CT11 . MIRROR

Le temps parut s'arrêter autour d'eux.
Arno se tenait là, debout, la main toujours fixée au mur comme une ventouse, tous ses muscles figés, tel un pantin dont le marionnettiste aurait coupé les cordes. Le garçon en aurait presque oublié de respirer si son corps ne s'en était pas chargé pour lui.
Son esprit, au contraire, fonctionnait à toute allure. Mais perdu dans des méandres d'incompréhension, il n'arrivait pas à réfléchir correctement.
Il resta là, le regard plantés dans les yeux turquoise de la jeune fille, qui le fixa en retour avec un mélange de surprise et de peur.
Plusieurs minutes passèrent ainsi sans que ni l'un ni l'autre ne laisse échapper le moindre son.
Puis des bruits de pas rapides résonnant dans le couloir les ramenèrent tous deux à la réalité.
— Wah ah ah-- Oups ! C'était moins une.
Ne voyant pas sa silhouette dans l'angle du couloir, Wally manqua de percuter Arno. Luna apparut derrière lui, étonnée de voir le coordinateur s'arrêter si brusquement, et observa le couloir de ses grand yeux.
— Ho, Arno ! On t'a retrouvé !
— Heureusement que c'était à chemin unique. Pour le cerveau du groupe, tu manques un peu de jugeote par moments, soupira Wally.
— Ah-- je … balbutia Arno.
Il aurait dû rétorquer par « Depuis quand est-il décidé que je suis le cerveau ? » ou quelque-chose dans le genre. C'est ce qu'il aurait fait dans une autre situation. Mais son esprit était encore si embrumé qu'il ne parvint pas à faire sortir une phrase cohérente de sa bouche.
Face à son silence, Wally pencha la tête sur le côté, perplexe.
Luna remarqua alors la jeune fille en partie cachée par leur ami, et s'approcha en souriant.
— Bonjour ! Vous êtes perdue, vous aussi ?
— Hu hu~ Je comprends mieux pourquoi tu tenais à partir tout seul~, fit Wally en remarquant à son tour la jeune fille.
— Qu-- Je ne vois pas de quoi tu parles. Et arrête de sourire comme ça, s'il-te-plaît.
— Moi~? Mais voyons, je ne souris pas du tout~
— H-Heu …
L'inconnue avait marmonné en tendant timidement la main en direction des garçons, qui se tournèrent vers elle en l'entendant.
Elle s'éructa doucement la gorge.
— Mon … mon nom est Prune, se présenta-t-elle d'une voix un peu rapide. Votre ami m'a … heu … on a failli se percuter il y a quelques instants …
— Ooh ? Voyez-vous ça~
Wally adressa un nouveau regard malicieux à Arno.
— Tu as l'esprit détraqué, commenta simplement le garçon, n'ayant aucune envie de donner de l'eau à son moulin.
— « Prune » … « Prune », c'est mignon comme prénom ! Moi c'est Luna !
— E-Enchantée.
La dénommée Prune s'inclina très poliment, faisant tomber devant elle une cascade de cheveux bleu nuit, qu'elle s'empressa de repousser dans son dos avec un air gêné.
— Celui qui a failli te renverser, c'est Arno.
«
Tu étais obligée de me présenter comme ça ? … » s'exaspéra le garçon sans pour autant laisser paraître sa propre gêne.
— Pardon pour tout-à-l'heure, s'efforça-t-il d'articuler tout en inclinant légèrement la tête à son tour.
— N-Non, ce n'est pas grave …
Prune réitéra sa courbette, et dût une nouvelle fois arranger sa longue chevelure.
— Ensuite, celui qui ressemble à une fille, c'est Wally.
Arno prit note pour lui-même de ne plus laisser Luna les présenter, à l'avenir.
— C'est bien moi !
Enfin, ça n'avait pas l'air d'en gêner certains.
— « Wally » ? Ce nom …
— Ah ? Je te rappelles quelqu'un~?
— C'est le diminutif de Walter, c'est ça ?
D'un coup, Wally se figea sur place, la bouche toujours ouverte dans un sourire.
Après un moment de silence, Luna passa sa main devant les yeux du coordinateur, mais ce dernier ne montra aucune réaction. La jeune fille se mit à le piquer à l'épaule avec son index.
— Hn ? Il a planté ? fit-elle avec une petite moue.
«
On dirait bien … »
— Ah … ah ah~
Sortant de son inquiétante torpeur, Wally afficha un sourire tremblotant duquel s'échappa un rire qui semblait tout sauf naturel. L'androgyne joignit les paumes de ses mains et pencha la tête dans une pose très féminine, digne d'une héroïne de dessin animé.
L'illusion aurait été parfaite s'il n'y avait pas eu comme une aura ténébreuse autour du garçon, ce qui rendit l'image légèrement terrifiante.
— Ma chère Prune~ Tu peux m'appeler Wally, si tu veux~
— Je préfère Walter, répondit Prune du tac au tac. Je n'aime pas trop appeler les gens par des surnoms …
— S-S'il-te-plaît~?
— Enchantée, Walter …
Nouvelle courbette.
— Ugh … Mais … balbutia Wally en désespoir de cause.
— Ho ! Un instant, Wally ! s'écria soudainement Luna. C'est vraiment Walter, ton vrai nom ??
— Heu … non ? tenta le coordinateur sans même y croire.
— « Walter » ? Tu collectionnes les noms pourris, ma parole.
Cette réplique cinglante ne pouvait venir que de Sebii.
En voyant son ami apparaître à son tour à l'angle du couloir, Arno se rendit compte qu'il n'avait pas noté son absence jusque-là. Il mit cela sur le compte de son état de trouble. Sans doute pour la même raison, ce ne fut qu'aux mots de Sebii que son cerveau assimila les propos de la conversation.
Cette jeune fille nommée Prune avait appelé Wally « Walter », lequel avait – d'une certaine façon – confirmé son hypothèse. À bien y penser, ce n'était pas surprenant : le coordinateur leur avait dit, au moment de leur rencontre à Vergazon, que ses proches l'appelaient « Wally ». Cela signifiait forcément qu'il ne s'agissait pas de son vrai nom.
Mais pourquoi semblait-il si perturbé à l'évocation de celui-ci ?
— Je ne crois pas t'avoir demandé ton avis, blondinet, dit Wally qui reprenait du poil de la bête.
— J'ai pas besoin de ta permission pour te le donner, Lily. Ou tu préfères que je t'appelles « Walter », plutôt ?
— Gh … Depuis quand les retardataires ont-ils de la répartie ?
— Je serais pas arrivé si tard si vous m'aviez laissé le temps de me dépêtrer de ces câbles !
— Pardon ?! C'est toi qui nous as dit que tu te débrouillerais très bien tout seul ! On n'a fait que respecter tes
desiderata.
— Je vous ai pas dit de ficher le camp pour autant ! Depuis quand on paume les gens comme ça ?
« Et c'est toi qui dit ça ?! C'est pourtant bien le genre de la maison ! » s'insurgea mentalement Arno.
— Et enfin, voici mon grand-frère Sebii, dit Luna à l'attention de Prune.
— Vous … êtes frère et sœur ? fit Prune dont les yeux trahirent sa surprise. Je vois … C'est vrai que vous vous ressemblez physiquement.
— Mais que physiquement, hein ?
Sebii ignora la pique de Wally et regarda Prune en fronçant les sourcils tandis que celle-ci exécutait une nouvelle courbette en guise de salutation. Lorsque le garçon tourna son regard sur Arno, ce dernier comprit que la jeune fille le troublait quelque peu lui aussi. Les deux amis échangèrent une série de regards.
À force de traîner ensemble à longueur de journée, ils en étaient arrivés à pouvoir comprendre l'autre via quelques mimiques basiques – même si leurs échanges s'en tenaient, forcément, à des choses tout aussi basiques, et que l'interprétation de chacun jouait beaucoup.
L'échange qu'ils eurent à ce moment, s'ils avaient parlé à voix haute, aurait pu ressembler à quelque-chose comme ceci :
« Cette fille … »
« Je sais. »
« … Ce n'est pas
elle, n'est-ce pas ? »
« Bien sûr que non … »
Bien sûr, Arno savait que ce n'était pas
elle. Que ce ne pouvait pas être elle.
Cette fille aux yeux turquoise, Prune, n'était pas celle qui hantait ses souvenirs. Mais ses yeux ressemblaient à s'y méprendre aux
siens. Non, ce n'était pas la bonne manière de le dire.
C'étaient les siens.
Même Sebii, qui à sa connaissance ne l'avait que peu côtoyée, avait eu des doutes sur son identité.
— Bon sinon, reprit son ami, vous comptez rester là à taper la discute encore longtemps ? Je vous rappelle que je dois récupérer mes badges !
— Des badges ? fit Prune si bas que personne ne sembla l'entendre.
— Ah~ C'est vrai ça. Avec ton absence, j'avais totalement oublié, blondinet~
— Prune, est-ce que tu as vu passé un petit garçon et une petite fille, par hasard ? demanda Luna. Ils ont malencontreusement emporté les badges de mon frère.
«
Je n'aurais pas ajouté le "malencontreusement", mais bon … »
— Un petit garçon et … Ah, oui, je crois que oui. Ce doivent être eux qui m'ont dépassé en courant. C'était quelques minutes avant que …
Prune adressa un coup d'œil à Arno, avant de détourner rapidement le regard.
— Alors il suffit que l'on continue de suivre le chemin et on finira par les retrouver, c'est ça ? en conclut Sebii.
— Du calme, blondinet, l'arrêta Wally qui avait le sourire jusqu'aux oreilles. Cette fois, on prend notre temps et on évite de faire n'importe quoi. Si on se perd, on aura du mal à les retrouver.
— Wally a raison, l'appuya Arno avec une pointe d'agacement. Il faut que l'on fasse plus attention.
Le coordinateur avait raison quand il disait qu'il n'avait été malin. Qu'aurait-il fait si le couloir avait bifurqué ? Tout en sachant que ses compagnons étaient loin derrière, aurait-il continué sa poursuite malgré tout ?
— Prune, tu vas dans cette direction aussi, non ? Tu veux nous accompagner ?
Voilà que Luna se montrait entreprenante. Elle semblait avoir réellement envie que leur nouvelle connaissance les accompagne.
— Ah … Oui, d'accord, répondit Prune avec un petit sourire. Si tes amis sont d'accord …
— Je m'en fiche un peu.
— Pas de soucis de mon côté~ Arno~ ?
— Hem … Je suppose que personne n'y voit d'inconvénient.
— Non, personne~
— Alors c'est réglé ! s'exclama Luna, toute contente. En route !!
« Je la trouve tout de même un peu trop motivée, aujourd'hui … »
D'abord cette histoire de soit-disant paradis pour enfants, puis les badges de Sebii qui se volatilisaient, et enfin cette fille qui lui ressemblait tant …
Un peu dépassé par les événements, Arno avait du mal à soutenir la bonne humeur de Luna.
Il espéra juste qu'ils ne se perdent pas définitivement dans ce dédale.
—— Éternara ?
— Oui ! Mes professeurs m'ont laissée venir assister au tournoi de la Ligue Pokémon, expliqua Luna. Même si je manque les derniers cours, ajouta-t-elle un peu gênée.
— On voit bien là la récompense d'un dur labeur, opina Wally. Ce n'est pas comme le frérot qui est venu se faire les Champions à l'arrache.
— Hé oh ! Jusqu'à maintenant je m'en suis sorti sans problèmes, non ?!
«
Si l'on exclue l'incident de l'arène de Mérouville, alors … »
Ou peut-être Sebii avait-il oublié que Roxanne avait bien failli le tuer avec l'Élécanon de son Tarinorme ?
— Bah, il te reste encore six arènes pour te planter, mon petit blondinet~
— N'y crois pas trop, Lily !
— Alors … Toi aussi tu vas participer au tournoi, Sebii ?
— « Aussi » ?? demanda Luna, intriguée par les mots de Prune.
Sa question aviva l'intérêt des autres membres du groupe.
Prune, sentant les regards braqués sur elle, se mit à tripoter nerveusement l'étoffe de tissu qu'elle portait nouée autour du cou.
— En fait, je compte moi-même participer au tournoi d'Éternara. En prévision, je suis venue ici pour chercher des objets ra--
— Sérieux ? s'écria Sebii sans lui laisser le temps de terminer sa phrase. Tu as combien de badges ? s'enquit-il en se rapprochant de la jeune fille.
— H-Heu …
— Recule, blondinet. Tu te rends pas compte à quel point ta tête fait peur, vue de près.
— En fait … J'ai obtenu mon huitième badge il y a quelques semaines …
*SPLAF*
Sebii s'étala de tout son long sur le sol, faisant sursauter Prune qui, comme par réflexe, s'agenouilla pour aider le dresseur à se relever.
Ignorant complètement le Sebii à la face rouge, Wally et Luna poussèrent des exclamations admiratives.
— Vraiment ?!? C'est super génial, ça !! s'exclama Luna, des étoiles dans les yeux.
— N-Non, pas tant que ça …
— Ne sois pas si modeste, fit le coordinateur en agitant la main. Réussir à décrocher tous les badges d'une région, ce n'est pas une petite victoire.
— Argh, gémit Sebii en tenant son nez douloureux. Ba-bats-toi contre moi, Prune ! lança-t-il d'une voix nasillarde.
— Ah-- hum …
— Blondinet, cache ta tête, tu lui fais vraiment peur !
— Je … je ne suis pas si forte que ça, s'empressa de leur faire remarquer Prune. Il m'a fallu deux ans pour rassembler ces badges.
Arno sentit son regard partir dans le vide tandis que tout ce qui se trouvait autour de lui, devenu tout à coup inutile, disparaissait de sa vue. Continuant de marcher sans prêter attention aux voix de ses compagnons qui sonnaient creux à ses oreilles, il laissa son esprit répéter encore et encore les paroles de Prune, auxquelles se superposèrent d'autres paroles –
ses paroles.
« Je veux participer à ce tournoi ! »
« Tu verras, je vais obtenir tous les badges ! »
Il mit un moment avant de réagir lorsque Wally marqua un arrêt et fit signe aux autres de se taire.
— Vous n'entendez pas comme un bruit ? demanda-t-il aux autres en tendant l'oreille.
— Sans doute tes oreilles qui te jouent un tour, Lily.
— Non, moi aussi je l'entends, confirma Prune en baissant la voix.
Effectivement le bruit, semblable à un roulement de tonnerre, se fit de plus en plus insistant. Le sol se mit à vibrer à mesure que le grondement gagnait en puissance.
Soudain, le bruit fut entrecoupé de multiples claquements – comme si l'on renversait des quilles de bowling – et les dresseurs aperçurent à l'autre bout du couloir, à un angle qu'ils avaient dépassé un peu plus tôt, les reflets lumineux d'une vague de boules miroitantes.
— Des Voltorbe ! alerta Arno en reconnaissant les Pokémon à allure de Pokémon.
— Il y a aussi des Electrode ! ajouta Prune.
— Qu'est-ce qu'on fait ?
— On fonce dans le tas et on les dégomme !
— Si tu tiens à te sacrifier, blondinet. Moi, je suis d'avis de filer
illico. Chef ?
— Je ne suis pas-- ! Hem … J'approuve l'idée de la fuite.
— Quoi ?! Vous seriez pas un peu froussards sur les bords, vous tous ? railla Sebii en regardant ses compagnons fuir dans la direction opposée aux Pokémon.
Le garçon se retourna vers la horde de Voltorbe … Ou plutôt fallait-il qualifier cela de montagne, étant donné qu'ils remplissaient le couloir jusqu'à mi-hauteur.
À vue de nez, il devait y en avoir près de deux cent. Et c'était sans compter tous ceux qui continuaient de déferler depuis l'angle du couloir.
— OK, je viens avec vous !
— Eh bien, blondinet, on rejoins le club des froussards ? se moqua Wally lorsque Sebii arriva à sa hauteur.
— Je me les serais bien fais, mais c'est un peu galère de se battre ici, et je sais pas combien de temps ça me prendrait.
— Ouh, la mauvaise foi que voilà ! Avoue que t'avais aucune chance, tout simplement~!
— Répète un peu !?
— SILENCE, vous deux ! les coupa fermement Arno – faisant sursauter les deux fautifs qui ne s'attendaient pas à une réaction aussi vive. On arrive à un embranchement !
— Quoi ?? s'étonna Luna. Il n'y avait pourtant qu'un seul chemin jusqu'à maintenant, non ?
Le cerveau d'Arno tournait à cent-à-l'heure. Que devaient-ils faire ?
Le couloir bifurquait en angle droit à environ cent mètres devant eux. Impossible de voir où menaient les deux chemins.
Hors de question de faire demi-tour – même avec une personne possédant huit badges d'arène pour les aider, il était évident qu'ils ne pourraient pas se défendre face à un tel nombre de Pokémon sauvages – et un mauvais choix pourrait les envoyer tout droit dans un cul-de-sac.
Bon sang ! Pourquoi y avait-il autant de Voltorbe rassemblés ici, pour commencer ? Cet endroit avait beau être le repère de nombreux Pokémon Electrik, un tel rassemblement était tout bonnement improbable.
«
Du calme … » se souffla Arno en essayant de réfléchir posément.
L'embranchement se rapprochait rapidement.
À côté de lui, il vit Prune tourner subitement la tête vers le mur, puis se retourner vers lui.
— À droite ! lança-t-elle avec une certaine assurance dans la voix.
La demi-seconde pendant laquelle ils se fixèrent lui parut de nouveau bien plus longue qu'en réalité.
«
Pourquoi ? » eût-il envie de lui demander. Comment avait-elle décidé ? Elle devait pourtant être consciente de la situation. Comment pouvait-elle être si sûre d'elle ?
Pourtant, une petite voix dans son esprit lui intima de lui faire confiance.
«
Pourquoi ? » demanda-t-il encore à cette voix qui semblait vouloir croire si facilement en cette fille rencontrée moins d'une heure plus tôt.
Repoussant ses interrogations, Arno s'élança à la suite de Prune dans la branche de droite, bientôt suivi des autres. Le souffle déjà court, il jeta des coups d'œil furtifs derrière eux pour vérifier les mouvements des Voltorbe.
Contrairement à eux, ils n'empruntèrent pas tous le chemin de droite, mais se répandirent des deux côtés de l'embranchement après avoir violemment ricoché sur le mur métallique. Ils ne semblaient pas avoir le groupe de dresseurs pour cible ; ils ne faisaient qu'avancer sans se soucier de ce qui se trouvait sur leur passage.
Le groupe rencontra trois nouveaux embranchements, auxquels tous suivirent aveuglément Prune qui leur annonça à chaque fois la direction à prendre quelques secondes à l'avance.
— Rassure-moi, Prune … haa … tu sais où tu vas, n'est-ce pas ? haleta Wally après qu'ils eurent passé le quatrième embranchement.
— Je … J'en ai une vague idée, répondit la jeune fille, le regard scrutant les murs du couloir.
— Ha ah … Voilà qui est rassurant …
Il prirent un cinquième embranchement.
— J'ai l'impression qu'ils sont moins nombreux à nous suivre, nota Luna.
Le nombre de Voltorbe avait sensiblement diminué à chaque croisement, et ceux qui les suivaient encore ne formaient maintenant plus qu'un long tapis roulant. Cependant la longueur visiblement infinie de ce dernier motiva les dresseurs à poursuivre leur fuite.
— Virage à gauche ! prévint Arno alors qu'un nouveau coude se profilait devant eux.
Le garçon frappa sèchement du pied pour ne pas se projeter dans le mur et reprit aussitôt sa course.
Mais le sol disparut soudainement devant lui.
Arno balaya l'air de ses bras dans une tentative désespérée pour s'arrêter – sans grand résultat. Il se sentit faire un bond en avant lorsque Wally, ne remarquant que trop tard ses gestes bizarres, le percuta dans le dos, suivi de Luna qui émit un curieux « Iouille ! » au moment du choc.
La chute fut bien plus rapide qu'il ne l'eût imaginé. Ils atterrirent quelques mètres plus bas sur une sorte de grand matelas moelleux aux couleurs chatoyantes.
Lorsqu'il se redressa pour vérifier que les deux énergumènes qui l'avaient précipité ici allaient bien, il vit Prune et Sebii non loin d'eux, un peu déboussolés. Eux aussi venaient de tomber du couloir.
— Eh bien, eh bien, je pensais que la chute serait un chouïa plus brutale, s'amusa Wally en tâtant le matelas à la texture de marshmallow. Désolé de d'être rentré dedans, Arno~
— Pas de soucis. J'aurais dû faire plus attention.
— Ah ! Les Voltorbe ! s'exclama Luna en indiquant du doigt le couloir duquel il avaient chuté.
De l'ouverture comme plantée au milieu du mur déboulèrent les Voltorbe qu'ils fuyaient depuis quelques minutes. Les Pokémon tombèrent un peu plus loin sur le matelas, rebondirent et atterrirent sur le sol dallé de l'immense pièce dans un nouveau bruit de quilles, avant de s'éparpiller avec lenteur.
Les voir agir ainsi permit à Arno de confirmer ses pensées : les Pokémon n'en avaient pas après eux. Ils ne faisaient que se déplacer en groupe à l'intérieur de ce labyrinthe.
— Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? demanda Sebii en observant les lieux vivement éclairés.
L'endroit était en effet radicalement différent de ce qu'ils avaient vu de New Lavandia jusqu'ici.
Plus tôt plongé dans la pénombre, leur champ de vision était maintenant illuminé par les nombreux lampadaires révélant le tracé des ruelles sillonnant entre des bâtiments à l'allure futuriste. Ces derniers leur bloquaient la vue, mais d'après le reflet des lumières sur le plafond inatteignable ce réseau devait s'étendre sur plus d'un kilomètre, au bas mot.
Quant à la zone dans laquelle ils avaient atterri, elle ressemblait à un immense parc en plein air avec ses grands toboggans, ses tourniquets et ses balançoires – pas vraiment habitué de ce genre d'endroit, Arno trouva même des manèges qu'il ne connaissait pas.
— Le « Paradis », répondit Prune comme si ce fut une évidence.
Oui, un vrai paradis pour enfants. Était-ce ce parc que mentionnaient les rumeurs dont avait parlé Luna ?
Maintenant qu'il voyait les lieux dans leur ensemble, Arno se souvint avoir entendu parler d'une ville souterraine auquel on attribuait également le nom de New Lavandia. Sur le moment, il n'avait pas fait la connexion entre cette histoire de paradis et cette autre rumeur. Il faut dire que les petits informateurs de Luna avaient omis de mentionner la ville tout autour du parc.
— Attends voir, s'enquit Wally en arrêtant Prune d'un geste de la main, tu savais où se trouvait cet endroit ?
— N-Non, je n'en avais aucune idée. Du moins, jusqu'à cette fuite forcée …
— J'ai du mal à suivre …
— La route était indiquée, expliqua Arno. Quelqu'un avait marqué le mot « Paradis » au feutre sur les murs. Le chemin à prendre à l'embranchement suivant était aussi indiqué.
— Wow ! Tu as remarqué ça alors qu'on courait pour échapper aux Voltorbe ? fit Luna admirative.
— Bien joué, chef ! Ça ne m'étonne pas de toi !
— Je n'ai vu les marques qu'à partir du troisième embranchement, rétorqua Arno à la négative. C'est Prune qui a aperçu celles des deux premiers. Si elle n'avait pas été là, j'aurais choisi un chemin au hasard, confia-t-il dans un sourire un peu honteux.
Le garçon lut une certaine surprise sur le visage de ses compagnons.
Wally et Luna tournèrent leurs yeux brillants d'étoiles vers Prune.
— Je n'en attendait pas moins d'une détentrice de huit badges d'arène~!
— Hé, tu retournes pas ta veste un peu rapidement, Lily … ?
— Ah, heu … Merci, Walter.
— « W-Wally » …
— Bien, intervint Arno avant que le coordinateur ne sombre dans une nouvelle crise. Ce n'est pas tout ça, mais il faut encore que l'on récupère les badges de Sebii--
— Je crois que je les ai trouvés !! s'écria Luna.
— Qu-- Déjà ?!
À peine avaient-ils échappé à leurs poursuivants qu'ils retrouvaient les précieux badges de Sebii ? N'y avait-il donc pas de place dans cette mésaventure pour un scénario digne de ce nom … ?
La jeune fille tendit à Arno ce qu'elle avait ramassé à proximité de leur point de chute. Il s'agissait effectivement du badge Roche et du badge Dynamo de Sebii – les nombreuses éraflures sur le métal immaculé à l'origine ne mentaient pas.
Ce qui intrigua les dresseurs, c'est que les badges reposaient sur un morceau de papier plié en quatre.
— Mes badges !!
Arno grimaça lorsque Sebii lui arracha les petits totems métalliques des mains, lui laissant de jolies griffures à la place.
«
Non mais quelle brute, je vous jure … » pensa-t-il en jetant un regard réprobateur à son ami.
Il s'avéra que le morceau de papier était, comme il s'y attendait, une lettre. Enfin, plutôt un message – il ferait de la peine à certaines personnes s'il qualifiait ce gribouillis de lettre.
— C'est de la part des enfants de tout-à-l'heure, résuma le garçon pour les autres – et en particulier pour Sebii, mais celui-ci, tout content d'avoir retrouvé ses badges, n'écouta évidemment rien. Ils s'excusent d'avoir pris les badges. Apparemment, ils voulaient juste s'amuser.
— Ce ne serait pas eux qui nous ont indiqué la direction pour arriver jusqu'ici ? avança Prune d'une petite voix.
Arno tressaillit un instant, et ne put s'empêcher de déglutir avant de répondre :
— C'est possible. Ils n'ont rien écrit à propos de ça, alors--
— Ce qui importe c'est que l'on vient de faire d'une pierre deux coups, n'est-ce pas ? les interrompit Wally avec un grand sourire. Maintenant que l'on a trouvé le « Paradis », qui est partant pour un peu d'exploration ?
— En avant !! encouragea joyeusement Luna en s'élançant à la découverte des lieux, rapidement secondé par le coordinateur.
— N'allez pas vous perdre, personne n'ira vous chercher ! les avertit Arno pour prévenir d'autres problèmes. Et ça vaut surtout pour toi, Sebii ! ajouta-t-il à l'attention de celui qui s'était presque fait discret en partant, sans doute pour aller attraper des Pokémon – enfin, il l'espérait.
— Ouais, t'inquiètes donc, tu me connais.
«
Justement ! »
Franchement … Il n'avait pas intérêt de créer de nouveaux ennuis.
Arno se rendit compte qu'avec Luna, Wally et Sebii partis en vadrouille, il ne restait plus que lui et Prune.
Mince. Pourquoi n'avait-il pas fait en sorte d'accompagner l'un d'entre eux ? Il ne se sentait vraiment pas à l'aise seul en présence de cette fille.
… … …
Bon. Autant profiter de cette occasion pour s'excuser en bonne et due forme.
— Hem … Excuse-moi encore pour avoir failli te percuter tout-à-l'heure … Et aussi pour t'avoir embarqué dans cette galère …
— Ah-- Non, non, tu n'as pas besoin de-- Hm, s'emmêla Prune en agitant les mains dans tous les sens.
La jeune fille prit une grande inspiration, ce qui sembla la calmer.
Discrètement, Arno fit de même.
— En vérité, je cherchais cet endroit, alors ce n'est pas un problème, reprit-elle d'une voix plus sereine. J'avais entendu des rumeurs et je pensais pouvoir y trouver des objets abandonnés.
— Ah … Donc je suppose que c'est presque une bonne chose que Sebii ait encore fait l'imbécile.
Ah ! Le garçon eût comme l'impression d'avoir dit quelque-chose d'incroyablement stupide.
Devant son air perplexe, Prune laissa échapper un petit rire qui perturba un peu plus Arno.
— En tout cas, vous avez l'air de bien vous entendre, fit la jeune fille en portant son regard sur Luna et Wally qui fouillaient du côté d'un toboggan en forme de Donphan.
— Je … suppose que l'on peut dire ça.
Il n'avait pas vraiment cherché à savoir quelles étaient ses propres impressions vis-à-vis de ses compagnons de route. Ce n'était pas comme s'il les considérait comme de parfaits inconnus, mais à bien y penser, Luna était juste la sœur de Sebii pour lui. Quant à Wally, non content de leur cacher des choses, il ne les avait rejoint que très récemment.
— Voyager tous ensemble comme ça, ça semble amusant.
— Hm ? Tu n'avais jamais voyagé avec d'autres dresseurs ?
— J'ai passé deux ans à voyager. J'ai bien fait équipe avec quelques personnes avant aujourd'hui, mais ça n'a jamais duré plus de quelques jours. J'ai tendance à éviter les groupes. Ça me met mal à l'aise d'habitude …
«
Tout le contraire d'elle … »
Et voilà que les souvenirs resurgissaient les uns après les autres.
— Qu'est-ce que tu comptes faire une fois sortie de New Lavandia ?
Cette Prune semblait ouvrir de force tous les cadenas qu'il avait posé pour les empêcher de sortir.
— J'ai enfin réuni tous les badges. Tout ce qui me reste à faire, c'est d'aller à Éternara. D'ici là, je vais m'entraîner …
Peut-être n'auraient-ils pas dû venir à New Lavandia. Il n'aurait pas eu à subir ça.
« Si c'était possible, je deviendrais amie avec tous ceux qui se sentent seuls comme toi. »
«
Accueillir ceux qui sont seuls et blessés, hein ? … C'est ça que tu voulais faire, à l'époque … »
— Tu … Si tu vas à Éternara, pourquoi ne pas faire le chemin avec nous ?
Voilà, il l'avait dit.
Surpris par ses propres paroles, Arno fut envahi par un sentiment inconnu qui le fit frissonner ; un sentiment qu'il n'arriva pas à identifier. C'était différent de quand il avait accepté que Wally les accompagne. Cette fois, il avait de lui-même proposé à Prune de faire ce voyage avec eux.
Une petite voix dans son esprit disait regretter ces paroles, mais il la fit se taire.
Il l'avait déjà trop écouté jusqu'à aujourd'hui.
Prune le fixa un court instant. Détourna le regard. Le fixa une fois de plus.
Sa bouche s'entrouvrit plusieurs fois, sans qu'aucun son ne s'en échappe.
Puis, semblant se ressaisir, elle se redressa d'un coup, faisant virevolter ses longs cheveux autour de son visage angélique.
Dans ses yeux turquoise, embués par des larmes retenues, Arno reconnut la lueur d'un autre sentiment qu'il ne connaissait que trop bien.
La solitude.
— Oui ! D'accord !
La réponse de Prune, bien que fluette, résonna en lui et le remplit d'une étrange chaleur.
BR1-CT11.MIRROR/fin