Envers et contre tout - K-Maro- Lilith, attendez !
L'intéressée s'éloigna à grandes enjambées après avoir entendu le récit de Cassy, le teint livide, les mains tremblantes. La dresseuse se précipita dans son sillage, toutefois même en courant elle ne réussissait pas à la rattraper.
- Tu l'as emmenée ici, à Ebénelle, où nous allons tous être confrontés à elle ! finit par tonner la reine des Succubes et des Incubes au terme d'un long silence. Tu veux que sur son instance, je vienne en aide à Arceus, un monstre infâme qui a réduit ma vie à néant. C'est trop facile ! Némésis me jugera de toute façon, que je me joigne à vous ou non, et avec tous les actes que j'ai commis par le passé, une seule bonne action ne suffirait à en contrebalancer le poids.
- Sans doute pas, mais cela jouera encore plus contre vous.
- Cela ne saurait être pire, je pense.
- Réfléchissez une seconde ! insista la jeune femme en la retenant par le bras, essoufflée. Arceus a accepté, malgré ses préjugés. Je vous en conjure, mettez à votre tour votre orgueil de côté que nous puissions vaincre ce démon.
- Un démon ? C'est précisément l'image qu'il a permis que l'on conserve de mois des siècles durant. A cause de lui, certaines personnes me considèrent comme pire que Darkrai lui-même.
- Justement ! Nous ne nous en sortirons pas en continuant de nous faire la guerre. Vous êtes intelligente, Lilith, sûrement plus que lui. Ne répétez pas les erreurs qu'il a commise autrefois, sans quoi elle nous conduiront à notre perte.
- Je ne renoncerai jamais à ma vengeance.
- Je ne vous demande pas cela et vous le savez. De toute manière, que vous apportera-t-elle une fois accomplie ? Cela ne vous rendra pas le millénaire que vous avez passé dans le Monde Inversé, ni votre capacité à enfanter.
- Non, mais j'aurais au moins la satisfaction de lui avoir rendu la monnaie de sa pièce.
- Laissez Némésis s'occuper de la justice et concentrez-vous sur le moment présent. Si Cronos se réincarne, il s'acharnera sur nous tous. Qui plus est, ajouta Cassy avec un rictus mesquin, il pourrait vous devancer.
- C'est-à-dire ?
- Arceus l'a vaincu et l'a condamné à n'être plus qu'une ombre. Pensez-vous vraiment qu'il tient à regagner son corps uniquement pour le serrer dans ses bras ? S'il revient, il le tuera et alors vous pourrez dire adieu à l'unique but de votre existence. Si nous l'en empêchons, vous serez toujours libre par la suite de mener votre plan à bien.
- Némésis m'en empêchera.
- Elle a demandé une trêve, pas un cessez-le-feu. Vous êtes convaincue qu'elle vous condamnera, autant que ce soit pour un bon motif. Ne renoncez pas, Lilith, mais ne m'abandonnez pas non plus. Je me suis engagée auprès d'eux.
Elles échangèrent un regard qui dura près d'une minute entière. Cassy s'efforça de ne pas cligner des paupières afin de soutenir celui de son interlocutrice. Son visage semblait s'être adoucie et elle était persuadée d'être sur la bonne voie, que l'épouse de Giratina allait céder. Au final, elle répondit :
- Ce fut ta plus grande erreur.
Sur ces mots, elle tourna les talons, passa devant elle et retourna dans la clairière où son mari était étendu et s'efforçait de récupérer des forces. Elle s'apprêtait à la suivre lorsque Satan, resté en retrait jusqu'alors, la retint par le bras.
- Tu en as assez fait pour le moment. Laisse-la, maintenant. Elle a besoin d'être seule.
- Je ne peux pas renoncer, il faut...
- Insister ne servirait à rien, sauf peut-être à l'énerver davantage.
- Vous ne comprenez pas, je dois absolument la convaincre.
- Je comprends parfaitement, mais sur ta capacité à avoir le dernier mot et la sienne, je mise encore sur la sienne. Désolé, Cassidy.
La meneuse de la Confrérie baissa les yeux, abattue. Le Malin avait raison : elle ne pouvait pas presser Lilith, cependant rien ne lui interdisait de lui accorder le temps de la méditation. Peut-être ses paroles auraient-elle sur la démone un effet à retardement.
- Rentrons à l'Arène.
Satan la prit doucement par l'épaule et la raccompagna jusqu'au bâtiment. Ils marchèrent d'un pas lent, sans prononcer le moindre mot. La jeune femme n'avait pas le coeur à discuter. Elle était fatiguée et aurait aimé se reposer, mais elle ne pouvait pas se permettre un seul instant de répit, pas quand l'heure était si grave.
- Je n'ai pas envie d'en parler, lança-t-elle sèchement à Chloé quand elle croisa celle-ci dans le couloir, prête à lui poser une question. Arrange-toi pour contacter Esméralda. Dis-lui de venir et d'emmener Marco avec elle. Ils seront certainement ravis d'apprendre qu'Arceus a besoin de notre aide.
La nageuse acquiesça d'un hochement de tête sans chercher à dissimuler l'étonnement qui se lisait sur ses traits. Elle se dirigea directement vers le visiophone pendant que Cassy montait à l'étage en se tirant à demi avec la rampe de l'escalier.
Une fois parvenue sur le palier, elle se dirigea non pas vers sa chambre mais directement vers le dortoir commun. Elle y entra sans frapper et, comme elle s'y attendait, trouva Yohanna assise au chevet de Crios, d'où elle ne s'éloignait plus. Elle s'efforçait de lui faire avaler un bol de soupe qu'elle devait lui donner à la petite cuillère.
- Némésis vient juste de partir, informa-t-elle en anticipant son interrogation.
- A-t-elle réussi à faire quelque chose pour lui ?
- Pas vraiment, je le crains. J'ignore si c'est grâce à son intervention ou si ses facultés reviennent d'elle-même mais il a tenté de parler, tout à l'heure.
Depuis leur retour à Ebénelle, l'humain légendaire s'était muré dans un profond mutisme. Le fait qu'il essaye de s'exprimer à nouveau laissait naître un espoir quant à l'amélioration de son état de santé.
- Ce n'était pas vraiment des phrases, plutôt une série de borborygmes incompréhensibles, mais... mais c'est toujours cela.
Yohanna tapota la main de l'homme assis sur le lit et lui sourit tendrement, même si le chagrin se lisait dans ses yeux. Elle se comportait comme une véritable mère avec lui, patiente et attentionnée.
- Tu devrais aller prendre un peu l'air, conseilla Cassy. Tu n'es pas sortie de cette pièce depuis des jours.
- Je vais bien... Il faut que je reste auprès de lui.
- Je peux prendre ta relève.
- Tu as d'autres préoccupations en tête que de jouer les infirmières.
- Justement, j'aimerais penser à autre chose.
- Némésis m'a tout racontée... Je suis désolée que tu doives en arriver à une telle extrémité.
- M'allier à Arceus ? C'est encore le seul avec lequel je n'avais pas conclu de marché. Il fallait bien que cela se produise.
Le visage de la dresseuse demeura inexpressif malgré sa propre plaisanterie. Elle ne pouvait même pas songer à se détendre en de pareilles circonstances. Yohanna posa le bol qu'elle tenait à la main sur la table de nuit et prit les doigts de Cassy entre les siens.
La jeune femme s'avança vers elle, caressa ses boucles blondes et l'amena à approcher sa tête de son ventre, contre lequel la religieuse se blottit délicatement, encerclant ses hanches de ses bras.
- Le choix de Lilith décidera de notre sort à tous, désormais, murmura-t-elle sans cesser d'effleurer la chevelure de son amie.
- Tu ne lui fais pas confiance, n'est-ce pas ?
- Bien sûr que si. Ce n'est pas une question de confiance. Au contraire, je dirais même qu'elle est plus fidèle que jamais à ce qu'elle est, autrement dit une dissidente d'Arceus, exactement comme toi et moi.
- Est-ce que tu as peur de ce qui pourrait nous arriver si Cronos se réincarnait ?
- Evidemment. Je l'ai vu à l'oeuvre. Il plongera le monde entier dans les ténèbres et je crains fort que ni les humains, ni les pokémon ne puissent survivre bien longtemps dans de telles conditions.
Yohanna raffermit son étreinte autour de sa taille avant de lever ses beaux yeux emprunts de mélancolie vers elle. Cassy frôla sa joue pâle du bout des doigts, puis ses lèvres brillantes.
- Il existe trop de beauté pour que nous puissions permettre à quiconque de la détruire, murmura-t-elle plus pour elle-même que pour sa consoeur.
Elle se pencha vers l'avant, embrassa le front de la religieuse, puis laissa sa bouche courir le long de son nez fin. Lorsqu'elle arriva à hauteur de la sienne, sur laquelle elle s'apprêtait à déposer un baiser, deux coups furent toqués à la porte.
- Tu devrais ouvrir, chuchota Yohanna.
Cassy hésita une seconde, gardant ses lèvres entrouvertes à quelques millimètres des siennes, mais finit par se reculer tout en invitant la personne à pénétrer à l'intérieur de la pièce.
Lamia rentra, droite et fière. Elle s'inclina respectueusement devant la dresseuse, comme elle avait coutume de le faire à chaque fois, tandis que la religieuse se mettait debout afin d'être à sa hauteur. Crios, lui, ne bougea pas. Il ne semblait même pas avoir remarqué son apparition.
- Tu n'es pas avec les autres ? s'enquit la meneuse de la Confrérie. Il y a un problème ?
Depuis quelques temps, désormais, elle s'était mise à tutoyer la fille d'Eve qui acceptait ce changement avec grand plaisir. Elle ne serait pas permise une telle familiarité avec les autres humains légendaires, et aucun mortel ne se la permettait non plus avec Lamia, mais entre elles deux, c'était différent.
- Satan m'a raconté ce que Némésis attendait de toi et l'échec cuisant que tu as essuyé face à Lilith.
- Oui... Sauf que je préférerais éviter d'y songer pour l'instant.
- Je pense au contraire que c'est justement le moment adéquat.
- Pourquoi ?
- Parce que j'ai discuté avec elle. Elle a plus ou moins une dette envers moi depuis que je l'ai aidée à capturer mon père et à tuer ma mère. Elle a accepté de m'écouter et, au prix d'une longue argumentation, je crois que j'ai réussi à la convaincre.
- Vraiment ?
- Vraiment. Elle t'attend devant l'Antre du Dragon. Je crois que tu ferais mieux d'aller la rejoindre. Elle est toute seule avec Némésis et je ne me porte pas garante de ce qui pourrait en découler.
Cassy hocha la tête et se précipita vers la porte. Elle s'immobilisa cependant sur le seuil pour jeter un dernier coup d'oeil à l'humaine légendaire. Avec un sourire sincère, elle déclara :
- Je te remercie, Lamia. Tu viens de nous sauver la vie.