Chapitre 21 : Des mentalités à changer
Galbar
J'étais sorti avec mon maître quand les forces impériales ont débarqué. Je lisais le mécontentement sur le visage insectoïde de mon maître. Il n'avait pas prévu que l'Empire trouve si vite la trace des Paxen. Le colonel Tranchodon était plus intelligent que prévu. Une insulte pour maître Frelali, qui aimait se penser plus intelligent que tout le monde. Et je me demandais comment il allait s'en sortir cette fois. Il ne pourrait pas prétendre qu'il avait trouvé les Paxen, sinon il serait allé contacter l'Empire bien avant. Mais il ne pouvait pas non plus prétendre qu'il ignorait qu'ils étaient là ou qu'il ne les connaissait pas. Tout cela allait dépendre, je le savais, de l'attitude de Cresselia, et surtout de celle des Paxen. D'ailleurs, je n'en voyais aucun, et je ne savais plus quelle était leur cabane.
Mais connaissant l'Empire, il avait déjà dû encercler la Vallée des Brumes. Prendre la fuite sans se faire repérer était exclu pour Kerel et sa bande. J'espérais qu'ils resteraient cachés sans se faire attraper. Sinon, ça aurait pu devenir embarrassant pour mon maître et moi, et je ne voulais pas que le colonel Tranchodon me prive de plaisir que je devrai tirer de la mort de Kerel et du viol de cette fille Paxen. Par chance, le commandant impérial avait le regard rivé sur Cresselia et ne remarqua pas mon maître. Cresselia regarda l'unité impériale se diriger vers elle avec une somptueuse indifférence. À moins que ce ne soit du dédain. Le Lancargot qui menait les troupes se posta face au Pokemon Légendaire, très rigide mais avec tout de même un semblant de respect dans la voix. Même les Pokemon impériaux ne rencontraient pas un des Pokemon Légendaires d'autrefois tous les jours.
- Madame Cresselia, je suis le major Lancargot, commandant de la Quatrième Cohorte de l'Armée Impériale de Pokemonis, sous les ordres du Général Légionair.
- La Vallée des Brumes peut accueillir individuellement des Pokemon de l'Empire, que ce soit pour une rencontre diplomatique ou un hébergement, répondit Cresselia d'une voix douce mais ferme. En revanche, le nombre de soldats que vous amenez ici équivaut à une force d'invasion. Je vais vous demander de partir.
Lancargot l'ignora royalement.
- Au nom de Sa Majesté l'Empereur, nous recherchons des criminels à l'Empire. Il se peut qu'ils aient trouvé refuge ici.
- Vos criminels ne sont pas les nôtres, répliqua Cresselia. Nous accueillons tous ceux qui jurent de respecter nos lois, quoi qu'ils aient fait ailleurs.
- Vous reconnaissez donc abriter ces traîtres ?
- Je ne reconnais rien, j'énonce un fait.
- Nous recherchons quatre humains, dont une très vieille femme, poursuivit Lancargot. Ils seraient accompagnés par au moins deux Pokemon : un Cielali et un Cresuptil. Vous ne devez pas ignorer qui vous faite rentrer chez vous, non ? Si ces personnes sont bien ici, vous le savez forcément.
- Et même s'ils étaient là, vous n'auriez pas le droit de vous en prendre à eux tant qu'ils sont sous la protection de la Vallée des Brumes. Notre peuple est indépendant, dois-je vous le rappeler, major Lancargot ?
- Ces individus présentent un danger pour l'Empire et sa population, répliqua le major impérial. La sécurité de l'Empire passe avant les quelque droits que nous voulons bien vous accorder, je le crains. Nous allons effectuer une fouille de votre village. Si nous trouvons ces criminels, nous les amènerons. Si certain ici s'avisent de nous en empêcher, ils seront considérés comme des criminels eux aussi, et traités en conséquence.
Lancargot fit alors signe à ses Pokemon de se disperser, et ils commencèrent à fouiller les maisons une par une. Les Pokemon du village paraissaient outragés, mais aucun ne fit mine de protester. Aucun ne dénonça quand même les Paxen. Cresselia se contentait d'observer durement le major Lancargot, mais sans mot dire. À coté de de moi, je voyais que mon maître était tiraillé. Il devait se demander s'il ne devait pas dénoncer les Paxen directement, ou ne rien dire en espérant qu'ils soient bien cachés et que les impériaux ne les trouvent pas. Quand le regard de Lancargot se posa sur Frelali et qu'il s'avança vers lui, mon maître ne put plus faire semblant de regarder ailleurs.
- Vous... Vous êtes Frelali, c'est ça ? Le colonel Tranchodon nous a donné votre signalement. Que faite-vous ici ?
Mon maître prit un ton mi servile mi important.
- Le colonel est un vieil ami à moi, affirma-t-il sans détour. Je lui ai promis de l'aider à retrouver ces odieux criminels, avec tous mes modestes moyens. Mes recherches nous ont amené ici.
- Et donc ? Vous les avez localisé ?
Je retins mon souffle. Frelali hésita un instant, et dit :
- Non, je le crains, major Lancargot. Je ne les ai pas vus dans ce village, et Dame Cresselia a refusé de me renseigner, comme à vous. Peut-être sont-ils ici et cachés, mais j'en doute. J'ai bien cherché.
C'était bien joué. Digne de mon maître. Ainsi, si jamais les Paxen se faisaient attraper en plein dans le village, Frelali passerait pour un nul, mais pas pour un traître. Mais cela n'arriva pas. Après trente minutes de fouilles intensives, où ils avaient même étaient voir dans le lac, les Pokemon de Lancargot revinrent bredouilles.
- Aucun signe d'eux, major, dit l'un d'entre eux, un Lucario.
Lancargot hocha la tête, mais il ne paraissait pas satisfait, comme s'il soupçonnait Cresselia de se payer sa tête.
- Nous partons en paix, dit-il. Mais nous continuerons à surveiller les alentours, au cas où les criminels seraient dans le secteur. Et souvenez-vous, tous autant que vous êtes : vous avez beau bénéficier d'une certaine liberté, l'Empire ne vous pardonnera pas si vous aidez ses ennemis, de quelque façon que ce soit. Tenez-le vous pour dit, Dame Cresselia.
Sans attendre de réponse, il repartit, ainsi que ses troupes, en direction de son skipper. Il se souvint alors de mon maître, et lui dit de loin :
- Si vous comptez continuer à pourchasser les Paxen, veuillez informer régulièrement le colonel de vos déplacements.
- Bien sûr, major, fit mielleusement maître Frelali. Naturellement. Je vous souhaite bonne chance dans la suite de votre traque.
Sans répondre, Lancargot grimpa dans son vaisseau et décolla peu après. Personne n'osa faire trop de geste même après leur départ, jusqu'à que quelque Pokemon volants fassent un rapport à Cresselia.
- Ils sont bien tous partis, ma dame, dit un Yanma. Ils n'ont laissé aucun espion, mais leur vaisseau est resté posté non loin des limites de la Vallée.
- Bien.
Tout le monde se détendit un peu plus. Moi aussi, je devais l'avouer. Je regardai autour de moi, curieux de savoir comment les Paxen avaient pu échapper à l'attention des impériaux. Je m'attendais peut-être à les voir redevenir visible tout d'un coup. Et c'est ce qui se passa. Kerel venait d'apparaître de nulle part, non loin de l'endroit où je me tenais. Un Keckleon descendit de son épaule. Kerel s'inclina gauchement devant Cresselia.
- Merci de nous avoir couvert, ma dame.
- Les impériaux n'ont pas à m'ordonner quoi que ce soit, surtout pas dans ma vallée, fit-elle d'un ton outré.
Puis ensuite, Kerel se tourna vers mon maître et moi. Il évita mon regard, pour se concentrer sur maître Frelali.
- Merci à vous aussi, Monsieur Frelali, fit-il à contrecœur. Je m'étonne que vous ne nous ayez pas dénoncé à votre "vieil ami".
- Je l'ai déjà dit, humain, répliqua mon maître. Je ne fais pas confiance à Tranchodon. Il a accusé le maire Cresuptil de trahison juste parce qu'il avait laissé entrer une Paxen dans sa ville. Il pourrait faire de moi juste parce que nous nous trouvions dans le même village que vous. Tranchodon est un fanatique, qui n'accepte aucune erreur, aucune infidélité envers l'Empire. Je ne veux pas être mêlé à vos histoires comme Cresuptil l'a été.
Mon maître s'éloigna, et je lui cédai le pas. Je ne connaissais pas encore trop les intentions de maître Frelali. Il m'en faisait rarement part. Une chose était sûre en tout cas : il ne voulait pas laisser les Paxen à l'Armée Impériale. Ça m'allait bien, à moi aussi. Je guettais l'occasion qui me permettrait de prendre ma vengeance sur Kerel. Tant que je ne l'aurai pas prise, il était impensable que l'Empire capture ces types là. Ensuite seulement, je ferai ce qui sera nécessaire à mes propres intérêts, comme toujours. Les miens, et pas ceux de mon maître, pour une fois. Je voulais ce qui me revenait. Moi, Galbar, esclave depuis des années, je désirai quelque chose que mon maître ne pourra jamais me donner : la reconnaissance.
***
Ludmila
Quand Dame Sol nous dit de sortir, que les impériaux étaient partis, je ne tenais pas moins mon bâton pointu de fortune qui me servait d'arme. Quand je vis ce crétin de Kerel, avec son air penaud, au milieu des Pokemon du village, je dus grandement me retenir pour m'empêcher de ne pas lui passer mon bâton à travers le corps. Si cet imbécile congénital s'était fait repérer, c'en aurait été fini de notre voyage. Pourquoi ce type était-il si débile ?
Dame Sol allait remercier Cresselia pour avoir usé de ses pouvoirs afin de fondre notre cabane dans la brume. Ça m'aurait dérangé de l'admettre, mais son petit tour avait fichtrement bien réussi. Les impériaux étaient passés devant notre maison sans s'arrêter. Je n'en méprisais toujours pas moins les Pokemon Légendaires, mais Cresselia était au moins pas une traitresse, c'était déjà ça. Quand Kerel nous appris que Frelali avait menti aux impériaux sur notre présence ici, Cielali refusa d'y croire.
Je la comprenais. Il était difficile d'imaginer notre pire ennemi nous sauver la mise. Frelali avait apparemment invoqué sa propre sécurité, mais je trouvais ça louche. Il aurait très bien pu nous vendre à l'Empire et en récolter quelques honneurs. Je doutais que ce Pokemon - qui selon Kerel achetait parfois des esclaves pour les dévorer - soit un grand défenseur de la cause humaine. Il devait manigancer quelque chose, et j'avais en tête de le surveiller de près. Quand nous fûmes seuls, je pris Penombrice à part.
- Ce Frelali mijote surement un truc de louche, dis-je à mon partenaire. Tiens-le à l'œil sans te faire remarquer. Ça ne devrait pas trop être difficile pour toi.
En effet, les Pokemon Spectre étaient les mieux placés pour faire de l'espionnage, grâce à leur corps immatériel pouvant se fondre dans n'importe quoi.
- J'essaierai, me dit Penombrice, mais je sens un instinct de chasseur chez ce Pokemon. Même si je suis invisible, il pourrait me sentir.
- Te sentir ? Répétai-je, amusée. Comment pourrait-il bien te sentir ? Tu es un spectre ! Tu n'as aucune odeur.
- Ce n'est pas une question d'odeur. Un chasseur sait quand il est observé, même s'il ne voit rien. C'est instinctif. Et puis, j'ai beau être un spectre, je suis aussi un Pokemon Glace. La température descend toujours de quelques degrés là où je passe. Ça n'échappera pas à un Pokemon aux sens aussi affutés que Frelali.
- Débrouilles-toi, tu veux ? Dame Sol a commencé à fouiller la mémoire de Tannis, et je ne veux pas que ce Pokemon perfide fourre son nez là où il ne doit pas. Plus vite elle aura la localisation de la Pokeball de l'Empereur, plus vite on partira d'ici, et mieux ça vaudra.
- Nous sommes en sécurité ici pour le moment. Ne nous ayant pas trouvé ici, l'Empire ira chercher ailleurs. L'hospitalité de Dame Cresselia nous fait honneur. Et beaucoup des Pokemon d'ici sont très vieux. Ils ont des histoires passionnantes à raconter. Il y a un Relicanth dans le lac qui a connu l'ère d'avant l'Empire, figure-toi, et il m'a dit...
- On est pas ici pour prendre du bon temps ! M'impatientai-je. Astrun a beau déplacer la base souvent, les impériaux finiront par la trouver ! On doit tuer l'Empereur avant qu'il ne nous tue !
Penombrice secoua sa tête fantomatique.
- Calme-toi. Même si nous trouvons la Pokeball de l'Empereur rapidement, il nous faudra ensuite lancer un assaut sur la capitale, là où il se trouve. Tu crois que ce genre d'attaque se prépare en un jour ou deux ? Nous n'avons ni les moyens ni les ressources pour attaquer l'Empire dans son cœur. Nous devrons rassembler tous nos alliés à travers la région, ainsi ceux d'au-delà. Le Premier Fondateur se trouve depuis des années dans l'Empire Lunaris. Nous ne pourrons pas lancer notre assaut final sans lui.
Je poussai un soupir méprisant. Le Premier Fondateur... Je n'avais jamais vu ce type, personnellement, et pourtant j'étais née et j'avais passé toute ma vie à la base. Il voyageait toujours à travers le monde pour quelques raisons mystérieuses, et ne revenait que tous les vingt ans voir plus à la base. Aujourd'hui, cet homme était presque une légende pour les Paxen. C'était lui qui avait réuni les cinq autres fondateurs pour créer la rébellion Paxen. De fait, cet homme avait plus de cent ans. Bon, Dame Sol aussi, mais elle avait une bonne raison. Une raison que tous les Paxen connaissaient. En revanche, personne à la base ne semblait connaître les mystères qui entouraient le Premier Fondateur. Dame Sol devait le savoir elle. Faudrait peut-être que je tente de l'interroger là-dessus un jour.
Bon, ceci dit, Penombrice avait raison. On ne pouvait pas attaquer Axendria comme ça. C'était la ville la mieux gardée de tout l'Empire, et qui, en plus de l'Empereur, renfermait les Cinq Etoiles, la Trigarde Impériale, et l'Ordre G-Man. D'un autre coté, si on comptait sur l'Empire Lunaris pour nous aider, on pouvait attendre longtemps. Lunaris était un pays au nord de Pokemonis. Le seul pays du monde encore gouverné par des humains. L'Empire Lunaris existait déjà avant la Guerre de Renaissance.
Les Lunariens sont parvenus à conserver leur liberté grâce à leur technologie ainsi qu'à une armée de Pokemon qui lui était restée fidèle. L'Empire Lunaris était en guerre froide contre l'Empire Pokemonis depuis des années, et donc des alliés de fait des Paxen, mais ils n'avaient jamais rien fait de tangible pour nous. Ils se contentaient de rester derrière leurs frontières protégées. L'Empereur de Lunaris n'en avait rien à fiche des humains de Pokemonis. Si l'un d'entre eux arrivait jusqu'à Lunaris et demandait l'asile, il acceptait de l'accueillir, mais c'était tout. Cela faisait dix-neuf ans que le Premier Fondateur était censé être là-bas pour négocier une alliance forte avec lui. Vu le temps qu'il y mettait, c'était mauvais signe.
Les jours s'écoulèrent pour nous. Au quatrième jour ici, il apparut que Dame Sol avait fait quelque progrès avec Tannis. Son seul souvenir tangible avait été jusque là le masque du Seigneur Xanthos, ce qui était, de mon avis, à la fois encourageant et inquiétant. J'avais quelques raisons de ne pas vouloir que Tannis se souvienne trop de Xanthos et de mon combat contre lui à ce moment là. Dame Sol connaissait les risques et les enjeux, et tâchait de toujours guider l'esprit de Tannis au bon endroit. Récemment, il est parvenu à voir une image de la base Paxen, très reconnaissable à sa tour verte gigantesque, envahie par la végétation. Ça, c'était une bonne nouvelle. Ça voulait dire que les souvenirs Paxen refaisaient surface. Nous avions eu des raisons de craindre que Tannis n'ait conservé que ceux au sujet de l'Empire, après ce qu'il a subi...
Quant à moi, j'expérimentais une nouvelle forme d'état mental : l'ennui. Même à la base Paxen, il y avait toujours tellement de choses à faire que je ne m'ennuyais jamais. Je n'étais jamais inutile. Mais ici et maintenant, je ne pouvais rien faire, et ça me pesait. Je n'étais pas spécialement quelqu'un qui pouvait s'accommoder de rester sans rien faire longtemps. Ça me stressait, surtout quand je pensais à tous mes camarades à la base, qui pouvaient se faire repérer par l'Empire à tout moment.
Faute de mieux, je passais mon temps à m'entraîner. Bien sûr, dans ce village, je ne risquais pas de trouver des salles d'entraînement avec du matériel adapté comme dans la base Paxen, mais je faisais avec les moyens du bord. C'était course à pied quatre heures par jour, suivi de natation, de pompes et de flexions musculaires. J'avais même trouvé un Colossinge qui habitait ici qui accepta d'être mon partenaire pour quelque combats. À l'inverse des Pokemon qui possédaient pouvoirs et attaques spéciales, mon corps était ma seule arme. Je me devais de l'entretenir souvent.
Le problème, c'était qu'ici, j'avais toujours une foule de curieux qui venait m'observer. Les Pokemon du coin ne voyaient pas souvent d'humain, et que l'un d'entre eux, qui plus est une femelle, s'entraîne autant tous les jours, ça les intriguait. Tannis séchait parfois ses séances avec Dame Sol pour me regarder en cachette. Il y a renoncé quand, après l'avoir surpris, je l'ai gentiment menacé de réduire ses boules en bouillie. Kerel aussi venait parfois. En tant qu'esclave de combat, l'entraînement, il connaissait, et il le pratiquait aussi. Mais il devait trouver bizarre de voir une femme en faire autant. Dans son esprit machiste, les femelles ne servaient qu'à la reproduction. Je ne rechignais pas à m'entraîner avec lui, ceci dit. J'étais plus forte que lui, mais il connaissait des mouvements et des prises intéressantes. Et puis, j'étais toujours plus que ravie de lui coller une misère en l'étalant par terre ou en le balançant dans le lac.
Il y avait ce Galbar aussi qui me matait des fois. Il ne venait jamais me parler, mais me regardait de loin avec son sourire ironique. J'avais l'impression qu'il regardait un futur trophée. Je n'avais pas oublié la conversation que j'avais surprise. Ce type voulait m'avoir pour lui tout seul. Je l'observais toujours du coin de l'œil, au cas où il aurait des idées. À l'inverse de Kerel, il avait une forte carrure. Lui, je ne pourrai pas l'étaler aussi facilement.
Mais je n'étais pas inquiète. J'étais habituée à être la cible des hommes. Tel était le lot de toutes les femmes quand il y avait seulement une fille pour dix garçons. Il avait bien fallu que j'apprenne à me défendre. Même parmi les Paxen, il y avait toujours quelques petits malins qui auraient eu bien envie de me mettre la main dessus et la queue dedans. Les Paxen n'étaient pas des enfants de joie, loin de là. Je n'ai jamais compté sur mon nom pour me défendre, mais sur mes poings. Après avoir fait en sorte que ceux qui avaient essayé de me violer ne puisse plus jamais avoir d'enfant, j'avais gagné une certaine réputation de fille qu'il valait mieux ne pas chercher. D'un autre coté, ça avait aussi découragé les garçons de me raconter fleurette. Sans doute craignaient-ils que je les transforme en eunuque si jamais ils s'approchaient trop près de moi. Pas vraiment un mal, selon moi.
J'aime les garçons, là n'est pas le problème. Ce qui m'ennuie chez eux, c'est leur mentalité. Dans l'Empire, il y a très peu de femme, à cause du virus qu'Anthroxin a crée et que Xanthos a lâché sur les humains lors de la Guerre de Renaissance pour réduire leur population. Avant la guerre, c'était à peu près cinquante-cinquante sur les chances de naître fille. Aujourd'hui, c'était une chance sur dix. Donc, les femmes étaient rares, précieuses, et vouées à être protégées et préservées. Les hommes considéraient les femmes comme des espèces d'objets fragiles justes bons à porter les bébés. Tous les garçons avec qui j'étais sortie me traitaient comme si j'étais en porcelaine, ou l'une de ces nunuches qui adorent les fleurs et les jolies robes. Ce que je voulais, moi, c'était quelqu'un qui m'aimerait pour ce que j'étais : une fille forte, une combattante aguerrie, et non pas seulement une paire de seins.
Après mon entraînement hebdomadaire - qui avait duré toute la matinée depuis six heures du matin - et après une rapide collation comprenait des baies et ces espèces de gâteaux dégueulasses que les Pokemon fabriquaient, j'envisageai une petite sieste. À cette heure ci, j'avais toujours la cabane rien que pour moi. Dame Sol était avec Tannis pour ses séances de la mémoire, et Cielali partait vagabonder dans je ne sais quel arbre. C'était bien de dormir aussi, quand on avait le temps. Ça me permettait de ne plus penser pendant un moment. Et l'avantage de la présence de Cresselia ici, c'était qu'on ne faisait jamais de cauchemar. C'était pour moi quelque chose de singulièrement plaisant. Car, ayant vu mon père mourir sous mes yeux, et ayant vu quantité d'autre choses horribles commises par l'Empire, mes nuits étaient souvent agitées.
Quand je me réveillai, je n'avais visiblement que très peu dormi. Mon réveil s'était déclenché. Il faut croire que Penombrice avait raison quand il parlait des instincts de chasseurs, car j'avais l'horrible impression qu'on m'épiait. Je pris discrètement mon bâton pointu que j'avais toujours à porté, puis, d'un coup d'un seul, je me relevai en pointant mon arme sur l'intrus. C'était un Flabébé, un minuscule Pokemon posé sur une fleur, qui se tenait sur l'embrasure de la fenêtre. Il sursauta à mon geste et s'enfonça encore plus dans sa fleur, comme si elle allait le protéger.
- Me mange pas, gémit le petit Pokemon. S'il te plait, me mange pas !
Je soupirai, et baissai mon bâton.
- Qu'est-ce que tu fiches là toi ? Demandai-je.
Le Flabébé releva la tête de sa fleur. Il avait l'air penaud. Il devait s'agir d'un enfant, bien que c'était toujours difficile à dire avec un Pokemon de cette taille.
- Je voulais voir à quoi ressemblaient les humains. Mon papa et ma maman m'ont interdit de m'approcher de vous. Ils disent que les humains mangent les petits Pokemon. Tu ne vas pas me manger hein dis ?
Je me demandai d'où ses parents tenaient cette rumeur absurde. Manger les Pokemon, franchement, ça ne me disait rien. Il est vrai que certains Paxen, les plus durs d'entre nous, le faisaient parfois, par défi envers les impériaux qu'ils avaient tué, mais c'était pour la déconne. En revanche, des Pokemon qui mangeaient les humains, ça, y'en avait réellement...
- Je ne mange que les Pokemon méchants, dis-je toutefois avec grand sérieux. Ceux qui font du mal aux humains. Tu ne fais pas du mal aux humains, si ?
- Non ! Tu es le premier je que je vois. Et à la Vallée des Brumes, personne ne fait de mal aux humains. Dame Cresselia l'a interdit.
- Tant mieux alors. Tu peux aller rassurer tes parents.
Mais le Flabébé, ayant eu l'assurance qu'il n'allait pas se faire dévorer, se laissa flotter jusqu'à moi, et m'observa comme si j'étais une espèce particulièrement impressionnante de monstre.
- Tu vas manger l'Empereur alors ? Me demanda-t-il.
- C'est ça, dis-je en songeant que ce serait profondément dégoûtant.
- Mes parents n'aiment pas l'Empereur. Ils disent qu'il a... euh... bafoué l'honneur des Pokemon. Dis, ça veut dire quoi, « bafoué » ? Eh eh, dis, c'est vrai que les humains ne pondent pas d'œuf ? C'est un ami qui m'a dit ça. C'est vrai ?
Je me levai et sortis dehors sans répondre, mais le Flabébé, pilotant sa fleur comme un vaisseau spatial, me suivit à hauteur de la tête et continua à m'envahir de question. Me voilà bien embêtée. J'avais envie d'éloigner cet agaçant gamin comme on aurait éloigné une mouche, mais vu sa taille et son poids, je l'aurai fait tomber de sa fleur au moindre effleurement. Et je n'avais pas envie de provoquer un incident diplomatique en attaquant par mégarde un enfant. Dame Sol m'aurait tué.
- Dis dis, c'est quoi tes attaques, hein ? Moi je connais Fouet Liane et Charge, et j'ai appris Vent Féerique la semaine dernière ! Mes parents sont des Florges, ils connaissent des attaques trop forte comme Pouvoir Lunaire ! Dame Cresselia aussi connait Pouvoir Lunaire, mais elle est bien plus forte que mes parents. Tu ne trouves pas qu'elle est trop belle, Dame Cresselia, hein hein ?
Le Flabébé continuait de discourir sans même me laisser le temps de répondre à ses questions. Ça avait l'avantage de me laisser garder le silence, mais j'avais l'impression que j'allais vite craquer. J'aurai du peut-être lui dire qu'effectivement, je mangeais les petits Pokemon, et plus particulièrement les petits Flabébé qui posaient trop de questions.
- Tu ne veux pas aller voir ailleurs si j'y suis ? Demandai-je enfin.
- Ailleurs ? Pourquoi ailleurs ? Tu es là non ?
- Tu n'as pas d'amis Pokemon avec qui jouer ?
Le petit visage blanc du Pokemon s'éclaira.
- Ohhhhhhh oui ! Je vais te montrer à mes copains ! Ils seront trop jaloux ! Viens avec moi humain !
Avec un éclat de rire, il m'entoura le poignet de petites lianes et me guida à toute vitesse à travers le village. À contrecœur, je le suivis, car si je m'avisais de me dégager le bras de ses fouets lianes ou même de m'arrêter, j'allais probablement casser sa fleur ou lui faire faire un vol plané. Était-il possible d'être si petit et fragile ?
Les amis du Flabébé l'attendaient dans un coin qui ressemblait à un bac à sable avec un arbre au milieu. C'étaient tous des Pokemon en bas âge. La plupart d'entre eux furent terrifiés en me voyant. Flabébé dut me présenter comme étant sa nouvelle meilleure amie pour que les petits Pokemon daignent s'approcher et commencer à me renifler. J'avais une pressente envie de partir en courant, mais je songeais à un truc que Dame Sol aurait dit, du genre : « la mission des Paxen est de faire naître l'entente et la compréhension entre les humains et les Pokemon ».
Je n'étais pas le meilleur émissaire pour la paix qui soit. Mais j'étais consciente d'une chose : ces petits Pokemon seront les adultes de demain. C'était l'image des humains qu'on leur donnait petit qui allait persister le reste de leur vie. Astrun disait souvent ça. Que pour changer le monde, il fallait d'abord changer la mentalité des Pokemon, et que ça ne pouvait se faire que par un comportement exemplaire de notre part. Généralement, après une phrase de ce genre, je le traitais d'intello et de philosophe, ce qu'il était en réalité. Mais en voyant ces enfants Pokemon plein de joie et d'innocence, tout excités à l'idée de rencontrer un humain, je me dis qu'il n'avait sans doute pas tort.
C'est dans cet état d'esprit que je me surpris à jouer avec eux toute l'après-midi, à des jeux divers et variés. À la fin, Flabébé était ravi, et promit de revenir me voir le lendemain, ce dont je me serai bien passée. Mais en rentrant sous le soleil couchant, j'avais un léger sourire sur le visage. Ce monde n'était pas aussi pourri qu'on pourrait le croire, et il n'y avait guère de différence entre les enfants Pokemon et enfants humains. C'est alors que je remarquai derrière moi Kerel, qui m'observait bouche bée. Je me rendis compte qu'il avait sûrement du me voir jouer à la balle avec les gamins Pokemon. Je rougis un bon coup, et me précipita vers lui. Mon regard dut être particulièrement impressionnant, car il se ratatina sur lui-même.
- Si tu en parles à quiconque, je te bute, mmgrrr ! Lui dis-je sans détour.
Kerel hocha frénétiquement la tête.