S&M - RihannaCe bonus se termine trois ans avant la rencontre entre Cassy et Sven, survenue au chapitre 10.Comme elle est belle ! De toute sa vie, il croit n'avoir jamais vu de créatures plus splendides que celle-ci. Tant de grâce, tant d'élégance et tant de charme réunis en un seul et même être, c'en est presque surnaturel.
- Pousse-toi de là, gamin !
Sven s'écarte docilement du passage pour permettre au Commandant Jupiter de poursuivre sa route le long du couloir. Alors qu'elle s'éloigne, il ne peut s'empêcher de l'observer par-dessus son épaule. Agée d'à peine dix-huit ans, elle vient tout juste d'être recrutée par son père, Hélio, en même temps que son frère et sa soeur, les dénommés Mars et Saturne, pour rejoindre les rangs de la Team Galaxie.
En seulement deux missions, elle a eu l'occasion de se forger une réputation de renom. Apparemment, il s'agit de la plus redoutable des tueuses à gage de la région Sinnoh. Elle a attiré l'attention de la police sur elle après un crime savamment élaboré à Unionpolis, où elle a mis fin aux jours d'un richissime homme d'affaires.
Son sac de sport en bandoulière, un livre à la main, Sven reprend la direction de sa chambre, des étoiles plein les yeux, comme à chaque fois qu'il en vient à croiser cette sublime déesse.
Il a célébré quelques semaines auparavant son douzième anniversaire et, bien que sa mère ait demandé à Hélio de ne pas le brusquer, il sait que bientôt son père voudra qu'il choisisse son rôle à jouer au sein de la Team Galaxie. Sera-t-il un agent de terrain ? Un homme d'intérieur ? Il n'en a pas la moindre idée. En fait, il n'arrive pas à penser à autre chose qu'à Jupiter.
Au fil des salles et des différents couloirs qu'il traverse pour rejoindre les quartiers de ses parents, il croise beaucoup de gens qui le salue avec respect, plus parce qu'il est le fils du chef que parce qu'il en est réellement digne. En réalité, il n'a jamais rien accompli qui puisse lui valoir une quelconque reconnaissance.
Il n'apprécie pas ce vieux bâtiment de Voilaroc dans lequel l'organisation a établi son Quartier Général. Il regrette le pavillon de banlieue où il vivait avant que l'ambition de son père ne prenne un tournant démesuré avec l'arrivée de ses premiers groupes de fidèles. Il a également hâte que le second QG, celui qui se construit à Vestigion, soit rapidement terminé. Il sera beaucoup plus moderne et spacieux que celui-ci, mais malheureusement, il ne sera pas prêt avant l'année à venir.
Juste avant d'arriver dans le secteur du troisième étage qui est uniquement réservée à ses parents, il fait une halte à la salle de lecture pour y laisser le livre qu'il transporte avec lui. Il le remet à une secrétaire chargée de la classification, car Hélio déteste que le désordre règne parmi ses précieux ouvrages.
- Sven, attends ! lui lance la jeune fille au large sourire et au visage couvert de tâches de rousseur. Tu te souviens du recueil que tu voulais emprunter il y a deux jours ? Adrian l'a ramené. Est-ce que tu le veux ?
Le garçon accepte avec plaisir l'épais pavé qu'elle lui tend et signe le feuillet à lui remettre. Même en étant le fils du patron, dans la bibliothèque, il n'a le droit à aucun privilège. Son père est tellement obsédé par les livres qu'il finira certainement un jour par les enfermer tous sous clé afin d'être sûr qu'il ne leur arrivera rien.
D'un revers du pouce, il caresse la reliure en cuir qui doit valoir à elle seule une petite fortune, puis nettoie avec un coin de sa manche les lettres dorées du titre pour les faire briller. Après cela, il ouvre l'ouvrage avec autant de dévotion que s'il s'agissait de la Pokible.
Tout en marchant, il feuillette les pages jusqu'à trouver l'histoire qui l'intéresse. Au milieu de toutes ces légendes diverses, une seule l'intéresse vraiment : celle de Lilith, la femme par excellence.
La force de son caractère et son immense beauté ne cessent de lui rappeler Jupiter. Toutes deux provoquent chez lui un sentiment identique : celui de la fascination. Quand il voit le jeune Commandant, il ne peut s'empêcher d'être envahi par un certain émerveillement.
C'est le nez plongé dans son livre qu'il arrive dans ses quartiers. A l'aide d'une clé argentée à laquelle une étiquette avec son nom est accroché, il déverrouille le sas et pénètre à l'intérieur. Après avoir traversé cette minuscule pièce carrée, il débouche presque aussitôt dans un vaste salon.
Sur le divan, une femme, âgée d'une petite trentaine d'années, est assise en amazone, les jambes en oblique sur le côté. Une cascade de cheveux noirs cerne son visage blafard aux traits tirés par la fatigue. Ses yeux sombres ne dégagent pas le moindre éclat et c'est avec une profonde lassitude que la mère de Sven pose son regard sur lui.
Il lui ressemble beaucoup plus qu'à son père car il partage avec elle un physique chétif, presque maladif, qu'il cherche désespérément à contrer par de longues séances de sport. Pour le moment, cela n'a eu sur son corps aucun résultat tangible.
- Comment vas-tu, mon chéri ? demande-t-elle d'une voix douce.
- Bien, merci maman.
- Tu ne t'es pas tué à la tâche, j'espère ? Je ne voudrais pas qu'Hélio te pousse à en faire trop.
- Ne t'inquiète pas, je ne dépasse jamais mes limites, ce n'est pas mon genre.
- Je suis heureuse d'entendre ça. Puisqu'il te reste des forces, que dirais-tu de conduire ta mère au restaurant, ce soir ? On pourrait dîner en "amoureux".
- Et papa ? Tu sais très bien qu'il n'aime pas que nous sortions sans lui.
- Il a passé ces dernières quarante-huit heures enfermé dans son bureau, réplique Mme Niklausson en levant les yeux au ciel. Et puis, je commence à en avoir assez de ces murs, assez de ces uniformes, je...
- Chut ! Si jamais il t'entend dire cela, il...
- Qu'il entende ! Depuis que nous avons emménagé ici, j'ai l'impression d'être enfermée du matin au soir.
Sven ne répond pas. Il ne veut pas s'opposer à son père, pour qui l'organisation de la Team Galaxie semble être toute sa vie, mais il ne peut pas non plus donner tort à sa mère. Lui-même regrette parfois l'absence de liberté qu'ils subissent ici, à cause de la paranoïa d'Hélio qui a tendance à voir des traitres et des ennemis partout.
- Prends ton plus beau manteau, maman, annonce-t-il avec un sourire qui se veut charmeur. Ce soir, je t'emmène goûter à la cuisine du meilleur chef de Kanto.
C'est ainsi qu'une dizaine de minutes plus tard, ils traversent le couloir principal du bâtiment, bras dessus, bras dessous. Sven aime beaucoup sa mère, il est prêt à tout pour la rendre heureuse. Pourtant, lorsque leur chemin vient à croiser celui de Jupiter et de sa soeur Mars, il la lâche précipitamment.
Dans un élan de naïveté, il adresse un petit sourire à la jeune femme qui occupe ses pensées, mais il n'obtient en échange qu'une royale indifférence. Il serait invisible qu'elle n'aurait pas eu une réaction différente.
Sa gaieté s'est envolée pour le reste de la soirée. Lui qui souhaite réconforter sa mère, il est finalement d'une humeur aussi déprimée qu'elle. Jamais il n'arrivera à attirer sur lui l'attention du magnifique Commandant. Comment le peut-il ? Il n'est qu'un enfant, alors qu'elle... Elle est parfaite.
***Le lendemain matin, à la première heure, Sven frappe à la porte du bureau de son père. Normalement, personne n'a le droit de venir jusqu'ici sans y être au préalable introduit par un sbire assigné à cette tâche, mais en tant que fils d'Hélio, il a le droit à quelques privilèges bien utiles.
- Entrez ! invite aussitôt la voix de ce dernier.
Le garçon pénètre dans la pièce au mobilier sobre. Seule une armoire dans laquelle il range ses documents et deux chaises installées face au bureau derrière lequel lui-même est assis occupe l'espace.
- Ah, c'est toi. Comment vas-tu ? demande-t-il avec douceur tout en l'invitant d'un geste à prendre un siège.
- Bien, je te remercie. Nous ne t'avons pas beaucoup vu, ces derniers jours.
- Je sais. J'en suis désolé, cependant vois-tu, j'ai fait une série de découvertes des plus intéressantes et il me faut les exploiter au maximum dans les plus brefs délais.
- Je comprends.
- Souhaitais-tu t'entretenir de quelque chose en particulier avec moi ou était-ce une simple visite de courtoisie ?
Sven soutient le regard d'Hélio durant quelques secondes. Il hésite à répondre car il a peur de sa réaction. Il s'est toujours montré compréhensif et à l'écoute, cependant ce qu'ils s'apprête à entendre risque fort de le surprendre.
- J'ai pris une décision, finit-il par lâcher.
- A quel sujet ?
- Sur le rôle que je veux jouer dans la Team Galaxie.
- Ah ? Qu'as-tu choisi ? Je suis curieux de le savoir.
- Je veux être un agent de terrain.
Une expression étonnée passe sur le visage de son père avant de disparaître aussitôt. Il a de quoi être désemparé, puisque personne ne s'attend sûrement à voir Sven opter pour des activités d'extérieur.
- Tu n'es pas d'accord ?
- Euh... Si, bien sûr. Si c'est que tu veux, mon fils, je le respecte. Je te voyais simplement plus dans l'étude ou l'investigation, mais... Evidemment, je te donnerai un coup de pouce.
- Je t'en serais reconnaissant.
- Il va falloir te former aux missions et te faire atteindre le niveau physique requis nécessaire à toutes les situations auxquelles tu pourrais te retrouver confronté. Pour cela, tu vas avoir besoin d'un coach.
- Justement, à ce propos, j'avais pensé... Pourquoi pas Jupiter ?
Cette fois, Hélio va jusqu'à ouvrir des yeux ronds, puis se met à pouffer de rire comme si son fils venait de prononcer une excellente plaisanterie.
- Jupiter ? Tu es sérieux ? C'est la meilleure de mes agents et aussi la plus dangereuse. Ce n'est pas pour rien que je l'ai nommée Commandant. Elle n'acceptera jamais de perdre son temps avec toi.
- Peut-être que si tu lui demandais en personne, tu arriverais à la convaincre.
Hélio prend une profonde inspiration afin de recouvrer son sang-froid, car son air amusé contraste avec la gravité du visage de Sven. Sans doute pour se faire pardonner de sa réaction moqueuse, il consent à accepter :
- Soit, je lui parlerai, mais en aucun cas je ne la forcerai. Je te conseille donc de ne pas te faire trop d'illusions.
- Tu peux compter sur moi.
- Sven ? ajoute Hélio au moment où il s'apprête à se remettre debout.
- Oui ?
- Par pure curiosité... Pourquoi Jupiter ?
- Tu viens toi-même de le dire à l'instant : c'est la meilleure.
***Sven est en train de prendre son repas dans la salle de restauration du QG lorsqu'il sent une présence derrière lui. Par réflexe, il pivote sur son tabouret, la fourchette à demi levée. Il l'abaisse aussitôt, écarlate, en constatant que c'est Jupiter qui se tient dans son dos.
- Oh ! Commandant... bredouille-t-il en inclinant la tête avec déférence.
- Il parait que tu as été pleurnicher dans le bureau de ton papounet pour que je te prenne sous mon aile ?
- Pas exactement... C'est que... Il m'a dit... Enfin, pour être agent de terrain... Et vous...
Le garçon s'interrompt lorsqu'il s'aperçoit que sa phrase n'a aucune cohérence et qu'il n'a pas la moindre idée de ce qu'il veut dire. Jupiter est là, face à lui, et il n'arrive même pas à lui parler.
- Ecoute-moi bien, le mioche. Tu crois vraiment que j'ai dû temps à perdre avec une demi-portion dans ton genre ? Regarde-toi, je suis pas certaine que t'arriverais à soulever ton bol de céréale. Non mais franchement !
Sans rien ajouter d'autre, elle reprend sa traversée de la salle, son frère et sa soeur sur ses talons, en train de pouffer de rire. Sven baisse les yeux, humilié. Tout le monde l'observe, désormais. Jamais il ne s'est senti honteux de toute sa vie, lui qui est pourtant le fils d'Hélio.
Il abandonne son plateau auquel il n'a presque pas touché sur la table. Tout ceci vient de lui couper l'appétit et il n'a plus le coeur à avaler quoi que ce soit. La seule chose qu'il désire, c'est fuir au plus vite l'expression moqueuse des sbires Galaxie.
Dans le couloir, il donne un coup de pied rageur dans le mur immaculé. Il ne parvient même pas à lui laisser une marque, à l'exception d'un trait de gomme, alors que ses orteils endoloris lui arrachent un couinement de douleur.
Il ne s'est jamais senti à ce point piqué dans son orgueil jusqu'à présent. La souffrance interne qu'il éprouve est pire que tout ce qu'il peut imaginer. Il a envie de faire du mal aux autres, de se venger, sans aucune raison particulière. Il ne veut plus qu'une telle situation se reproduise.
Déterminé, il prend la direction de la salle de sport.
***Sven a radicalement changé sa façon de s'entraîner. Désormais, il ne se contente plus de disputer un match de football avec les enfants des sbires ou de faire du vélo d'appartement pendant quelques dizaines de minutes. Il est passé à un stade d'exercices intensifs.
Tous les jours, il exécute une série d'haltères, parvenant à soulever jusqu'à la moitié de son poids. Il court durant plus d'une heure, afin d'accroître son endurance. Enfin, tous les soirs, il se rend dans le dojo que Jupiter utilise en journée et s'efforce d'apprendre seul diverses techniques de combat.
Ce petit rituel se répète au quotidien pendant près de trois ans. Ses capacités se sont développées au-delà de ses espérances, bien qu'il n'ait encore participé à aucune mission de terrain. Si son agilité et sa souplesse sont impressionnantes, c'est son adresse au tir qui est de loin la plus incroyable. Un couteau à la main, il est certain de ne jamais manquer sa cible.
Physiquement, il a beaucoup changé, aussi. De maigrelet, il est devenu élancé et musculeux. Il a également laissé pousser ses cheveux de quelques centimètres, qui lui donnent une allure sauvageonne. Il n'est pas réellement beau, mais une aura mystérieuse et charismatique émanent de lui, le rendant particulièrement populaire auprès des adolescentes.
En revanche, s'il y a bien une chose qui ne s'est pas modifiée au cours de ces dernières années, c'est bien l'inclination sérieuse qu'il porte à Jupiter. Il n'a toujours d'yeux que pour le Commandant et personne ne saurait détourner son attention d'elle.
***Ce soir-là, en arrivant aux abords du dojo, il remarque que quelqu'un à laisser la porte entrouverte. Un peu surpris, il laisse tomber son sac de sport à ses pieds et pousse doucement le battant. Il pivote sur ses gonds en silence.
Jupiter est là, en train de répéter un kata relativement complexe. A plusieurs reprises, elle échoue, tombe sur le sol et se relève en pestant. Elle met tant de rage dans chacun de ses mouvements que Sven redoute de la voir se blesser.
- Qu'est-ce que tu attends ? lance-t-elle sans se retourner. Rentre.
Stupéfait de l'entendre s'adresser à lui, il hésite à pénétrer à l'intérieur malgré son invitation. Essoufflée, la jeune femme interrompt ses mouvements pour resserrer la ceinture de son kimono qui commence à se détendre.
- J'avais presque terminé, de toute façon. Je te laisse la place.
- Merci...
Il a beau avoir pris beaucoup d'assurance au cours des derniers mois, il n'est jamais très loquace en présence de Jupiter qui lui fait perdre tous ses moyens. Déjà en tenu, il se dirige vers le milieu du tatami pendant qu'elle-même récupère ses affaires qu'elle a laissé dans un angle du dojo.
- Tu t'entraines avec quelqu'un, parfois ? demande-t-elle soudain.
- Non, jamais. Je préfère être seul.
- Ce n'est pas comme ça que tu vas progresser. Tu as besoin d'un partenaire.
- Mon père vous l'a proposé il y a trois ans. Vous avez refusé.
- Les temps ont changé. Tu as changé. J'aimerais beaucoup voir ce que tu donnes au combat.
Le regard qu'elle lui lance sonne comme une invitation et Sven ne peut s'empêcher de remarquer que ses yeux sont rougis et gonflés. Apparemment, elle a pleuré peu de temps avant qu'il ne fasse irruption dans la salle.
Elle vient se poster face à lui sur la zone de duel. Ils s'inclinent tous les deux en courbant la tête, comme l'exige les règles de la bienséance, puis se mettent en position. Le corps du jeune homme tremble : il n'arrive pas à croire qu'il va affronter Jupiter. Rien qu'à cette seule pensée, il est capable de rester paralysé sur place.
Elle attaque la première, avec des coups vifs et précis. Dans ses mouvements, elle ressemble à une mante religieuse, grande et élancée. Et belle. Surtout belle. Sven peine à se concentrer sur ses propres gestes. Il est troublé par son adversaire, qui n'a aucune pitié pour lui.
Il encaisse plusieurs assauts de suite et se fait même envoyer au tapis, mais se redresse toujours pour reprendre le combat. Après avoir été malmené pendant quelques minutes, il ose enfin répliquer. C'est ce qu'elle attend, non ?
Il pare son pied du coude juste avant qu'il ne le frappe au niveau du buste et repousse sa jambe vers l'arrière. Il exécute ensuite un combo simple, mais efficace, grâce auquel il parvient à l'atteindre dans un balayage. Les réflexes de Jupiter, meilleurs que les siens, lui permettent de rester debout et de répliquer aussitôt.
Elle se jette sur lui, qui ne réussit pas à lui échapper. D'une clé de bras, elle lui plaque le poignet dans le dos, mais il se libère en la frappant au visage avec l'arrière de son crâne. Elle recule de quelques pas, un peu sonné, tandis qu'il en profite pour repasser à l'action.
La victoire est toute proche, il la sent. Il s'apprête à lui donner l'ultime coup lorsque, sans vraiment comprendre comment car tout s'est passé très vite, il ressent une vive douleur à la nuque, s'effondre par terre, le pied du Commandant entre ses omoplates.
- Ca pourrait être pire, mais y a quand même pas mal de progrès à faire, constate-t-elle.
Sven, le nez contre le tatami, n'ose pas lever les yeux vers elle. Il a trop honte. Sa place est ici, par terre, alors qu'elle le domine de sa suprématie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est aussi surpris lorsqu'elle lui tend la main afin de le remettre debout.
- Si tu t'exerçais à deux, ton niveau serait nettement supérieur.
- Je préfère être seul pour m'entraîner.
- Ah bon ? Même avec moi, tu refuserais ?
- Pourquoi ? s'extase-t-il aussitôt. Vous seriez prête à...
- A l'essai seulement. Si tu te montres satisfaisant, j'envisagerai peut-être de te garder comme partenaire.
- C'est trop d'honneurs que vous me faites, Commandant.
Il s'incline respectueusement face à elle, qui lui répond d'un simple rictus. Sans rien ajouter, elle ramasse ses affaires et se dirigent vers les vestiaires, de l'autre côté du couloir. Sven demeure quelques instants immobile, au centre du dojo. Il a l'impression de rêver.
Enfin, il ramasse son propre sac qu'il met en bandoulière et compte se changer directement dans ses appartements mais, lorsqu'il passe à hauteur de la porte derrière laquelle est censée se trouver Jupiter, il lui semble entendre des sanglots.
Il toque une fois au battant. Pas de réponse. Il réédite son geste à deux reprises, toujours aussi vainement. Après une légère hésitation, il actionne la poignée et l'entrouvre. Il ne s'est pas trompée : assise sur l'un des deux bancs qui longent les casiers, la jeune femme est bien en train de pleurer.
- Qu'est-ce que tu fiches ici ? s'énerve-t-elle.
- Rien... Enfin, je voulais juste m'assurer que tout allait bien pour vous.
- Je vais très bien et, de toute façon, je ne t'ai rien demandé. Va-t-en !
Penaud, il referme précipitamment la porte. Il ne tient pas à l'énerver au cas où elle revienne sur sa décision de lui donner sa chance en tant que partenaire, mais en même temps, il se sent mal à l'aise de savoir Jupiter triste, elle qui parait d'ordinaire si invulnérable. Il aimerait tant pouvoir la réconforter.
***- Sven, dépêche si tu veux qu'on arrive à temps au cinoche !
Une bande d'adolescents courait à demi le long des couloirs du QG et le fils d'Hélio marchait sereinement dans leur sillage. Parvenue à hauteur des quartiers personnels des hauts-gradés, il ralentit le pas.
- Je te signale que la séance commence dans dix minutes, rappela l'un des garçons en tapotant le cadran de sa pokémontre.
- Vous savez quoi ? Allez-y sans moi. En fait, je crois que je n'ai pas très envie de sortir, ce soir.
- Quoi ? Mais...
- Amusez-vous bien.
Sven tourne les talons, sous le regard abasourdis de ses compagnons de jeu. Ceux-ci insisteraient bien, cependant il se trouve déjà à l'extrémité du couloir. Ils l'abandonnent donc ici, ce qui ne semble pas lui déplaire.
Une à une, il examine toutes les portes métalliques jusqu'à lire sur une plaque en fer l'inscription indiquant les appartements des Commandants. A cet instant, le battant électronique coulisse pour laisser sortir Mars et Saturne qui lui passe devant sans même le voir.
Il attend que l'entrée se soit refermée pour venir se replacer devant. Il hésite longuement, prend une profonde inspiration, puis frappe. Il doit patienter d'interminables secondes avant que quelqu'un ne lui réponde.
- Oh, c'est toi... marmonne Jupiter en déverrouillant le sas de l'intérieur avec un passe magnétique. Je pensais...
- J'ai croisé votre frère et votre soeur, alors j'ai décidé de venir prendre de vos nouvelles.
- Tu n'abandonnes jamais, toi ?
- Pas vraiment.
- Je vais bien, tu es content ? Tu peux partir, maintenant.
A ses yeux encore gonflés et au mouchoir en papier froissé qu'elle tient dans la main, il est évident qu'elle cherche à lui mentir uniquement pour l'éloigner. Sven n'est pas dupe. Il fait un pas vers elle et rassemble tout son courage pour la regarder dans les yeux. Si, désormais, il se sent presque capable de combattre un pokémon à mains nues, il n'est pas plus brave qu'un enfant en bas-âge face au Commandant.
- Vous savez, vous ne devriez pas rester seule si vous n'avez pas le moral.
- Qu'est-ce que tu en sais, hein ?
- J'en sais que je vous ai toujours trouvée forte et qu'aujourd'hui, vous me paraissez vulnérable.
- Profites-en pour aller le crier sur les toits, alors ! Je suis certaine que pas mal de monde s'en délecterait.
- Pas moi. J'ai un immense respect pour vous, mademoiselle Jupiter. C'est pour cela que je n'aime pas vous voir dans cet état.
La jeune femme réfléchit un instant, puis s'écarte du passage pour l'inviter à rentrer. C'est les jambes flageolantes que Sven franchit le seuil de son appartement.
- Café ? propose-t-elle.
Il accepte et la suit docilement jusqu'au salon, où il s'installe sur le canapé en cuir. Jupiter disparait un instant dans une pièce adjacente, certainement la cuisine, puis en revient avec deux tasses fumantes à la main.
Elle vient s'asseoir à côté de lui et le coeur de Sven s'emballe. Etre si près d'elle, sentir son odeur... Tout ceci le rend confus. Malgré ses larmes et sa chevelure violacée qui tombe sur ses épaules au lieu d'être coiffée avec soin, il la trouve plus belle que jamais.
Soudain, elle se remet à pleurer. Elle s'efforce de cacher son visage dans ses mains, toutefois il l'attrape par les poignets dans un élan d'impulsivité et la force à le regarder. Il lui adresse un sourire qui se veut compréhensif.
- Tu es gentil, finit-elle par dire d'une voix rauque. Ce n'est pas comme cet imbécile qui...
Un sanglot étouffe la fin de sa phrase. D'abord timidement, puis d'une façon un peu plus assurée, il caresse ses cheveux du bout des doigts afin de la réconforter.
- Personne n'est au courant de cette histoire, mais ça va bientôt se savoir. Mon fiancé vient de me quitter et il va aller le crier sur tous les toits !
Sven grimace. Il a toujours eu vent d'une liaison qu'elle entretiendrait avec un autre agent de terrain, mais n'a jamais voulu le croire jusqu'à maintenant.
- Je ne comprends pas comment il a pu renoncer à vous... murmure-t-il en effleurant sa joue, puis son cou. Vous êtes tellement belle... Tellement merveilleuse...
Sans trop le remarquer, il s'est rapproché de son visage et Jupiter n'a pas bougé. Elle ne cherche même pas à se reculer. Songeant qu'il s'agit certainement de la chance de sa vie, il déclare dans un souffle :
- Moi, à sa place, je ne vous aurais jamais quittée.
Le Commandant cligne des yeux. Elle l'observe un instant, comme si elle le voyait pour la première fois, et vient poser sa main contre son torse musclé. Sven entrelace ses doigts avec les siens, le coeur battant la chamade.
- Dites-vous bien qu'il ne vous méritait pas, ajoute-t-il, la gorge sèche.
Jupiter se penche sur lui pour l'embrasser. Bien qu'il le souhaite ardemment, cela ne l'empêche pas d'être surpris. Au début, il ignore comment réagir. Il n'a jamais touché la moindre fille, or voici que celle qu'il désire le plus se jette sur lui. Il s'inquiète durant une fraction de seconde, mais les choses se mettent en place d'elle-même.
La jeune femme n'a pas besoin de mot, elle se contente de gestes pour le guider. Elle l'emmène à glisser une main sur ses hanches, à placer l'autre sur sa poitrine. Elle effeuille doucement son corps féminin afin de lui montrer comment la déshabiller. La maladresse de Sven se mue alors une sensualité naissante.
C'est un pur bonheur pour lui de découvrir cette peau qui frémit sous ses doigts et dont il a tant rêvé jusqu'à présent. Il peut toucher son cou, ses reins, ses jambes, le tout avec son consentement, alors qu'il s'est toujours efforcée de contenir les pensées les plus secrètes qu'il nourrit depuis tellement d'années.
Toutes ces joies éphémères qu'il a pu éprouvé par le passé ne sont rien à côté de celle-ci. Pour lui, rien ne saurait avoir meilleur goût que la bouche de Jupiter sur la sienne et il ne connaitrait certainement jamais pas plus douce sensation que ses bras autour de sa taille. Son plaisir est total, voire même décuplé de le savoir partagé avec celle pour qui il éprouve une sérieuse inclination.
- Déjà ? murmure le Commandant quand il la relâche. Décidément, je vais avoir beaucoup plus de choses à t'apprendre que prévu...
***Des mois durant, Sven poursuit son entraînement, mais cette fois avec Jupiter. Elle lui apprend à parfaire ses techniques, lui en enseigne de nouvelles et améliore son style. A son contact, il cesse progressivement d'être un adolescent afin de devenir un homme.
L'hiver suivant, elle lui propose de l'accompagner pour ce qui sera sa première mission de terrain. Hélio a donné son aval, fier de l'accomplissement de son fils. Ce n'est pas une sortie très risquée, mais parfaite pour un essai. Sven le réussit d'ailleurs largement.
Après cela, Jupiter commence à lui confier des tâches de plus en plus importantes, jusqu'à parfois même l'envoyer seul en mission lorsque cela ne nécessite pas d'être à plusieurs. Bien qu'il apprécie au plus haut point la compagnie du Commandant, il prend goût à ces escapades en solitaire et aux responsabilités qui en incombent.
Il n'a jamais échoué. Ni quand il s'agit de détourner des informations, de dérober des documents, de voler du matériel scientifique... Bien au-delà des espérances de son père, il devient rapidement le meilleur agent de la Team Galaxie, exception faite de Jupiter elle-même, ainsi que de son frère et de sa soeur.
Sa dernière mission consiste à menacer le directeur de l'Académie des Topdresseurs de Mauville, car il a refusé la candidature du fils d'un ami proche d'Hélio. Sven ne comprend pas l'intérêt de déployer tant de moyens, étant donné que lui-même n'apprécie guère Sylvain Galaksija qu'il trouve trop inintéressant, mais obéit malgré ses préjugés à son père.
Heureux de ce nouveau succès, son dixième en solo, il décide de retrouver Jupiter dans ses appartements afin de célébrer cet évènement avec elle. Elle l'a littéralement transformé, révélant tout le potentiel qu'il n'aurait jamais pu soupçonné chez lui. Il est incapable de lui traduire la reconnaissance qu'il souhaite pourtant lui exprimer.
Elle n'est pas dans ses appartements lorsqu'il pénètre à l'intérieur. Il a l'habitude, cependant. Il prépare du café, s'en sert une tasse et va s'installer dans le salon en attendant son retour.
Une vingtaine de minutes, il entend des rires depuis le couloir. La voix du Commandant lui parvient, ainsi que celle d'un homme. Il ne reconnait pas le timbre de Saturne, pourtant il est convaincu qu'il s'agit de lui. Il se lève, impatient de les retrouver, et se rend dans le petit couloir.
La porte se déverrouille sur Jupiter, en compagnie d'un agent de terrain. Celui-ci, une main posée sur ses hanches, à son visage enfoui dans son cou qu'il embrasse avec langueur, ce qui provoque les éclats de rire de la jeune femme.
Sven ouvre des yeux ronds à la vue d'une telle scène. Ils n'ont pas encore remarqué sa présence, trop pris par leur petit jeu, mais sursaute lorsqu'il lâche la tasse qu'il tient à la main. Elle s'écrase sur la moquette où elle vole en éclats, en même temps que le coeur du garçon.
- Oh ! s'exclame alors Jupiter. Qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que tu ne devais pas revenir avant...
- J'ai fini plus rapidement que prévu. Faire chanter ce gros balourd ne m'a pris que quelques minutes avant qu'il ne cède. Non seulement tu me sous-estimes, mais tu me prends aussi pour un imbécile.
- Je...
Elle ne sait pas quoi répondre. Son visage n'exprime aucun remord, aucune tristesse, juste ce même air méprisant qu'il a à l'accoutumée.
- Je comprends mieux pourquoi ton fiancé t'a quittée et pourquoi tu t'es empressée de trouver du réconfort dans mes bras. Tout le monde m'a mis en garde à ton sujet, mais j'ai refusé de les croire. En fait, ils avaient raison. Tu n'es qu'une garce, Jupiter !
- Et toi, tu n'es qu'un jouet. J'ai fait ce que je voulais de toi, réplique-t-elle, cinglante.
- Tu ne perds rien pour attendre. Je me vengerai.
- Comment ? Tu ne fais pas le poids face à moi.
- Si. Je te prendrais ce que tu aimes le plus au monde, à part toi-même. Ton travail.
- Parce que monsieur réussit ses premières missions de terrain, monsieur pense qu'il peut rivaliser avec moi ? Tu n'es qu'un simple petit espion. Moi, je suis une tueuse. Tu serais incapable d'abattre un Laporeille au cours d'une partie de chasse.
Sven glisse la main dans la poche de son jeans jusqu'à sentir sous ses doigts le canif que Jupiter lui a offert quelques semaines auparavant. Il presse le bouton qui actionne la sortie de la lame, puis crispe sa main sur le manche en bois.
- Regarde-toi ! Tu n'arrives même pas à trouver le courage de me répondre, continue-t-elle à le braver.
- Je réfléchis.
- A quoi ?
- Au meilleur moyen de te prouver que tu te trompes, rétorque-t-il avec un sourire mauvais.
- Comment ? En allant pleurer dans le bureau de ton papa comme tu savais si bien le faire autrefois ?
- Non, mais c'est justement à lui que je pense. Il ne me pardonnerait jamais d'avoir tué l'un de ses Commandants.
- Tu crois que tu me fais peur, Sven ? Je pourrais te briser en mille morceaux, si je le désirais.
- Peut-être, dit-il en haussant les épaules dans un geste désinvolte, mais pas aujourd'hui.
Il se met à marcher jusqu'à dépasser Jupiter sans lui accorder le moindre regard. Celle-ci, néanmoins, n'a pas dit son dernier mot. Vindicative, elle lance :
- C'est ça, disparais après avoir lancé des paroles en l'air ! Enfuis-toi comme le lâche que tu es.
Au moment où Sven arrive à la hauteur du second agent de terrain, il sort le canif de sa poche à une vitesse presque trop rapide pour l'oeil humain et lui plante dans la poitrine. L'homme n'a même pas le temps de pousser un cri : il toussote, crache un filet de sang et glisse le long du mur, la main crispée sur le manche de la lame.
- Mais... Mais... bredouille Jupiter, les yeux écarquillés d'effroi.
- Qu'est-ce que tu disais, déjà ? s'enquit-il, une expression goguenarde sur le visage. Que je n'étais pas un tueur ? Grâce à toi et grâce à lui, j'en suis un, désormais. Oh, j'oubliais ! Tu peux garder le couteau. Après tout, il était à toi, non ?
Jupiter jette déjà une pokéball dans sa direction, furieuse, mais il se précipite dans le couloir où il referme précipitamment la porte derrière lui. Il entend la sphère métallique s'écraser contre le battant, ce qui lui arrache un petit rire. Il s'éloigne ensuite des appartements de la jeune femme tout en essuyant après un pan de sa chemise ses mains tachées du sang de sa toute première victime.