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Destins liés ~Nouvelle Aube~ de fan-à-tics



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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 02/03/2015 à 02:29
» Dernière mise à jour le 02/03/2015 à 02:29

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Episode 1 - Jour et nuit s'entremêlent, Aube et Crépuscule.
Je suis désolée d'avoir mis tant de temps à fournir une suite. Je pourrais donner tout un tas d'excuses toutes plus vraies les unes que les autres : que j'ai eu un deuil à faire, que j'ai plus de boulot que jamais dans ma vie, que j'ai bloqué sur tous mes écrits, pas seulement celui-là...Mais cela ne changerait rrien au fait que vous avez attendu très longtemps.

Toutes mes excuses.
Tout ce que je peux faire c'est essayer de faire vite la prochaine fois (j'essayerai de vous fournir des chapitres plus courts, entre 10 et 20 pages) mais plus nombreux ?
Vous pouvez remercier Icej, Dragonna et surtout Kanon qui me motivent encore et toujours à poursuivre cette histoire alors que je suis en plein rush BD.

(D'ailleurs j'en profite pour faire ma pub, ma BD sort dans le Wanted Mag ! Renseignez-vous sur facebook !!)

Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture !



Episode 1- Lorsque jours et nuits s'entremêlent : Aube et Crépuscule


Acajou n'avait jamais été une petite ville tranquille, tous ses habitants pouvaient témoigner de ce fait atemporel. Loin de la petite bourgade perdue en montagne qu'elle aurait dû être, elle avait été le théâtre de bons nombres de problèmes ; D'abord la Team rocket venant s'y installer, ensuite le lac qui se remplissait de léviators, dont un, rouge comme le sang, avait causé pas mal de ravages. Depuis, les citoyens espéraient simplement que le prochain tracas serait moins grave que le dernier.

Au commencement de son idée, Samantha Joëlle savait parfaitement dans quel genre de combat elle s'engageait. Et elle avait décidée tout spécialement de s'installer là-bas pour y débuter sa révolution, elle se disait qu'à défaut de ne pas déranger des civils innocents, au moins elle tourmenterait ceux sachant déjà gérer les situations de crises.

Samantha y avait établi le Qg de la résistance depuis environ deux ans et, après cinq ans de cavale, c'était devenu sans aucun doute leur meilleure cachette depuis le début de leur combat. A l'écart de la ville, coincé entre la falaise et le lac, et surtout, dont le sous-sol permettait de rejoindre un ancien complexe criminel de la team Rocket. Des centaines de mètres à disposition sous la terre, assez pour tous les accueillir et les protéger. Se terrer dans un repaire de bandits abandonné pouvait sembler stupide, mais elle savait que celui qui avait fait fermé cet endroit n'était autre que l'actuel chef du gouvernement : Peter. Elle comptait sur son orgueil pour qu'il n'imagine jamais qu'un territoire soumis de ses mains puisse avoir été repris par l'ennemi dans son dos. Le plus dur était de vivre sans la lumière du soleil, toujours dans l'obscurité, au bout d'un moment, les yeux s'habituaient aux ténèbres et les nuages grumeleux prenaient alors des formes spectrales , des silhouettes désincarnées se distinguaient et se coloraient. Parfois, il lui arrivait d'oublier. D'oublier l'odeur de l'air frais, la chaleur des rayons, la simple sensation de liberté que l'on ressent face à une étendue sans limite, sans frontière, sans barrière.

Elle aimait alors monter à la surface, aux premières heures du jour pour contempler la nuit lentement s'effacer sous les premières lueurs d'une nouvelle Aube. Voir les étoiles tomber lentement, comme déchues, pour s'échouer derrière la ligne de l'horizon et y disparaitre, telle l'écume sur la plage, cela lui donnait de l'espoir. Peu importe combien la nuit semblait sombre, combien le crépuscule précédent avait ensanglanté le ciel, l'aurore lavait toujours l'azure pour la restituer, vierge et paisible. Doucement, la nature reprenait ses droits et chassait l'obscurité pour inonder de lumière le monde. Durant ce mince laps de temps, où tout oscillait, entre rêves et réalités, présent et passé, elle se sentait à son aise, inspirait lentement et jouait du nuage de buée qui lui échappait, le faisant couler entre ses doigts, danser jusqu'à en oublier sa propre existence.

La jeune femme se gorgeait alors de cette impression puis retournait sous terre.

L'ombre lui allait mieux désormais, elle n'avait plus quatorze ans, mais vingt-trois, et elle savait que parfois, on ne faisait pas ce que l'on souhaitait pour survivre.

Oh pour apprendre, ça, elle avait bien appris depuis son adolescence ! De l'enfant rêveuse qui désirait connaître ses origines et vivre des aventures extraordinaires avait surgit une femme implacable et terre-à-terre. Son entourage lui répétait souvent à quel point elle était devenue froide, par moment, autoritaire et surtout, sûre d'elle, légèrement trop franche et sérieuse. Généralement ces même proches lui conseillaient d'aller se dérider un peu, arrêter d'entraîner ses Pokémon pour se détendre et oublier son combat. Vivre un peu. Mais Samantha se trouvait bien assez vivante comme ça. Bien plus vivante qu'auparavant. Plus raisonnable aussi, elle préférait sa personnalité actuelle, penser à ses réactions d'enfants la plongeait dans un mutisme honteux et rien que penser aux absurdités qu'elle avait proféré, au mal que ses actions avaient pu causer, à ses mensonges et sa mauvaise foi…tout cela la faisait rougir jusqu'aux oreilles et la comblait d'embarras. Aujourd'hui elle essayait de lutter contre ses anciens défauts, dire la vérité immédiatement, ne rien cacher et surtout, ne pas se bercer d'illusions. Elle ne désirait pas revivre un nouveau drame et cette bataille intérieure contre elle-même l'occupait à plein temps, certes, mais lui laissait un arrière goût de victoire. Et la victoire, la résistance en avait bien besoin. Plus besoin que de repos en tout cas.

Depuis le premier Jugement d'Arcéus, cinq ans auparavant, les cheveux de Samantha avait repoussé et les cicatrices blanchies. A défaut de son âme, son corps, lui, semblait vouloir effacer les évènements. On ne pouvait pas vraiment dire qu'elle avait grandi, ayant déjà atteint sa taille adulte à l'époque, mais les années à vivre comme une fugitive l'avait affinée. Plus svelte et maigre, elle paraissait plus haute, avec des jambes interminables, même si techniquement, elle n'arrivait même pas tout à fait à 1m65. Cela la désespérait, mais le sport avait également fait fondre le peu de forme qu'elle possédait, et c'est à peine si un corps de « femme » se dessinait sous ses vêtements. Cela n'était pas bien grave, disait-on, son visage, suffisait à hypnotiser les hommes, plaisantait-on dans son entourage. Cela ne la gênait qu'ils insinuent de telles choses. Sam se savait « belle » avec ses traits fins et droits, sa peau aussi blanche que le marbre et ses yeux d'un bleu céruléen, les iris seulement ponctués de quelques échardes argentés. Mais elle n'avait plus besoin de charmer qui que ce soit, et qu'on insinue le contraire l'agaçait profondément. Elle se sentait heureuse avec son compagnon actuel, et lui, ne se souciait pas de son physique, après tout, puisqu'il ne pouvait plus la voir. Aveugle, il se fichait bien qu'elle ne se maquille pas, ou qu'elle porte des vêtements moulants. Il ne lui reprochait pas de sourire moins qu'avant, au contraire, savoir qu'elle ne pleurait pas, se sentait en paix avec elle-même, lui suffisait.

Elle préférait s'inquiéter pour ses cheveux, autrefois aux reflets bleutés, ils étaient aussi sombres que la nuit, parfois, elle se contemplait dans un miroir, surveillait l'éclat d'argent et de tristesse qui teintait continuellement ses yeux, de peur de les voir disparaitre eux aussi. Avec tout ce que ça impliquait.

Mais cela n'arrivait pas encore et elle essayait de ne pas se fermer aux possibles problèmes à venir, mais de ne pas être paralysée par ce qui n'arrivait pas encore. Aussi, à chaque fois le même schéma se reproduisait, elle rajustait sa chevelure pour tresser ses mèches longues en un catogan unique, et oubliait son reflet pour se concentrer sur sa nouvelle journée.

Cette matinée, cependant, ne débuta pas comme d'habitude. Comme le disait si souvent son compagnon « Il y a des jours où il vaut mieux rester couché », sans aucun doute, celui-là devait en faire parti. Samantha aurait dû se douter que rien ne se déroulerait comme elle l'avait prévu dès le début, quand ce ne fut pas son réveil qui la tira d'un sommeil –étonnamment- sans rêve, mais son cher et tendre. Déjà, premiers indices dénonçant que l'univers avait cessé de fonctionner correctement. Akira Yuki ne se réveillait jamais avant elle. Pire, Akira Yuki n'aurait jamais mis fin à un moment tendre de pure paresse sans y avoir été contraint. Pourtant sur le coup, Samantha ne se méfia pas du tout. Elle fut juste heureuse d'être éveillée par une myriade de petits baisers.

- Tu piques… !

Les yeux mi-clos, l'esprit encore embrumé, elle perçut pourtant le sourire mutin de son compagnon. Celui-ci se pencha de nouveau vers elle et continua de lui butiner le visage du bout des lèvres.

-Si tu voulais un homme imberbe, il fallait mieux choisir ton amant ma petite Sam… !
-Je croyais avoir choisi un homme qui ne me demanderait pas du sexe si tôt le matin. Marmonna-t-elle en se recroquevillant sous la couette, taquine.
-Alors comme ça je ne peux pas te réveiller d'un baiser sans vouloir quelque chose de pervers ? S'indigna son cher et tendre.
-C'est surtout la main sous ma nuisette qui m'indique tes intentions.

Il y eu un sifflement puis Akira émit un léger rire avant de se blottir contre elle avec tendresse.

-Puisque je suis démasqué…

Samantha sourit et se tourna vers son amant pour lui caresser amoureusement la joue. Comme il avait changé ! Cette pensée la heurta de plein fouet, alors qu'elle songeait que cinq ans auparavant, cet homme n'osait pas la toucher, trop gêné par leur différence d'âge de sept années. Du bout du doigt elle caressa son menton volontaire – comment pouvait-il avoir une physionomie si contraire à son caractère ?- recouvert d'un léger duvet. Puis elle s'arrêta net.

Il y avait peu de temps Silver lui avait offert un superbe réveil, certes un peu démodé mais très utile, qui affichait l'heure n'importe-où, comme sur le mur –grâce à un système de lentille et de réfraction.

Or elle venait d'apercevoir l'heure qu'envoyait le réveil sur le plafond.
15h47.

Akira profita de l'ahurissement de son amante pour lui bécoter le cou. Il n'aurait pas dû car le hurlement de Sam lui vrilla littéralement les tympans.

- POURQUOI TU M'AS LAISSEE DORMIR SI LONGTEMPS ?

Alors qu'elle se battait pour enfiler une pitoyable chaussette, elle fusilla son amant du regard. Celui-ci, loin d'être penaud, se massa les tempes, toujours sur le lit.

-Je pars du principe que si tu as dormi si longtemps c'est que tu en avais besoin.

Il avait de la chance d'être presque-aveugle car elle lui adressa un regard noir à faire peur. Oh, elle avait besoin de beaucoup, beaucoup de choses dans la vie, et l'une d'entre elle c'était précisément de se réveiller tôt ce matin-là !

-Quand je pense qu'on devait commencer le test pour les nouvelles recrues aujourd'hui ! Et le gamin tu as songé au gamin, vous en avez fait quoi du gamin ? Puis les autres. Oh les autres qu'est-ce qu'ils vont penser de ça ? C'est pitoyable com…
-Sam.

Akira posa ses mains sur ses épaules avec compassion, et la dresseuse remarqua –grâce à son geste- que dans la hâte elle venait de mettre son pull dessus-dessous.

-Ne t'en fais pas, je me suis occupé de tout pendant que tu dormais. Le gamin est avec Kaïn et les Kazamatsuri. Gabriel et Silver t'attendent pour lancer le test, tout est prêt.
-Tout ?
-Tout.

Elle se sentit brusquement stupide de sa colère au pied du lit, posant les mains sur ses joues écarlates.

-Et…

Son amant la devança, et il planta un baiser au coin de sa bouche –encore aujourd'hui elle ignorait s'il ratait ses lèvres à cause de sa cécité ou s'il faisait exprès de l'embrasser là.

-Ils comprennent parfaitement. Ils savent que tu es fatiguée.

Cela ne l'empêchait pas d'être affreusement gênée à l'idée d'avoir fait la grasse matinée alors que les autres avaient effectué son travail, à sa place. D'ailleurs, ce fut pour cette raison précise qu'elle se dépêcha d'achever de se vêtir. Avant de quitter sa chambre –avec la ferme intention de rejoindre tout le monde pour enfin débuter tardivement sa journée, elle y jeta un rapide coup d'œil.

Le moins qu'on puisse dire, c'était qu'ils vivaient à la dure, chichement. A part le pauvre matelas planté au milieu de la pièce, à même le sol, le réveil à côté relié à la seule double prise visible, il n'y avait rien. Elle conservait la plupart de ses vêtements, et les draps, dans son sac, toujours prêt à être empoigné. Malgré tout, il fallait essayer de conserver le peu qu'ils avaient, aussi, elle se tourna vers Akira :

-Est-ce que tu peux t'occuper de sécuriser nos affaires s'il-te-plait ?

Il grogna légèrement –elle savait qu'elle l'agaçait avec cette manie. Parce que, ce qu'il rangeait, il fallait bien le remettre en place chaque soir. Cependant même si les chances qu'ils se fassent découvrir aujourd'hui étaient minces, elle préférait prévenir que guérir. L'ancien professeur comprenait cette logique, aussi, même en se plaignant, il s'y pliait-il. D'un geste agacé il dégagea une pokéball montée en pendentif et l'activa pendant que sa chère et tendre tournait les talons. Il poussa un grognement dans son dos et Sam entendit juste avant de partir :

-Serpillère sort de là !

La jeune femme ne put camoufler son rire attendri, en songeant que sa vipelierre avait encore dû dormir rouler en boule dans un tas de linge abandonné. Même s'il existait peu de coin confortable, la petite vipère dénichait toujours quelques coussins moelleux où s'y fourrer.

Le couloir extérieur se révélait tout aussi dégarni que la chambre, et malheureusement, tout leur abri se parait de la même absence de luxe, voire de confort. Mais voilà, quand on vivait dans l'illégalité on en subissait les conséquences. Ils avaient déjà eu beaucoup de chance, aux yeux de Sam, d'avoir trouvé cet ancien complexe souterrain abandonné. Assez grand pour tous les accueillir et facile à remettre en fonction discrètement.

Elle parcourut donc le corridor sombre au pas de course, sans regarder les murs décrépis. Elle s'était faite à l'absence de fenêtre et de luminosité, parfois, elle se prenait même à se dire que son amant, Yuki, devait vivre dans cet état de ténèbres perpétuelles, et cela l'aidait à tout supporter. Elle évita par réflexe les dalles descellées dont elle connaissait les emplacements et grimpa l'escalier de béton quatre à quatre pour rejoindre le premier sous-sol de leur cachette.

-Oh, alors ça y est, la belle au bois dormant est debout ?

Elle aurait reconnu ce ton railleur entre mille. Fut un temps celui-ci l'exaspérait au plus au point, encore aujourd'hui il lui arrivait de juste lui souhaiter une extinction de voix éternelle. Histoire d'avoir la paix. Cela s'appelait la non-évolution. Mais sa relation avec Silver avait tant évolué sur tant d'autres points ces cinq dernières années qu'elle trouvait tout de même le résultat satisfaisant. Peut-être que dans dix ans elle parviendrait enfin à supporter son mauvais caractère. Apparemment, elle avait le même –une histoire d'adn, de gênes, de fraternité tout ça, mais elle croyait très peu à cette théorie. Il était difficile d'être plus chiant que Silver, même avec son ADN en commun.

-Bonjour Silver.
-Salut Sam. Bien dormi ?

Il lui envoya un sourire moqueur qui lui fit monter le rouge aux joues. Son frère trouvait toujours le petit point à titiller pour l'exaspérer, apparemment, c'était commun à toutes les fratries. Elle pouvait le constater lors de chaque échange entre les membres de la famille Kazamatsuri. Cependant le savoir ne rendait absolument pas la situation plus supportable. Alors qu'elle s'apprêtait à lui répondre, elle perçut un autre éclat dans le coin des prunelles de son frère, un éclat qui lui fit ravaler sa réplique acerbe :

-Qu'est-ce qu'il y a ?

Elle était devenue douée pour déchiffrer la moindre de ses émotions. Contrairement aux gens normaux, elle n'avait pas grandi avec lui, ni même été élevée de la même façon, aussi, leur avaient-ils fallu un petit moment pour s'apprivoiser l'un l'autre. Se comprendre, ne serait-ce que s'accepter. Maintenant, elle avait officiellement passé son diplôme de traductrice-de-silver, et se lançait dans celui de sœur-exemplaire (après avoir si lamentablement échoué plusieurs années auparavant).

Silver haussa des épaules –il les avait plus carrées, athlétiques que les siennes, et sa mâchoire se serra. Comme elle, il possédait des traits fins, qui lui donnaient un aspect presque féminin, mais son air bourru empêchait la confusion. Il la jaugea un moment, du regard bleu-argenté qu'ils partageaient…Puis il marmonna :

-Gold aussi a besoin de dormir.

Gold. Son petit-ami-mais-chut-personne-en-parle-sinon-je-pique-ma-crise. Elle n'exagérait pas, le mot restait un tabou. Tout le monde savait quel genre de relation les deux entretenaient, mais dès qu'on l'abordait ouvertement son frère se refermait sur lui-même comme un coquiperle, devenait écarlate voire, commençait à fusiller les gens du regard. Et il était fort pour fusiller les gens du regard. Très fort. Sam ne doutait pas une seule seconde qu'avoir un copain comme Silver devait épuiser Gold. L'avoir comme frère l'épuisait elle, alors devoir en plus se le taper chaque nuit aussi…Pas étonnant qu'il ait besoin de sommeil.

-Il est responsable de la surveillance de notre test, non ? Demanda-t-elle confirmation.

Silver hocha du chef et se passa la main dans ses cheveux, coupés courts et rebiquant légèrement au niveau de sa nuque. En parler l'embarrassait toujours et cela donnait envie à Sam de le taquiner, mais elle se retint.

-Cela lui fera du bien, et s'il a toujours besoin de dormir après ça…On en parlera avec Akira, d'accord ?

Il lui fit un vague signe de tête, mais elle remarqua bien qu'il aurait préféré qu'elle agisse maintenant. En tout cas il ne fit pas de commentaire acerbe et se contenta de prendre la tête du groupe pour ouvrir la route. Ce qu'il disait n'avait rien d'inhabituel pour Sam, il s'agissait plutôt d'une remarque routinière. Mais en avoir la confirmation renforçait son inquiétude pour Gold un peu plus chaque jour.

Cependant, ce n'était pas comme si elle pouvait faire quoique ce soit maintenant, elle avait déjà mis en œuvre le maximum pour essayer de l'aider. Si la solution d'aujourd'hui ne se révélait pas concluante, et bien il faudrait chercher à nouveau. Aussi, estimant qu'elle avait déjà fait tout ce qui était en son pouvoir, Samantha se dépêcha de doubler son rouquin de frère pour reprendre la tête. Le départ de sa journée avait assez tardé. Il était temps de débuter le briefing. Silver l'accompagna jusqu'au bout du couloir, puis il lui annonça qu'il devait vérifier si Gold était bien en place, prêt pour la suite. Elle continua donc son chemin toute seule.

Comme elle s'y attendait, Gabriel se tenait dans la salle des ordinateurs, sur sa sempiternelle chaise de bureau. Le jeune homme leva le nez de son pc et se dépêcha d'enlever ses lunettes de vue. Apparemment, il ne digérait toujours pas d'en avoir besoin vu comment il les cachait dès qu'on risquait de le voir avec.

-Alors, laisser tout le boulot aux autres ne t'a pas empêché de dormir ? Lui envoya-t-il avec un rictus narquois.

C'était décidé, elle n'allait plus jamais faire de grasse matinée. Elle ne se leurrait pas, si quelqu'un avait dû faire sa charge de travail, c'était sûrement lui. Gabriel avait beau être plus jeune qu'elle, il restait un génie. Un génie légèrement maniaque du contrôle et incapable de déléguer la moindre tâche. Elle ne fut pas dupe, les heures de sommeil qu'elle venait de grappiller, elle les lui avait volées. Comme le prouvait les grosses cernes violacées sous les yeux du jeune homme. Sa peau était tellement pâle qu'il était impossible de les manquer, même si elles se mélangeaient aux marques rouges que faisaient les montures de ses binocles et celle, moins marquée, mais visible, d'un clavier sur sa joue gauche.

Heureusement pour elle, Samantha avait été à bonne école, entourée de Silver et Gabriel, elle avait appris à ignorer une partie de leurs piques, et de relancer la conversation dans la direction qui lui convenait. Cela n'empêchait pas la culpabilité de la tirailler, ou, plus généralement, l'envie de leur faire ravaler leurs mauvaises attitude par le nez, mais au moins, elle gagnait leur respect en agissant de cette façon.

-Et bien comme tu le vois, non. Il faut croire que je n'ai aucun scrupule à vous laisser bosser et à vous demander des comptes-rendus après. Tu me montres ce que tu as ?

Elle se pencha sur le bureau et tenta de décrypter ce qu'elle voyait sur les trois écrans allumés face à elle. Comme il faisait sombre ici, leur luminosité lui agressait les yeux, et elle avait du mal à lire les petits caractères clignotants, mais même si elle y était parvenue, elle savait que Gabriel codait tout. Parano. Elle reconnut cependant un nom au milieu de ce charabia :

-Tough ? C'est le pseudo de ton ami Hacker, non ?

Gabriel ferma le clapet de son ordinateur portable pour l'empêcher de lire une conversation qu'il devait juger comme personnelle. Puis il posa son coude sur le bureau d'acier et la contempla, manifestement exaspéré. Le menton calé contre sa paume ouverte et son autre main crispée sur son ventre. Il devait être stressé lui aussi, se fit-elle la remarque. Ses cheveux noirs décoiffés, en bataille, laissaient échapper une petite mèche rebelle, signe qu'il n'avait probablement pas encore vu son reflet aujourd'hui. Sinon il serait en train de se battre avec du gel.

-Bon, tu fais mon interrogatoire ou tu vas enfin te mettre au boulot, boss ?

Le boss sonnait de manière ironique bien entendu, jamais Gabriel n'aurait adressé sérieusement ce titre à qui que ce soit. La curiosité de Sam pouvait attendre –mais tout de même, est-ce que le jeune garçon vivait une idylle en ligne ?- aussi, elle hocha du chef.

-Qu'est-ce que tu as pour moi ?

Gabriel sembla satisfait de son ordre et il fit pivoter sa chaise pour revenir à ses appareils. Il pianota quelques secondes sur le clavier avant d'appuyer sur un bouton. Le rétroprojecteur bricolé à la va-vite s'enclencha et le mur derrière eux s'illumina, s'ornant de plusieurs fenêtres, plusieurs visages. 29 au total. Tous familiers et étrangers à la fois.

-Alors, globalement voici ceux qui veulent entrer dans la résistance. J'ai enquêté sur leurs vies et tous ceux là…

Il détoura une dizaine d'entre eux qu'il mit de côté.

-Ceux-là sont d'une banalité affligeante. Sûrement un complexe du héros ou quelque chose dans le genre. En revanche, il y en a plusieurs dont les profils m'inquiètent.

Le regard du garçon se durcit, et le fait qu'il possède un œil marron et un œil bleu, vairon, aggravait son aspect sérieux. D'un geste, il enclencha un diaporama. Le premier individu se révéla être une femme. Grande, dégingandé, peau légèrement hâlée par le soleil, yeux très clairs, d'un bleu électrique presque, éclat aveuglant à cause du contraste qu'il formait sous sa chevelure chocolat. Sam ne l'avait vue que quelques secondes, lorsqu'elle était arrivée dans leur QG et déclaré le mot de passe pour passer l'examen et rentrer dans la résistance. Mais elle se souvenait bien d'elle.

Et elle savait pourquoi elle intriguait Gabriel. Inquiète, elle observa le geek. Il n'était pas du genre à afficher ses faiblesses ouvertement, mais Sam le connaissait depuis un moment maintenant, elle reconnaissait les signes. Son tic facial, sa main crispée sur son ventre –sûrement douloureux- en était un. L'autre, résidait dans l'état de son bureau : rutilant, impeccable. Pas une miette de nourriture, pas un seul emballage de bonbon ne trainait. Même le clavier avait été nettoyé et exempté des habituelles rognures d'ongles. Tout avait été astiqué, remit droit, même les crayons et les souris. Cela valait toutes les sirènes d'alerte du monde en ce qui le concernait.

-Qu'est-ce que tu as sur elle ?
-Elle n'est pas de la région. Pas de passeport ou d'ID De dresseur. En fait, sa première apparition, c'est à Rhodes, sous le nom de Fang. Arrêtée pour racolage.

Une dizaine de documents s'ouvrirent, des documents légaux, des photos, des vidéos de caméra de surveillances pour appuyer les dires. Samantha, encore aujourd'hui, ne savait pas comment le jeune homme parvenait à mettre la main sur toutes ces données. Et elle ne voulait pas savoir. Il était évident qu'aucun de ces moyens n'étaient légaux. Néanmoins, face à toutes ces informations, elle ne put contenir son cri du cœur, son incompréhension grandissante.

-Qu'est-ce que Daniel a à faire avec une fille pareille ?

Car quand la jeune femme avait vu Gabriel avant d'être emmenée sur le lieu de l'examen de la résistance, elle avait murmuré le nom de Daniel. Le frère du jeune geek. La ressemblance entre eux deux était flagrante, aussi, cela n'était en rien étrange. Seulement voilà, Daniel avait disparu depuis 5 années à présent, ne donnant pas ou presque, de nouvelle à sa famille. La moindre piste le concernant prenait alors une importance capitale dans le cœur de l'informaticien.

-Je ne sais pas. En tout cas, elle a fait ses preuves au colisée par la suite. Je n'ai pas de billets ou de traces dans ses comptes qui montre comment elle a pu rejoindre Jotho, mais elle est là. J'ai essayé de fouiller son sac, mais il n'y a rien de probant, non plus. En revanche…

Il fit un signe de la main et Sam vit un curseur en forme du Porygon de son ami, affectueusement nommé Pixel, se déplacer le long de l'écran. Le visage de la jeune femme fut remplacée par un autre. Cette fois un garçon, blond avec un grand sourire. Elle aussi, elle le reconnaissait – parce qu'il était arrivée en même temps que la précédente. Son compagnon de route en sommes.

-Lui aussi, je n'ai rien trouvé sur son passé.
-Deux de suite, qu'est-ce qui t'arrive Gabriel ?

Ce dernier grommela quelque chose de très peu compréhensible, quelque chose qui sonnait comme « deux nuits blanches et toi ? » mais elle n'était pas sûre de vouloir savoir.

-Ils ne m'échapperont pas longtemps, j'ai lancé un logiciel de reconnaissance faciale. Même si je dois remonter à l'époque où ils avaient quatre ans et une conjonctivite je les retrouverai ! Mais en revanche quand j'ai fouillé leurs affaires…

Photo qui poppait à l'écran, avec le contenu du sac. Sam plissa les yeux. Elle voyait le contenu habituel des voyageurs, des vêtements, une trousse de soin, une tente, un pokénav oméga. Mais quelque chose clochait :

-Il n'a pas de pokéball ?
-Non et pas un seul Pokémon. En revanche une captsick, il doit être ranger ou quelque chose dans le genre. Mais sur le pokénav oméga, j'ai trouvé plusieurs vidéos et photos.

Pixel se rua dans un dossier et en ressortit avec plusieurs fichiers. Sam reconnut immédiatement la personne dessus, même si elle avait incroyablement maigri depuis la dernière fois qu'elle l'avait vue. Daniel. Daniel en train de réparer un moteur en plein désert, Daniel en train de dormir, Daniel en train de jouer aux cartes, entourés d'autres personnes –dont le blond. Un clip s'enclencha. Apparemment le caméraman improvisé s'amusait avec son nouveau jouet et faisait le tour d'une camionnette ayant vu des jours meilleurs. Il interrogea d'abord ce qui semblait être la conductrice, une certaine Sheza (et qui l'envoya chier joyeusement) puis un certain Bernie, qui l'ignora royalement. Le pauvre blondinet se mit à piailler et se traina alors jusqu'à l'arrière du camion en implorant :

« Danny, Danny, sauve ma vidéo, dis quelque chose pour la postérité, pour ma carrière de caméraman !
-Qu'est-ce que je dois dire ?
-Quelque chose ! N'importe quoi !
-N'importe quoi ? »

Sam grimaça. Si en photo elle avait reconnu son ancien ami de voyage…Elle n'en aurait jamais été capable en vidéo. Le voir bouger, animer, d'une manière si étrangère à celle de ses souvenirs, lui rendait l'identification impossible. Elle avait cru que Gabriel ressemblait à Daniel, ce n'était plus vraiment le cas.

Danny était maigre. Maigre de corps –car on voyait ses os saillants aux articulations, et même ses côtes et son bassin se montraient visibles sous les vêtements lâches qu'il portait. Maigre de visage également, à tel point que ses pommettes ressortaient, alliées avec sa mâchoire carrée et son cou fragiles, on aurait pu croire à une simple tête de mort. Pour peu, on remarquait à peine son regard vairon, tellement ils avaient les yeux caves, enfoncés dans ses orbites. Contrairement à Gabriel, qui arborait la pâleur de ceux qui vivent dans une cave, Daniel, lui, devait vivre avec ces gens perpétuellement au soleil, et sa peau semblait en souffrir, burinée jusqu'à l'usure. Et sa voix…Sam la reconnut à peine, grave et rocailleuse, comme usée jusqu'aux cordes vocales, comme s'il avait trop pleuré.

Cette vision lui brisait le cœur, alors qu'elle n'était plus proche du garçon depuis bien longtemps, alors elle n'osait même pas imaginer ce qu'elle causait au jeune frère du concerné. Lui n'avait jamais cessé de chercher son aîné. Mais elle n'était pas sûre qu'il supporte de le retrouver dans un état aussi lamentable.

Pendant une seconde, Samantha songea qu'Eléa, son amie et petite amie de Daniel, n'aurait jamais souhaité qu'on la pleure autant, elle aurait préféré les voir sourire et vivre heureux plutôt que de les contempler comme ils étaient en cet instant, las et tristes. Mais Eléa n'était plus parmi eux, et Sam estimait qu'ils pouvaient donc pleurer tout leur soûl, elle ne souffrirait plus de cette vue. Elle ne verrait jamais l'épave qu'étaient devenus Daniel, Gabriel, Gold ou Elle. Eux seuls, la subissait. Eléa était partie, et ils ne pouvaient pas tous affronter cette réalité sans larmes, c'était une autre réalité, aussi tangible que son décès. La colère remplaça donc rapidement la tristesse. D'un geste exaspérée elle chassa ce fantôme de remords et elle se tourna vers celui qui se tenait encore à ses côtés ; en chair et en os.

-Ca va Gabby ? Demanda-t-elle.

Ce dernier se retourna vers elle et arqua un sourcil, comme étonné de sa question.

-Bien sûr : j'ai enfin une piste maintenant pour le chercher, pourquoi ça n'irait pas ?

Sam fit la moue, peu convaincue, et elle fit en sorte de le lui communiquer en croisant des bras, mais le geek choisit d'ignorer sa compassion pour enchaîner. Il éteignit la vidéo et fit basculer les images :

-Il y a encore trois personnes inquiétantes dans le lot, mais eux, c'est pour autre chose. Je sais qui ils sont, c'est ça le problème.

Il marqua une pause et sortit d'un tiroir trois engins rouges. Des pokédex. La réaction de Sam ne se fit pas attendre :

-Tu as enlevé la puce GPS ?

Gabriel lui envoya un regard qui signifiait « Tu me prends pour qui ? » en moins poli. Evidemment qu'il l'avait retirée. Il n'empêche, songea Samantha : depuis l'installation de la religion d'Arcéus un peu partout, ce genre d'engins se faisaient de plus en plus rares. Les professeurs ne confiaient plus la précieuse encyclopédie sans une batterie de tests et d'épreuves.

-Montre-moi leurs visages.

Gabriel s'exécuta, et trois vieilles photos d'identités s'affichèrent. Une jeune femme métissée, peau brune, yeux gris-verts, cheveux frisés et foncés.

-Voici Xillia, Elle vient de Kalos et a reçu son pokédex du professeur Platane d'après mes recherches, elle a aidé assez le pays et a reçu une médaille genre légion d'honneur avec quelques uns de ses amis. Elle a participé à la ligue mais a abandonné son poste quand la religion d'Arcéus s'est déclarée ici.

Samantha s'arrêta, de ce qu'elle pouvait en voir, cette fille devait juste aimer régler les problèmes de son pays comme la plupart des gens qui venait les voir. Elle lui fit signe de passer aux suivants. Cette fois un garçon et une fille, tous les deux aux cheveux châtains foncés, peau blanches, yeux bleu pour la fille, marron pour le garçon.

-Je te présente Ludwig Black et Hilda White, apparemment, ils sont frères et sœurs, famille recomposée, le père de l'un a épousé la mère de l'autre, tu vois le genre ? Pas de lien de sang, juste des emmerdes. Les chanceux.

Sam ricana : Gabriel et sa vision de la famille.

-Donc, La Hilda là a tous ses badges et j'ai une trace de sa participation à la ligue, mais à l'époque y'a eu pas mal de problèmes avec Plasma, tu vois… ? Donc c'est un peu flou. Le mec n'a aucun palmarès, mais il est sur toutes les vidéos et photos sur Hilda, et va sur le terrain avec elle. Ils ont fait le métro de combat en duo et ont gagné le titre. Donc si tu veux mon avis il est sa mascotte, son porte-bonheur, ou même son stratège, qu'est-ce que j'en sais.
-Pas de lien avec Twilight ou Arcéus ?
-Rien. S'ils en ont un, ça a été effacé, et j'ai vérifié, rien n'a été effacé.
-Tu envoies tout ça à Gold ?
-Déjà fait, j'ai aussi envoyé leurs infos sur leurs équipes Pokémon. Je n'ai pas dormi, moi.

Ok, c'était la dernière fois qu'elle faisait la grasse mat', Sam le sentait, cette histoire risquait de la poursuivre jusqu'à la fin de ses jours. Maintenant que tout était clair, elle croisa les bras et observa Gabriel :

-Cela signifie que l'examen peut débuter officiellement ?

Le geek lui envoya un sourire narquois :

-Oui, on attendait plus que toi.

Un signe de lui et les écrans s'éteignirent simultanément. Pixel, le porygon s'en extirpa en gazouillant, tandis que la porte du fond s'ouvrait. Gardevoir patientait derrière et quand elle vit sa dresseuse, Sam, sa corne s'illumina de joie. Ce fut le signal de départ.

***

Il jeta un regard à sa montre qui beuglait une sonnerie stridente. S'il ne savait pas que les autres personnes dans la pièce n'étaient pas tous assommés par une poudre dodo et une attaque siffl'herbe, il se serait inquiété de les réveiller.

Les lettres numériques s'affichèrent quand il ouvrit le message. Simple, concis, du Gabriel tout craché.

« Réveil prévu dans 10 minutes. Aucun infiltré d'après Tougher. Sois prêt. Informations sur les dresseurs intéressants en pièces jointes. »

Gold soupira, et releva la visière de sa casquette. Devant lui, dormaient paisiblement une vingtaine de gamins, même s'il y avait quelques personnes d'âges mûres dans le tas. Pourquoi dans ce monde, les adultes laissaient-ils leurs enfants se battre à leur place ? Plus jeune il appréciait et profitait de la situation, aujourd'hui, après des années à vivre comme un « héros », il la maudissait cordialement. Et il enviait les simples salariés qui rentraient chez eux chaque soir, pour profiter de leurs familles, ignorant tout des conséquences de leur oisiveté. Mais cela ne servait à rien de ressasser ces pensées, il le savait. Gold avait un peu de temps devant lui, alors il sauta de son coin d'observation et fit le tour des installations. Ancien repaire de la Team Rocket à Jotho, le souterrain qu'ils squattaient, Gold le connaissait par cœur.

Après tout, c'était ici qu'il avait rencontré Peter pour la première fois et tout était demeuré à l'exacte réplique de ses souvenirs. Il eut un ricanement ironique.

A nouveau sa montre sonna. Cette fois le message provenait de quelqu'un d'autre. Silver. Son cœur fit un bon dans sa poitrine et il l'ouvrit précipitamment. Malheureusement, il était tout aussi concis que celui de Gabriel.

« Je suis en place. »

Puis Silver, comme se rendant compte que son texte n'avait sûrement rien d'agréable à lire, il ajouta dans un second :

« Ne fait rien de stupide je ne veux pas avoir à te soigner. »

La gentillesse selon Silver. Cela l'aurait presque fait rire s'il n'était pas si fatigué. Il aurait aimé réussir à dormir, vraiment, sans somnifère, sans rêve lucide, sans hypnose…Bref, se réveiller sans une sensation d'épuisement.

Finalement, comme une mécanique bien réglée, les premiers inconnus émergèrent de l'inconscience. Gabriel et Samantha savaient calculer leurs coups, et maintenant, c'était à lui de jouer.

Quelques gémissements se mêlèrent à des exclamations étouffées, pas encore inquiètes : trop dans les songes pour qu'ils analysent correctement la situation. Gold se fondit dans la foule, mine de rien.

-Putain...

Une femme se redressa, tenue de cuir, cheveux châtains, yeux bleus électrique, elle semblait plus vaillante que le reste. Plus alerte aussi. Gold se souvenait qu'on les avait apportés, elle et son pote blond, ici par téléport, seulement la veille. Et il reconnut un des visages que Gabriel lui avait fait parvenir. Une des dresseuses à surveiller en somme. Par mesure de précaution, il déplaça légèrement sa montre bricolée par le génie : dotée d'un système de reconnaissance semblable au pokédex, l'engin analysa la situation et lui sortit le fichier adéquat. « Fang – arrêtée pour racolage, pas plus d'information. A surveiller. » Et le gamin blond à côté d'elle n'avait même pas de nom associé à son visage, juste la mention « A surveiller ». Loin s'inquiéter, Gold trouva un certain réconfort en constatant que Gabriel ne savait pas tout. Cela le rendait un peu plus humain dans sa tête.

-Toi je vais te tuer ! Grommela la dénommée Fang en filant un coup à son coéquipier blond sans-nom. Celui-ci se recroquevilla en riant, comme s'il avait feint le sommeil depuis le début.
-Paaaardoon. Rigola-t-il, l'air pas du tout désolé pour un sou.
-J'en ai rien à foutre !

Elle semblait furieuse, mais ne criait pas. Etonnant pourtant comme elle parvenait à captiver l'attention. Gold se détourna tout de même pour revenir vers le plus gros de la foule. Il était occupé à compter ceux qui n'avaient toujours pas émergé, quand un nom attira son attention.

« Daniel ».

Il tourna la tête un peu trop brusquement dans leur direction, et il croisa le regard gris du blondinet. Celui-ci lui sourit étrangement, mais ne dit rien. Il se contenta de rétorquer, soucieux :

-Donc tu le connais aussi ?

Gold eut la désagréable impression qu'il s'adressait à lui autant qu'à la fille en cuir. Mais son interlocutrice lui renvoya, pensive :

-Ouais...mais...

Elle eut une mine gravement déçue.

-I-Il avait plus de muscles la dernière fois que je l'ai vu. Puis il a vachement maigri...Blanchi...Et grandi...Puis Daniel avait l'air d'une gonzesse mais pas à ce point...

Ah. Un air de fille ? Alors ils parlaient de Gabriel pas de Daniel ! Songea, avec une pointe d'humour, l'espion de la résistance.

Le blond hocha du chef, et ajouta :

-Il était super maigre la dernière fois que je l'ai vu, mais il n'était pas aussi grand que ça. Il faisait ma taille !

Mais apparemment il l'avait déjà vu avant ? Il préféra continuer à tendre l'oreille pour ne louper aucune information capitale. Déjà il avait appris que Daniel mesurait probablement le mètre 59-60, comme le blondinet ? Les zozos se concentrèrent, les bras croisés, pensifs. Ils ne paraissaient pas du tout s'inquiéter de se retrouver dans une pièce, coincés, au milieu d'autres après avoir été inconscient pour un temps indéterminé, constata Gold. Ils étaient donc soit stupides, soit capables d'un sang-froid incroyable. Soit un fléau, soit une bénédiction pour la résistance.

Cependant ce qui l'inquiétait le plus, c'était les commentaires sur leur ancien ami, pas qu'ils aient un jour été très proches, lui et Danny...Mais, il avait maigri à quel point ? Il supposait bien que ce dernier n'avait pas pu bien vivre la fin de leur aventure et leur séparation –lui-même en faisait encore des cauchemars, mais tout de même…A quel point se laissait-il dépérir ? Il grimaça, et même s'il n'avait jamais été extrêmement proche du garçon, il savait une chose : jamais Eléanore n'aurait supporté une telle attitude autodestructrice de sa part. Et jamais elle n'aurait supporté qu'il utilise sa mort comme excuse pour se laisser mourir.

Soudain les deux nouvelles recrues sursautèrent, comme illuminés.

-IL a du aller en cure de désintox ! Lancèrent-ils synchrones, avant de se détourner avec une mine affligée similaire.
-han, je savais qu'il se droguait...

C'était quoi ces deux-là, des jumeaux ? Puis Danny, se droguer ? Il n'avait jamais pris ne serait-ce que des anti-douleurs pour ses blessures. Décidément, plus ils parlaient de leur ancien compagnon plus Gold avait du mal à croire qu'ils avaient connus la même personne. Il devait les garder à l'œil ceux-là, qu'ils réussissent ou non l'épreuve de recrutement. Gold n'eut pas le temps de demander plus d'informations, les hauts parleurs dispersés aux quatre coins de la pièce grésillèrent. Détournant l'attention de tous les participants.

La voix de Samantha retentit, froide et déterminée, comme à son habitude.

« Bienvenus à la Résistance. »

Le gamin blond envoya aussitôt un « MERCI » enjoué et sa camarade brune se chargea de le faire taire d'un simple coup sur la tête. En revanche, Gold vit bien que les autres concurrents se montrèrent plus anxieux. La foule commençait sérieusement à s'inquiéter, se bousculer, paniqués. Une vraie bande de froussards. Il essaya de trouver quelques éléments plus calmes, sortant du lot, ceux qui avaient assez de sang-froid pour intégrer leur rang, mais pour le moment, tout n'était qu'agitation.

Pour passer dans la masse et éviter d'être balayé, Gold renfonça un peu plus sa casquette sur son crâne. Il ne demandait pas non plus la lune, il savait que contrairement à lui, du haut de ses 25 ans, la plupart d'entre eux n'avaient rien vécu de pire que le divorce de leur parent. Ou une broutille du genre. Mais c'était justement pour ça qu'il était impératif de faire le tri. La résistance ne pouvait pas s'encombrer de petites natures naïves croyant pouvoir tout résoudre avec la méthode bisounours.

Gold darda ses yeux mordorés sur les pauvres bougres, tandis que Samantha continuait son discours :

« Je suis actuellement la chef de la Résistance, vous pouvez m'appeler Sam, mais vous m'avez sûrement connue sous le pseudo Moon Hope. »

Gold ricana à l'entente de ce surnom : encore aujourd'hui il ignorait qui avait lancé la mode. Mais à présent personne n'ignorait l'identité de la mystérieuse chef de la résistance. Celle au regard d'argent qui incarnait l'espoir de la génération libre…Et Patati et patata. Au moins, comme ça, des gens se souvenaient de Sam, ce qui avait été la bonne surprise de ces dernières années. Peu de gens tenaient suffisamment à elle pour la conserver dans leurs souvenirs. Il fallait croire qu'il en était différent pour Moon Hope.

Le jeune homme plaça ses mains dans son sweet noir et s'appuya contre le mur en attendant la fin de sa présentation. Il avait bien vu du coin de l'œil que certains l'observaient en retour, intrigué par son attitude nonchalante.

Fang et son pote de tout à l'heure, par exemple, mais d'autres encore. Ils faisaient mine de ne pas le dévisager, mais Gold avait appris à repérer ces signes.

« Peut-être votre mémoire vous fait-elle défaut, mais vous êtes tous venus vers nous, la résistance, dans le but de l'intégrer. Nous vous avons simplement endormi le temps de vérifier vos identités et être sûr qu'aucun de vous n'a menti en disant ne pas être baptisé. »

Certains devinrent blêmes. Et jetèrent des coups d'œil apeurés autour d'eux. Mais il ne se passa rien. Gold fronça les sourcils et chercha un potentiel espion de Twilight caché parmi eux. Normalement Gabriel vérifiait chaque identité, mais mieux valait être prudent, l'organisation pouvait très bien envoyer chez eux des personnes non-baptisés après tout ! Et si Crépuscule apprenait où ils se cachaient…

Un frisson lui remonta le long du dos et ses cheveux noirs s'hérissèrent. Il ne voulait même pas y songer. Ce serait catastrophique.

La voix, indifférente à ses soucis, reprit :

« Mais vous devez vous en douter, la résistance ne peut pas se permettre d'engager des novices. Quelques soient vos motivations pour nous aider à renverser la religion d'Arcéus, il vous faut comprendre que je n'ai absolument aucune intention d'admettre quelqu'un qui ne sait pas se battre pour le voir mourir dans l'année. Vous voulez peut-être jouer aux héros et donner votre vie pour la bonne cause, mais qu'une chose soit claire : une personne qui meure pour ses idéaux n'est ni un héros, ni un martyr. C'est un raté. Je ne veux pas de ratés parmi mes rangs. Je ne veux pas de personne qui estime que sa propre vie vaut moins que ce pour quoi il combat, nos forces sont trop précieuses et rares pour être gaspillées. »

Le petit speech eut un effet particulier sur le groupe ; si certaines personnes semblèrent infiniment rassuré de voir que le chef de la résistance s'inquiétait pour ses sbires, d'autres, affichèrent des mines vexées. Personne n'aimait entendre les quatre vérités et Sam n'avait pas mâché ses mots, Gold en était bien conscient. A cet âge-là, il était difficile d'avaler qu'un héros n'a pas une belle vie. Il préférait largement froisser leur petit égo que leur souhaiter d'apprendre cette réalité de la même façon que lui. Le cœur serré, il écouta la fin du discours avec un poids sur l'estomac.

« Voilà donc pourquoi vous êtes ici. Nous vous avons pris vos pokéballs, elles sont cachées quelque part dans ce souterrain. Retrouvez-les, et parvenez à sortir d'ici, et vous pourrez intégrer la résistance si nous jugeons votre attitude correcte. En revanche nous vous avons laissé vos autres affaires et vos sacs quand vous en aviez. »

Aussitôt, plusieurs personnes se jetèrent sur leurs affaires pour les fouiller frénétiquement, comme pour confirmer de leurs yeux ce qui venait d'être dit. Ils déchantèrent aussitôt. Sam mentait rarement, leurs pokéballs avaient bien disparues. Le brun eut mal au cœur en admirant les visages paniqués des concurrents, douloureux et terrifié à l'idée d'être séparé de leurs pokémons adorés. Lui aussi, à leur âge, et probablement encore aujourd'hui, se serait trouvé dans un état pitoyable après une telle règle.

« Bon, sur-ce...Je vous souhaite bonne chance. » Acheva Moon Hope.
-Attendez !

Une jeune fille, métisse aux yeux verts pales, s'avança. Gold vérifia aussitôt son idée, discrètement, avec son appareil. La base de données que lui avait fournie Gabriel s'afficha et il lut rapidement :

« Xillia, originaire de Kalos, a gagné la ligue, reçu légion d'honneur du pays… » Suivi de la liste de ses pokémons. Bref, pas une petite pointure. Il leva la tête pour voir la réaction de Sam, il ne doutait pas un seul instant qu'elle avait entendu l'exclamation de la jeune fille grâce à son Gardevoir surveillant l'épreuve.

« Oui ? » Répondit Sam.

L'étrangère hésita, puis elle bafouilla timidement :

-Je voulais intégrer la résistance de Scarlet...

Gold leva les yeux au ciel. Encore une ! Quand les gens comprendraient-ils qu'il n'existait qu'une seule résistance –eux- et que cette Scarlet n'était qu'un électron libre qui ne faisait que ce qui lui plaisait, quitte à les aider autant qu'elle leur foutait des bâtons dans les roues ?

La voix de Sam émit une pause, surement pour retrouver son calme, devina son ami, puis renvoya :

« Scarlet estime qu'il n'y a qu'elle qui doit risquer sa vie dans le conflit. Elle n'accepte aucune aide. En revanche, nous la croisons souvent, tu pourras peut-être tenter de défendre ta cause face à elle, si tu entres parmi-nous. »

Belle pirouette, mais Sam et lui savaient pertinemment que peu importait les arguments, la réponse de Scarlet serait toujours non. Ignorant cela la jeune femme métisse sembla remotivée. Au moins, elle voulait vraiment se battre pour la cause peut-être ?

Sam en profita pour asséner une dernière fois, histoire d'être sûre que cela rentre bien dans les crânes des nouveaux :

« Que ce soit clair, ici vous risquez votre vie, autant dans ce test que quand vous entrerez dans la résistance. Tous les survivants qui échoueront verront leurs souvenirs de cette journée effacée et reprendront une vie normale sans craindre que Twilight découvre leur trahison. »

Certains se détendirent. D'autres s'indignèrent de voir leurs vies privées à la disposition de quelques inconnus. Malheureusement, parfois, il n'existait pas de bonne alternative, juste une moins pire. Mieux valait pour eux une petite humiliation et piétiner leur intimité que Twilight apprenne ce qu'ils avaient désiré faire. De toute façon, si Crépuscule venait à le savoir, le résultat serait le même : seule la quantité de souvenirs effacés changeait.

« Maintenant, que le test débute. »

Le grésillement s'arrêta sur ce signal.

On aurait put s'attendre à un déclic, à une porte qui s'ouvre, mais rien ne se produisit. Tous les participants restèrent dans le noir.

******************************************************************************

L'aube pointait le bout de son nez derrière la péninsule, pourtant il faisait encore sombre sur le Qg de Twilight. La chaîne de montagnes des monts argentés les protégeaient des intrusions, mais également des premiers rayons solaires. Pourtant cela ne donnait pas une excuse raisonnable pour retarder le début de sa journée. Lachésis avait un quotidien bien réglé, chaque geste, chaque tâche, tout avait son moment, sa place bien réfléchie et décidée dans l'articulation de la matinée pour que tout se déroule bien comme prévu.

Elle se levait aux aurores, soleil ou pas, commençait par sortir toutes les pokéball des membres du chalet, pour les nourrir et les laisser sortir, se dégourdir les pattes. Bien entendu, certains membres préféraient dormir avec leurs compagnons, et ceux-là se débrouillaient, mais elle avait une masse assez importante de petites créatures à gérer tout de même.

Elle laissa gambader quelques minutes les deux persians du groupe et ceux-ci se frottèrent à ses jambes pour la remercier de les nourrir, avant d'être chassée par sa grayehna shiney, jalouse. Une fois la besogne faite et les pokémons éparpillés, fourbus, Lachésis s'autorisa un moment de repos. Elle s'installa sur une chaise du balcon du séjour, et inspira l'air frais, encore chargée de la rosée matinale. La douce mélodie de son Eoko lui parvint, et elle l'admira : il somnolait encore, ondulant sous le vent, sa ventouse sur le rebord d'une fenêtre.

Elle s'étira avec délice et remit en place distraitement ses cheveux. Elle prendrait une douche après le repas fait, décida-t-elle, pour ne pas partir sale.

-Saluuut…Marmonna une voix trainante dans son dos.

Elle se retourna pour faire face à Thanatos, la peau mâte, les cheveux noirs dans une bataille perpétuelle, même si un côté du crâne semblait avoir été coiffé à l'aide d'un pétard alors que l'autre semblait juste avoir oublié l'existence du peigne. Malgré son état de somnolence évidente, il avait quand même mis ses lunettes sur son nez. Cette habitude dépassait totalement Lachésis, elle-même en cet instant n'arborait pas sa paire.

-Salut, tu es réveillé tôt, tu as une mission ou quoi ? Plaisanta-t-elle doucement.

D'habitude Thanatos n'émergeait que vers les 10heures, et ils en étaient loin. Le jeune homme secoua vaguement du chef pour dire non, bailla, se frotta les yeux en soulevant ses lunettes (lachésis put apercevoir un œil marron), se ravisa et dit oui d'un hochement de tête, puis se gratta le ventre et refit signe que non. Bref, il avait la tête dans le cul.

-Jesuisvenupourpréparerledéjeunervuquet'espaslà..marmonna-t-il à moitié endormi. –Maist'eslàalorsjesaispas Ajouta-t-il après coup.

Elle mit un temps infini à décortiquer cette phrase, puis bafouilla confuse :

-Oh Thanatos, je ne pars que dans la journée, tu n'avais pas à te lever pour me remplacer ! Je sais que je t'ai dit ça, mais il ne fallait pas le prendre au pied de la lettre.

Le garçon pencha la tête sur le côté, et elle se demanda s'il s'agissait d'un signe d'exaspération ou s'il s'était juste endormi debout. Elle ricana doucement face à la maladresse, au moins, il y avait quelqu'un de sérieux pour la remplacer, elle partait rassurée. Il était cependant difficile de croire que ce petit bonhomme si maladroit se révélait être en fait un des tueurs le plus craint de l'organisation.

-Bon et bien, tant que tu es là, je vais te montrer comment préparer le petit déjeuner, et te dire où je range tout le matériel.

Elle se leva, et il la suivit d'un pas trainant, ponctuant chaque pas d'un bâillement. Elle pensait que l'enseignement serait ardu, vu l'état de son élève, mais après quelques minutes de parlotte, il se mit lui-même au travail, tandis qu'elle lui intimait quelques conseils auxquels il acquiesçait d'un hochement de tête.

-Lucas mange des œufs aux plats la plupart du temps, et des crêpes natures, il ne supporte pas la viande dès le matin donc ne le compte jamais dans la part de bacon. Oh, et les lendemains de soirée comme aujourd'hui, ne le compte pas du tout. Attend je vais te montrer comment préparer un truc pour éviter la gueule de bois. Il en aura besoin.
-Je connais, mon père buvait pas mal. Je m'en charge. Commenta simplement le jeune homme.

Il se pencha vers le meuble à provision pour récupérer les ingrédients nécessaire d'une main, et de l'autre disponible cassa sur le rebord de la consigne deux œufs, qu'il fit dorer dans la poêle aussitôt revenu devant les fourneaux.

-Tu te débrouilles plutôt bien. Commenta Lachésis, étonnée. –Tu as l'air tellement à l'ouest des fois que je ne savais pas si tu y arriverais honnêtement.

Thanatos bailla à nouveau mais accorda un signe de tête en guise de merci à son instructrice, hélas, Lachésis du revenir sur son premier jugement, quand son élève contempla avec un regard absent ce qu'il cuisait devenir peu à peu de la cendre.

-Mais enfin, il faut arrêter là, à quoi tu pensais ? Le réprimanda-t-elle en coupant le gaz précipitamment.
-Je pensais à autre chose, désolé.
-J'avais vu, oui. Fait attention, ce n'est pas parce que nous, nous avons tout ce dont nous avons besoin qu'il faut gâcher la nourriture comme ça, d'autres meurent de faim tu sais ?
-Je sais…Attend, tu vas jeter les œufs ? Lui demanda-t-il alors qu'elle soulevait la poële et se dirigeait vers la poubelle.
-Bah oui qu'est-ce que tu veux que j'en fasse, personne ne mangera ce charbon…
-Tu crois que ça ressemble à quoi si on continue à les cuire ?

Lachésis arqua un sourcil.

-Qu'est-ce que j'en sais…Ce ne sera pas mangeable, je ne vois pas l'intérêt de continuer.
-Je ne sais pas, je me demande quelle tête ça a…

La légion n'eut pas le temps de débattre longtemps sur l'avenir possible de ce plat, une autre tête connue déboula dans le salon. Thémis arriva, la tête dans les nuages, dans sa chemise de nuit en dentelle, tenant encore une espèce de peluche informe. Elle se frotta un œil, en parcourant la salle du regard, puis remarqua la présence des deux autres.

-Bonjour Thémis. Décidément, vous êtes tous tombés du lit ce matin ?

Lachésis s'approcha de la petite et lui lissa distraitement sa tignasse.

-Tu t'en vas ce matin. Déclara la jeune fille, avec une expression absente.

C'était plus une constatation qu'autre chose, mais Lachésis le prit avec tendresse :

-Tu voulais me dire au revoir avant que je parte ? Devina-t-elle.

Thémis mit plusieurs secondes à réagir à la question, comme à son habitude, elle regarda à droite, puis à gauche, pencha la tête sur le côté, puis hocha finalement du chef pour confirmer. Alors doucement, elle entoura ses bras autour du cou de Lachésis pour lui accorder un câlin.

-Merci Thémis, tu es gentille. Souffla la légion, émue, lui rendant son étreinte.

L'incarnation d'Arcéus se détacha, et hocha à nouveau du chef : oui elle était gentille. Elle le savait. Puis elle rejoignit Thanatos sur un pas dansant et s'accrocha à sa taille comme un gamin se jette sur un trapèze. Elle ne le lâcha plus.

-Salut Thémis. Sourit Thanatos en lui tapotant la tête.

Lachésis ne comprenait pas l'engouement de cette adolescente pour Thanatos, mais il fallait s'y résigner : elle adorait le garçon et le collait à toute heure du jour. Néanmoins, même si Lachésis appréciait énormément l'enfant, elle ne pouvait pas permettre ça : son élève ne pouvait plus vraiment cuisiner avec un poids pareil.

-Thémis, tu peux mettre la table pour le petit déjeuner s'il te plait ?

Lui donner un ordre était encore le meilleur moyen pour la décoller. Arcéus se détacha de son « jouet » et alla récupérer les assiettes pour les disposer sur la table. Une telle docilité avait tendance à attendrir Lachésis, si seulement ils pouvaient tous lui obéir comme ça !

-Merci Thémis, si tu veux, après, Thanatos jouera avec toi. Pourquoi tu ne t'occupes pas des pokémons en l'attendant ?

Encore une fois Thémis admonesta en silence, sa première besogne faite, elle alla cajoler le monaflémit qui paressait sur un tapis. De temps à autre, tandis que Lachésis finissait les préparatifs du petit déjeuner, elle entendait l'élue rire doucement ou bien parler à voix basse à la créature, et cela l'émut. Elle se souvenait comme si c'était hier, à l'époque de son arrivée, du comportement de la petite. En ce temps là, Thémis pouvait rester immobile des heures durant, sans un mouvement, sans une parole, telle une poupée de cire. C'était pour la sortir de cette attitude figée qui l'horrifiait que Lachésis avait commencé à lui donner des petits ordres, Thanatos, lui, lui proposait de jouer. Au début, cela avait été difficile, elle avait longtemps refusé de l'écouter sous prétexte qu'elle n'était pas une « gardienne » et Thanatos avait fait bien des puzzles seul devant elle avant qu'elle ne comprenne qu'il voulait qu'elle participe au jeu. Mais quand elle la voyait marcher, prendre des initiatives, faire des câlins, ne plus rester en place, Lachésis ne pouvait s'empêcher d'être fière. C'était une vraie « petite fille » maintenant. Une petite fille avec un corps trop grand pour elle.

-Voilà ; j'ai fini. Lui lança Thanatos. Il déposa la mixture pour Lucas sur la table, avec une assiette pleine de mini saucisses.

Apparemment, il avait oublié les instructions concernant la viande et Lucas le matin –ou alors il taquinait le brun, c'était toujours difficile à dire avec lui.

Puis il tourna des talons et se dirigea directement vers le coffre de jeu qui trônait près de la télé. Normalement celui-ci accueillait des jouets pour les pokémon, mais depuis peu, il y avait également ceux que Thémis affectionnaient. L'incarnation d'Arcéus saisit son mouvement et se détacha des créatures pour le rejoindre et poser sa tête sur ses genoux.

Il lui montra une première boîte, elle resta de marbre, la deuxième n'obtint guère plus d'intérêt, le puzzle lui fit même détourner les yeux, en revanche la boîte du jeu de construction éveilla sa curiosité. Elle le prit et commença à l'ouvrir avec lui, faisant de la place sur la table basse entre les sofas.

-Tu aimes vraiment les jeux de logique non… ? Constata Lachésis en regardant vaguement le contenu du coffre.

Elle n'eut pas de réponse. Thémis commençait à empiler les tubes de plastiques les uns sur les autres pour former un circuit à bille tandis que le brun à côté d'elle déballait petit à petit les différentes pièces.

-Bon je vais prendre un bain du coup. Après je réveillerai tout le monde. Déclara-t-elle.

Elle jeta un coup d'œil à son poignet, et fronça des sourcils. Où était passé sa montre ? Elle ne s'en était pourtant pas servie ! Agacée, et songeant qu'elle l'avait peut-être laissée sur sa table de chevet, elle regarda l'heure sur le téléviseur. 7h10. Bien, le temps de faire sa toilette il serait 8h, se serait tout à fait convenable de lever les autres.

-Fait attention, Lucas n'est pas rentré seul de la fête hier, la mit en garde Thanatos, qui s'installait sur le canapé pour surveiller Thémis de plus loin.

Elle hocha du chef. Ce n'était ni la première, ni la dernière fois qu'elle allait surprendre Lucas avec une fille nue dans son lit. Il ne fallait pas s'inquiéter pour sa « pureté ». Et de toute façon le brun avait pris l'habitude, peu importe son état, de toujours verrouiller la porte de sa chambre quand il se trouvait accompagné. Elle n'aurait qu'à toquer très fort, le mal de crâne de la gueule de bois se chargerait du reste.

Néanmoins, songea-t-elle, une fois sous la douche, le mental du jeune garçon la préoccupait. Elle savait reconnaitre les signes d'une dépression, et il lui semblait évident que Lucas en souffrait d'une. Et d'une costaude. Il se plongeait dans l'entraînement de ses pokémons, ou l'entretien de sa moto quand il était au qg, voire à la musculation quand aucune des activités précédentes ne trouvaient grâce à ses yeux. Les seules fois où il pouvait sortir, c'est-à-dire pour les fêtes de ralliement, il se plongeait tout entier dans des relations sans lendemain. Peut-être plus, qu'est-ce qu'elle en savait, de ce en quoi l'entrainait ces sales gosses de riches qu'il ramenait dans sa chambre !

C'est en prenant sa serviette et la nouant autour de ses cheveux mouillé, qu'elle décida que, puisque le garnement ne désirait pas de l'aide de ses colocataires, elle allait en parler à Marion. La cousine du brun serait sûrement plus à même de l'aider. Et sûrement mieux placée pour lui faire la morale.

Forte de cette idée, et ayant un objectif de plus à accomplir dans la matinée, elle se dirigea vers la porte du brun.

-Lucas, debout. Petit déjeuner.

Il y eu des grommellements derrière la paroi, et une voix féminine déclara : « Oh, il est temps de m'éclipser. »

Lucas tourna la tête dans la direction de son amante de la veille, et plissa les yeux, tâchant de se souvenir de son prénom. Il le connaissait au moment de la déshabiller, de ça, il en était certain. Mais il réalisa que la nuit mouvementée l'avait effacée de sa mémoire. Il se positionna sur les coudes, et, par courtoisie, il lança :

-Si tu veux, tu peux rester pour le petit-déjeuner.

La femme chercha son soutien-gorge, et finalement, enfila son pantalon, sans culotte.

-Pas intéressée. Désolée !
-Pas de problème, c'est toi qui choisis.

Il pointa du doigt la pokéball rouge qui trônait sur l'étagère.

-Quand tu auras fini, il suffit d'empoigner la pokéball de mon gallame et de lui dire où tu veux aller. Il t'y téléportera.

Elle revint vers lui et se pencha dans sa direction, une cascade de cheveux roux roulèrent sur ses épaules rondes et couvertes de tâches de rousseurs, pour venir lui chatouiller la clavicule. Il passa ses doigts dans ce rideau soyeux.

-Mes copines n'avaient pas menti, tu es vraiment serviable comme garçon. Merci.

Lucas sourit vaguement et répéta des mots qu'il connaissait par cœur, de façon mécanique :

-Je suis à votre service mesdemoiselles. Toujours prêt pour vous rendre la vie plus facile.

L'expression se fit plus taquine, et elle se colla à lui pour l'embrasser. Un baiser plutôt charnel. Il l'entoura de ses bras pour la presser un peu plus contre lui. Elle lui prit une main et la posa directement sur un de ses seins, en une invitation. Ils étaient petits, mais fermes. D'un mouvement de culbute il la renversa et prit le rôle du dominateur. Il s'apprêtait à lui envoyer une pique taquine, sur son soudain appétit, mais à la place, il lança :

-J'ai retrouvé ta culotte.

Elle se trouvait sous l'oreiller, une belle pièce de broderies et de soie rouge, avec de la dentelle noire. Son amante sourit mystérieusement, et elle lui envoya avec emphase :

-Et bien…Je n'ai plus qu'à me déshabiller à nouveau.

Il lui enleva son jean.

Un peu plus tard, elle se leva véritablement du lit, et Lucas la regretta déjà. Il avait envie qu'elle reste, de passer la journée au lit avec elle. Avant de lui trouver une remplaçante il risquait de s'écouler un bon bout de temps et rien que d'y penser lui donnait la nausée.

-Allez, debout.

Sa compagne d'une nuit lui envoya son soutien-gorge à la tête, et il arqua un sourcil, un espoir montant en lui :

-Deuxième manche ?
-Non. Mais cadeau pour toi. Pour te remercier de la nuit.

Il eut envie de lui répliquer qu'il n'avait rien à faire de sa lingerie, mais se tût en sentant les deux poches qui lui servaient de doublure, afin de rembourrer la poitrine et donner un certain galbe aux seins. Les yeux de la fille pétillèrent avec malice.

-Attention, ne mélange pas ce truc avec de l'alcool. Ca ne fait pas bon ménage. Genre, gros trou noir et après le lendemain, tu te réveilles au trou sans savoir pourquoi tu es accusé de dégradations de biens publics.

Lucas haussa des épaules et se leva pour la remercier d'un baise-main. Elle était maintenant parfaitement vêtue et n'avait plus qu'à partir. Avant de toucher la sphère rouge et blanche, elle lui lança :

-J'ai ton numéro, si j'ai envie, je peux t'appeler ?
-Et je t'enverrais Gallame aussitôt pour qu'il te fasse venir jusqu'à moi. Lui répondit-il aussitôt.

Finalement, peut-être n'allait-il pas attendre si longtemps que ça, avant la prochaine nuit. Une fois, celle-ci partie –dans un flash de lumière, décidément son Gallame aimait se la jouer- il se débarbouilla, cacha le soutien-gorge sous son lit, et s'habilla. Sans trop de surprise, la salle à manger était déjà bondée quand il y entra. Il eut le droit à un :

-Ah enfin ! On se demandait si tu n'étais pas mort ! De la part de Lachésis.
-Ah, ça, non, il était pas mort. Répondit à sa place Hypnos, le taciturne.
-On les a entendus en passant devant sa chambre. Compléta son ami, Moros, toujours aussi vif. –Même s'il était mort, ç'aurait été plutôt cool comme fin. J'ai envie de dire. Si c'est la même fille avec qui je l'ai vu partir hier !

Lucas se rassit en tâchant d'ignorer les commentaires et son regard se posa sur Thémis qui jouait dans le salon. L'incarnation d'Arcéus, occupée à empiler des blocs de construction sur le ventre de Thanatos assoupi. Elle se retourna d'un coup sec dans sa direction. Ses prunelles disparates se posèrent sur lui, sans expression, et le brun sentit la tristesse l'étreindre avec familiarité. Cinq années qu'il se sentait prisonnier ici, cinq années qu'Eléanore avait cédé sa place à cette chose : et il ne l'acceptait toujours pas.

-Thémis, viens manger. Envoya soudainement Lachésis, à table.
-Je réveille Thanatos ? Demanda la petite.

Il y eut un blanc, et Clotho lui envoya :

-Il a l'air fatigué, laisse-le se reposer.

L'élue d'Arcéus laissa donc en plan ses jeux, pour venir s'installer à table, d'un pas trottinant. Juste en face de Lucas. Le brun grommela, agacé.

Il ne supportait pas ce truc. Ce n'était pas humain, ce n'était pas pokémon : mais quelque chose entre les deux. Ce n'était pas son amie Eléanore, ni une nouvelle entité à part entière : cela aurait été trop simple. Son corps était celui d'une adolescente de seize ans et pourtant son attitude avait quelque chose de gamin, comme une enfant ayant à peine l'âge de lire. Tout cela le rendait malade. Voir cet être bouger, respirer, parler, avec le visage de quelqu'un d'autre. Parfois, il avait l'impression de vivre dans un cauchemar : une prison d'illusions dont la survie s'apparentait à une continuelle torture mentale.

Si encore, il pouvait se remémorer les raisons derrière son acte, mais toute cette journée fatidique, celle du jugement, où il avait écopé d'une fine cicatrice sur la joue et perdu ses amis, lui paraissait lointaine et brumeuse. Il savait ce qui s'était passé, mais il avait oublié pourquoi et comment. L'absence de réponse le minait bien plus qu'il n'osait le dire.

Parfois, quand il buvait à s'en éclater la tête, il lui arrivait de se remémorer des bribes. Des mots, des images confuses. Rien de bien précis, et au matin il les avait oubliées. Mais cela le rassurait en un sens : ses souvenirs se trouvaient bien là, quelques parts, au fond. Il avait juste peur de les déterrer, pour affronter, peut-être, des vérités qu'il ne désirait pas entendre.

Soudain, il sentit le contact froid d'un verre contre sa joue. Thémis lui tendait une mixture verdâtre peu ragoutante :

-C'est pour ta gueule de bois, a dit Lachésis.
-Prends et bois, ordonna sur un ton sans appel Atropos à côté de lui – tu sens l'alcool à des kilomètres.

Malheureusement pour lui, Atropos était revenue après son échec face à Scarlet, la veille. Il ne savait pas bien s'il en était content ou pas…Que Scarlet s'en soit sorti le rassurait de manière malsaine – quelque part au fond de lui, il espérait qu'il serait celui la mettant en cage, comme elle le méritait après l'accident de Bonville. Mais il était également certain de devoir supporter une rouquine de mauvais poil, après cette mission, et dans ces moments-là, il avait l'impression qu'il était en cage, lui, avec en face un ursaring.

Thémis appuya un peu plus le verre contre sa joue, pour lui rappeler sa présence et ce qu'il devait faire.

Bon gré, mal gré, Lucas lui obéit, se retenant de vomir. Puis il avala le reste de son petit déjeuner, dans un silence quasi religieux. On n'osait pas lui adresser la parole.

Le cœur gros, il se dit qu'il ne s'était jamais senti aussi seul ici depuis le départ de Cristal. Il se demanda quoi faire du reste de sa journée, et le temps lui parut s'étioler, à tourner en rond ici. Il pouvait peut-être s'occuper de sa moto, mais c'était déjà ce qu'il avait fait hier, et aujourd'hui, le terrain d'entrainement se voyait occupé par les nouvelles recrues. Il soupira, songea à combien d'heures il pouvait rallonger le brossage de ses pokémons, et tripatouilla pensif les œufs de son assiette.

Avec un peu de chance, ce soir, une de ses « amies » lui demanderait un service, et alors, au moins, le temps d'une nuit, la solitude ne l'écraserait pas, seul, dans son lit. Est-ce que ça allait bientôt s'arrêter ? Souvent, il se demandait, et la nuit, en tête à tête avec sa propre personne, cette question tournait en rond. En rond, en rond, alors que finalement, et de plus en plus, il avait l'impression que ce monde ne tournait plus rond du tout. Au final, sa remise en question n'arrivait jamais plus qu'à gondoler le temps, le rendant plus long et vague à ses yeux. Est-ce que c'était ça, ce que vivait Daniel, quand ils étaient petits ? En venir à se sentir étranger à sa propre personne ? A son propre monde ? Dans ce cas, Lucas s'en voulait de ne pas y avoir prêté plus attention : personne ne méritait d'être laissé dans un tel gouffre.

Sauf peut-être lui. Il avait bien du faire quelque chose d'horrible, pour mériter un tel châtiment. Arcéus, dans sa grande mansuétude, manipulait bien son destin, alors, c'était le chemin qu'elle lui avait choisi, non ? Son bonheur : le voilà.

Il regarda Thémis, Arcéus, l'origine de son mal, gravement. Merci du cadeau.

Vraiment, son sort avait un goût amer. Lucas ricana, avalant une bouchée d'omelette, et cela lui piqua le palais et les yeux, espérant camoufler, celui, plus âcre, de ce qu'il percevait comme la fatalité. Ou peut-être des relents de la soirée de la veille, un retour d'acide de l'alcool ingurgité, mélangé à la mixture qui devait l'empêcher de tout vomir. Allez savoir où se trouvait la réalité ! Il n'était plus capable de la voir depuis longtemps, si tant est, qu'un jour il en fût apte.

-Je vais m'entrainer, déclara soudain Moros, en se levant, mettant fin au silence pesant de la salle à manger.
-Je t'accompagne. Enchaîna aussitôt Hypnos.

Thémis attrapa leur manche avant qu'ils ne quittent la pièce, et expliqua d'une voix neutre :

-Thanatos voulait s'entraîner avec toi aujourd'hui.

Le brun jeta un coup d'œil au jeune homme assoupi sur le canapé et eut un rictus de dégoût :

-Oui, mais moi je ne veux pas.

Il se dégagea de sa prise et sortit, avec son ami roux sur les talons.

-Il aurait put le dire gentiment. Siffla Atropos, en prenant Thémis dans ses bras, comme pour la protéger. Comme d'habitude dès qu'on touchait à sa petite déesse, on attirait ses foudres.
-Il a dit les choses telles qu'il les ressent. Mieux vaut ça qu'un mensonge hypocrite. Commenta platement Clotho, en pliant sa serviette sagement à côté de son assiette.

Les deux femmes se jetèrent un regard haineux derrière leurs lunettes respectives, puis détournèrent la tête : comme d'habitude, jamais en accord. Toujours les même rengaines, les même conflits.

De l'autre côté, l'origine de la dispute se retourna dans son sommeil et renversa en grande partie le puzzle qu'avait formé l'incarnation d'Arcéus sur son ventre. Thémis se précipita vers le désastre et rempila le tout sur la table basse avec une application étonnante.

Atropos regarda l'emblème du Dieu auquel elle avait juré allégeance, et sortit de table pour la rejoindre. Son persian vint se frotter dans ses jambes, quémandant de l'attention maintenant que son semblable était parti avec Moros et Hypnos. Elle lui gratouilla le menton avec amour et l'encouragea à s'allonger sur le tapis, près de l'endroit où jouait Thémis.

Elle lui prit doucement une bille des mains et la posa sur la structure de plastique que la petite avait construite. La balle d'acier s'abîma dans un entonnoir et dériva dans un chemin prévu pour elle, rempli d'engrenages et d'hélices. Laissant derrière elle un tel concert de cliquetis qu'il était étonnant que Thanatos parvienne à rester assoupi sur le canapé.

-Encore. Demanda Thémis une fois que la balle fut arrivée là où elle l'avait prévu, à la fin du parcours.

Atropos récupéra la bille et s'apprêtait à la remettre en haut du jeu quand une petite voix l'interrompit :

-Il va bien. Il te cherche.

Le cœur d'Atropos fit un bond dans sa poitrine et elle en laissa tomber sa prise, pour serrer la perle noire qui pendait à son propre cou, comme la plupart des membres de la Légion. Son gosier se serra, mais elle n'eut pas à demander quoique ce soit, comme d'habitude, Thémis semblait lire en elle, en eux tous, et deviner ce qu'ils désiraient demander, parfois avant même qu'ils n'en aient conscience eux-mêmes. En l'occurrence, elle ignorait que son échec à attraper Scarlet faisait ressurgir ce genre de sentiments. Elle grimaça devant sa faiblesse et serra les poings.

-Est…Ce qu'il est…

Elle prit garde à bien choisir ses mots et le contact froid de la perle noire s'atténua entre ses doigts, se réchauffa, comme pour la réconforter.

-Il n'est pas heureux. Tu lui manques.

La constatation l'attrista, entourant son être d'une lourde chape de plomb. Si même comme ça elle n'arrivait pas à lui rendre le sourire, alors elle ne savait plus quoi faire, ni ce qui était en son pouvoir. Persian vint se nicher sur les genoux de sa dresseuse en ronronnant.

L'élue d'Arcéus resta un moment silencieuse, puis, elle reprit son jeu, ajouta des embranchements à la structure de plastique, plus d'entonnoirs, plus d'hélices, plus de tuyaux… Et enfin, elle annonça :

-Le destin des gens…Ressemble à ce jeu.

Atropos sursauta, et elle sentit que ceux qui étaient demeurés dans le salon se tournaient dans leur direction, surpris eux aussi. Thémis laissa glisser la bille, comme la première fois, mais celle-ci, au lieu de prendre le même chemin que précédemment prit une autre route à l'intersection. Une nouvelle.

-Avant, la bille n'avait qu'un chemin à suivre, expliqua Thémis avec ses mots d'enfants. –Maintenant je fais tomber la bille, et c'est elle qui choisit où elle va.
-C'est la gravité Thémis. Balbutia Atropos.

Mais l'ancien corps d'Eléa secoua la tête négativement, elle reprit la petite balle, et la remit au début, là encore, le jouet emprunta un nouveau sentier.

-C'est toujours logique. La balle entre dans le circuit et en ressort pour une raison.

Atropos regarda l'opération se répéter encore et encore, sans comprendre ce qui provoquait ses changements de direction et les différences de tentatives en tentatives.

-Tu ne peux pas l'empêcher d'aller là où tu ne veux pas qu'elle aille ?
-Si, c'est ce que je fais ici.

Elle leva la main et la bille d'acier s'arrêta de rouler en pleine pente, elle sembla vouloir continuer sa course, résister quelques secondes, tournant encore sur elle-même, puis Thémis d'un mouvement du doigt, l'obligea à prendre à droite, puis à gauche. Encore à droite.

D'un geste lent, contrôlant toujours la course de la première vie d'une main, elle piocha dans un sac et ressortit une poignée de petites balles semblables à la première. Elle les déversa dans l'entonnoir du début de parcours et elles s'engouffrèrent dans les différents chemins avec un fracas épouvantable. Certaines semblèrent obéir à Thémis, entourées d'une aura tantôt dorée, tantôt argentée.

-Les Baptisés. Commenta la petite fille platoniquement.

D'autres en revanche, partirent dans tous les sens sans se soucier du Dieu. Se bousculant les unes les autres, certaines se coinçant mutuellement dans un couloir trop étroit, d'autres pressant les autres, ou les prenant de vitesse.

-Les libres. Devina Atropos avec la gorge sèche.

Puis soudain Arcéus relâcha sa prise sur l'une des perles d'acier. Celui-ci retomba ployant à la gravité, mais rebondit sur son support, et percuta violemment un électron libre, il échappa alors à tout contrôle et à la structure de plastique. Il déraya et finit par tomber sur le parquet.

-Martyr. Constata simplement Thémis, sans émotion.

Elle ramassa la pierre éjectée et la caressa doucement. Pensive.

Atropos se tût, puis admira le jouet qu'elle avait cru si innocent.

-C'est n'importe quoi. Si c'est vraiment une image des destins, alors même les libres n'ont pas vraiment de liberté. Tu as construit le parcours toi-même.

La voix grommelante de Lucas tira les deux filles de leurs pensées.

-C'est qu'une illusion de liberté. Acheva-t-il avec les yeux emplis de ressentiments.

Arcéus ne cilla pas et elle répondit calmement :

-Non. Le parcours je ne le construis pas totalement. Il est construit par moi, et la logique.

Elle prit deux pièces de plastiques dans le sac de jouet et les examina.

-La situation dans laquelle la personne est née…-Dit elle en montrant l'entonnoir- le passé de ses propres parents…Les pièces s'emboîtent ou ne s'emboîtent pas.

Elle essaya de monter ensemble un tunnel en forme de T avec un tuyau en H…Et constata le trou qu'il laissait, menaçant de faire tomber la bille aventureuse qui s'y engouffrerait dans le vide.

-Des situations sont impossibles à partir du moment où une bille va dans une direction. Elles existent toujours mais elle ne peut plus les emprunter. Il y a aussi des passages qu'il ne peut pas prendre. Parce que c'est un autre circuit. Auquel il n'a pas accès.
-Et qui choisit celui auquel une bille a accès ? Hein ? Ce n'est pas toi, peut-être ?
-Lucas, peux-tu arrêter d'être constamment agressif avec Thémis ? Le gronda Atropos, exaspérée.

Le brun se détourna en bougonnant. Comment pouvait-il se murer alors que l'élue d'Arcéus lui expliquait des choses si passionnantes ? Atropos secoua la tête, exaspérée par ce jeune homme dont le plus grand défaut était d'être malheureux.

Arcéus se redressa, et se dirigea lentement vers Lucas, puis elle le fixa gravement, une expression paradoxale avec son regard évanescent. Elle tendit la main vers lui :

-Veux-tu que je te montre à quoi ressemble la grande route des destins ?

Mais Lucas la repoussa d'un geste exaspéré, et se leva de table.

-Lucas, excuse-toi ! Ragea Atropos.
-Même pas en rêve ! Rétorqua-t-il en s'enfuyant dans le couloir.

La membre de légion se précipita vers l'incarnation du dieu des pokémons pour vérifier qu'elle n'était pas blessée, mais il n'y avait aucune trace du moindre coup. Clotho, loin de prendre la défense de l'être divin, commenta simplement :

-Thémis, il va falloir que tu apprennes à peser tes mots. Ce sont des armes qui peuvent blesser bien plus que tu ne le crois.
-Il voulait savoir à quoi ça ressemblait. Commenta simplement Arcéus sur un ton neutre.

Puis, la gijinka marqua une pause, avant de murmurer, plissant les yeux, comme perplexe :

-Mais il ne voulait pas le voir.

Atropos eut beaucoup de mal à cerner la nuance qu'essayait d'expliquer Thémis, puis elle caressa tendrement la chevelure de la petite, comme on le fait à une enfant sage. Cela dura un petit moment, puis, comme si elle se souvenait du but de toute cette scène, elle récupéra une nouvelle poignée de billes. La rouquine qui la surprotégeait l'observa jouer un moment, juste heureuse de ne pas la voir traumatisée, puis elle se permit de nouveau une question :

-Et le voyage dans le temps ? Peux-tu faire revenir une bille en arrière ?

Thémis hocha simplement du chef et d'un claquement de doigt, l'une des billes stoppa nette sa chute en plein milieu du parcours. Hélas, elle bloqua ainsi le passage à toutes les autres et plus d'une se firent éjecter, tombant du circuit.

-Si je veux redevenir dans le temps, il faut que je stoppe toutes les billes. Expliqua Thémis.

Elle s'exécuta, et les fit revenir sur leurs chemins parcourus. Mais l'incarnation d'Arcéus secoua la tête :

-Mais c'est différent, il y a le chemin pour revenir au point de départ, du coup, tout n'est pas pareil.

Elle pointa du doigt le jouet coupable de tout à l'heure et le montra à atropos : les traces d'impacts, quand elle avait été heurtées par les autres demeuraient.

-Si je veux bien faire le voyage dans le temps, ça marche comme ça.

La petite fille piocha de nouvelles perles et les lança dans l'entonnoir. L'une d'entre elle se fit alors percuter par une bille « baptisée » celles entourées d'une lueur dorée. La pauvre victime sortit du circuit et tomba au sol, Thémis la ramassa alors et la jeta dans le sac pour en prendre une neuve, avant de la remettre dans le circuit, à un endroit voulu, déjà parcouru.

Atropos fronça les sourcils, cherchant à comprendre ce que Thémis essayait de lui dire. Cette fois, ce fut Clotho –toujours partante pour chercher la rouquine- qui expliqua :

-Cela signifie que pour faire un voyage dans le temps comme tu le demandes, sans souvenir, sans altération de la cible, il faut tuer la cible et la faire revenir au point désiré.

Thémis hocha du chef pour approuver les dires.

-Et là, la bille peut avoir un autre destin.
-Mais ce n'est pas la même bille que tout à l'heure non ?

Seul le silence lui répondit. Atropos pencha la tête sur le côté, et quand elle parla, sa voix monta dans les aigus, légèrement paniquée :

-Tu veux dire que le voyage dans le temps est vraiment impossible, même pour toi Thémis ?
-Remonter le temps c'est compliqué et ça fait mal à la tête. Plus on va loin en arrière plus ça fait mal et on oublie où on veut aller. Il faut savoir où on veut aller avant de partir et ne pas l'oublier, et c'est dur. Alors il faut une attache avant, un point de repaire, mais il faut avoir mis le point de repère dans le passé. Et donc voyager dans le temps. Et c'est compliqué et ça fait mal.

Ce fut sur ces explications brumeuses et cette boucle vague que Thémis s'arrêta, et d'un geste résolu, elle détruisit sa construction en plastique. Le bruit réveilla enfin Thanatos sur le canapé, et il se tourna dans leur direction.

-Plus envie de jouer ? Demanda-t-il dans un bâillement.

Thémis secoua la tête et monta sur le canapé pour s'allonger contre lui. Ses longs cheveux blancs s'emmêlèrent sur les coussins. Thanatos lui tapota le crâne avec tendresse et l'incarnation d'Arcéus ferma les yeux.

-Apparemment il est trop tôt pour notre Dieu. Commenta Lachésis avec un sourire attendri.

Elle chercha la montre à son poignet, puis se souvint qu'elle l'avait perdue et regarda l'horloge murale. 10h. Il était peut-être trop tôt pour les divinités, mais il était bien trop tard pour elle.

-Thanatos, tu débarrasseras et tu feras la vaisselle s'il te plaît ? Je dois y aller.
-D'accord.
-Au revoir ! Lancèrent plusieurs voix de concert dans le salon.

Il était étonnant comme des adultes pouvaient sonner comme des enfants parfois.

-Fais attention à Rhodes, reviens vitre de ta mission !
-Promis.

Sur ce, la jeune femme rappela ses pokémons dans ses pokéball, remit son tablier en place et récupéra son sac d'affaires. Alors qu'elle se dirigeait vers la sortie, elle demanda :

-Thémis, où sont Marion et Peter dans le QG ?
-Dans l'antre Rose, répondit la gijinka sur un ton monocorde. Ils préparent l'examen d'entrée qui a lieu cet après-midi.
-Merci !

La dresseuse mit donc ses lunettes et noua ses cheveux chocolat avant de s'engager dehors, songeant à l'itinéraire à prendre. Il ne lui fallut pas longtemps pour traverser la ville qui abritait les têtes pensantes de l'organisation gouvernementale.

Nichée dans le cratère du mont Argenté, plusieurs maisons en colombages de plusieurs étages se dressaient, atemporelles. Gigantesques bâtisses dont les toits en tuiles cuivrés reflétaient les rayons du soleil, jamais elles ne s'abîmaient ou ne subissaient l'usure du temps. Il y avait toujours du monde dans la cité, plateforme tournante où chaque membre pouvait trouver refuge quelques temps après une mission. Les noms connus côtoyaient les illustres inconnus et plus d'un se croisaient, se parlaient, faisaient connaissance sur les pavés que Lachésis foulait en cet instant. D'ailleurs, il lui sembla voir sur un des bancs bordant le lac près de la cascade, des silhouettes familières. Celles de Lucio et Aaron. Mais elle était déjà trop en retard pour s'attarder et accéléra la cadence.

Au détour d'un grand chalet qui abritait la bibliothèque, et juste après une tâche marron âtre incrustant le parvis, Lachésis arriva enfin en vue de ce qu'on nommait ici « L'antre Rose ».

Juxtaposée près des serres d'entraînement, la petite maison ne payait pas de mine, à peine pouvait-on y loger un couple. Et elle n'était même pas rose. A l'extérieur.

La petite porte était ouverte (comme toujours) et l'on pouvait voir plusieurs personnes devant les parterres de fleurs bien entretenus. Plusieurs petits pokémons batifolaient sur la pelouse, entourés de jeux et de compagnons. Dès qu'elle passa le portail de fer forgé, un fouinard vint se glisser entre ses jambes, menaçant de la faire tomber à la renverse. Un teddiursa suivit, mais cette fois Lachésis fit un pas sur le côté pour l'éviter.

-Lachésis, tu n'es pas encore partie ? Lui envoya la voix rieuse d'Odin.

Le jeune homme lui envoya un sourire dont il avait le secret. Assis par terre, il tenait encore la balle que cherchaient très certainement fouinard et teddiursa.

-Je pars juste après, je dois parler à Marion et Peter avant, c'est très important.
-Woh. Parler au chef, carrément ! Tu es drôlement importante.

Lachésis arqua un sourcil, tandis que son collègue de la légion, partait dans un rire. Odin était sûrement bien plus important qu'elle pour Twilight pourtant. Affilié à la protection rapprochée du chef de l'organisation, le grand Peter, et parfois, de l'entraînement des jeunes recrues, il quittait rarement le mont argenté. Son autre collègue, Phénix, devait sûrement traîner quelque part non loin de là. Peut-être sous les serres de combat. Il est vrai que le dresseur se moquait souvent de son rôle, arguant que le maître des dragons n'avait certainement pas besoin d'être protégé, et surtout pas par un aussi piètre combattant que lui. Mais apparemment Lance Peter n'était pas de cet avis et préférait toujours garder une escorte.

-J'interromps quelque chose d'important ? Je dois attendre ? Demanda la jeune femme.
-Oh, non pas vraiment. Ils regardent la liste des nouvelles recrues et parlent de l'examen d'entrée tout ça. J'pense que tu peux rentrer.

Elle n'attendit pas d'autres autorisations et se permit de pénétrer dans « l'antre ». L'endroit n'avait pas changé d'un pouce. Rose. Rose. Rose. Partout, et du blanc. De la dentelle en guise de nappe sur une petite table d'appoint, des sofas, des fauteuils, tous dans un coloris rose. Des gâteaux sur la table, du thé fumant, des vêtements abandonnés, à moitié cousus… Des motifs de fleurs comme papier peint…On se serait cru dans l'appartement d'une grand-mère s'il n'y avait pas eu un immense écran au fond de la salle et plusieurs autres engins i-tech qui auraient fait baver les plus grands hackers….Et devant cet énorme ordinateur se trouvaient quatre personnes. Elle reconnut le chef de la ligue de Kanto, Peter Lance, et sa compagne, Marion, la cousine de Lucas. Malheureusement pour elle, se furent les deux autres qui la remarquèrent en premier :

-LACHESIS ! Piailla une grande gigue aux cheveux longs et blancs. Habillé comme un prince de conte de fées, il lui fit de grands signes pour l'inciter à les rejoindre –qui lui donnaient plutôt envie de s'enfuir en courant.
-Tu tombes bien ! Babilla une grande blonde habillée comme une sweet lolita, malgré son âge –au moins la trentaine. –J'ai justement fini une tenue ravissante pour Thémis, il faudrait la lui donner, elle sera adorable dedans !

Christopher et Angèle. Les deux psys, les deux hackers, les deux ex-membres de la Team rockets, les deux fous, les deux n'importe quoi en fait. Tout ce qu'on retenait au final, c'était qu'ils agissaient toujours en duo et qu'à la fin d'une entrevue en leur compagnie on finissait avec des paillettes dans les cheveux et des caries à cause de toute la guimauve dont ils badigeonnaient leurs invités. Lachésis n'avait aucune envie d'avoir une crise de foie et elle tâcha de leur envoyer un sourire poli, mais ferme.

-Bonjour Chris, bonjour Angie. J'ai quelque chose à dire à Marion et Peter. C'est assez urgent, après je dois m'en aller.
-Ho ? Déjà, mais on t'a à peine vu aujourd'hui ! Se lamenta le grand prince, penaud.
-Reste au moins prendre un café, juste avant de partir ! Proposa sa comparse.

Heureusement, Marion vint en aide à sa collègue et intervint :

-Elle a raison, elle doit partir dans la matinée. Vous fêterez son retour plutôt, non ?

La perspective ne sembla pas réjouir les deux ex-bandits, qui, sommes toute, devaient se sentit bien seuls ici.

-Qu'est-ce qu'il y a Lachésis ? Demanda Marion avec sourire.

Marion approchait de la trentaine à présent, et quand la dresseuse de la légion l'avait rencontrée, c'était une femme froide et triste aux longs cheveux blonds. Aujourd'hui, Marion portait une coupe à la garçonne et affichait toujours un sourire clair qui lui donnait envie de lui arracher les yeux. A l'instar de son type de prédilection, la glace, elle donnait l'illusion de maîtriser la situation, d'être imperturbable face aux évènements. Cela mettait toujours la brune mal à l'aise, sans trop savoir pourquoi.

A côté d'elle, le grand chef suprême de Twiligth, le grand Peter, ne cilla pas, ne lui accorda même pas un regard, absent, il fixait l'écran de l'ordinateur sans le voir. Mais Peter avait toujours eu cet air « ailleurs », et ce, depuis qu'elle l'avait rencontré. Lachésis ignorait comment un tel fantôme avait pu invoquer Arcéus et révolutionner l'univers alors qu'elle ne lui aurait même pas confié la garde de sa cuisine. Et elle l'avait laissé aux mains de Thanatos ce matin-même, c'était dire comme elle pouvait se montrer tolérante et ouverte d'esprit !

-C'est à propos de Lucas, entra dans le vif du sujet la jeune femme.

Marion pencha la tête sur le côté, et soupira :

-Il a encore ramené une fille hier lors de la conférence de presse, et pas n'importe laquelle, la fille d'un journaliste important d'Unys…

Difficile de savoir si elle était fière de lui ou désespérée par son attitude. En tout cas Marion haussa des épaules. Lachésis se chargea d'enchaîner :

-Lucas ne va pas bien.

Chris et Angie dodelinèrent sur leurs sièges, inquiets, mais ne pipèrent mot. Comme cela ne suffit pas à faire réagir la cousine du concernée, la jeune femme ajouta :

-Du tout.
-Il ne va pas bien depuis longtemps maintenant. J'essaye de lui parler mais ça ne change rien. Peter aussi a essayé d'ailleurs.

Elle se tourna vers le chef de l'organisation, mais celui-ci resta de marbre. Marion grimaça, puis continua :

-J'ai perdu tout espoir, si tu as une solution, elle est la bienven-
-J'ai une proposition. Peut-être serait-il temps de lever la punition ? Lui permettre de sortir du Qg, de réaliser quelques missions. De changer d'air ?
-C'est une excellent idée ! Il ne restera plus enfermé ici à tourner en rond comme ça ! S'enthousiasma Angie, les yeux brillants, déjà partisante de l'idée.

Elle et son collègue babillèrent, chantant gaiment tous les avantages qu'avait la vie en dehors du mont Argenté, comme le chocolat, les gâteaux, et beaucoup d'autres choses contenant du sucre…Mais Marion, à côté, elle, ne parut guère enchantée.

-Si nous avons interdit à Lucas de sortir c'est pour une bonne raison Lachésis. Et s'il s'enfuyait ? S'il essayait de rejoindre la résistance ? Ou de chercher Daniel ? Ou même de poursuivre Scarlet seul ?
-S'enfuir où ? Cela fait 5 ans qu'il n'a plus aucun contact avec ses anciens amis, tout au plus pourra-t-il aller se cacher chez Cristal à nénucrique. Je ne vois pas comment il pourrait rejoindre la résistance, vu que, comme nous, il ignore où elle se trouve. Quant à Daniel, ou Scarlet…

Lachésis haussa des épaules.

-Je ne dis pas qu'il faut le laisser sortir seul, je dis qu'il faut qu'il sorte de ce cycle infernal. Tu ne le vois pas tous les jours comme moi, Marion. Quand je te dis qu'il ne va pas bien, c'est que vraiment, il ne pas bien du tout.

Elle mâcha chacun de ses mots avant de prononcer ce qu'elle voyait comme une sentence :

-Je ne serais même pas étonnée de le retrouver pendu un soir en rentrant.

La menace sembla faire effet, car le masque de verre de la championne se fissura. Pendant une seconde, Lachésis lut de la détresse dans son regard, et la blonde se tourna vers le grand maître de l'Ordre.

-Peter…Qu'est-ce que tu en penses ? Lui demanda-t-elle d'une petite voix craintive.

Pour la première fois, le dragoniste tourna la tête dans sa direction. Ses yeux, mordorés, ne trahissaient aucune émotion, tout comme son expression. Marion répéta alors sa question, de moins en moins sûre d'elle :

-Lachésis propose de laisser sortir Lucas…
-Pourquoi ?

Comme d'habitude, le maître se montra rapide, bref, concis, sans compassion. Lachésis ne l'avait jamais connu autrement, aussi ce fut-elle qui lui répondit :

-Pour qu'il aille mieux.

Peter arqua un sourcil, comme s'il s'agissait là de ses dernières préoccupations, puis il se détourna des filles pour reprendre sa contemplation…Du vide numérique. Cependant, Marion était une jeune femme intelligente et vive, et elle, après avoir fait sienne l'idée de Lachésis, elle avait déjà réfléchi à des arguments pour la défendre :

-Il pourrait passer le test de 16h avec les autres ! Comme ça on vérifiera qu'il est toujours apte à être sur le terrain. Et après, après il pourrait faire des missions de groupe uniquement. Sous la supervision d'un membre de la légion, comme ça, il ne pourra pas s'enfuir !

Elle lui attrapa le bras.

-S'il te plait Peter, cela fait 5 ans maintenant. Il est baptisé. Il a prouvé qu'il…Qu'il…

Le silence lui répondit.

-Peter, regarde-moi s'il te plaît. Répond-moi. Répéta lentement Marion, d'un ton presque suppliant.

Le désigné sursauta et dodelina du chef pour contempler sa compagne, ahuri. Il cligna plusieurs fois des yeux avant de murmurer :

-C'est important pour toi ?

Le cœur de Lachésis s'allégea, tout comme celui de Marion qui reprit son sourire radieux. Elle serra tendrement la main de son amant, comme pour garder toute son attention, et hocha du chef.

-Alors d'accord. Jugea Peter.

Mais il ne leur laissa pas le temps de jubiler, même si Christopher eu tout de même le temps de jeter des paillettes –il avait toujours le temps de jeter des paillettes.

-Il passera l'examen avec les autres à 16h. Dans cette équipe. Et quand il aura réussi, il sera sous la supervision de Thanatos, Atropos, ou toi, Lachésis, à ton retour.

La légionnaire s'attendait à être responsable du garçon depuis que Marion avait proposé l'idée de surveillance, et ma foi, cela ne l'enchantait pas. Mais elle préférait ça à le voir déambuler dans le chalet comme un zombie. Elle hocha du chef et lut la liste de noms que pointait Peter du doigt, à l'écran.

Angèle, l'informaticienne, crut voir en cela un signal, car elle ouvrit les onglets et plusieurs photos s'affichèrent devant eux. Des visages, des noms, tous inconnus.

-Lucas sera donc en équipe avec Claude Dupuis, Kalem et Sannah de Kalos ainsi que Mathis et Echo Dianthéa. Groupe A.
-Je vais de ce pas lui annoncer la bonne nouvelle ! Décida Christopher, rayonnant.

Sur ce, il pianota sur son accoudoir et son fauteuil émit un vrombissement mécontent, avant de se mettre en branle. Doucement les roues automatiques se mirent en marche et il put faire sa manœuvre pour s'éloigner du bureau. Lachésis recula pour laisser l'handicapé passer, et accorda un dernier regard à l'écran, satisfaite de partir tout en sachant que Lucas serait entre de bonnes mains.