Chapitre 14 : Visions différentes, but commun
Cresuptil
La vieille humaine portant le nom de Sol avait pris la tête des opérations, et personne ne protesta, pas même la jeune femelle arrogante et enragée. Le plus important, disait Sol, était de mettre le plus de distance possible entre Ferduval et eux pour le moment. Sur ce point, j'étais d'accord. Je connaissais le colonel Tranchodon de réputation, et il ne connaîtrait pas le repos tant qu'il ne nous aura pas tous retrouvés, torturés et tués. Moi-même, j'étais innocent bien sûr, embarqué dans cette histoire contre mon gré, mais Tranchodon n'avait pas l'esprit assez ouvert pour comprendre ça, et compter sur Frelali pour lui expliquer aurait été suicidaire.
Donc oui, je m'éloignais de ma propre cité et de mon argent bien-aimé, à contrecœur, mais avec l'assurance que c'était le meilleur moyen actuel de survivre. Car s'il existait quelque chose que tout mon argent n'aurait pas pu acheter, c'était une seconde tête si jamais Tranchodon et ses hommes me retrouvaient. Toutefois, je n'avais aucune espèce d'intention de prendre part à la croisade démente de tous ces fous qui m'accompagnaient. Ils pouvaient bien se rendre dans la base secrète des Paxen, ou fouiller dans l'esprit de cet humain mentalement atteint pour trouver la Pokeball de l'Empereur, je m'en fichais royalement.
Je restais avec eux pour le moment juste pour qu'ils assurent ma protection. Ludmila Chen ne cessait de me jeter des regards meurtriers, mais je savais que les autres, en particulier Sol et Cielali, ne me feraient pas de mal ni ne me laisseraient mourir. Mais une fois que je serais en sécurité loin d'ici, je partirai de mon coté, à la recherche d'une cité bienveillante qui acceptera de m'accorder l'asile. Je saurai me rendre utile, et gagner beaucoup d'argent, comme je l'ai toujours fait. Bien entendu, désormais, interdit de me faire connaître des autorités impériales.
Ces pensées dans la tête, je m'efforçais de supporter la compagnie de ces humains puants et sauvages, et de leurs deux Pokemon traîtres à leur propre race. Bon, Cielali était jeune et avait toujours été une rebelle même avec ses parents, on pouvait donc l'excuser de se laisser influencer. Mais ce Penombrice... je ne le comprenais décidément pas. Il se battait pour les Paxen depuis des années ! Il faisait même équipe avec des humains, et les considérait comme des égaux ! C'était lui qui était venu me parler le premier. Tandis que les humains palabraient entre eux de sottises connues d'eux seuls, il avait tenté d'en savoir plus sur moi. Sans doute pour trouver comment j'avais gagné autant d'argent.
- Il parait que vous êtes le maire de Ferduval ?
Comme il n'avait pas de bouche, ni de visage d'ailleurs, je trouvais singulièrement bizarre de l'entendre parler, de cette voix à la fois cristalline et avec des accents de sagesse. J'ignorais l'âge de ce Pokemon, mais il devait être plus vieux que moi.
- J'étais, rectifiai-je avec aigreur. Le colonel Tranchodon est furieux que j'ai laissé entrer sous mon nez la criminelle humaine qui a assassiné le Seigneur Xanthos. Il n'hésiterait pas à me démembrer s'il m'avait devant lui. J'ai dû quitter ma ville, mon prestige et mes richesses, à cause de vous, fichus rebelles !
- Mais si j'en crois que ce Ludmila m'a raconté, vous faisiez du trafic d'esclave. Ce n'est pas trop en accord avec les lois de l'Empire, non ?
- Qu'est-ce qu'un Paxen connait aux lois de l'Empire ?!
- Oh, je les connais, assura Penombrice. On finit par les retenir, à force de les violer constamment. Puis avant d'être un Paxen, j'étais un Pokemon de l'Empire, tout comme vous. Je vivais dans la cité glacière de Manyuki, dans les terres froides du Nord. J'étais sculpteur de glace. Je faisais des figurines avec de la Glaceternelle qu'on trouvait que là-bas. Elles ne fondaient jamais. Je gagnais assez bien ma vie, et j'étais reconnu.
- Pourquoi avoir abandonné tout ça pour lier son destin à celui des humains ? Demandai-je. C'est absurde. Aucun d'entre eux ne vaut qu'on souffre pour eux. Ce sont des animaux. Ils ne servent qu'à gagner beaucoup d'argent.
- Ah, l'éternel débat, soupira Penombrice. Les humains ont-il une âme ? Les humains éprouvent-ils les mêmes sentiments que nous ? Les humains sont-ils nos égaux ? Vaste sujet, et réponses tout aussi vastes. Je ne discuterai pas de ça avec vous, pour la bonne raison que si j'ai rejoint les Paxen au début, ce n'était pas vraiment par souci du sort des humains.
- Que voulez-vous dire ? Fis-je, étonné. Pourquoi y serez-vous allé sinon ? Pour de l'argent ?
Penombrice ricana.
- Vous croyez peut-être que tous les Pokemon Paxen se battent pour la défense des humains ? Que tous les Pokemon Paxen s'entendent très bien avec eux et les considèrent comme des égaux ? La réalité est moins noble que ça, Cresuptil. La grande majorité des Pokemon Paxen le sont devenus par vengeance, car ils avaient des comptes à régler avec l'Empire. Ils veulent la chute de l'Empereur autant que les humains, ce qui fait qu'ils collaborent ensemble, mais ne sont pas amis pour autant. La règle des équipes Paxen mixtes, un humain un Pokemon, a été instaurée justement pour tenter de souder des liens inter-races.
- Donc, vous aviez une dent contre l'Empire ? Enfin, façon de parler, vu que vous n'avez pas de dent...
- L'Empire m'a spolié, déclara Penombrice. Il a provoqué la ruine de ma cité. Vous connaissez Dame Morphesia, Étoile de la Vie impériale ?
Je hochai la tête. Bien sûr que je la connaissais. Ce Pokemon était l'une des Cinq Etoiles de l'Empire, qui régnaient dans leurs domaines respectifs aux cotés de l'Empereur. Dame Morphesia était en charge des affaires locales de l'Empire, allant de l'économie à l'éducation des jeunes Pokemon, et de la prise en charge des esclaves humains. En clair, elle était un peu comme ma supérieure, bien que je ne l'aie jamais rencontré. On gagnait à ne pas rencontrer les Cinq Etoiles.
- Eh bien, poursuivit Penombrice, Morphesia a décrété, il y a vingt-deux ans exactement, que les métiers de création et de vente d'objets considérés comme inutiles étaient contraire à l'esprit de l'Empire. Tous les artistes, disait-elle, vivaient aux crochets de l'Empire, usant de leur art pour leur seul bénéfice. Nous n'étions pas assez patriotes, selon elle. Elle a donc ordonné la levée d'un impôt terriblement confiscatoire pour toutes ces catégories là. Au bout de quelque mois, je ne pouvais déjà plus payer. J'ai fait faillite. Toutes mes sculptures ont été confisquées. Certaines avaient été créées par mon père et mon grand-père avant moi. Elles n'ont même pas été vendues pour couvrir mes dettes. À ce que j'en sais, un haut fonctionnaire de l'Empire se les ait gardées pour lui seul. Je n'avais plus rien. Toute une vie de labeur, d'amour pour son art, évaporée en un instant.
Je me tus, ce qui était rare. Bien que l'histoire de ce Pokemon m'indifférait quelque peu, je pouvais un peu comprendre ce qu'il avait du ressentir. On lui avait volé tout son argent, après tout...
- J'ai haï l'Empire pour cela, continua Penombrice. Je ne pensais à rien d'autre qu'un moyen de me venger. Je me suis donc mis à la recherche des Paxen. Bien sûr, je ne savais pas du tout dans quoi je m'engageais. On m'a associé à un humain, un homme du nom de Lavar. Je ne voulais pas d'équipier humain. J'étais comme beaucoup des Pokemon de l'Empire, plein de préjugés à leur égard. On s'est souvent accroché, au début. Mais au fur et à mesure, Lavar et moi avons appris à nous comprendre. Je me suis rendu compte qu'au final, nous n'étions pas très différents des humains, après tout. Eux aussi luttaient contre l'injustice et l'asservissement. C'est à cette époque que ma haine est un peu retombée, et que j'ai fini par me sentir chez moi chez les Paxen. Lavar et moi, nous sommes devenus de grands amis, dix-sept années durant. Aujourd'hui, je ne fais plus trop de différence entre humains et Pokemon. Je me bats contre l'Empire parce qu'il est pourri de l'intérieur, parce qu'il soumet les citoyens Pokemon à son bon vouloir. Et je me bats aussi pour les humains, qui n'ont pas mérité ce sort d'esclaves que l'Empire leur réserve.
Je retins un bâillement.
- Dîtes, j'espère que vous ne m'avez pas assommé avec votre histoire dans l'espoir de me faire rejoindre vos rangs de rebelles ? Même si vous me payez un million de jails par mois, je ne deviendrai pas un Paxen. Mais pour deux millions, on peut discuter...
- N'y a-t-il que l'argent qui compte pour vous ? Me demanda Penombrice d'un air exaspéré.
- Non, pas seulement. Il y a moi aussi.
- C'est votre avidité qui vous a perdu, insista Penombrice. L'Empire n'est pas responsable de votre déchéance, c'est vous-même. Si vous aviez alerté les autorités impériales de la présence d'une femelle humaine non-identifiée dans vos murs, comme le prévoit la loi, vous n'auriez eu aucun problème. C'est parce que vous vouliez tirer un bénéfice de Ludmila que...
- Je ne pense pas avoir de leçon de morale à recevoir d'un hors-la-loi comme vous, fis-je d'un air relativement offensé. Et puis, si j'avais livré votre humaine sauvage à l'Empire, je peux vous assurer que vous ne l'auriez plus jamais revu !
Penombrice rit doucement.
- Oui. C'est pour ça que Ludmila s'est laissée capturer pour entrer. On avait bien pris soin avant d'arriver de se renseigner sur la ville, et sur vous. On savait que vous ne résisteriez pas à l'envie de posséder une esclave femelle, et donc que vous n'alerteriez pas l'Empire. C'était risqué, mais finalement payant.
Penombrice s'éloigna avant que je n'ai pu réfléchir à la réplique cinglante que je brûlais de lui lancer. Fichu Paxen ! Il se fichait de moi ! Qu'ils aillent donc tous crever dans les geôles de Tranchodon, s'il ne les bouffait pas avant ! Je n'avais jamais rien demandé à personne, moi. Je me fichais de l'Empire tout comme je me fichais des Paxen. Je voulais juste me faire un peu d'argent - ou beaucoup, quelle importance ? Qu'est-ce qu'il y avait de mal à ça ? Pourquoi me suis-je retrouvé emmêlé dans ces histoires ? Au final, peu m'importait que ce soit l'Empereur qui ait trahi le Seigneur Xanthos, ou que les Paxen puissent avoir raison sur l'Empire. Rien de tout cela n'apportait d'argent. Et je ne m'intéressais pas à ce qui ne rapportait pas d'argent. Alors pourquoi ?! Pourquoi Arceus est-il si injuste avec moi ?
J'étais malheureux et soucieux. Et à chaque fois que j'étais malheureux et soucieux, je plongeais les mains dans une coupe remplie de jails. Ça me calmait. Le contact de l'argent était comme un tranquillisant pour moi, comme une attaque Doux Parfum. Mais je n'avais plus un seul jail à toucher, maintenant. Et cette triste vérité me rendit encore plus malheureux et soucieux.
***
Ludmila
Il me semblait que l'arrivée de nouveaux compagnons fut pour Tannis source d'une joie et d'un enthousiasme débordant. Il avait l'air de vouloir parler à tout le monde à la fois, et plus particulièrement à moi. Il voulait savoir comment on s'était rencontré, les missions qu'on avait faites ensemble, jusqu'à mes goûts en matière de vêtements. Je le trouvais vraiment bizarre. Sa façon de marcher en canard et son air de chercher à ses mots à chaque fois qu'il parlait lui donnait l'air d'un attardé. Peut-être l'était-il réellement, après tout. Nul ne pouvait dire avec exactitude ce que ces deux ans de coma et son altération de mémoire avaient provoqué dans son cerveau.
En tout cas, il commençait à devenir un peu collant, mais comme je savais ce qu'il avait traversé, je m'efforçais vaillamment de répondre à toutes ses interrogations, même celles où il était question du degré exact de notre amitié passée. Vu comment il me regardait, je me demandai ce que Penombrice avait pu lui raconter en mon absence, et je décidai de mettre les choses au clair une fois pour toute.
- On a grandi ensemble des années, et on s'entendait bien, mais ne vas pas t'imaginer des choses, hein ? Y'avait rien entre nous.
Tannis poussa un profond soupir théâtral qui aurait pu être comique.
- Ah, malheur des malheurs ! Moi qui espérais avoir une grande source de joie à mon réveil.
- Tu es réveillé, et en bonne santé. Après ce que tu as traversé, c'est déjà un miracle en soi. Contente-toi de ça pour l'instant.
- Comment pourrai-je, avec toi à mes cotés ? Je n'ai jamais encore rencontré de fille comme toi !
Malgré moi, je fus amusée.
- Techniquement, vu que tu te souviens de rien d'avant ton coma, je suis la première fille que tu rencontres. Attend d'en avoir vu d'autre avant de juger. On se connaissait depuis des années, mais tu ne m'as jamais... euh... porté ce genre d'intérêt.
- Alors j'étais un parfait crétin. Je ne pense pas qu'un seul gars nomerla... nermolement... normalement constitué ne puisse pas te porter un intérêt. Ou... attend voir, tu as un déjà un mec c'est ça ? C'est ce type aux cheveux rouges ?
Il désigna Kerel qui marchait derrière nous, parlant avec Cielali à voix basse.
- Absolument pas ! Protestai-je. Je le connais que depuis une semaine, ce gars. C'est un crétin amoureux des Pokemon qui adore être esclave. Je n'ai pas de mec pour le moment, et je n'en recherche pas, mets-toi bien ça dans le crâne. Toi par contre, quasiment toutes les filles de la base te courraient après. Tu en avais une, il me semble...
- Vraiment ?
Je n'en savais rien, mais je voulais que Tannis me lâche un peu. Je m'efforçais de me montrer amicale, comme Astrun et les autres me l'avaient demandé, mais je ne pouvais m'empêcher de penser à ce que Tannis avait fait, même s'il ne s'en souvenait pas. Et en dépit de mon sourire de façade, je ne pouvais m'empêcher d'être furieuse contre lui.
- Il faut à tout prix que je récupère la mémoire pour me souvenir d'elle, dans ce cas, poursuivit Tannis en se passant inutilement la main dans ses longs cheveux sombres. M'dame Sol, on commence quand mes récupérations de souvenirs ?
Sol lui jeta un coup d'œil.
- Pas maintenant, et surtout pas ici.
- Je croyais qu'on devait aller chercher la Pokeball de l'Empereur. La direction à suivre est donc dans ma tête, non ?
- C'est le cas, mais nous devons d'abord trouver un endroit sûr. J'ignore combien de temps prendront nos recherches, et on peut être sûrs que l'Empire nous a à l'œil. Vaut mieux éviter que Tranchodon apprenne ce que nous recherchons.
- Y'a un coin sûr dans les parages ? Demandai-je.
Je ne connaissais pas du tout la région. Ferduval était une cité périphérique, située tout au Nord-Ouest de l'Empire. Les forces impériales n'étaient pas bien présentes ici, mais plus on descendrait vers le centre, plus ça ce compliquerait. J'en fis la remarque à dame Sol.
- Oh, nous n'allons pas vers le centre de l'Empire, dit-elle. Au sud d'ici, il y a la Vallée des Brumes. Si je me souviens bien, c'est l'un des rares endroits de Pokemonis qui ne soit pas totalement contrôlé par l'Empereur. Les Pokemon qui y vivent sont hors de la juridiction impériale. On ne craindra pas d'être capturé.
- Et pourquoi ces Pokemon nous aideraient-ils ? Voulus-je savoir.
- Ils n'aiment pas particulièrement l'Empire, et l'Empire les laisse tranquille car il ne veut pas se les mettre à dos pour le moment. C'est l'endroit le plus sûr des environs que l'on puisse trouver.
Je n'aimais pas trop l'idée d'être entourée de Pokemon mais je m'en remettais à Dame Sol. Elle qui avait vécu si longtemps, elle devait savoir tant de choses que j'ignore. Je me demandais pourquoi quelqu'un comme elle avait choisi de vivre cachée dans le ghetto de cette cité pendant des années. Sans doute en avait-elle eu assez de se battre. Je n'avais que seize ans, je me battais pour les Paxen que depuis trois ans, et je n'arrivais pas à imaginer ce que cette femme avait du vivre en six cents ans. Elle avait combattu Xanthos au tout début de la Guerre de Renaissance aux cotés de mon glorieux ancêtre, Régis Chen. Et avant ça, elle avait participé à un épisode désormais oublié de l'Histoire, la Sauvegarde de l'Humanité, quand humains et Pokemon du monde entier se sont alliés pour combattre des terribles êtres mécaniques qui avaient tenté de prendre possession de la planète. Bref, elle en avait vu des vertes et des pas mûres.
Nous continuâmes à marcher longuement dans les cimes enneigées. J'ignorais quelle heure il était, mais il devait être minuit passé. J'étais fatiguée, et surtout, je grelottais de froid. J'en vins à regretter la petite maison de Cielali dans laquelle j'avais dormi au chaud ces derniers jours. Je n'étais pas la seule à geler sur place. Tout le monde, à part Sol et Penombrice, ressentait les effets de la température hivernale du soir. Kerel tenait serré contre lui sa maîtresse Cielali, pour qu'ils profitent de la chaleur de l'autre. Tannis les regardait avec intérêt, comme s'il espérait faire pareil avec moi. Quant à Cresuptil, il était en train de marmonner que le contact de l'argent aurait suffi à le réchauffer.
Penombrice, en tant que Pokemon de type glace, ne ressentait bien sûr pas le froid. Mais je me demandais pourquoi Dame Sol, qui était si âgée et si peu couverte, ne montrait aucun signe de gène du fait de cette froideur infâme. Quand enfin elle remarqua que tous les autres trainaient à cause du froid, elle eut un sourire d'excuse.
- Pardon, jeunes gens. Je ne m'étais pas rendue compte de la température.
- Vous avez bien de la chance, fis-je en claquant des dents.
Elle tendit le bras qu'elle pointa en direction d'un arbre. Un rayon violet sorti de la main de Dame Sol, et percuta le tronc, qui explosa en plusieurs morceaux sous les sursauts collectifs d'à peu près tout le monde. Astrun et mon père avant lui avaient eu beau m'expliquer ce qu'était réellement Dame Sol, ça surprenait toujours de voir pareil prodige venant d'un humain. Tannis, qui n'avait pas encore vu Sol à l'œuvre, en resta bouche bée.
- Wow ! C'était quoi ça ? Je me mets déjà à halluciner ?
- Une simple attaque Dracochoc, répondit Sol comme si c'était tout naturel. Rassemblez les morceaux, nous allons faire un feu et nous reposer un moment.
- Croyez-vous que ce soit prudent ? Demanda Cielali. Vous avez dit que les sbires du colonel Tranchodon nous suivaient...
- Oui, et ils savent parfaitement où nous sommes. Nous arrêter un moment ne changera rien, et il vaut mieux que vous récupériez tous vos forces pour la suite.
- Mais... Tranchodon ne risque pas de venir nous attaquer durant notre sommeil ? S'inquiéta Kerel.
- Tranchodon ? Non, je ne pense pas.
- Pourquoi ?
- Parce que je suis avec vous, dit simplement Sol. Après notre petite sortie remarquée de la cité, il ne va pas se précipiter à ma rencontre avant d'en savoir plus et d'avoir des renforts. Toutefois, on peut craindre de se faire attaquer par ses espions, ou par des Pokemon sauvages du coin. Il vaut mieux instaurer un tour de garde.
- Je prends le premier quart, dis-je.
- Non, toi, tu vas te reposer, ma fille, répondit Sol. Je peux commencer et en prendre la plus grande partie. Je n'ai pas autant besoin de sommeil que vous. Jeune Cielali...
- Oui ? Fit l'intéressée.
- Pourrai-tu te placer en haut d'un arbre ? Tu pourrais voir quelque chose qui nous échapperai d'ici.
- Ma maîtresse a autant besoin de se reposer et se réchauffer que nous autre, protesta Kerel. Je peux monter aux arbres à sa place.
- Ne sois pas ridicule Kerel, le tança Cielali. Va dormir. Je n'ai pas sommeil - ou plutôt, je ne réussirai jamais à dormir après ce qui c'est passé. Puis j'ai une petite fourrure contre le froid, ce qui n'est pas ton cas.
Quelqu'un d'autre que moi aurait pu trouver touchant ce débordement d'attention de la part de l'un et de l'autre, mais ça ne manquait jamais de m'exaspérer. Je n'arrivais pas à concevoir qu'on puisse être autant soumis. Kerel ne semblait avoir pas d'autre but dans la vie que le bien être de Cielali. Heureusement, cette dernière, aussi petite princesse soit-elle, était un minimum sensée. Après avoir réuni le bois nécessaire, Sol tira un autre rayon sur le tas, qui s'enflamma aussitôt. Je déblayai du pied la neige autour pour me trouver un coin pas trop inconfortable. Comme je savais que mon compagnon Penombrice ne dormait toujours que d'un seul œil, je lui glissai :
- Fais gaffe à Cresuptil, hein ? Garde-le à l'œil.
Mais Penombrice ricana.
- Oh, je ne pense pas qu'il veuille s'enfuir, ni nous trahir. Il est assez intelligent pour savoir où est son intérêt immédiat. Je lui fais confiance pour cela.
Je me rappelai avoir surpris mon ami et l'odieux maire de Ferduval en train de parler un peu plus tôt. Je savais qu'il était dans la nature de Penombrice de toujours essayer de comprendre les autres, quels qu'ils soient, mais il allait avoir du mal avec Cresuptil. Ce bougre de Pokemon ne comprenait que l'odeur et le son des jails. De mon coté, je m'installai de façon à pouvoir surveiller du coin de l'œil Tannis. Je ne lui faisais pas confiance, et j'avais de bonnes raisons. De plus, qui pouvait dire ce que son coma et son trouble mental pouvaient avoir comme conséquences ? Et enfin, il était ce pourquoi j'étais venu dans cette région, si loin de la base. Son esprit détenait sans doute la solution pour vaincre à jamais l'Empereur. Il était le plus important d'entre nous, et autant je lui en voulais pour ce qu'il m'avait fait dans le passé, autant j'étais prête à me sacrifier pour qu'il puisse mener les Paxen à la victoire.
C'était une espèce de tradition de la famille Chen de mourir pour la cause Paxen. Régis Chen fut le premier à combattre Xanthos et à périr de sa main. Mon arrière-arrière-grand-père, Jyvan Chen, celui qui avait cofondé les Paxen, était mort relativement jeune. Mon grand-père décéda lors d'une embuscade de l'Empire, et mon propre père, Braev, fut exécuté en place public par Xanthos lui-même. En fait, je n'arrivais pas à me souvenir d'un membre direct de ma famille qui était simplement mort de vieillesse. Mon tour allait arriver un moment ou un autre. J'y étais préparée. J'avais accepté ce destin en suivant les traces de mon père, dès l'instant où je m'étais suis enfuie de la base Paxen pour aller combattre Xanthos avec les autres lors de la bataille de Balmeros.
Je n'avais nulle envie de mourir bien sûr, mais étant la Paxen la plus recherchée de tout l'Empire, et avec le nom que j'avais, mes chances de vivre vieille étaient relativement minces, d'autant que la base Paxen n'allait plus rester cachée longtemps. Mais j'étais aussi la dernière des Chen. Astrun, le chef des Paxen, était un cousin éloigné, mais il ne portait pas le nom des Chen. Et ce nom était un symbole, un espoir. Je savais que je n'avais pas le droit de mourir avant d'avoir pu le transmettre. Quand je rentrerai à la base, il allait falloir que je m'emploie à ce qu'Astrun et les autres attendaient de moi : que je fasse mon travail de femme. Que j'offre à la rébellion un ou plusieurs autres enfants. Et même si cet impératif m'horripilait, je le ferai quand même. On n'irait pas dire qu'un Chen a manqué à son devoir.