La force de ceux qui détiennent la vérité
Autour de nous se forge un faux silence. Si d'un côté, il n'y aurait rien à écouter, de l'autres, diverses mécaniques, résonnances de mouvement, et vrombissements de moteurs meublent de manière uniforme les échos qui traversent la pièce.
Après un coma de plusieurs heures – dont je n'ai aucun indice pour savoir la durée, à par la lumière d'une fenêtre au sommet de la pièce – j'ai commencé à mettre un peu d'ordre dans ma tête. Cinabre et ses partisans d'une part ; Jade et les Céladoniens de l'autre. Les forces armées en jeu ; leurs provenances respectives…
Si je recolle les craintes de Mortimer avec la base aérienne dans laquelle je suis enfermé, l'étrange réalisation de Bourg-en-vol se voit résolu. Ce n'était pas Cinabre mais les Céladoniens qui ont pris d'assaut la demeure du maître de Hoenn. Auraient-ils eu quelque chose à gagner par son décès ? Je ne l'espère pas… prions pour que leur seul but ne soit pas simplement de mettre des bâtons dans les roues de Cinabre.
Ah, un autre détail bien isolé n'entre dans aucune pièce du puzzle. À tel point que je n'ai pas de quoi m'assurer qu'il est dans le bon. Léo s'est fait volé une machine capable de transformer un humain en Pokémon, et inversement. Non, ce n'est pas un coup des Céladoniens : vu l'écart qu'ils maintiennent envers les Pokémons, se changer en eux, comme leurs donner de attributs humain, se heurte à leur logique.
Reste Cinabre… il l'aurait fait, mais pour quoi faire ? Saurait-il quelque chose que j'ignore sur ces transformations ? Si un humain transformé comme tel conserve sa conscience et ses dons de parole, qu'en est-il d'un Pokémon humanisé ?
Non, je fais fausse route… sauf si un tel procédé se révèle avoir des effets différents sur certains Pokémons. Chose que je n'ai jamais vu nulle part, mais qui pourrait motiver ce malade.
Allez, avec ta malchance, tu te creuses la tête pour une affaire qui n'a rien à voir… occupe-toi d'abord de ta situation présente.
Tisala est recroquevillée en position fœtale quelques centimètres plus loin. Voyant qu'elle n'est toujours pas sortie de sa tristesse, je me cale contre elle, la serrant pour tenter de la rassurer. Elle se laisse faire, ne répondant rien d'autre que son gémissement plaintif ; mais n'ose pas me serrer contre elle à son tour.
J'observe les barrières qui nous entourent. Des parois lisses sur trois côtés, si j'omets sol et plafond. Une grille métallique dont une portion peut pivoter ensemble nous sert de porte. Voyant la largeur entre deux barreaux, je propose à la jeune fille : « Hey, regarde. Tu vois ces barreaux ? Toi qui es toute fine, tu penses pouvoir passer au travers ? » Elle lève la tête et scrute l'obstacle que je viens de lui décrire. Connaissant son corps mieux que moi, elle hoche négative la tête après bref échange de regards.
Pas abattu pour autant, je lui fais par de la suite : « Écoute-moi. Il faut qu'on sorte d'ici, mais pas violemment dans un premier temps. Je dois récupérer mes amis, tous contenus dans mon sac à dos, mon équipement de combat pour lutter contre Cinabre par la suite, et si possible espionner nos ravisseurs pour comprendre ce qu'ils ont en tête. »
Ma dernière alliée ne réagit pas face à mes propos.
Je soupire et l'enlace pour la mettre en confiance, avant de lui murmurer : « J'ai bien vu que tu faisais des efforts pour parler – alors que je pensais que tu étais muette, à l'origine – dans l'espoir parvenir à t'insérer dans notre communauté. Cependant… j'ai découvert ton secret. »
Elle lève soudainement la tête, et me fixe de ses yeux d'un jaune d'or.
La comprenant comme abasourdie par cette révélation, je continue sur le même ton protecteur : « J'ai commencé à me douter de quelque chose lorsque je t'ai soulevée, durant la pause entre les courses d'Arcanin. Mais je n'ai rien dit. Alors, tu me répondras si tu veux, mais… je crois que tu voulais justement jouer sur les impressions de Jade, non ? »
Elle émet un doux son de confirmation sans ouvrir ses lèvres.
« Mais je crois qu'on peut outrepasser tout ceci, le temps de retrouver la liberté. En se débrouillant bien, tu pourras même reprendre cette habitude avec d'autres gens. »
Je diminue la force de mon étreinte, lui permettant de se lever. Alors qu'elle fait deux pas vers la grille, je me redresse également.
D'une union solennelle, nous regardons dans la même direction, et sans besoin d'en dire plus, le contrat s'est signé.
« Latias, attaque Ball'Brume. »
La jeune fille modifie ses contours dans une lueur de transformation. Sans changer sa taille ni son poids total, la voilà à nouveau en forme draconienne, et elle produit l'assaut demandé à l'encontre des barrières qui nous faisaient de l'ombre.
Une vague de fumée s'étend à travers le couloir, et j'en profite pour me faufiler à l'intérieur, avant de longer les murs pour rester discret. Latias arrange son duvet pour ne refléter aucune lumière et devenir quasi-invisible.
Quelques pas se font ourdir du couloir d'en face. Celui de droite demeure nu de tout son. Je l'emprunte en examinant les étiquettes des portes, espérant trouver une salle intéressante. Une « réserve » se voit devenir mon salut. J'y entre, clos la porte derrière moi après le passage de Latias, et me retrouve nez-à-nez avec des piles de cartons. Des uniformes trop courts pour moi – ils ont recruté leurs hommes chez les nains, ou quoi ? – des insignes de rang, des pièces de rouages triées par taille et forme, de la nourriture séchée pour alimenter un régiment… Je pique vite fait de quoi de remplir l'estomac, et regrette de ne voir aucune trousse de secours dans toute la salle.
Latias observait le couloir par la vitre de l'unique issue depuis tout ce temps. Elle se remet visible pour me signaler d'un mouvement de tête que la voie et libre. Lui faisant entièrement confiance, je sors et la suit sur les quelques mètres où elle prend la tête. Elle s'arrête au niveau d'une porte automatique à double battant. Un ascenseur ? Il faut croire…
Je pénètre dans l'élévateur et cherche la liste des étages. Un dessin schématique illustre même la position de ses derniers dans la base, me permettant de visualiser clairement l'engin. Une sphère massive au centre contient la majeure partie des hommes, armes, réserves, et autres machineries nécessaires au bon fonctionnement de tout cela. Le fond de cette même partie semble être un agencement de hangars pour des véhicules volants de taille réduite. Probablement par là que se font les aller-retours entre la base et la surface. L'ascenseur peut descendre plus bas pour atteindre une sorte de tour en queue. « Salle d'observation » est noté.
Mais ce qui m'attire est plutôt en haut de la structure. Une seconde tour à l'extrême opposé de la première garni le haut de la boule centrale. Deux étages distincts sont accessibles : le pont de commandement, et un système de camouflage. Aaaah… en voilà, une bonne idée ! J'appuie sur le bouton pour aller dans cette pièce tout au sommet.
L'ascenseur s'élève rapidement. Bien que les parois soient essentiellement opaques, des rainures de verre de dix centimètres de large environ quadrillent les points cardinaux du cylindre en ascension. De là, je peux observer le défilement des pièces et murs, sans trop me faire voir en retour – sauf en cas d'observateur vraiment proche des vitres – et ainsi visualiser en partie ce qui compose la base mouvante des Céladoniens. La tige entre la partie centrale et les deux pièces supérieures est entièrement vitrée, permettant de deviner enfin la position de la base. Nous sommes à nouveau au-dessus de la mer. Ne voyant aucune terre aux quatre horizons que je peux scruter, je penche pour une position isolée loin des côtés, vers les intérieures de Hoenn.
Le passage éclair au milieu de la salle de contrôle ne me permet pas d'être vu, l'ascenseur ne devant faire presque aucun bruit pour ceux qui ne sont pas dedans. Tant mieux.
Vient alors l'ultime plafond de la base. J'arrive et les portes s'ouvrent sur deux hommes armés d'un fouet à leur ceinture, qui se retournent vers nous alors qu'ils s'occupaient d'un Alakazam et d'un Kravarech. D'une vitesse fulgurante, Latias lance une nouvelle Ball'Brume sur le membre à gauche, et vire à droite initier un Dracochoc pour mettre au sol le second individu. J'accoure sur le premier homme, et utilise son propre fouet pour lui attacher les mains et les pieds dans sont deux. Je fais de même pour le deuxième, après l'avoir trainé loin de son collègue, derrière une caisse. Je ne vais pas leur permettre de se détacher mutuellement, quand même !
Alors que Latias semble communiquer comme elle peut avec les deux autres Pokémons, je me munie de torchons pour bâillonner les deux inconscients. L'être volant qui me soutient vient me chercher, et me guide jusqu'aux menottes qui entravent Alakazam comme le Dragon-Poison. Voyant qu'ils ne sont pas arrêtés malgré ma venue, j'essaie de les convaincre de cesser leurs attaques tout en utilisant les clefs des geôliers pour les libérer. Kravarech met fin à son Camouflage, qu'Alakazam ne peut plus transférer par ses pouvoirs psychiques.
La station devient alors visible aux yeux de tous, et de ses passagers en premier lieu. Je n'ai que quelques instants avant que l'alarme ne sonne et qu'ils montent. Les deux qui permettaient le prodige de cette discrétion ne sachant que faire, je les serre dans le cylindre central, et appuie sur un étage du complexe central. Retirant ma main à temps, les portes se ferment, et envoie les deux à l'endroit désiré.
Je déniche rapidement une grille d'aération au sol, que j'ouvre et emprunte. Reposant l'ouverture sur nous après le passage de Latias, un coup d'œil trop vif sur la salle ne permettra pas d'identifier notre cachette. Je me faufile dans les méandres du tunnel improvisé, guidé par le Pokémon volant – si tu savais à quel point tu m'es utile, petite Latias… tes pouvoirs cumulent les rêves des plus grands espions – qui parcourt en deux temps, trois mouvements le dédale. Elle revient vers moi et m'indique le tournant droit, et s'arrête en face d'une bouche de sortie donnant sur la salle de commandes. Je m'allonge et observe alors la scène.
L'agitation augmente péniblement, en bas. J'identifie sans peine Jade au centre d'eux, qui a troqué ses vêtements contre un uniforme bien plus sophistiqué, mais toujours aussi vert. « Le moteur de camouflage n'a toujours pas répondu ?
- Non, mademoiselle, s'incline un homme vierge d'insigne. Mais on a aperçu Alakazam et Kravarech au niveau des cantines.
- Ah bah génial… Enseigne Mélèze, envoyez deux hommes en haut, et prenez une équipe de capture pour régler le souci, ordonne-t-elle.
- À vos ordres ! lui répond-il avec un salut militaire avant de partir.
- On nous confirme que la fumée d'en bas n'était pas la trace d'un incendie, annonce une femme épaisse approchant la quarantaine. Ça vient de la cellule des humains.
- Qu'est-ce qu'ils ont fait ? Tenter de scier les barreaux avec leurs dents ? se moque sa supérieure lassé de tout ce bordel.
- Non, ils ont pris la fuite, le loquet de la grille étant parti en fumée, lui précise la femme âgée en enfonçant son oreillette plus profond pour être sûre de comprendre.
- Mademoiselle, intervient un homme plus posé, je vais m'occuper de ce malandrin et les ramener derrière les barreaux.
- Allez-y, Lieutenant Prasin. Il a quand même une chance monstrueuse pour voir non seulement nos deux Pokémons s'échapper de notre contrôle, mais également être délivré par eux dans la foulée… » souffle son boss en se frottant les yeux. Elle profite de l'instant de calme qui s'en suit pour reprendre avec un homme couvert de médailles. « Capitaine Smaragdin, vous pensez que le contrôle des orbes seront plus puissants que celui d'une Ball, pour contrer Cinabre ?
- En théorie, oui. Même s'il nous a volé le maître d'Hoenn au dernier instant, nous conservons un avantage sur la situation tant que nous gardons les orbes » répond-il à sa cheffe. D'accord. Donc, l'attaque était bien d'eux, mais l'assaut s'est conclu favorable pour Cinabre.
Alors qu'ils réfléchissent ensemble sur comment agir, scrute la zone à la recherche de quoi que ce soit d'utile, un détail important, un truc… mon sac à dos. Jade semble l'avoir conservé, et déposé sur le fauteuil qui lui sert de trône de commandement. À côté se tient un autre sac en toile fort rempli, d'où dépasse mon bouclier : mon équipement. J'en conclu qu'elle veut garder un œil sur le tout, plutôt que de risque de me voir les reprendre, s'ils étaient dans une quelconque réserve. Sauf que cela ne lui sera pas salvateur…
Elle et son capitaine se tiennent cinq mètres plus bas, autour d'une table à écran holographique qui représente une vaste carte de la région. Si je tombe bien, j'aurai mes affaires avant elle. J'indique à Latias d'enfoncer la grille. Elle charge un Dracochoc et le délivre aussitôt. Le souffle de l'explosion écrase la plaque aux barreaux sur le sol, tandis qu'une fumée éphémère rempli la pièce. Alors que tous se retournent vers l'évènement, je saute et me réceptionne en exécutant une roulade. Jade hurle aussi sec : « Empêchez-le de reprOUTCH ! » La jeune femme se voit interrompue par celle qu'elle a trahie, qui lui a foncé dans le bide. Sa rage est telle que le Pokémon emporte sa cible jusqu'aux vitres de la salle.
La diversion m'est suffisante pour endosser mon sac à dos et empoigner celui où repose mon équipement. Je sors une Honor Ball pour appeler Florges à la rescousse, qui fait pleuvoir des pétales dans toute la salle. La fureur de ce cyclone floral empêche nos ennemis de se déplacer vers nous. Alors que j'appelle l'ascenseur, le capitaine fixe la responsable de cette tempête végétale. Un corps pourpre, allongé tel une feuille, et une tête de nymphe encadrée par des fleurs blanches. L'observée invoque des racines pour enchevêtrer tous les humains – sauf moi, bien entendu – avant que son premier ne s'achève. L'homme en uniforme grince : « Encore un Pokémon chromatique ?! Mais combien en as-tu ?
- Dix-sept. Et aucun ne figurera jamais dans votre collection » lui rétorque-je alors que notre porte de sortie ne s'ouvre. Latias comme Florges filent me rejoindre, et nous descendons à vive allure vers la salle des machines.
L'alarme a été lancée.
Je sors de l'élévateur, et cherche avec Florges et Latias une porte menant à n'importe quelle salle de machinerie. La troisième est la bonne. Quatre hommes en blouse blanche sursautent à notre arrivée. Je ne leur laisse pas le temps de faire quoi que ce soit, car lance Florges contre eux. De la multitude de flashes de son Éclat Magique, elle assomme les ingénieurs, et nous laisse libre de toute initiative à l'encontre des ordinateurs.
Bon, voyons… comment mettre hors d'état de nuire un système aussi complexe ? Je pourrais tout faire sauter à grand coup d'attaques explosives… mais détruire les ordinateurs risque soit de ne pas affecter immédiatement – seulement lorsque des réglages seront à faire – soit de provoquer une réaction en chaine immédiate, qui me soufflerait avec. Et à côté de cela, je suis loin de maîtriser toutes les composantes informatiques qui me permettraient de désactiver simplement les composants qui m'intéressent. La seule chose que je sais lorsque je rentre dans des salles comme ça, j'évite de toucher à tout…
Tel un éclair dans le brouillard, je m'approche du premier ordinateur venu, et appuie sur tous les boutons possibles. Je passe à la console suivante, qui aligne des dizaines de bouton-leviers. Je les abaisse un à un, tandis que les courbes des graphiques s'affolent. Voyant ma logique simplissime de sabotage, le Pokémon chromatique m'imite en partant de l'autre bout de la salle. Je m'éclate comme un dingue sur une portion où une centaine de prises sont orientées pour paramétrer des réglages minutieux ; en les tournant dans des directions opposées à celles d'origine. À mesure que le chaos mécanique se voit généré, des alarmes diverses viennent s'ajouter à chaque nouveau problème. Pression dans les réacteurs, carburant vidé des réservoirs, coupure de courant locale…
Voyant un graphique central illustrer un tableau rouge aux résultats de plus en plus critique, je propose aux Pokémons de sortir d'ici tant qu'on peut.
Je cours à travers un couloir vitré donnant sur l'extérieur, espérant finir sur un escalier descendant au bout d'un moment. Notre progression vers les hangars se retrouve interrompue par une escouade armée, qui pointe ses armes vers les agresseurs que nous représentons. Je n'ai pas même le temps d'ordonner à Latias ou Florges de frapper qu'un faisceau de feu s'impose entre les deux groupes. S'enfonçant en direction des Céladoniens, je les entends crier et détaler sans demander leur reste. Le mur enflammé cesse, et sa source débarque de l'extérieur pour se poser devant nous. Un phénix aux ailes incendiaires nous regarde de sa hauteur, attendant notre réaction.
Mortimer, si tu savais… Le détour d'Entei avait pour but de chercher Sulfura. Et vu la situation, il n'est pas de meilleure aide qu'un Pokémon s'étant déjà spécialisé dans la destruction des bases célestes. Voyant mon ticket de sortie, je dématérialise ma nymphe et enfourche l'oiseau qui m'attend. Bien que le phénomène ne me soit pas inconnu – Ponyta et Galopa agissent sur le même principe – être chatouillé par les flammes d'un Pokémon sans être consumé a toujours un effet étrange. « Merci, Sulfura. On va s'occuper du dehors, comme tu sais bien le faire. » Latias nous suit alors, et les deux Pokémons s'envolent pour parcourir la structure extérieure.
Ni une ni deux, mon porteur fait danser les flammes sur chaque hélice ou composant ressemblant de près ou de loin à un moteur. Malgré l'alerte centrale qui aurait de quoi monopoliser tout l'équipage, des tourelles de la station s'activent et nous prennent pour cible. Je m'équipe de mon brassard armé entre deux acrobaties de Sulfura. À deux cônes de feu en même temps, nos attaques simultanées mettent à mal leurs tentatives de défense. Après un tour complet qui nous aurait valu de supprimer tous les canons, nous nous élevons à hauteur de la passerelle de commandement. Plus par mise en garde que par réelle intention de destruction, je fixe la tête pensante des Céladoniens, puis ordonne à Sulfura de carboniser la surface des vitres. D'un incendie aussi soudain qu'efficace, le verre noircit majoritairement, et commence à fondre aux endroits les plus sensibles.
Dans un état des plus déplorables, la base volante sombre peu à peu en direction de l'Ouest.
« Latias, le combat n'est pas fini. Le suivant, c'est Cinabre. Je ne veux pas te forcer à nous rejoindre, mais si tu connais de puissants alliés parmi les Pokémons, je t'en saurai gré de les appeler à l'aide. »
Je distingue dans son regard un instant de réflexion, comme pour chercher qui pourrait être assez puissant pour faire pencher la balance.
« Avant que tu ne partes, je peux te permettre méga-évoluer, si tu le désires – et possède ta gemme – même si ce n'est que pour parcourir plus vite les cieux d'Hoenn… » lui propose-je en sortant mon pendentif orné du sac en toile.
Son hochement positif me valide l'idée. Je revêts le bijou et invoque sa force. D'une aura rosâtre, une sphère se compose autour d'elle avant de se dissiper. Le Pokémon qui en éclot se voit peint de mauve, agrandi, et légèrement modifié. Courbant ses bras pour enclencher une posture aérodynamique, Latias démarre comme un avion à réaction, et fuse d'une force et d'une vitesse dépassant l'entendement, en direction d'îles perdues dans les mers du Sud.
Et bien, si j'avais su que Méga-Latias serait assez grande pour me transporter, et aussi rapide que cela, j'aurai abrégé son secret plus tôt, et profité de ses facultés dès Mérouville…
Apercevant un mont parmi les eaux, je dirige Sulfura dans cette direction. Atalanopolis, si j'en crois le Pokématos…
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Après quelques minutes de vol, je remarque la présence de deux masses me suivant sur l'océan. Les pans du mont ceinturant la ville n'étant pas bien loin, je guide ma monture en direction des rochers les plus proches de l'eau pour aller à la rencontre de ceux qui me suivent.
Atterrissant juste avant eux, je patiente sur la berge en devinant ces nouveaux alliés. Suicune suivit d'Entei accourent nous rejoindre. Sauf que sur chacun d'eux m'attend une surprise des plus heureuses. Jasmine se laisse déposer par la réincarnation du vent du Nord, tandis que Mortimer bondi pour descendre de celui qui hurle aux volcans. « Lycaon ! me crie Jasmine en m'enlaçant.
- Je peux me permettre de vous serrez également, ou j'évite de m'immiscer impudiquement dans votre couple ? nous interroge le champion de Rosalia.
- Crétin, va ! l'insulte-je gentiment. Évidemment que je suis ravi de vous voir ! »
Après une accolade digne de nos retrouvailles tardives – ça fait quoi, plus de dix ans que je ne suis pas revenu sur Johto ? – Jasmine prend les devant pour m'expliquer : « On n'a rien voulu te dire, mais avant que Suicune ne parte te retrouver, il nous a fait un mouvement de tête, comme pour nous dire de monter sur lui.
- Je vais jalouser Eusine comme c'est pas permis ! commente Mortimer.
- Grave, admet la ravissante jeune femme, et lorsqu'on a appelé avant-hier, on était sur lui, en route. Bon, Mortimer a vendu la mèche en disant « à bientôt » parce qu'on arrivait, mais…
- Ne t'inquiète pas, j'étais tellement pris par autre chose que je n'avais même pas réalisé, lui concède-je.
- Tu vois ! Je te l'avais dit ! lui rappelle le dresseur aux fantômes. D'ailleurs, on pensait qu'Entei ne viendrait pas – puisqu'il avait fait le détour pour aller chercher Sulfura – mais en réalité, c'est juste qu'il est bien plus rapide que Suicune, et a eu le temps de nous rattraper par la suite.
- Du coup, on en a profité pour diviser le poids à transporter sur chacun d'entre eux, détaille la fille à l'immense chevelure.
- Mouais, en fait tu as tout donné à Entei, conclu-je humoristiquement. Vu comment t'es légère avec ta ligne, ton porteur ne devait même pas sentir de différence.
- Ne déconnes pas, me souffle-t-elle épuisée, on n'a rien mangé et peu – ou mal – dormi pendant toute la traversée. C'est grand, un océan.
- Pfff… vous êtes des malades. Vous tous, hein, Pokémons inclus, souligne-je. En quoi, deux, trois jours, vous avez traversé une distance inimaginable juste parce que je vous l'ai demandé.
- En même, dans une situation pareille, on préfère le faire maintenant, plutôt que ne plus jamais pouvoir le faire à nouveau, balance Mortimer.
- Bon, vous avez mangé en arrivant ? m'inquiète-je par politesse.
- Non, Lycaon. On vient de poser pied à terre seulement là, maintenant, tout de suite, me détaille mon amie.
- Quoi ? Mais 'fallait commencer par ça ! » leur rétorque-je, surpris. Je pose et ouvre mon sac à dos, dans l'espoir de trouver encore quelques rations de voyage. J'en tend deux aux champions venus me rejoindre, qui s'empressent de se remplir l'estomac.
Après un coup d'œil inquiet vers le sommet de la formation rocheuse, je soupire et informe mes amis : « Bon. Pour la suite des évènements, il faut qu'on trouve Cinabre. Chose sans espoir sans le soutien de la population d'Hoenn.
- On n'a qu'à aller les voir et leur raconter ce qui se passe, propose simplement Mortimer.
- Hélas, j'ai eu un souci à la Ligue Pokémon, qui m'a fait perdre toute crédibilité, leur narre-je. Ils ont eu le temps – je le crains – de réparer leurs communications et de transmettre la nouvelle au reste du continent.
- Que s'est-il passé ? s'inquiète Jasmine.
- Jade m'a trahi. C'est la cheffe des Céladoniens. Elle avait intégré mon groupe de voyage pour mieux m'espionner et intervenir au meilleur moment. Et elle m'a décrédibilisée à mort devant Éternara.
- Oh c'est pas vrai… crache le champion de Rosalia.
- Et la dernière ? demande celle d'Oliville.
- Tisala ? Si tu inter-changes ses lettres, cela donne Latias, à savoir sa véritable identité. Elle m'a beaucoup aidé à m'évader de la forteresse volante des Céladoniens, narre-je. Là, elle est partie chercher du secours pour l'affrontement final.
- D'accord, hoche Jasmine.
- Ah ! Tu vois ?! J'avais raison, concernant la fabrication de base mouvante !! me rétorque le champion Spectre.
- Entièrement » clos-je sans rebondir dessus.
Après un soupir d'épuisement, je me tourne vers l'ouverture céleste d'Atalanopolis. Mes amis restent sans verbe, la situation étant des plus complexes. J'enfourche Sulfura, et sens mes membres trembler de toutes parts.
Allez… c'est l'heure du jugement…
Je décolle pour entrer dans le cratère d'eau de la ville. Les chiens légendaires grimpent à coup de bonds, pour me rejoindre sur l'îlot central du lac. D'abord intriguée par la présence de Pokémons que beaucoup ne connaissent pas, la foule peuple rapidement les parois du cratère. Je demeure immobile après avoir descendu de ma monture. Les deux champions font de même, tout en restant en retrait.
Le monde s'amoncèle à grande échelle, comme un public dans l'amphithéâtre avant une pièce. Je revêts mes dernières pièces d'équipements qui reposaient toujours dans le sac de toile, avant de plier ce dernier et de le ranger dans mon sac à dos.
Des caméras de journaliste se sont ajoutées à l'armée de civils qui attend que j'ouvre la bouche pour me juger. Je m'avance, et commence le discours le plus important de toute ma vie.
« Je sais ce que vous pensez de moi. Ou du moins, les grands traits de ce que vous imaginez à propos de moi. Alors laissez-moi vous racontez la vérité.
Mon nom est Lycaon. Lycaon de Rosalia. Pour ceux qui n'en savent rien, Rosalia est une ville fleurie de Jotho, qui fut meurtrie il y a longtemps par un incendie.
J'ai été dresseur de Pokémons, comme tant d'autres aujourd'hui. Là-bas, je faisais partie des premiers. Les pionniers qui ont jonché le sol de la région voisine de Kanto. Et suite aux travaux du professeur Samuel Chen, nous avons compilés les nouvelles créatures de Jotho. Si la région ne vous évoque que peu de choses, peut-être que ces deux champions d'arène, si.
Voici Jasmine, reine d'Oliville, car remplissant à la fois le rôle de championne des Pokémons Aciers, et ressource du Phare de la ville, son propre Pharamp guidant les navires dès que le voile de Darkrai se lève.
Et à côté, Mortimer. Même si certains le considèrent comme modèle de beauté auprès de la gente féminine ; il est surtout le maître des spectres à Rosalia, ainsi qu'un passionné de légendes locales.
Si je vous parle d'eux, ce n'est pas pour rien. Ce ne sont pas seulement mes amis.
J'aurai pu figurer parmi eux.
Oui. J'aurai pu être champion d'arène.
J'avais tout commencé. Établi sur un lopin de terre par-delà les Tourb'îles, un lieu reposant, d'une atmosphère digne de Rosalia. J'ai commencé à établir mon équipe, les stratégies et autres tactiques qui font l'estime du titre champion d'arène…
Et il ne s'est fallu en effet que d'une chose : Chuck.
Beaucoup lui en auraient voulu. Et je pense que sur le coup, ce fut mon cas. Mais que voulez-vous ? Une équipe de Pokémons Combat, contre une équipe de Pokémons Ténèbres… Je n'ai pas tenu. Laminé à l'instant crucial, et il hérita de l'arène.
De mon côté, j'ai tout. Les Pokémons. Les stratégies. Connaissances des implications à grande échelle, et des responsabilités. Il ne me manque que l'arène. J'ai failli être surnommé le champion sans arène, d'ailleurs. Mais ce n'est pas ainsi que mes amis m'appellent parfois.
Ils m'appellent le neuvième champion de Jotho.
Ça reste un honneur, pour moi. Et après avoir traversé presque le monde entier, un autre me fait tout autant plaisir : personne n'a jamais bâti d'arène à badge Ténèbres. Il y a bien des membres des ligues, dont la ravissante Marion, à Jotho ; encore Damien chez vous. Mais… pas de badge.
Pas de badge.
Pourquoi ? Pour une image erronée de ce typage de Pokémon. En effet, les ténèbres, la nuit, l'horreur, la peur, la triche, les interdits… tout ceci est souvent l'arme de ceux qui incarne le Mal.
Mais qu'en est-il d'un Noctali qui soigne ses blessures quand la lune brille ? Des Zoroarks qui se cachent des fléaux s'abattant sur eux par la magie des illusions ? Et mêmes des Pokémons plus actifs la nuit que le jour ?
Si je suis devenu maître des Pokémons Ténèbres, c'est dans l'unique but de prouver que ce n'est pas les armes même, mais la manière de les utiliser qui fait la différence entre le Bien et le Mal. Devenez-vous un criminel dans l'instant où vous tenez une épée dans vos mains ? Si c'est pour couper du bois pour le feu, est-ce aussi malfaisant que pour tuer votre prochain ?!
NON !! »
Mon dernier cri résonne entre les parois, et fait vibrer l'eau du lac. Ayant l'impression d'avoir clos sur un bon point, je me permets d'enchaîner sur la partie difficile :
« Quoi qu'il en soit, fort de cette expérience, partir sur Kanto était devenue chose aisée. Le professeur Chen m'a même donné un exemple du Pokédex, en prévision de mes nombreux voyages – comme il l'a donné à tant d'autres – pour vérifier ses travaux, et peut-être amplifier ses découvertes. J'ai parcouru la terre première en long, en large et en travers. Remporté tous les badges, tout comme j'avais déjà ceux de mon pays natal. Et j'ai même vaincu le champion de Kanto.
Mais ce qui vous intéresse n'est pas à cet instant. Il est ailleurs. À Unys. J'avais entendu de drôle de rumeurs, et j'ai voulu m'intéresser très tôt à ceci. Certains parlaient de libération des Pokémons du joug des humains. Et dès qu'on se penche vite sur le cas, oui. Regardez les dresseurs qui jonchent nos contrées. Et même de nom. « Dresseurs Pokémon ». Cette ascendance universelle du maître vers son Pokémon. Cette servitude qu'ils ont – malgré leurs pouvoirs – et le fait d'être forcés à se battre les uns les autres…
Oui. Certains ont d'ores et déjà compris. J'ai rejoint la Team Plasma, de plein gré.
Alors oui, tout le monde le sait : les Teams Aqua et Magma ont failli dévasté votre monde. La Team Rocket est célèbre partout sur la planète, pour ses voleurs et ses méfaits…
Mais la Team Plasma avait une idéologie juste. La question de la liberté des Pokémons se pose réellement. Et je ne parle pas par rapport aux actions du dresseur – beaucoup d'entre eux tissent des liens de complicités entre eux et leurs Pokémons – mais au fait même d'être arraché à son mode de vie antérieur. Combien de dresseurs se sont inquiété, quant au fait d'avoir arrachée une mère à sa progéniture ?
Sérieusement, combien ?!
Je n'ai jamais vu les Pokémons comme des êtres inférieurs. Et les seuls êtres humains qui semblaient être un poil plus égalitaires avec les Pokémons… c'était la Team Plasma.
C'est donc contre une population largement majoritaire, que j'ai prise de haut face à l'injustice qu'elle prônait chaque jour… et que j'ai rejoint la Team Plasma.
Et aujourd'hui vous voulez tous me haïr, parce que j'aime les Pokémons plus que vous. »
La foule reste muette. Je demeure quelques instants la tête baissée, prêt à entendre un murmure rageur. Mais il n'en est rien. Probablement une incompréhension face à quelqu'un qui donne des arguments à en retourner l'estomac.
Je lève alors un bras.
« Sauf que ce n'est pas fini. »
L'attention de l'audience est à son comble. Même l'eau a cessé de frémir, pour laisser place à mon discours.
« Lorsque j'étais membre de la Team Plasma, nous nous sommes heurtés à un problème récurrent. Alors que nous propagions nos idées dans les villes, des champions d'arènes et des jeunes dresseurs mirent les plans de Ghetis en déroute. Avant notre chute officielle, nous avions capturé – enfin N, le fils de Ghetis – le pokémon légendaire Reshiram. L'incarnation de la Réalité. Et avant que tout ne soit résolu – et qu'on perde donc le Pokémon – j'ai eu l'occasion de parler avec lui.
Bien que N était là, j'ai essayé d'avoir une conversation privée. Et je lui ai demandé une chose. Il y a une réalité entre les humains et les Pokémons. Ces derniers peuvent être capturés, et obéissent à leur maître-dresseur. Alors qu'ils étaient à un état sauvage, et que nombre d'entre eux disposent de pouvoir colossaux, aucun ne se rebelle contre cette autorité. Si parfois, cette dernière peut être bienveillante, se rendre compte qu'aucune mutinerie n'a jamais eu lieu est troublant. D'autant plus que le pouvoir presque sans limite de certains Pokémons pourraient les faire régner sur le monde, à l'instar de l'humanité aujourd'hui.
Je lui ai alors dit : « Ô, toi qui régis la Réalité. Pourquoi as-tu fait les choses ainsi, et agencé cette ascendance à sens unique ? »
Et vous savez ce qu'il m'a répondu ?
Vous savez ce qu'il m'a répondu ?!
« Ce n'est pas moi, qui suit à l'origine du lien entre les humains et les Pokémons, ni de son maintien. »
Ce n'est pas la réalité même, qui fait que les choses sont ainsi aujourd'hui.
Ce n'est pas dans l'essence de la Réalité, que ce lien perdure.
Je vous épargne les semaines de réflexion intenses que cela m'a pris, mais une telle déclaration a donc deux conséquences : la première, c'est qu'il existe un autre Pokémon qui incarne cette puissance, ce rôle mythologique. Une autre légende qui fonde notre civilisation.
La seconde, c'est que la disparition de ce maintien n'est pas une erreur face à la réalité.
Oui, cela signifie que si ce lien est rompu, par une capture, une exigence d'un dresseur l'ayant capturé, ou sa disparition… le sablier Dialga continuera de couler.
Oui. Un monde sans ce lien entre humains et Pokémons est matériellement possible.
Et j'ai imaginé ce que cela signifiait.
Plus de Pokéball et ni de ses dérivés.
Plus d'obéissance entre capturé et dresseur.
Plus de limite de bienséance, entre la puissance d'un Pokémon et son environnement.
Plus d'autorité naturelle de la part des humains.
Plus d'entraide entre les deux ordres.
Plus de soutien.
Plus de contact.
Plus d'échange.
Il ne resterait qu'une opposition entre l'humanité et les Pokémons. Et qui, selon vous, remporterait cette guerre ? L'humanité dont la force est tirée de notre capacité à modifier notre environnement ? Ou les Pokémons, dont certains peuvent altérer les climats, la taille des continent, l'espace-temps, la vie comme la mort, ou encore… la réalité même ?
Aucun des deux. Un tel conflit ruinerait la Terre sur laquelle nous vivons tous. Une guerre de cette ampleur n'épargnera que trop peu de monde, pour considérer des gagnants.
C'est pour cela que je suis ici à la recherche du fameux Pokémon légendaire.
C'est pour cela que depuis quelques jours, je parcoure Hoenn dans l'espoir d'arrêter Cinabre, l'homme dont le navire de guerre impose la terreur.
Et maintenant que vous êtes au courant de sa puissance, sachez qu'il possède en cet instant toutes les pièces pour mettre cette catastrophe en marche.
C'est pourquoi, je vous demande humblement de nous venir en aide.
Ou devrais-je dire… de vous venir en aide. »