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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 10/07/2015 à 11:46
» Dernière mise à jour le 10/07/2015 à 11:53

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 10 : You belong with me

You belong with me - Taylor Swift


Ce bonus prend place entre le chapitre 307 (fuite de la Cave d'Hadès) et le chapitre 311 (message d'Athéna).


Je regardai longuement mes mains, immobile dans la salle de bain où l'ampoule suspendue au plafond grésillait d'une façon agaçante. Elles étaient pleines de sang. Mes ongles paraissaient noirâtres, puisqu'il avait coagulé dessous. Je pourrais en effacer les traces, mais le souvenir, lui, perdurerait à jamais.

Avec ma paume, pourtant aussi crasseuse que le reste, j'ouvris le robinet. Un épais filet d'eau chaude s'écoula hors de la plomberie, sous lequel je m'empressai de passer mes avants-bras. Au contact de ma peau, elle rougissait avant de disparaître dans le siphon qui l'emportait vers les égouts.

C'était là sa place. Elle était souillée, exactement comme ma vie. Souillée par Njörd, par Zeus, à l'instar de tous ceux qu'ils avaient un jour approchés. Je pensais que leur mort me délivrerait, au lieu de cela, je n'en éprouvais pas le moindre soulagement. J'étais devenue une meurtrière, mais je n'étais pas libre pour autant.

La porte dans mon dos pivota sur ses gonds. L'espace d'un instant, je craignis qu'il ne s'agisse de Tina. Je n'avais aucune envie de lui parler. Elle allait me poser des questions, me sermonner, puis m'interroger à nouveau. J'étais bien au-dessus de ces enfantillages, désormais. Circé avait fait de moi une demi-légendaire.

Une brève expression de soulagement transparut sur mes traits lorsque je constatai qu'il ne s'agissait que de Lamia. Suite à la bataille qui avait fait rage à la Cave d'Hadès, elle était encore plus échevelée que moi, bien que nous ayons réussi l'exploit d'un formidable travail d'équipe.

- Je suis venue voir comment tu te sentais, déclara-t-elle simplement, les mains dans le dos.

Je ne me retournai pas. Je la voyais très bien de là où j'étais grâce au miroir placé devant moi. Elle-même pouvait distinguer le reflet de mon visage, qu'il lui renvoyait. Je paraissais fatiguée et c'était certainement le cas, pourtant je ne ressentais pas les symptômes de l'épuisement.

- Je vais bien, affirmai-je, catégorique.
- J'ai cru comprendre que... c'était la première fois que tu tuais quelqu'un, aujourd'hui. Tu peux m'en parler, si cela te perturbe. Je ne répéterai rien à quiconque.
- Je vais bien, je vous assure. Et il ne faut pas croire ce que les autres racontent. Ils ne savent pas tout.
- Vraiment ?
- Quand mes amis et moi avons combattu la Team Galaxie, il m'a fallu atteindre Emily. Des sbires me barraient la route, alors j'ai donné l'ordre à mes pokémon de les étrangler. Au début, j'ai fait des cauchemars, des nuits durant. Je voyais leur visage, je les entendais rendre leur dernier souffle, puis un jour, cela a cessé.
- Pourquoi ?
- Parce que j'ai compris que la mort était notre lot à tous. Même vous, vous n'en êtes pas à l'abri. Personne n'y échappe. Il suffit de voir Circé, Artémis...

Je me tus. En dire plus aurait été superflu. Lamia avait parfaitement saisi où je voulais en venir. C'était l'avantage, avec les légendaires : il n'y avait jamais besoin d'en révéler trop pour se faire comprendre. J'en avais fait l'expérience avec Circé et j'étais incapable de retrouver cette faculté chez les humains. Seuls Cassy et Sven la possédaient peut-être, ce qui n'avait rien d'étonnant lorsque l'on savait de qui ils étaient les disciples.

- Elle n'est pas rentrée ? demandai-je.

Songer à Cassy me rappela qu'elle avait été séparée de nous quand Athéna nous avait donné l'ordre d'évacuer la Cave d'Hadès. Je pensais qu'elle nous retrouverait plus tard, qu'elle était avec une autre divinité, mais tout le monde était revenu à l'Arène d'Ebénelle depuis une bonne heure, désormais.

- Non, je suis désolée. Ils s'inquiètent pour elle, en bas.
- Elle réapparaîtra. Elle est réapparait toujours.

Cassy et moi avions comme point commun de nous être tirées des situations les plus désespérées. Un contretemps l'avait sans doute retenue, mais elle allait revenir. J'en étais convaincue.

- Lamia ? appelai-je alors qu'elle s'apprêtait à quitter la salle de bain exiguë. Assassiner Zeus était votre souhait le plus cher, n'est-ce pas ? Vous sentez-vous... soulagée, à présent qu'il n'est plus ?
- C'est par rapport à Njörd que tu me poses cette question, n'est-ce pas ? Tu pensais que cela t'apaiserait de tuer les meurtriers de Circé ?
- En quelque sorte.
- Non. Non, je n'en éprouve aucun soulagement, ni même aucune satisfaction. J'ai seulement le sentiment que justice a été rendue. Pas toi ?
- Peut-être... Je ne sais pas... En tout cas, merci, Lamia. Pour cette conversation et... Pour le reste, aussi.

Elle m'adressa un sourire avenant dans le miroir, avant de tourner les talons. Je fermai le robinet, dont l'eau tiède ruisselait toujours le long de mes bras, et essuyai mon épiderme mouillé avec une serviette propre, suspendue à un crochet. Je quittai ensuite la pièce à mon tour.

J'étais à peine parvenue sur le palier du premier étage que j'entendis des bruits, au bas des escaliers. Je me précipitai pour aller voir et, depuis le haut des marches, j'aperçus Sven et Hitaki, qui se battaient avec violence au milieu du hall. Sans réfléchir une seconde, je dévalai les degrés quatre à quatre.

- Arrêtez ! tonnai-je. Cessez immédiatement de...

Je m'interrompis. Cela n'aurait servi à rien. Aux yeux de tout le monde ici, sauf peut-être de Cassy, j'étais encore la douce et gentille Léa. Personne n'avait la moindre idée d'à quel point j'avais changé. Personne ne connaissait celle que j'étais devenue en réalité.

- J'ai dit : cela suffit ! grondai-je en jetant une pokéball devant moi.

Florizarre apparut aussitôt, encore mal en point après les efforts que j'avais exigé de lui à la Cave d'Hadès. Il avait toutefois recouvré assez d'énergie pour attraper les deux jeunes hommes chacun par une jambe et les séparer, puisqu'ils refusaient visiblement de m'écouter.

- Que se passe-t-il ? interrogeai-je.
- Cet imbécile s'est mis à travers de mon chemin, pesta Sven.
- Je venais simplement à la cuisine chercher du café parce que Marion me l'a demandé, répliqua Hitaki. C'est lui qui m'a sauté dessus et...

Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase que son adversaire s'éloignait déjà en marmonnant quelque chose d'inaudible. Je fixai un instant le dos de son blouson en cuir noir en réfléchissant à ce qu'il convenait de faire. Finalement, je m'écriai :

- Sven, attends !

Il m'ignora totalement. Le contraire m'aurait étonné, puisque pour lui, je n'existais pas. Personne, en dehors de Cassy, n'existait à ses yeux. Sauf peut-être Marion, qu'il rêvait de tuer depuis le jour de leur rencontre.

Abandonnant Hitaki sans même songer à prononcer la moindre parole à son encontre, je me lançai à sa poursuite. Il marchait vite. Le temps pour moi de réagir, il avait déjà quitté le bâtiment de l'Arène et se dirigeait désormais vers l'Antre du Dragon. Je ne parvins pas à le rattraper avant qu'il ne pénètre à l'intérieur.

J'avais longtemps eu peur de lui, je l'avais haï, aussi. J'étais incapable de comprendre pourquoi Cassy s'obstinait à lui accorder sa confiance alors qu'il en semblait indigne. Il fallait croire que mon opinion, à mon image, avait également changé. A présent, je ne le redoutais plus. Je ne le détestais même plus.

Mes sentiments antipathiques à son égard avait disparu à l'instant où j'avais éprouvé ma première pulsion meurtrière, à l'égard de Zeus et de Njörd. J'avais toujours critiqué ses méthodes peu orthodoxes, convaincue que la mort n'était pas la solution à tout, mais ma soif de vengeance m'avait emmenée à agir exactement comme lui. Comment pourrais-je le juger, à présent ?

Il savait survivre, or c'était la seule chose qui comptait à l'heure actuelle. Vivre ou mourir. Tué ou être tué. Il n'hésitait pas, il ne se posait pas de question. Il fonçait, tête baissée, sans se demander s'il agissait d'une bonne ou d'une mauvaise façon, et il s'en sortait indemne à chaque fois. Le reste n'importait pas.

En cet instant, j'avais d'ailleurs l'impression d'être plus proche de lui que jamais. Nous étions devenus un peu semblable au fil du temps, mais aujourd'hui, nous avions un nouveau point commun. Un funeste point commun. Nous avions tous les deux perdus notre humaine légendaire. Personne, mieux que moi, ne pouvait comprendre ce qu'il ressentait, pas même Cassy.

Autrefois, je n'aurais jamais osé m'aventurer seule dans l'Antre du Dragon. Pas parce que j'avais peur des pokémon puissants que le lac recelait, mais parce que les légendaires y avaient élu domicile. Désormais, je me considérais grâce à Shaymin pratiquement comme leur égale, même si je savais qu'il y aurait du chemin à parcourir avec qu'ils ne me traitent véritablement comme l'une des leurs, en particulier Lilith.

Nul ne fit attention à moi lorsque je traversai le ponton rongé par la vermine. Ni elle, ni Inari, ni Satan, qui tenaient visiblement une sorte de conciliabule auquel ils n'avaient visiblement pas jugé bon de convier la Confrérie. Il fallait admettre qu'en l'absence de Cassy, il n'y avait personne pour faire la liaison entre les deux groupes. Seule Yohanna paraissait ne pas redouter les légendaires.

Je retrouvai Sven dans la cabane en ruine, de l'autre côté du lac souterrain. Il était assis sur une vieille couverture miteuse, le visage dans les mains. Son dos bougeait d'une façon presque imperceptible et j'en conclus qu'il pleurait. Je connaissais la sauvagerie de ses gestes, aussi je m'approchai doucement, afin de ne pas le brusquer. Il n'aimait pas qu'on soit trop près de lui.

Il sursauta lorsqu'il m'entendit m'accroupir à sa hauteur. Comme je l'avais deviné, des larmes coulaient le long de ses joues. Il tourna son visage dans la direction opposée au mien afin de me dissimuler ses yeux rougis.

- Tu n'as pas besoin de te cacher, dis-je simplement.
- Qu'est-ce que tu veux ? rétorqua-t-il d'un ton mauvais. Je ne t'ai rien demandé, alors laisse-moi tranquille.
- Tu vas ressentir un vide. Un vide immense au cours des premiers jours. Cela va durer une semaine, peut-être deux, puis tu te remettras à pratiquer son art. A ce moment-là, le trou que sa mort aura laissé en toi commencera à se combler un peu, jusqu'à devenir supportable. Malgré cela, tu continueras à porter sur tes épaules le chagrin que sa mort t'aura causé. Aujourd'hui encore, je ne m'en suis pas totalement relevée, et je crois que cela n'arrivera jamais.

A plusieurs reprises, je crus qu'il allait m'interrompre, mais il n'en fit rien. Au contraire, il m'écouta, presque avec une patience que je ne soupçonnais pas chez lui. A la fin, il daigna même tourner vers moi ses paupières gonflées, tandis que je sortais un mouchoir de ma poche pour le lui tendre.

- Merci, Léa.

C'était la première fois qu'il me nommait par mon prénom. D'ordinaire, il utilisait des appellations plus ou moins désagréable pour chacun d'entre nous et cela me fit tout drôle de l'entendre le prononcer. L'espace d'une seconde, j'eus l'impression d'écouter de nouvelles sonorités.

- Je sais que tu ne m'apprécies pas, mais si tu as besoin de parler, que ce soit d'elle ou de n'importe quoi, je suis là. Je ne te jugerai pas : j'ai déjà vécu la même chose.

J'hésitai à le toucher. Je ne m'étais jamais tenue aussi près de lui jusqu'à présent. Alors que j'étendais une main tremblante en direction de son épaule, je me ravisai au dernier moment. J'aurais tenté Darkrai en m'approchant davantage. Si quelqu'un avait le malheur de le frôler un peu trop, il rentrait dans une colère noire. Je n'étais pas à l'abri de cela, or je voulais tout sauf l'énerver. Il n'en avait pas besoin.

Je pensais que le retour de Cassy lui mettrait un baume au coeur, pourtant ce fut l'effet inverse qui se produisit. A chaque fois qu'il la voyait, il se renfrognait davantage. Je ne comprenais pas ce brutal changement dans son attitude à son égard. Il avait toujours été très attachée à elle, même s'il s'efforçait de le masquer.

Je continuai à lui rendre visite, de temps en temps, dans l'Antre du Dragon. Je n'aurais su dire pourquoi, mais c'était certainement parce qu'il me causait de la peine. Je n'aimais pas le voir dans cet état. Je ne me rappelai que trop bien mon émoi après la mort de Circé. S'il éprouvait la même chose, il était déconseillé de le laisser seul.

Le plus souvent, je restai à côté de lui, assise, sans prononcer le moindre mot. Nous pouvions tenir parfois plus d'une heure ainsi, avant que je ne l'abandonne à son sort car mes affaires m'appelaient ailleurs. Ce jour-là, pourtant, je décidai de faire la conversation. J'appréhendais le résultat.

- Tu devrais peut-être parler avec Cassy, suggérai-je. Je suis certaine que cela te soulagerait. Je comprends que tu ne veuilles pas te confier à moi, mais à elle... Vous devez bien partager des secrets, non ? Qui sait, elle pourrait sans doute te réconforter. Mieux que moi, en tout cas.
- Tu t'en sors très bien.
- Je...

Sa réponse me désempara. Je ne m'étais pas du tout attendu à une réaction aussi aimable. Prise de court, je mis quelque seconde à reprendre le fil de la discussion. Je secouai la tête, puis déclarai :

- Que se passe-t-il entre vous ? Avez-vous rompu ?
- Je... Pas vraiment. Je ne sais pas. Il est très difficile de définir ma relation avec Cassy.
- Essaye.
- Tu n'es qu'une gamine, Léa. Il y a des choses que tu ne peux pas comprendre.
- Qu'elle est une Succube et toi un Incube ? Je ne suis plus une enfant, Sven, je suis la nouvelle Maîtresse des poisons. Il serait temps qu'une personne, ne serait-ce qu'une seule, daigne bien l'admettre et me reconnaître en tant que tel.

Je m'aperçus que je venais de hausser la voix grâce à l'écho que me renvoyait les parois rocailleuses de la grotte. Rapidement, je me calmai. Je devais éviter de m'emporter de la sorte, cela ne menait nulle part.

J'observai longuement Sven. Il était blême et avait les traits tirés par la fatigue. Il ne dormait sans doute pas beaucoup. C'était un autre symptôme que je connaissais bien. J'avais passé maintes nuits blanches avant de me résoudre à prendre des infusions. Il faudrait que je songe à lui en préparer.

Il paraissait également en proie au doute, et je devinais aisément que ce sentiment n'avait rien à voir avec Artémis, mais plutôt avec Cassy. Le pauvre se posait sûrement de nombreuses questions. Au début, j'avais respecté sa décision de silence, mais je commençais de plus en plus à songer qu'elle devrait lui avouer la vérité au sujet de sa grossesse. Il méritait d'être au courant, d'autant que cela le concernait. Avec un peu de chance, la nouvelle l'aiderait à traverser cette mauvaise passe.

- Va voir Cassy, affirmai-je. Je suis convaincue qu'elle sera ravie de discuter avec toi. Tu sais, ce n'est pas facile pour elle non plus, en ce moment. Vous pourriez vous soutenir mutuellement.
- Nous soutenir mutuellement ? Qu'est-ce que tu crois ? C'est fini, ce temps-là. J'ai toujours aimé travailler en solo et elle n'a fait que me conforter dans cette optique. Elle ne m'adresse plus la parole, sauf quand elle a un service à me demander ou une mission à me confier. On ne... Bref. Il ne reste rien de ce qu'il pouvait y avoir un jour eu entre nous.
- Peut-être que si, mais tu ne le vois pas.
- Je l'ai demandée en mariage.

J'ouvris des yeux ronds, stupéfaite. Je ne le pensais absolument pas capable de tomber dans un tel cliché. Comment lui, Sven, qui passait son temps à rabaisser les émotions des autres, avait-il pu se résoudre à cela ?

- Et elle a dit non... murmurai-je.
- Elle a surtout souligné que son coeur était déjà pris. Je ne suis pas stupide. Je sais bien qu'elle est amoureuse de Sylvain. Elle l'a toujours été.

Je secouai la tête. A mon avis, il était dans l'erreur la plus totale. Cassy avait éprouvé des sentiments très forts à l'égard de son cousin depuis le début, elle l'avait sûrement aimé un temps, mais à présent, ce n'était plus le cas. Je la voyais et je l'observais. Contrairement à beaucoup, je n'étais pas dupe. Il y avait un lien particulièrement puissant entre Yohanna et elle, qui dépassait la simple amitié.

Je m'abstins toutefois d'en faire mention. Je l'appréciais beaucoup et je n'aurais pas souhaité que, dans un élan de jalousie meurtrière, Sven décide de lui faire du mal. Qui plus est, la nouvelle l'aurait certainement blessé davantage, alors autant lui laisser croire que c'était pour Sylvain que battait le coeur de Cassy.

- Expliquez-vous, dans ce cas. Jouez cartes sur table et...
- Sois gentille et garde tes conseils pour toi, d'accord ? Tu sais peut-être ce que j'éprouve à propos de la mort d'Artémis, mais en ce qui concerne mes relations intimes, je n'ai aucune leçon à recevoir de quelqu'un comme toi.
- Je vois.

J'étais vexée qu'il me traite de la sorte alors qu'il s'était presque montré affable jusqu'à présent ou, du moins, pas aussi agressif que de coutume. J'avais sans doute eu tort de songer que j'arriverais mieux à le cerner, en dépit de tout ce qui nous rapprochait désormais.

Je me levai sans ajouter un mot supplémentaire et quittai l'Antre du Dragon. Je me demandais comment il parvenait à rester ici, cerné par tous ces légendaires qui devaient lui rappeler Artémis. A sa place, je n'aurais pas pu. Il était visiblement beaucoup plus fort que je ne le soupçonnais. Même de sa part, c'était inattendu.

Je m'interrogeais. Latias viendrait-elle vers lui un jour, comme Shaymin l'avait fait pour moi ? C'était un cas particulier, puisque son type était différent des siens. Totalement opposés, même, si je me basais au glyphe psy. Je songeais toutefois que cela aurait pu l'aider à faire son deuil de côtoyer sa légendaire. En tout cas, cela avait fonctionné pour moi. Il avait comblé un fragment du vide qui m'habitait alors.

Malgré le ton sec sur lequel il m'avait parlé, je ne perdais pas l'espoir de le voir un jour se confier à moi. Le soir même, je lui apportai une potion destinée à lui faire recouvrer le sommeil. Au début, il refusa de la boire, mais il finit par céder devant mon insistance. Je réitérai ce rituel plusieurs jours de suite et, à chaque fois, je m'attardai de plus en plus en sa compagnie.

J'avais eu raison d'insister. Il commençait à s'ouvrir à moi. Il entamait la conversation sans que j'ai besoin de l'y contraindre et partageait parfois sa peine avec moi, qu'elle concerne l'indifférence nouvelle de Cassy ou la mort d'Artémis.

- Ce que je ne comprends pas, avoua-t-il dans un souffle, c'est que je n'éprouve aucun désir de vengeance. J'ai toujours aimé tuer, j'en retirais du plaisir et là, pour une fois que j'ai une bonne raison de le faire, je n'en ai... pas envie.
- C'est parce que tu es encore bouleversé. Tu es certainement incapable de te concentrer sur autre chose que sur ta propre douleur. Une fois que cette passe sera terminée, tu verras, tu ne songeras plus qu'à Apollon et au meilleur moyen de le détruire.
- Tu as ressenti cela, toi aussi ?

J'esquissa un sourire. Nous étions assis côte à côte, sur la rive du lac souterrain. Les dragons devaient dormir car seules les gouttelettes d'humidité qui tombaient du plafond venaient troubler sa surface paisible.

- Arrête de me voir comme la fillette que tu ne pouvais ou n'osais assassiner, je ne sais pas. Je suis comme toi, désormais. Une meurtrière. Novice, certes, mais j'ai tout de même accompli le crime ultime. J'ai ôté la vie d'un légendaire et contribué à la mort d'un second.
- Je vous prie d'accuser mes excuses, madame la maîtresse des poisons.

Je crus un instant qu'il se moquait de moi, mais quelque chose dans le ton qu'il venait d'employer paraissait sincère. Il tourna les yeux dans ma direction avant de les ramener sur l'étendue aquatique, qu'il fixait d'un air mélancolique.

- Elle me manque... Si Artémis était encore là, elle m'aurait sûrement donné la volonté et l'envie de me battre pour le coeur de Cassy, sauf qu'à présent, j'ai l'impression que rien n'importe.
- Cela passera. Cela passe toujours. Un moment viendra où tu n'en conserveras plus que la cicatrice. Elle fera mal lorsque tu en gratteras la surface, mais tu apprendras à vivre avec. Tu l'emporteras avec toi.

Il ne me répondit pas. Il se contenta d'avaler distraitement une gorgée de la tasse qu'il tenait entre les mains et qui contenait mon infusion de sommeil. Il ne faudrait pas longtemps avant qu'elle ne fasse effet, aussi songeais-je à le laisser lorsque quelque chose d'inattendu se produisit. Je l'entendis sangloter.

- Sven, je...

Je ne savais pas quoi faire. Je l'avais vu verser quelques larmes sur le corps d'Artémis lorsqu'elle s'était éteinte entre ses bras, mais cette fois, c'était différent. Nous étions seuls et j'ignorais comment m'y prendre avec lui. J'avais pour habitude d'étreindre les gens quand je les voyais pleurer, toutefois je m'imaginais mal agir de la sorte avec lui.

Ce fut pourtant ce que je fis, en partie du moins. Je posai une main hésitante sur son épaule et l'amenai à se rapprocher de moi. Il n'eut aucun mouvement brusque, ne tenta aucun geste pour me repousser. M'apercevant qu'il acceptait le réconfort que je cherchais à lui offrir, j'enlaçai son cou et l'invitai à venir poser sa tête contre mon omoplate.

Cela éveilla diverses sensations en moi, toutes plus étranges les unes que les autres. J'avais l'impression de fouler un territoire inconnu, hostile et pourtant incroyablement attirant. Je risquais d'y découvrir des horreurs autant que des merveilles, en dépit de quoi je ne désirais qu'une chose : en explorer davantage.

Je glissai mes doigts dans ses cheveux pour les caresser avec douceur. C'était ce que ma mère me faisait autrefois, quand je n'étais encore qu'une enfant et que je m'éveillais la nuit, apeurée par un cauchemar. Bien que je n'ai pas vu mes parents depuis près de deux ans, je ne les oubliais pas pour autant.

- Pleure, si cela te soulage, murmurai-je délicatement à son oreille. Je n'en parlerai à personne, je te le promets. Tu peux avoir confiance en moi.

De ma main libre, je sortis un mouchoir de ma poche et le lui tendit. Ses yeux brillaient dans la pénombre de la grotte, rendus luisant par les larmes qui y affluaient. Il s'essuya rapidement les joues, puis me rendit le carré de tissu, désormais humide.

Une profonde tristesse se lisait sur les traits et je me sentais meurtrie de le voir ainsi. Dans mon esprit, Sven avait toujours été un être doté d'un coeur de pierre, incapable de ressentir la moindre émotion. Il n'était pas si différent que le reste de l'humanité, finalement. Il dissimulait simplement bien son jeu.

Je plaçai mes doigts sur ses joues et vins caler mon front contre le sien. Je pouvais percevoir son souffle chaud qui caressait la peau de mon visage. La sensation n'était pas désagréable.

- Merci, déclara-t-il soudain d'un ton à peine perceptible.
- Pourquoi ? demandai-je, surprise.
- D'être là.
- Je te l'ai dit. Tu peux compter sur moi.

A la fin de ma phrase, mes lèvres restèrent entrouvertes. Sans même m'en rendre compte, je me rapprochai des siennes. Sa bouche était aussi voluptueuse que du velours. Je comprenais désormais mieux pourquoi Cassy n'avait jamais pu accepter de renoncer à lui, même quand Cynthia s'était efforcée de lui faire prendre conscience des dangers que représentait leur relation.

Cassy... J'interrompis soudain le baiser que j'étais en train de lui donner pour songer à elle. Je la considérais comme une amie très chère, comment pouvais-je me comporter de la sorte ? J'aurais dû en éprouver quelque remord, pourtant je n'éprouvais aucune culpabilité à embrasser son amant de longue date.

Etait-ce parce que, ainsi que Sven lui-même n'avait cessé de me le répéter au cours de ces derniers jours, elle ne ressentait à son égard plus qu'une indifférence notable ? Elle avait Yohanna, désormais, tandis que lui ne possédait plus personne. Il avait besoin de moi.

A nouveau, je frôlais son visage du mien. Cette fois, ce fut lui qui chercha mes lèvres. Mélange de sensualité et de tendresse, ces gestes avaient de quoi éveiller mes sens, au point d'effacer de mon esprit toute capacité de réflexion. Lorsque cette faculté me revint, je mis un terme à notre étreinte.

- Je ferai mieux de te laisser. Tu... Je dois m'en aller.

Je ne pouvais pas rester. Contrairement à moi qui étais parfaitement maîtresse de mes actes, les siens étaient guidés par sa peine et sa souffrance actuelles. Lorsqu'il en prendrait conscience, il les regretterait sûrement : il n'avait jamais donné l'impression de me porter dans son coeur et je doutais que cela ait pu changer en si peu de temps.

- Non. Ne pars pas, s'il te plaît.

Il me retint par le poignet au moment où je voulus me mettre debout. D'abord sceptique, je consentis à me rasseoir, en dépit de la voix qui résonnait dans ma tête et qui tentait de me souffler le contraire.

Je sursautai lorsque Sven vint loger son visage sur mes jambes tendues. Il ferma les paupières et un air apaisé se lut sur ses traits. C'était la première fois qu'il paraissait si serein depuis que nous étions revenus de la Cave d'Hadès. J'effleurais machinalement sa chevelure soyeuse avec ma paume, tandis que mon coeur battait la chamade dans ma poitrine.

- Ne me laisse pas tout seul... murmura-t-il.
- D'accord.

J'avais répondu par l'affirmative sans même prendre le temps de réfléchir. Sven se pelotonna sur lui-même, à l'instar d'un enfant qui chercherait à prendre une position foetale pour s'endormir, et j'en profitai pour dégager mes cuisses de sous lui. Je m'allongeai à mon tour, quasiment collée contre son flanc.

Une odeur forte, presque sauvage mais pas désagréable, paraissait émaner de ses vêtements. A deux reprises, j'inspirai son parfum. Je le trouvais enivrant. Je cessai toutefois lorsqu'il se roula sur le dos et vint se blottir contre moi. Il passa un bras autour de ma taille, son corps lové contre le mien.

Je demeurai immobile quelques minutes. Devais-je vraiment rester ? Sven n'était pas mon ami, il ne l'avait jamais été. Au cours de ces derniers jours, j'avais découvert en moi des sentiments jusqu'alors inconnus à son égard. Je savais toutefois qu'il ne les partageait pas. Il avait seulement besoin de compenser l'absence de Cassy et d'Artémis, or pour cela, il devait se contenter de ma présence.

Quand je m'aperçus qu'il s'était assoupi, je fermai les paupières à mon tour. Le fait d'avoir quelqu'un auprès de lui l'aiderait peut-être à chasser les cauchemars qui le hantaient chaque nuit et contre lesquels, hélas, ma potion demeurait inefficace.

Lorsque je m'éveillai, le lendemain matin, je fus surprise de constater que l'on avait étendu une couverture sur moi. En me redressant, je pris conscience que j'étais seule. Sven n'était plus allongé à côté de moi. Rapidement, je repoussai le carré de tissu et observai les alentours. J'avais un peu de mal à croire que j'avais passé toute la nuit ici.

Je le repérai bien vite, en train de jeter des cailloux à travers la surface du lac. Ses gestes étaient si violents qu'ils effrayaient même des Minidraco, qui s'enfuyaient en nageant vers des secteurs moins hostiles. J'hésitai à aller le rejoindre. Je redoutais sa réaction suite à ce qui s'était produit la veille au soir.

Malgré ma crainte latente, je fis le premier pas. Emmitouflée dans ma veste pour ne pas attraper froid, je me dirigeai vers lui. Lorsque je fus à ses côtés, il ne daigna pas lever les yeux de l'eau pour me regarder. Ce n'était pas vraiment un choc, je m'y étais attendue. Sa métamorphose de la veille n'avait été due qu'à son chagrin : il était sûrement déjà redevenu l'être irascible que j'avais toujours connu.

- Bonjour, tentai-je tout de même.
- Bonjour.

Sa réponse tenait plus du grognement que d'une formulation poli, mais au moins, il avait répondu. Ce ne fut pas pour autant qu'il osa poser les yeux sur moi. Prenant mon courage à deux mains, je poursuivis :

- Tu ne crois pas que nous devrions parler ?
- Parler de quoi ?
- De... Rien, capitulai-je aussitôt. Si tu préfères agir comme si de rien n'était, je crois... Je crois que ce serait le meilleur pour nous deux.

Un bruit d'éclaboussures sonore résonna dans la grotte tandis que l'eau giclait si fort qu'elle m'aspergea sur le rivage. Je m'essuyai aussitôt la joue avec une manche, pendant que Sven se tournait enfin vers moi.

- C'est comme cela que tu le prends ? me lança-t-il d'un ton sec. Je ne t'ai rien demandé, il me semble. C'est toi qui as eu pitié de moi.
- Pas pitié. Je voulais simplement te faire comprendre que, toi et moi, nous étions dans le même bateau.
- C'est pour cette raison que tu m'as embrassé ? Par compassion ?
- Je... C'est vrai, je n'aurais pas dû agir de la sorte. Tu n'allais pas bien et... Tu aimes encore Cassy, alors...
- Je ne veux pas que tu mentionnes son nom, c'est clair ?

Il criait, désormais. Je l'observai, à moitié désemparée, à moitié déçue. J'avais l'impression que tout le travail que je m'étais efforcée de faire sur lui ces derniers temps volait en éclat. Sa colère était telle que son teint venait de s'empourprer.

- J'ai tout fait pour elle, d'accord ? Absolument tout ! Sans moi, elle ne serait pas celle qu'elle est aujourd'hui. Je l'ai protégée, je l'ai initiée, je l'ai... Elle comptait pour moi, plus qu'aucune autre femme avant elle, mais elle s'est servie de moi. Ce n'était peut-être pas le cas au début, pourtant c'est la seule chose dont elle est encore capable actuellement. Je hais ce que je suis devenu à cause d'elle : un être domestiqué, réduit à ramper à ses pieds pour un seul regard d'elle. J'ai accepté cette métamorphose, mais je n'en récolte aucun égard, aucune reconnaissance. Au contraire, j'ai le sentiment d'avoir été manipulé.
- Expliquez-vous, dans ce cas. Exprime-lui ce que tu as sur le coeur et même reconquis-la si tel est ton désir. Sache cependant ceci : le jour où tu sauras vraiment ce que tu veux, si tu as besoin de moi, je serai là.
- Pourquoi aurais-je besoin de toi ?
- Parce que je pense que c'est le cas. Tu l'as démontré cette nuit, même si je suppose que tu ne l'admettras jamais.

J'aurais certainement tourné les talons sur ces mots s'il ne m'avait pas attrapé par le poignet à cet instant. Ses doigts me brûlèrent tant ils me serraient la peau, au point d'y laisser une marque rougeâtre. Il me faisait mal et sa force était telle que je craignais de le voir me briser les os.

Lorsque je voulus ouvrir la bouche pour lui intimer de me lâcher, il vint y plaquer la sienne. Son baiser n'avait plus rien à voir avec celui de la veille. Toute sa finesse s'était envolée pour laisser place à sa rage, qu'il exprimait à travers les mouvements impétueux de ses lèvres. Rapidement, je le repoussai.

- Non ! grondai-je presque férocement. Pas ainsi. Je ne serai pas le jouet qui te permettra d'effacer Cassy de ta mémoire, si tant est qu'une telle chose soit possible. Décide-toi sur l'avenir que tu souhaites donner à ta relation avec elle, mais en attendant, ne me mêle pas à cela. Je tiens à toi, Sven. J'en ai pris conscience au cours de ces quelques jours passés en ta compagnie. Je crois que tu vaux mieux que ce que tu laisses paraître, alors ne gâche pas tout en te conduisant de la sorte, s'il te plaît.
- Toi aussi, tu veux me soumettre ? C'est donc ce que vous cherchez toutes ? Toutes les femmes, sans aucune exception ?
- Non. Jamais je n'agirai ainsi. Je tiens simplement à ce que tes propres sentiments soient clairs, ce qui n'est vraisemblablement pas le cas. Quand tu seras prêt, vraiment prêt à les affronter, fais-moi un signe. En attendant, je pende qu'il serait préférable de conserver ce secret ici, à l'abri de l'Antre du Dragon.

Il allait répliquer, mais je ne lui en laissai pas le temps. Il fallait que je sorte de cette caverne, que je retrouve l'air libre avant d'avoir la sensation d'étouffer. J'avais l'impression d'avoir écrit à moi seule une nouvelle page de l'histoire de la Confrérie. Le couple que formaient Cassy et Sven était pratiquement mythique au sein de notre groupe, or j'achevai quasiment de le faire voler en éclats.

Ils n'avaient pas eu besoin de moi pour en arriver là : leurs disputes à répétition et la présence se Yohanna les avait certainement éloignés l'un de l'autre avant que je ne m'en mêle, mais si Sven décidait de suivre mon conseil et de parler à Cassy, cette rupture prendrait un goût définitif.

D'un autre côté, je doutais qu'il le fasse. Il l'aimait, j'en étais convaincue. Il ne l'aurait jamais reconnu, c'était le cas. Même si cela ne nous avait pas empêché de nouer un lien très fort, presque intime au cours de ces derniers jours, je savais que je ne ferai pas le poids face à elle. Dans son esprit, elle demeurerait à jamais LA femme.

Je n'étais pas jalouse, je ne cherchais même pas à l'évincer. Ce que j'éprouvais à l'égard de Sven était nouveau et encore fragile. Je songeais simplement que leur relation était vouée à l'échec. En les voyant, je croyais retrouver Satan, qui éprouvait un amour infini envers Lilith, dont le seul but était de profiter de lui. Je doutais à présent que même l'enfant que Cassy portait soit en mesure de les réunir.

M'en voudrait-elle ? Sven était certainement son jouet, comme je craignais de devenir le sien. Je ne voulais pas perdre son amitié. Si je m'étais rapprochée de Sven par rapport à son deuil, je n'oubliais pas qu'elle aussi était disciple de légendaire, ce qui faisait de nous trois des êtres identiques. Nous monter les uns contre les autres auraient été terriblement sots et j'osais espérer que mon intervention ne nous emmènerait pas jusque là.

Pour mieux réfléchir à ceci, à cette situation nouvelle, je me promenai longuement dans les environs de l'Arène. Cassy ne tenait pas à ce que nous nous éloignons du bâtiment, mais j'étais la plus apte à me défendre en cas d'attaque surprise de nos ennemis. Shaymin s'occuperait de leur cas avant que quiconque n'ait l'occasion de me faire du mal.

Mon errance me conduisit à la rencontre de Yohanna et de Crios. Je songeai un instant à les éviter, car je ne tenais pas à être confrontée à celle que je soupçonnais être l'amante de Cassy après ce qui s'était passé entre Sven et moi dans l'Antre du Dragon, mais ils m'aperçurent avant que je n'ai le temps de changer de direction.

Ils m'invitèrent à les rejoindre en m'adressant des gestes de la main. A contrecoeur, je m'exécutai. Le légendaire, habituellement de bonne humeur, affichait un air maussade. Je me demandai ce qui pouvait le préoccuper au point d'avoir perdu son éternel sourire.

- Un problème ? demandai-je aussitôt.
- Nous nous apprêtions à aller voir Cassy, m'informa-t-il aussitôt.
- A quel sujet ?
- J'ai un message de la plus haute importance à lui délivrer, de la part d'Athéna. C'est à propos de la mission de Némésis.