Heroes in defeat - Ulrik MuntherL'ombre de la forêt couplée aux nuages noirs qui dissimulaient le soleil plongeait l'île dans les ténèbres. Mew lançait parfois des ondes psychiques pour sonder les environs mais il était si faible que, le plus souvent, cela échouait. C'était à présent Marion qui le portait dans ses bras pendant que Cassy ouvrait la marche.
- Mes pokémon sont presque tous K.O., les vôtres sont dans un sale état et nous ne sommes pas encore tirés d'affaire, résuma-t-elle en écartant les fougères tropicales sur son passage.
- La situation n'est pas aussi désespérée qu'elle ne l'était face à Arceus.
La dresseuse se retourna pour jeter un regard voilé de pitié à la Ranger. Si elle savait la menace qui planait sur eux, sur cette île et même sur le monde entier maintenant que Cronos s'était échappé, elle n'essayerait pas de se montrer aussi positive.
- Vous avez entendu ? demanda-t-elle soudain.
- Oui, on aurait dit un... aboiement.
- Arcanin !
Faisant abstraction de la fatigue qui les taraudait pourtant, en particulier Cassy et son foetus, elles s'élancèrent en courant en direction du bruit. Moins d'une minute plus tard, elles enjambaient une série de végétation entremêlée pour arriver dans une espèce de clairière ou, du moins, un espace dégagé.
Le canidé de feu se tenait là, assis sur une vieille souche d'arbre, hurlant à la lune. Ses yeux étaient exorbités et de la bave coulait le long de sa gueule ouverte, ce qui lui donnait un air enragé. Son pelage doré d'ordinaire si soyeux était à présent englué d'un sang qui ne paraissait pas être le sien.
- Où est-elle ? interrogea aussitôt Marion. Où est Emily ?
Le shiny sauta à terre et courba ses pattes avant de façon à s'accroupir. La Ranger hésita un instant mais, comprenant que c'était ce qu'il désirait, elle grimpa sur son dos. Elle fit signe à Cassy de prendre place derrière elle mais celle-ci refusa d'un signe de tête : elle ne se sentait pas en état.
- Allez-y. Je vous attends ici.
- D'accord. Ne bouge surtout pas.
La jeune femme s'installa sur la souche qu'Arcanin venait de quitter au moment même où une nouvelle secousse ébranlait le sol, la cinquième depuis qu'elle avait quitté la caverne. Puisqu'elle ne pouvait pas s'éloigner de ce point de rendez-vous au risque de s'égarer à son tour, elle sortit Dracoli de sa pokéball et entreprit de faire un bandage à sa patte écharpée. Il souffrait le martyr.
- Ne t'inquiète pas, le rassura-t-elle en passant une main dans sa crinière orangée. Ce n'est que provisoire. Léa te soignera dès que nous l'aurons retrouvée.
L'évolition se laissa panser sans broncher, malgré les quelques couinements de douleur qui lui échappèrent lorsqu'elle manipula son membre blessé. Au moins, il avait cessé de saigner, mais la plaie donnait l'impression de s'infecter et elle n'avait sur elle aucun antiseptique.
- Tout va bien, murmura-t-elle. Tout ira bien. Nous allons bientôt rentrer à la m... à Ebénelle.
Elle s'interrompit de son plein gré car, effectivement, de quelle maison pouvait-elle bien parler ? Certes, elle avait passé la moitié de son adolescence à l'Arène de Sandra et l'autre au Bourg-Palette, mais elle ne possédait aucun endroit qui ne soit vraiment à elle. Elle pensait qu'une fois qu'elle saurait réellement qui elle était et pourquoi elle existait, ce que Némésis lui avait appris, elle résoudrait son problème d'identité, cependant elle n'y parvenait toujours pas.
Mew s'agita dans ses bras, les paupières closes. Apparemment, il venait de s'endormir, à bout de force. Elle le berça doucement en fredonnant un air mélodieux, qu'elle ne mit pas longtemps à identifier comme le chant de Lugia.
Un bruit la fit sursauter. Elle scruta les alentours en se redressant d'un bond, rappela Dracoli dans sa ball et s'apprêtait à faire sortir Draco de la sienne, bien que lui aussi soit épuisé, lorsqu'un buisson s'écarta pour laisser apparaître une Léa complètement échevelée, des feuilles dans les cheveux.
Cassy se précipita aussitôt dans sa direction et l'étreignit d'une main, l'autre tenant toujours le légendaire contre son ventre. L'adolescente étudia un instant la créature du regard avant de demander :
- C'est donc lui, Mew ? Qu'est-ce qu'il fait avec toi ?
- J'ai fait quelque chose d'épouvantable... avoua la dresseuse et les larmes se remirent à affluer dans ses yeux. Sven... Sven voulait ouvrir la boîte de Pandore et... et nous nous sommes battus. Il a rapidement eu le dessus alors... pour l'en empêcher, je... je n'ai pas eu d'autre choix que de le tuer.
Une expression furtive passa sur le visage de Léa mais elle s'efforça de reprendre immédiatement un air stoïque. D'une voix parfaitement calme et posée, elle l'invita à poursuivre son récit.
- Sauf que... Sauf qu'il a lâché la boîte en tombant.
- Tu veux dire que...
- Elle s'est ouverte. Cronos est libre et il est en train de détruire cette île.
Comme pour confirmer ses propos, un violent coup de tonnerre leur perça les tympans. La foudre vint s'abattre à proximité de l'endroit où elles se trouvaient et une fumée noirâtre s'éleva dans les airs.
- Du feu... La végétation a pris feu...
- Comment est-ce possible ? s'étonna Cassy. Tout est humide, ici.
- Inari est bien capable d'enflammer une surface mouillée. Il doit être terriblement puissant, voilà tout.
- Plus que Némésis elle-même.
- En attendant, il ne faut pas rester là. Viens !
La porteuse du glyphe plante l'attrapa par la main et elles se mirent à courir dans la direction opposée à l'incendie, d'autant que le vent glacé rabattait sur elles les vapeurs nocives. La meneuse de la Confrérie fatiguait de plus en plus et Léa la trainait derrière elle plus qu'autre chose.
- Ton Dracolosse peut voler ?
- Oui, mais...
- C'est le moment de t'en servir.
- Pas question ! Je te rappelle que là-haut, il y a des nuages toxiques.
- Les dragons sont beaucoup plus puissants que les oiseaux, il résistera.
- Pas assez longtemps si nous attendons les autres. Il faut rester ici.
- Le feu nous encerclera.
Cassy se retrouvait face à un dilemme. Son amie avait raison, toutefois elle aussi. Si Dracolosse remontait à nouveau au-dessus du feuillage, ses bronches ne mettraient pas longtemps à en souffrir.
- Nous allons essayer de contourner le foyer de l'incendie. Marion est partie à la recherche d'Emily et elle risque de se retrouver coincée dans les flammes en venant me retrouver. Crios et Pandore sont quelque part, eux aussi. Nous ne pouvons pas les abandonner.
Léa se soumit à contrecoeur. Le tonnerre émettait un bruit de fracas de plus en plus fort à chaque fois qu'il éclatait et les oreilles des deux consoeurs s'en meurtrissaient. Les éclairs, elles, étaient plus rares, mais pas moins dangereuses.
Elles rencontrèrent bientôt une horde d'Ursaring qui couraient comme des forcenés, sans doute dans l'espoir d'échapper à cet ennemi invisible. Ils passèrent tout près d'elles, tapies derrière un arbre, sans leur prêter la moindre attention. La panique était trop grande pour qu'ils songent à s'arrêter prendre un en-cas.
Un tronc s'abattit ensuite sur leur passage après avoir été déracinée par une secousse particulièrement violente qui projeta les deux filles à terre. Cassy lâcha Mew par inadvertance, qui roula sur le sol pour aller heurter une racine noueuse. Elle rampa jusqu'à lui, le jeta sans ménagement sur son épaule et se redressa en glissant à moitié pour reprendre sa course.
- Ceribou, Lance-Soleil ! ordonna Léa lorsqu'elles arrivèrent devant une barrière de lianes entremêlées.
L'attaque échoua. Pour la réussir, le pokémon avait besoin de lumière, or il semblerait que Cronos tende à en aspirer la moindre parcelle. Heureusement, l'acidité contenue dans le poison de Florizarre suffit à ronger les plantes de façon à dégager un passage.
Sitôt qu'elles l'eurent franchi, elles manquèrent de heurter un Crios complètement hagard. Ses yeux roulaient dans ses orbites et il paraissait sur le point de sombrer dans la folie. Cassy le rattrapa de justesse lorsqu'il bascula vers l'avant après s'être entravé dans son propre pied.
- Holà, doucement... Qu'est-ce qui vous arrive ?
- Un démon... Des yeux... Rouge sang et pourtant... noir comme la nuit. Il... Sa force est...
- Que s'est-il passé ?
- Il a surgi devant nous, un être incorporel, mais... mais bien là.
- Ecarte-toi, intima Léa.
La jeune femme s'exécuta et aida l'humain légendaire à s'asseoir sur le sol tandis que sa consoeur sortait une fleur blanche aux pétales pointus de la bourse qu'elle portait toujours autour du coup. A l'aide de son ongle, elle en récupéra le pollen et le souffla au visage de leur allié. Il parut aussitôt plus apaisé.
- Maintenant, racontez-nous.
- J'ai attrapé Pandore comme tu le voulais. J'ai emprisonné ses jambes et ses bras dans un bloc de glace, mais elle fondait. Elle fondait trop vite à cause de la chaleur et elle a réussi à filer à nouveau. J'ai essayé... Je l'ai poursuivie, encore et encore, et là... Là, il est arrivé. Il est apparu, comme une ombre. Une ombre monstrueuse et effroyable. J'ai peur... J'ai tellement peur.
L'adolescente prit le visage de Crios entre ses mains et le força à l'appuyer contre son ventre où elle lui caressa les cheveux avec autant de tendresse que s'il s'agissait d'un enfant paniqué après avoir fait un cauchemar.
Cassy ne pensait pas que les êtres comme lui soient sujet aux états de choc, pourtant elle devait bien admettre que c'était le cas. Il tremblait de tous ses membres et son corps était agité de spasmes nerveux.
- Et Pandore ?
- Il était immense... Partout à la fois. Et son aura... Il avait l'air...
- Oui, oui, d'accord, mais Pandore ? Où est-elle passée ?
Crios leva vers elle ses yeux exorbités et éclata d'un rire fou qui se mua vite en un sifflement. Il fut victime d'une quinte de toux, puis répondit enfin à sa question d'une voix rauque :
- Le démon l'a enlevée.