Routine laborantine (Jonas, 29 Mars)
Comme presque tous les matins depuis maintenant deux semaines, je garai mon véhicule sur le parking du laboratoire, avant de rejoindre un groupe de scientifiques déjà habillés et prêts à travailler. Moi, c'est Jonas, et, avec quelques scientifiques de ce groupe, je travaillais sur le « Projet Garou ». Mon travail ici n'était pas tellement de travailler sur le virus en lui-même. Mon travail consistait surtout à m'occuper des Garous en cours de formation, à les calmer, leur apprendre différentes choses, étudier leur comportement. Avant la catastrophe, je travaillais aux archives, au dernier étage du laboratoire, un petit travail que j'avais trouvé, deux ans plus tôt. Je m'occupais simplement de ranger et d'organiser les papiers que l'on me donnait, et cela me convenait parfaitement. Un jour, un ami m'avait demandé :
« -Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a de si intéressant dans le tri des dossiers ?
-Parce qu'ils ne me demanderont pas d'aller au front, avais-je répondu. »
Il avait simplement rit, en me traitant gentiment de poltron. Deux semaines après, il avait été envoyé sur le au combat, et il était mort deux jours plus tard, alors que je nettoyais le sang qui avait redécoré tout le sous-sol du laboratoire, juste après le massacre. Une offre m'avait été ensuite faite : il y avait trop peu de personnel pour s'occuper des Garous, et les archives n'étaient pas si fatigantes que ça. Si j'acceptais de m'occuper de leurs monstres, je recevrai une généreuse augmentation. J'avais accepté sans hésiter.
J'avais d'abord été présenté à un Garou déjà formé. Un dénommé Isadore, anciennement Sujet 7D. Au final, les Garous n'étaient que des Pokémon « humanisés ». Des mains à cinq doigts, la don de parole, et la possibilité de se déplacer sur deux pieds. Certains rares Garous ressemblaient à s'y méprendre à des vrais Pokémon, tant les détails pouvaient être insignifiants.
Et me voilà donc à nouveau devant le laboratoire. La journée allait être plus calme que d'habitude, car les vingt Garous étaient partis plus tôt ce matin. Ils constituaient la deuxième vague de la seconde génération, ce qui faisait maintenant trente Garous. Nous allions avoir une journée de repos pour tout organiser, puis nous allions recevoir vingt nouveaux Pokémon, et la procédure allait reprendre. Injection, réveil, entraînement. Entrant dans l'ascenseur avec mes collègues, j'appuyai sur l'un des boutons, et nous descendîmes.
« -Alors Jonas, demanda l'un d'entre eux. Elle te manque pas, depuis le temps ?
-De qui tu parles ? Répondis-je, redoutant la réponse.
-Bah, la Noctali. Vous étiez inséparables.
-C'est pas ce que tu crois, répondis-je.
-Allez, je te taquine, fais pas cette tronche. »
Je ne répondis pas. Oui, je m'étais attaché à une Garou du nom de Miyu. Mais c'était un cas à part. Elle était tout le temps seule, et je ne voulais pas qu'elle se sente trop différente des autres, alors j'ai passé des nuits blanches dans le laboratoire avec elle. Seulement, je m'étais peut-être trop attaché à elle ? Je me souviens avoir pleuré, seul, dans la salle sombre des archives, quand je suis allé ranger les dossiers concernant les Garous, le jour de son départ. Mais de l'eau avait coulé sous les ponts, comme on dit. Une nouvelle génération était née, partie, et je l'avais presque oubliée... Jusqu'à ce que cet idiot me renvoie son souvenir à la figure.
La porte de l'ascenseur s'ouvrit, et je sortis rapidement, pour me diriger vers mon bureau. Enfin, pouvait-on appeler ça un bureau ? Il s'agissait tout simplement d'un des blocs de détention de Garous, le numéro 10. Celui le plus au fond du couloir de gauche. J'y avais installé mon attirail, mes livres, bref absolument tout. Même si je n'étais qu'un simple archiviste ici, j'étais un scientifique de très haut niveau. Seulement, j'étais tellement diplômé que je n'avais pas trouvé d'autre travail. Au milieu des livres de physique quantique, de chimie approfondie, et même d'ouvrages sur la technologie militaire, je me sentais comme chez moi. Mon vrai chez moi n'était qu'un appartement trop petit avec des voisins que je n'aimais pas, et je me plaisais plus ici, dans ce laboratoire, à l'abri de tout. Au milieu de gens comme moi, qui n'allaient pas me regarder comme un extra-terrestre à chaque fois que j'allais dire quelque chose d'un peu trop intelligent pour le commun des mortels. Au milieu des Garous... Car, outre le domaine scientifique, les Pokémon étaient ma seconde passion. Trop absorbé par mes longues études, je n'avais pas passé tout le temps que je voulais avec des Pokémon. Maintenant que j'avais un travail qui couplait mes deux passions, j'étais heureux.
Passant un badge devant le lecteur (une nouvelle mesure de sécurité) pour ouvrir la porte, j'entrai et je m'assis à ma table et, pas très bien réveillé, je me contentai de siffloter une musique d'outre-mer, que j'avais entendue à l'époque où les touristes étrangers passaient encore... Et je l'entendis à nouveau. Trois coups sourds contre un mur non loin de moi. Isadore, ou plutôt l'ombre de ce qu'il avait été. Ce Garou nous avait été renvoyé il y a quelques jours. Il était devenu complètement fou pour une raison qu'ils n'avaient pas voulu dévoiler, et ils n'avaient pas voulu le tuer quand il était inconscient. Il avait donc été enfermé dans une cellule haute sécurité, où il passait ses journées à frapper dans les murs et à souffler souffler des flammes. Nous devions attendre qu'il se calme pour pouvoir essayer de le soigner. Si il ne mourrait pas de faim avant...
Il se calma au bout d'un moment, et je pus enfin reprendre mon livre et me concentrer... Ou pas. Un collègue ouvrit la porte et me dit :
« -Jonas, tu vas pas le croire !
-Oui, quoi encore ?
-Les généticiens du premier étage, ils viennent de faire une découverte phénoménale à propos du virus.
-Explique ?
-Ils n'arrivaient pas à améliorer la seconde version du virus, mais ils viennent de découvrir que la première, même si elle est instable, peut être grandement améliorée. Et donc augmenter la vitesse de transformation.
-Ils ont découvert ça comment ? Demandai-je, curieux.
-Dans le journal d'un ancien scientifique, mort pendant l'incident. Tout est expliqué en détail, c'est fou ! Cet André Cide, c'était le plus grand génie du pays...
-De combien de temps environ c'est amélioré, ils ont une idée ?
-D'après lui, cela permettra de transformer un Pokémon en Garou en, allez, une heure à peine ? Il avait théorisé ça en se basant sur la thèse qu'il avait faite sur la génétique particulière des Évoli. »
Il se lança dans des explication qui durèrent presque une heure, et je l'écoutais attentivement. Pour simplifier, André Cide avait théorisé que le virus de base pouvait être modifié pour que la transformation en Garou se passe comme une évolution. En gros, le Pokémon évolue en semi-humain. Le résultat était le même : perte de mémoire, bipédie, cinq doigts par main, parole. Cela allait juste beaucoup plus vite que la méthode actuelle. Seulement...
« -Pour faire ça, ils ont besoin d'un échantillon du premier virus.
-Ils ont tous été détruit lors de l'incident, non ? Dis-je.
-Bingo. Mais le Garou enragé est de la première génération. Il a ce virus en lui.
-Ah, effectivement. Mais il est incontrôlable là. Il va falloir attendre. »
Il soupira et hocha la tête. Voyant que je n'avais plus rien à lui demander, il sortit et la porte se referma derrière lui. Ce laboratoire était probablement le lieu le plus avancé du territoire Régulier. Tous les espoirs de victoire y avaient été mis, et une fortune avait été investie dedans. Et pour motiver les savants à venir ici plutôt que de partir au front, le salaire était très élevé. En contrepartie, nous n'avions pas le droit à l'erreur.
Le Garou forcené recommença à taper dans sa cellule. D'un coup, quelque chose me vint à l'esprit. Ce Garou était un Feunard. Cela voulait dire que la température de son corps était extrêmement élevée. Le virus avait-il survécu dans ces conditions ? Si non, nous allions être obligés de demander le retour de l'autre Garou, la Mentali, ayant survécu à l'incident pour pouvoir lui faire une prise de sang... Incapable de me concentrer, je me résolus à sortir de mon bureau pour rejoindre les autres, dans la salle commune. Une grande salle où mes collègues passaient la plupart de leur temps. Interdite à la fois aux membres de la sécurité et aux Garous, cette salle était l'un des seuls endroit de Destria à posséder des ordinateurs. Même si ce lieu était supposé être un lieu de travail, c'était surtout un lieu de détente. Tous les ordinateurs étaient éteints, et des scientifiques discutaient. Certains jouaient aux cartes, d'autres lisaient, d'autres remplissaient des formulaires. D'un coup d'œil, je cherchai la blouse bleue caractéristique du « chef » du laboratoire, Robert. Il n'était pas forcément le plus intelligent d'entre nous, loin de là, mais il était extrêmement doué dans la gestion et l'organisation, ce qui n'avait pas été le fort du précédent scientifique en chef, André Cide. Je l'aperçus assis dans un fauteuil, discutant avec quelqu'un d'autre.
« -Excusez-moi Robert, j'ai à vous parler.
-Très bien Jonas, allez-y. On reprendra plus tard, dit-il à l'autre.
-Ok Bob, à plus tard, répondit son précédent interlocuteur.
-Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons récupéré un Garou relativement problématique, dis-je.
-Je sais, soupira-t-il. J'étais contre son retour, mais ils ont refusé d'écouter. Nous fabriquons des Garous, nous ne les soignons pas.
-Le sang de ce Garou pourrait se montrer être une vraie mine d'or, répondis-je.
-Ah oui. Parce qu'il a encore la première version du virus ?
-Enfin, si on peut parler de première version... Il y a eu des dizaines de virus créés avant celui-là.
-Mais celui-là est le premier à avoir été relativement stable, non ? Demanda-t-il.
-C'est bien ça. Bref, les scientifiques du premier ont besoin d'un échantillon. On a deux possibilités : soit on essaye d'en prélever sur celui-là, soit on demande le retour de l'autre Garou de la première génération. Vous en pensez quoi ? »
Il réfléchit un petit moment avant de me répondre :
« -Celui en détention est beaucoup trop dangereux. Pas question de le laisser sortir. En attendant qu'il se calme, on n'a pas le choix, on va devoir demander le retour de l'autre Garou.
-Très bien. Et pour lui, qu'est-ce qu'on fait ? On ne peut pas prendre le risque d'ouvrir la porte pour le nourrir. Encore quelque chose qu'ils ont mal fait quand ils ont construit ce laboratoire, soupirai-je.
-Je ne sais pas. Je ne sais pas... On peut attendre qu'il soit mort de faim, ou au moins qu'il soit trop faible pour essayer de le résonner et en tirer quelque chose d'utile.
-Il est encore en forme, c'est moi qui vous le dit, répondis-je. Il fait un vacarme pas possible à taper dans les murs. Encore heureux, ils sont extrêmement solides.
-Très bien ! Je remonte, faire part de votre demande de retour du Sujet 8F. Je ne pense pas redescendre avant un moment, alors profitez de votre repos, dit-il à toute la salle. À plus tard. »
Tout le monde le salua, et je sortis de la salle de travail avec lui. Il continua jusqu'à l'ascenseur. Pour ma part, je retournai dans mon bureau de fortune pour recommencer à lire. À peine fus-je assis qu'Isadore recommença à taper dans sa cellule, comme s'il m'avait attendu.
« Tes mains vont se briser avant ma patience, murmurai-je. »
Essayant de l'ignorer, je recommençai à lire. Pourquoi ne voulait-il pas laisser tomber ? S'il s'était calmé, il aurait été nourri et peut-être même libéré. Mais il était trop têtu et refusait de se calmer. Dix minutes plus tard, il arrêta enfin de s'en prendre aux murs. Peut-être avait-il enfin compris que cela ne servait à rien... Reprenant ma lecture, j'essayais de ne plus penser à tout ce qui pouvait me déconcentrer à l'arrivée des nouveaux Pokémon, cet après-midi. Et il y en avait, des choses à oublier. Isadore, la guerre, l'avenir du Projet Garou, mais surtout, l'avenir des Garous en général. L'avenir de Miyu... Car, un Garou était automatiquement condamné à mort dès que le virus lui était injecté. Chaque Garou créé n'avait plus que trois mois à vivre. Et ils ne le savaient même pas. Ils nous croyaient sur parole quand on leur promettait un avenir. Il n'y avait aucune raison que l'un d'entre eux découvre ça, mais cela me faisait mal rien que d'y penser, même si je n'y étais pour rien.