si tu abordes ce sujet, je suis capable de me mettre vraiment en colère. Ne cherche pas à me défier, Arceus. Je tiendrai mon serment car j'aime beaucoup Pandore, mais toi, tu as perdu mon respect et mon amitié. Seule ma promesse te permet de conserver ma loyauté.
- Je t'interdis de quitter la Cave d'Hadès ! Tu ne peux pas...
- Nous savons l'un comme l'autre que tu ne te dresseras pas en travers de ma route, alors pourquoi discuter ? Je prendrai soin d'elle, tâche d'en faire de même avec l'équilibre du monde.

L'Alpha frappa violemment le sol de ses pattes, ce qui fit trembler l'intégralité de la caverne. Athéna ne se retourna pas. Il était temps pour elle de prendre son envol plutôt que d'assister, impuissante, à ces injustices dont elle était en partie responsable. Moins d'une heure plus tard, Janus, Célébi, Prométhée, Ho-Oh, Crios, Regice, Horus, Rayquaza, Hercule et Regigigas avaient tous quitté Hoenn afin de la suivre.