Tranchodon Je n'avais pas perdu de temps. Dès qu'un des sous-fifres du major Lancargot m'a informé de la mort de ce dernier, tué par le groupe de Paxen dans une sorte d'ancien vestige hérétique, j'ai fait mander sur le champ un transport pour me rendre au plus vite à Koruuki, la cité-forteresse qui était le siège de commandement du Général Légionair. Toute cette histoire commençait à m'échapper. Jamais quelque rebelles en fuite n'auraient dû vaincre la moitié d'une cohorte à eux seuls. Et cette histoire de ruines, et d'objet que ces Paxen voulaient dérober à Sa Majesté l'Empereur... Il y avait clairement beaucoup de choses que j'ignorai. Lancargot était probablement mort pour elles. Je ne pouvais plus demeurer dans l'ignorance, quitte à déranger mon seul et unique supérieur hiérarchique, le Général Légionair, commandant suprême de l'Armée Impériale, et l'une des Cinq Etoiles de l'Empire.
Mon vaisseau de transport léger se posa sur la passerelle de la plus haute tour de la ville, là où le général régnait en maître. Sa garde rapprochée m'accueillie : toute une flopée de Pokemon Acier surentraînés, les meilleurs de tout l'Empire. Ils me saluèrent respectueusement, mais ne m'encadrèrent pas moins. Je ne dis rien. J'étais chez le général, ici. Il avait le droit de m'accueillir comme il le désirait. Puis je savais que le Général Légionair n'a jamais manqué une occasion de montrer sa puissance à ceux qu'il recevait. C'était quelque chose que je respectais.
Sa garde m'amena jusque dans ses quartiers, mais n'entra pas avec moi, comme pour me signifier que de toute façon, même si j'avais dans l'idée d'agresser le général, je me ferai détruire en moins de temps qu'il faut pour le dire ; ce qui était sans doute vrai d'ailleurs. Le Général Légionair possédait le titre de soldat le plus puissant de tout l'Empire, et le plus puissant des Cinq Etoiles. Il n'y avait que l'Empereur et sa Trigarde Impériale pour le dépasser en force. Dès que la porte fut ouverte, et avant même de faire un pas, je m'inclinai respectueusement. Un geste auquel je n'étais pas habitué, mais qui prenait tout son sens face au commandant suprême de l'Armée Impériale.
- Général Légionair, Votre Excellence ! Dis-je avec force et clarté.
Une voix métallique et croassante résonna dans la pièce sombre.
- Tranchodon. Tu viens rarement me voir, mon ami. Entre donc.
Je me relevai et entrai avec reconnaissance, tandis que la porte derrière moi se ferma. Les appartements du général étaient très carrés et ordonnés, mais sans fioriture. Le général était un militaire depuis des décennies ; il n'avait que faire du luxe et de la richesse. Mais il y avait aussi beaucoup de bases de données dans ses quartiers ; le général était un Pokemon qui aimait rester cultivé.
Il était là, regardant son domaine par la fenêtre. Le Général Légionair était le seul Pokemon connu de son espèce. Il était l'évolution d'Airmure. Mais jamais aucun Airmure à part lui n'avait réussi à évoluer, et personne ne savait quelles étaient les conditions. Le général ne l'avait jamais dit à personne. Comme un Airmure, il était un grand oiseau de proie en métal. Mais son armure, plus sombre et plus épaisse que celle de sa pré-évolution, était réputée indestructible. Il avait un pelage sombre qui ressortait au niveau du poitrail. Ses ailes en lames de rasoirs étaient rouges sang. Il avait trois queues au lieu d'une seule, et enfin, sa tête était telle un casque, avec crinière rouge à l'arrière et un heaume rabaissé au devant.
Parmi les Cinq Etoiles de l'Empire, il était le dernier arrivé. Forcément, car les quatre autres étaient tous des contemporains de l'époque de l'Empereur et du Seigneur Xanthos, durant la Guerre de Renaissance. Seul le commandant suprême de l'Armée Impériale changeait couramment. Sa Majesté l'Empereur choisissait toujours le Pokemon le plus fort de l'Empire. Et cela, ça pouvait changer au gré de chacun. Il y avait toujours eu un Pokemon pour en détrôner un autre. Mais Légionair, lui, gouvernait l'armée depuis maintenant soixante ans. Un record. C'était à dire qu'aucun Pokemon n'a réussi à le vaincre et prendre sa place durant tout ce temps. Moi-même, si j'étais certes ambitieux, je n'avais aucun désir de défier le général, car, aussi fort que j'étais, je savais très bien que je n'aurai aucune chance.
- Approche, colonel, me dit le général. Regarde cela.
Il appuya du bout de son aile sur un bouton d'allumage d'un des nombreux hologrammes qu'il gardait chez lui. Celui-ci montrait un tableau, qui représentait un... machin. Je ne pouvais pas être plus précis. Je n'étais pas spécialement un grand amateur d'art, mais ça, ça ressemblait clairement à de l'art humain.
- Sais-tu ce que c'est ? Me demanda le général.
- Un quelconque tableau humain, Votre Excellence ?
- Un quelconque ? Il est tout sauf quelconque. C'est un Drivalno de 2451. Ambryo Drivalno était un célèbre peintre de l'Empire Lunaris. L'art abstrait, voilà sa spécialité. Abstrait certes, mais il arrivait toujours à mettre en lumière l'irréel en réel. Ainsi, sur cette œuvre ci, nous pouvons admirer une représentation spectaculaire du légendaire Artikodin.
Je retins un soupir. Je ne m'intéressais pas plus à l'art humain qu'aux anciens Pokemon Légendaires de jadis. L'un comme l'autre étaient des sujets interdits, dans l'Empire. Tabous. Hérétiques. Mais le général était à part. S'il étudiait l'art humain, c'était pour étudier les humains en eux-mêmes. Apprenez leur art, et vous apprendrez comment fonctionne leur race, disait-il. Or, même si dans leur grande majorité, les humains étaient soumis dans l'Empire Pokemonis, il n'en était pas de même dans les pays rivaux, comme l'Empire Lunaris, où les humains gouvernaient encore. Si étudier des tableaux pouvait amener le Général Légionair à vaincre l'Empire Lunaris une fois pour toute, eh bien, ainsi soit-il, mais qu'il ne compte pas sur lui pour faire de même.
- Mon général, fis-je enfin. Peut-être le savez-vous déjà, mais... le Major Lancargot a péri, ainsi qu'une grande partie de sa cohorte.
- Ah ? Non, je l'ignorai encore. Triste chose. Un Pokemon plein de potentiel.
- Mon général... Excellence... Il avait sous ses ordres une cohorte entière et trois skippers ! L'ennemi était quelques Paxen. Comment cela est-il possible ?!
- Comme d'ordinaire, tu sous-estimes trop les Paxen, Tranchodon. Ils compensent leur faiblesse apparente grâce à un esprit remarquable. Mais en l'occurrence, là, il y avait Solaris as Vriff. Tu dois avoir appris qui était cette humaine ?
- J'ai cherché, oui... L'une des six Fondateurs des Paxen.
- C'est vrai, mais pas seulement. C'est une personne qui a participé à la longue Guerre de Renaissance du coté des humains. Elle fut plus vieille encore que notre Seigneur Xanthos. Son ADN est un mélange entre celui d'un humain et celui d'un Pokemon, et dans son âme loge celle de Dracoraure, un Pokemon unique en son genre, qu'on pourrait qualifier de légendaire. De fait, Solaris possède une vaste gamme d'attaques Pokemon, dont beaucoup de Dragon. En dépit de son âge, elle reste une adversaire redoutable. En réalité, je n'escomptais pas que Lancargot puisse la vaincre. Je voulais seulement qu'il la suive à la trace, elle et ses compagnons. En provoquant le combat, il devait sûrement avoir une bonne raison.
- La... suivre ? Répétai-je, incertain. Il m'a dit que vous vouliez qu'elle meure rapidement !
- Oui, je le voulais, mais d'abord, je voulais savoir où elle allait.
- Est-ce que cela a un rapport avec... un objet appartenant à l'Empereur que ces Paxen veulent s'approprier ?
Légionair m'observa attentivement, comme s'il réfléchissait au degré de confidence qu'il pouvait m'accorder.
- Tu sais mon ami, je te fais confiance. Tu as beau être souvent irréfléchi, prompt aux décisions drastiques et à la confrontation directe, je n'ai aucun doute sur ta loyauté. Mais en l'occurrence, si j'en ai parlé à Lancargot et pas à toi, c'est que le sujet est très sensible. Mais comme Lancargot a de toute évidence échoué dans la mission que je lui ai confiée, je vais m'en remettre à toi pour la suite.
Le général se déplaça, et alla chercher quelque chose dans son bric-à-brac d'objets artistiques de toute époque et de toute race qu'il gardait exposés. Il en revint avec un objet métallique entre son bec, qu'il laissa tomber dans mes mains. C'était une simple boule, rouge et blanche, avec un bouton au milieu. Je l'ouvrais, mais il n'y avait rien à l'intérieur.
- Sais-tu ce qu'est cela, colonel ? Me demanda le général.
- Non, je le crains, Excellence.
- Cet objet est, vois-tu, l'ancien signe de domination de la race humaine sur la nôtre, avant la Guerre de Renaissance. C'est avec ceci que les humains nous contrôlaient.
Je manquai lâcher l'infect objet de dégout, comme si j'allais être contaminé. J'avais en effet entendu dire qu'avant l'arrivée du Seigneur Xanthos, les humains dominaient les Pokemon. C'était une rumeur dont on parlait en silence, car tout ce qui est arrivé avant le Seigneur Xanthos était nul et non avenu aux yeux de l'Empire, et en parler était considéré comme une hérésie.
- Mais... Excellence... posséder un tel objet est un blasphème !
Légionair ricana.
- Je ne partage pas la vision de Sa Majesté l'Empereur sur le passé. Il voudrait totalement l'effacer, mais moi, je dis que c'est en apprenant le passé que l'on forge l'avenir.
Je tins ma langue. Contredire l'Empereur était un crime très grave, mais le Général Légionair était connu pour son excentricité notoire. L'Empereur lui pardonnait cela car Légionair était irremplaçable sur le champ de bataille.
- Cette boule se nomme Pokeball, continua le général. Jadis, les humains les fabriquaient en série. Grâce à elles, ils nous capturaient, et nous enfermaient dedans. Nous étions alors liés à eux, comme un maître et son esclave. Ils nous utilisaient dans des combats, pour leur amusement. Des siècles et des siècles passés à lutter contre notre propre race pour le bon vouloir des humains. Mais il y a six cent ans, le Seigneur Xanthos est arrivé. Tu connais la suite, bien sûr ?
Je hochai la tête. Bien sûr que je la connaissais. On apprenait ça à tous les jeunes Pokemon depuis le début de l'Empire. Mais le général avait l'air de vouloir l'entendre de ma bouche, aussi dis-je :
- Le Seigneur Xanthos et son compagnon Pokemon, Sa Majesté l'Empereur, défièrent le régime des humains. Ils soulevèrent les masses des Pokemon, leur apprirent à se battre contre les humains. Finalement, le Seigneur Xanthos donna le Fragment d'Eternité à tous les Pokemon du monde, ce qui nous accorda intelligence et vitalité. Nous parvinrent à nous libérer des humains et à les conquérir grâce à ça.
Je récitai comme on récitait une leçon, mais, tout haut placé que je fus, je ne savais toujours pas ce que pouvait être le fameux Fragment d'Eternité. La légende instaurée autour du Seigneur Xanthos veut que ce soit le fragment d'une puissance incommensurable que le Seigneur Protecteur parvint à trouver et à maîtriser. Il en fit don à tous les Pokemon existant sur Terre, le partageant en part égale. C'est depuis ça que nous autres Pokemon avons appris à parler le langage humain, et à s'approprier leur mode de vie et leur technologie. Depuis, également, les Pokemon vivaient bien plus longtemps. Quant au Seigneur Xanthos, il conserva une partie de ce grand pouvoir pour lui-même, afin de se rendre immortel et tout puissant, l'égal d'un dieu. C'était la version la plus rependue, la plus acceptée.
- Oui, c'est à peu près ça, acquiesça le général. En version réduite bien sûr. Au début, certains humains, des amis ou des admirateurs du Seigneur Xanthos, étaient de notre coté. L'on dit que l'un d'entre eux vivrait encore aujourd'hui. Un grand allié du Seigneur Xanthos, auquel il a fait don d'une partie du Fragment d'Eternité pour le rendre immortel comme lui.
- Je n'ai pas connaissance de ces dires là, Votre Excellence, fis-je.
En vérité, l'idée même qu'un humain autre que le Seigneur Xanthos puisse posséder ce pouvoir me rendait malade. Il fallait déjà que je supporte ces arrogants G-Man quand j'étais à la capitale. Des abominations à mes yeux, mais Sa Majesté leur trouvait quelque utilité...
- Moi non plus. Je ne fais part que de rumeurs. On parle beaucoup, à la cour impériale. Enfin, ce n'est pas ça qui est important. Le fait est qu'au début de sa révolution, le Seigneur Xanthos était un dresseur de Pokemon. Il était de ceux qui se servaient des Pokeball pour dominer les Pokemon. À ceci près que lui n'en avait qu'un seul : notre Majesté l'Empereur. Ils se disaient amis, frères, égaux, mais le Seigneur Xanthos était au dessus, car il contrôlait indirectement l'Empereur avec sa Pokeball. Il existe un moyen pour un humain de libérer un Pokemon qu'il a capturé. Mais Xanthos ne l'a jamais fait par la suite. L'Empereur a continué, et continue aujourd'hui même, à être lié à une de ces Pokeball que tu tiens. À ce qu'on sait, il doit être le seul de tout l'Empire.
J'en fus horrifié. Sa Majesté l'Empereur, lui qui a libéré ses pairs il y a si longtemps, encore enchaîné par le souvenir de l'esclavage des humains ?
- Et c'est... ce serait donc la Pokeball de l'Empereur que les Paxen rechercheraient ? Demandai-je.
- Tout le porte à croire, en effet, acquiesça le général.
- Mais pourquoi ? Que peuvent-ils en faire ?
- Lié comme il est à sa Pokeball, l'Empereur n'est pas libre, expliqua Légionair. Si quelqu'un venait à utiliser sa Pokeball contre lui, Sa Majesté ne pourrait que se faire emprisonner dedans. Et alors... eh bien, si les Paxen en vinrent à détruire la Pokeball en question alors que l'Empereur se trouve dedans... même lui n'y survivra pas.
- Impossible ! Grondai-je. L'Empereur est éternel ! Ses pouvoirs sont au-delà de l'imagination commune !
- Tout comme ceux du Seigneur Xanthos, rappela le général. En dépit de tous ses pouvoirs et de son immortalité, il demeurait un humain, avec leur corps fragile. Il suffit d'endommager un peu le corps d'un humain pour que ce dernier meure. Et pour les Pokemon, s'ils sont prisonniers d'une Pokeball et que cette dernière et détruite, ils meurent aussi. Ceux sont les règles de nos races respectives. Même le Seigneur Xanthos et Sa Majesté l'Empereur n'ont pas pu les changer.
J'en tremblai de rage et d'indignation.
- Les Paxen... Ils veulent... Ils veulent attenter à la vie de Sa Majesté ?! Comment... Comment osent-ils ?!
Légionair parut s'amuser de ma colère.
- Ça a toujours été leur but, Tranchodon. Il n'y a rien de surprenant. Enfin, même s'ils arrivaient à mettre la main sur la Pokeball de l'Empereur, encore faut-il qu'ils arrivent à l'enfermer dedans. Très peu de chance. Toutefois, Sa Majesté a décidé avec sagesse qu'elle ne devait plus craindre cette situation. Vois-tu, le Paxen qui est avec eux, Tannis Chalk... il aurait appris de la bouche même du Seigneur Xanthos avant sa mort où se trouvait la Pokeball en question.
J'en demeurai coi.
- Mais... pourquoi ? Pourquoi le Seigneur Xanthos aurait-il dit cela aux traitres qui l'ont assassiné ?
- Dis-moi, colonel. Es-tu loyal envers Sa Majesté l'Empereur, ou envers Xanthos ?
Cela ressemblait à une question piège. Normalement, il n'y aurait pas eu à répondre. Etre loyal à un signifiait forcément être loyal à l'autre. Mais je saisis au ton du général qu'il attendait une réelle réponse de ma part.
- Le Seigneur Xanthos est une figure de légende, fis-je avec prudence. Notre peuple le vénèrera toujours pour ce qu'il a fait pour nous. Mais actuellement, c'est Sa Majesté l'Empereur qui gouverne. C'est un Pokemon, comme nous. C'est à lui que doit aller notre dévouement premier.
- Je suis ravi de te l'entendre dire, commenta le général. Car ce que tu vas entendre de ma bouche va un peu te perturber, je pense.
Alors, le Général Légionair me dit la vérité. La vérité sur la bataille de Balmeros, là où le Seigneur Xanthos avait perdu la vie.
- Sa... Sa Majesté l'Empereur... a trahi le Seigneur Xanthos ?!
- Les douces illusions servent souvent a cacher les cruelles vérités, dit Légionair avec sagesse. Nos Seigneurs Protecteurs nous ont montré l'illusion qu'ils s'entendaient à merveille, qu'ils étaient complémentaires. Mais la vérité était tout autre. Depuis plusieurs années, ils se méfiaient l'un de l'autre. C'est compréhensible, après tout. Ils ont régné ensemble depuis si longtemps, ce qui est déjà en soi un miracle, mais il arrive un moment où le siège du maître suprême ne convient plus à deux personnes à la fois. Des divergences d'opinion sont apparues, puis de la méfiance, et enfin de la haine. Xanthos refusait de libérer l'Empereur de sa Pokeball, pour avoir une monnaie d'assurance contre lui. L'Empereur l'a très mal pris, et quand l'occasion s'est présenté, il s'est servit des Paxen pour se débarrasser du Seigneur Xanthos. Il en avait assez de devoir s'associer à un humain pour régner sur un empire de Pokemon. Et il avait des soutiens. Trois des Cinq Etoiles Impériales ont conspiré avec lui.
Je levai la tête.
- V-vous... mon général ?
- Non, pas moi. Mais je n'ai rien fait pour les empêcher. Je ne voulais pas me mouiller, en vérité. Je ne voulais pas devoir choisir entre Xanthos et Daecheron. Qu'ils règlent leurs histoires entre eux. Et c'est ce qu'ils ont fait. L'Empereur a attiré Xanthos dans un piège et l'a attaqué en traître pendant qu'il combattait les Paxen. En contrepartie, Xanthos, avant de mourir, a révélé l'emplacement de la Pokeball de l'Empereur aux Paxen, pour qu'ils puissent le venger.
Le général ne me quitta pas des yeux, guettant la moindre de mes réactions.
- Qu'est-ce que ça te fait, de savoir cela, Tranchodon ?
Je tâchai de faire le point sur mes sentiments. Tout cela me bouleversait, bien sûr. Mais au final, c'était ce que l'Empereur avait décidé. En mon for intérieur, et malgré ma vénération pour le Seigneur Xanthos, j'ai toujours trouvé bizarre et même dérangeant qu'un humain puisse nous gouverner. Le temps du Seigneur Xanthos était passé. Il nous avait certes libéré des humains et nous avait accordé savoir et longévité. Mais... il n'en restait pas moins un humain.
- Ça ne me fait rien, dis-je enfin avec sincérité. Si pour la gloire et la prospérité de l'Empire, nous devons nous couper de tous les humains, même du Seigneur Xanthos, eh bien, ainsi soit-il. Je reste loyal à Sa Majesté l'Empereur.
- Et c'est tout à ton honneur, en tant que Pokemon. Si tu veux mon avis, nous autre soldats, nous n'avons pas à nous soucier des questions philosophiques de race et d'idéal. Nous suivons les ordres. Et celui qui donne les ordres, en l'occurrence, c'est Sa Majesté. Ceci dit, je sais qu'il y a de nombreux Pokemon qui étaient plus loyaux envers Xanthos que l'Empereur. Aussi, pour éviter un schisme fâcheux dans l'armée, je tiens à ce que tu gardes pour toi ce que je t'ai raconté. Tiens-toi en à la version officielle, à savoir : le Seigneur Xanthos et l'Empereur étaient les meilleurs amis du monde. Xanthos a été odieusement tué par les Paxen, et l'Empereur veut venger sa mort et faire prévaloir la justice. C'est clair ?
- Très clair, mon général, acquiesçai-je.
Je comprenais les craintes de Son Excellence. Si le peuple venait à apprendre la vérité, qui pourrait prédire ce qui allait se passer ? Ce serait la guerre civile, entre d'un coté, les partisans de l'Empereur, et de l'autre ceux de Xanthos. Même dans l'armée, nombreux sont ceux qui ne jurent que par le Seigneur Xanthos. Mon second Pandarbare par exemple. S'ils apprenaient que leur dieu a été trahi par l'Empereur, ce serait une mutinerie à grande échelle. Impensable. L'ordre devait régner pour la gloire de l'Empire ! Tant pis si on devait sacrifier le souvenir du Seigneur Xanthos.
- Je crois qu'à terme, Sa Majesté a prévu de faire oublier le Seigneur Protecteur, reprit Légionair. Beaucoup de choses sont passées dans l'oubli pour le commun des Pokemon. Le Seigneur Xanthos sera l'une d'entre elles. On vénèrera de moins en moins son nom, jusqu'à l'oublier comme nous avons oublié les Pokemon Légendaires. Et dans quelques siècles, l'idée même d'avoir pu vénérer un humain nous semblera absurde. L'Empereur sera le seul à être vénéré, le seul à avoir sauvé les Pokemon des humains. Car il est l'Empereur, et c'est lui qui décide de l'Histoire.
- Je comprends, assurai-je.
Légionair retourna observer le dehors derrière sa fenêtre. Toute la ville de Koruuki, qui comptait près de 200.000 soldats Pokemon, tous vénérant le général. Ils seraient rentrés en guerre contre l'Empereur s'il leur avait demandé. Sa Majesté avait de la chance d'avoir un commandant suprême si loyal.
- Les temps changent, colonel, murmura le général. Il faut s'accrocher pour le suivre. Ceux qui restent derrière, comme les Paxen, seront écrasés. Il est probable que dans pas très longtemps, les humains aient totalement disparu de l'Empire.
- Ce n'est pas un mal, mon général, fis-je avec certitude. Nous pouvons nous en passer.
- Vraiment ? Comme esclaves, oui, sans doute. Mais comme ennemis ? Comme bouc émissaires ? Les Paxen nous ont été pratique, Tranchodon. Ils nous ont permis d'unir tous les Pokemon loyalistes en un seul bloc, qu'ils soient pro-Xanthos ou pro-Empereur. Mais une fois que les Paxen auront disparu, nous n'aurons plus d'ennemi commun. Nous sommes des centaines de races de Pokemon différentes. Tout nous divise. Les humains eux n'ont jamais eu ce problème, même avant la Guerre de Renaissance. Il y avait certes des peuples différents, des pays différents, des religions différentes, mais ils formaient tous une seule et même race : l'humanité. Ce n'est pas notre cas, à nous Pokemon. L'Empire Lunaris pourra nous servir d'ennemi et de point de rassemblement pour un temps, mais quand Pokemonis aura conquit la totalité du globe, je pressens qu'on retournera à nos vieilles habitudes d'avant la Guerre de Renaissance : le rassemblement en plusieurs races distinctes, et l'affrontement. Même l'Empereur ne saurait empêcher cela. Grâce aux humains, nous faisions une distinction très simple : Pokemon d'un coté, humains de l'autre. Mais sans eux, Arceus seul sait ce dont sera fait l'avenir...
Je me tus, ne sachant pas quoi répondre. Le général avait toujours été un grand penseur. Moi, je ne poussais pas la réflexion jusque là. Les Paxen étaient des ennemis, les humains étaient des indésirables. Il fallait donc que je les extermine tous les deux. C'était simple, et de plus, ça me plaisait. J'attendis que le général me donne ses ordres, ce qu'il fit :
- Sa Majesté veut que nous retrouvions sa Pokeball, et que nous la détruisions, pour que plus jamais personne ne songe à s'en servir contre lui, et qu'il soit enfin libre. Pour cela, tu as besoin de suivre les Paxen jusqu'à qu'ils l'aient retrouvée. Après quoi, je te laisse libre de t'en charger comme tu l'entends. Tu peux capturer Ludmila Chen pour la torturer toi-même si cela t'agrée, mais Solaris as Vriff doit mourir. Quant à ce Tannis Chalk, Sa Majesté le veut vivant.
- C'est entendu, Excellence.
- Pour ces objectifs là, je te donne carte blanche. Tu es libre de faire tout ce que tu veux pour les atteindre. L'Empereur lui-même se portera garant de toi.
Je me gonflai d'importance, ravi. Sa Majesté l'Empereur lui-même me faisait confiance. Le décevoir serait une faute impardonnable.
- Dès que cette affaire sera terminée, poursuivit Légionair, nous attaqueront la base des Paxen. Il ne fait plus grand doute de l'endroit où elle est cachée. Nous en finirons alors enfin avec ces traîtres, et l'Histoire pourra avancer là où le voudra Sa Majesté. Les humains demeureront comme un souvenir oublié de la Grande Histoire.
Se faisant, le général reprit dans son bec la Pokeball que je tenais toujours, et le referma d'un coup. Quand il le rouvrit, les fragments brisés de la boule de métal des humains retombèrent au sol.
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Image de Légionair :