Chapitre 3 : Des touristes étranges...
Vaimiti s'éveilla alors que quelque chose, devant son visage, lui donnait des petits coups sur la tête. Encore dans le brouillard, elle se demanda pourquoi le sol était si dur, pourquoi elle ne voyait rien, et qui la démangeait comme ça. Au moment de se prendre une rincée à coup de Bulle d'O, elle se retrouva parfaitement réveillée, hurla de surprise, et remit ses idées en place.
« Bon sang, Cory ! »
Cette fois, il y avait de l'agacement dans sa voix. Ils étaient perdus en mer et elle était épuisée, mais son Pokémon pensait que c'était le moment de faire des blagues ! En pestant, la fillette se passa les mains sur le visage pour tenter sans grand succès de le sécher et se mit en position assise. Rien n'avait changé depuis qu'elle s'était endormie, du coup elle ne pouvait pas dire si cela faisait une heure ou dix minutes. En tout cas, elle était loin d'être reposée.
Pourtant, le Corayon insistait, maintenant qu'elle ne dormait plus. Il lui donnait des petits coups de cornes, courait autour d'elle, l'empêchait de se rallonger. Vaimiti finit par se dire qu'il y avait plus qu'une simple blague là-dessous, même si elle avait du mal à voir ce que lui voulait son ami. Quand il sauta dans l'eau et commença à l'appeler, elle se demanda s'il ne voulait pas qu'elle le suive, tout simplement. Dans le noir, elle attrapa le Goélise qui dormait encore à moitié, et rentra dans l'eau fraiche, sans trop savoir à quoi tout cela rimait. Aux mouvements de l'eau et aux sons autour d'elle, elle constata que Cory avait de nouveau plongé et qu'il lui mordillait les orteils pour l'enfoncer sous l'eau. Soucieuse, la fillette dégagea son pied et attendit que le Pokémon remonte à la surface.
« Cory, tu veux qu'on reparte ?
- Cora ! »
Pour autant qu'elle pouvait en juger, il y avait de la détermination et de la confiance dans sa réponse. Néanmoins, elle avait beau savoir que le Corayon était très intelligent, il n'en restait pas moins un Pokémon, et elle ne pouvait être sûre qu'il avait bien compris la question et les sous-entendus qu'elle cachait. Elle savait qu'il avait conscience qu'elle ne pouvait pas respirer sous l'eau, en tout cas ; il allait falloir que cela suffise. Rassemblant toute la confiance qu'elle ressentait à l'égard de son camarade, Vaimiti aspira une grande bouffée d'air et se laissa couler. Les yeux fermés, elle attrapa une des cornes de Cory et se laissa guider dans les abysses.
Plus rapidement que lors de la première fois, le groupe sortit de l'eau, au milieu d'une mer sans vague et sous un beau soleil. Tout était si éblouissant, surtout par rapport à la grotte sous-marine, que la jeune fille ne put ouvrir les yeux pendant quelques dizaines de secondes. Cory eut beaucoup moins de mal, comme s'il était plus habitué à la lumière que l'humaine. Vaimiti n'avait aucun moyen de le savoir, mais le Pokémon avait passé toute la nuit à remonter régulièrement à la surface pour savoir s'il était possible de ressortir. Quant au Goélise, sitôt qu'il eut réussi à ouvrir les yeux et se secouer les ailes, s'envola avec un grand cri heureux pour tourner dans l'immensité du ciel. Il réalisait qu'il avait survécu et qu'il retrouvait sa liberté après cette nuit passée enfermé. La fillette ne pouvait s'empêcher de sourire devant cette vision, et à l'idée de revoir la lumière.
Bien sûr, ils n'étaient pas encore sortis d'affaire. Il allait falloir trouver un moyen de rentrer à Pacifiville, malgré les courants opposés. Etrangement, la zone où ils se trouvaient était parfaitement calme, protégée par des rochers ; ils avaient eu de la chance de tomber dessus, la veille ! Mais à quelques mètres seulement, ils risquaient de se faire emporter loin à l'Ouest. Peut-être pourraient-ils se laisser porter jusqu'à Poivressel et tenter de rentrer en bateau après, mais dans ce cas la disparition de Vaimiti avait peu de chance de passer inaperçue... Si quelqu'un ne l'avait pas déjà remarquée. À en juger par la hauteur de l'astre solaire, il devait être aux alentours de 10 heures du matin ; si les gens de Pacifiville avaient commencé à faire l'inventaire des dégâts, ils auraient forcément noté la porte laissée ouverte et la maison vide. Et si ses parents avaient été prévenus, elle n'échapperait pas à la punition tant redoutée. D'un côté, elle ne risquait pas de subir pire... De l'autre, elle n'avait pas envie d'effrayer encore plus ceux qui s'inquiétaient pour elle. Tandis qu'elle pesait les pours et les contres, sachant de toute façon qu'il serait trop dangereux de se laisser porter par la mer, maintenant que les Sharpedo devaient être de retour, le Goélise rescapé finit par les rejoindre. Avec une force insoupçonnée, il attrapa les bras de Vaimiti de ses pattes palmées, et la souleva au-dessus de l'eau.
« Woah ! »
Les pieds à quelques centimètres de l'eau, et pendue par les poignets, la fillette attrapa en pince entre ses jambes Cory et laissa l'oiseau la conduire vers l'Est. Elle n'aurait jamais pensé qu'il soit capable de la porter avec autant de facilité ! Outre la position inconfortable, la fillette avait presque l'impression de faire du kitesurf.
Ils arrivèrent à Pacifiville en une dizaine de minutes. Le Goélise déposa la jeune fille en délicatesse sur un pont de bois qui semblait n'avoir pas trop subi la tempête, tandis que Cory se laissait glisser dans les eaux plus calmes, pas fâché de retrouver son élément. Vaimiti appréciait à peine la douce sensation d'un sol familier sous ses pieds qu'un cri strident retentit, et qu'elle se retrouva prisonnière de tissus colorés et de bras humains.
« Vaimiti ! Vaimiti, Vaimiti, tu es en vie, mon Dieu ma petite !! »
Tout en cherchant son souffle, la fillette reconnut la voix d'une de ses voisines, Diyana, une dame ronde et chaleureuse, même si aujourd'hui sa voix était pleine de sanglots difficilement réprimés. Elle libéra la fillette de son emprise et la regarda dans les yeux. Son expression montrait un immense soulagement, et pas mal de fatigue ; mais l'instant suivant, Diyana fronça les sourcils et raffermit son ton.
« Toi, ma grande, n'espère pas que cette escapade restera sans conséquence ! Quand tes parents sauront ça ! »
L'illusion ne dura pas longtemps. L'adulte, comme probablement beaucoup d'autres sur l'île et ses parents quand ils seraient là, était beaucoup trop rassurée de savoir Vaimiti en vie pour rester fâchée. De nouveau, ses yeux se remplirent de larmes, et elle reprit la fillette dans ses bras, simplement heureuse que leur petite éleveuse de Corayon soit revenue saine et sauve. La jeune fille profita de cette étreinte, bien consciente, comme l'avait dit Diyana, que le temps des punitions arriverait bien trop vite.
Bonjour Timéo,
Désolée, mais je risque de ne pas pouvoir venir te voir ce mois-ci. Et désolée de ne pas avoir répondu plus tôt à ta dernière lettre. Il s'est passé plein de choses, finalement, la nuit de la tempête. Pour faire simple, je suis effectivement encore sortie en pleine nuit (oui, bon), et j'ai été emportée, et mes parents m'ont punie. Consignée à la maison pendant un mois, c'est dur quand même. J'ai le droit de me promener un peu en ville, mais pas d'aller nager. Et ils ont mis Cory et Piko Junior (c'est le Goélise qui t'a porté ce message, je l'ai appelé comme celui de Papi Marco, celui qui vit près de Clémenti) dans le coup ! J'aurais jamais pensé qu'ils aient des talents de dressage, mais en gros, dès que je m'approche trop de l'eau, Piko Jr est censé crier (il a de la voix, c'est impressionnant) et Cory doit m'empêcher de partir en vadrouille (et il le fait bien, ce traître).
Du coup, eh bien... Au moins j'ai du temps pour t'écrire. Si ça t'intéresse, je pourrais peut-être te raconter tous les détails de mon escapade dans ma prochaine lettre. On va déjà voir si Piko est un coursier efficace avant de lui faire porter des kilos et des kilos de papier !
Sinon, en ce moment, il y a eu pas mal de passage à Pacifiville. Des types un peu bizarres (maman n'aime pas trop que je sois dehors quand ils sont là), qui portent des uniformes rouges et bleus. D'ailleurs, quand on a vu aux infos l'histoire du sous-marin volé, papa a tout de suite dit qu'il était sûr que c'était eux, qu'ils avaient des têtes de voyous, bref, des trucs comme ça. Au début j'ai cru qu'il était aigri parce qu'ils ne lui achètent jamais de poisson, mais j'ai eu l'occasion de les entendre parler à Suzana, l'infirmière assistante du Centre Pokémon... Et ils ne sont pas vraiment aimables. Du coup, je me dis que papa a peut-être raison à leur sujet et je les évite autant que possible.
Voilà de mon côté... Je vais aller lire un peu en attendant ta réponse, de toute façon je n'ai pas tellement d'autre chose à faire. Je m'ennuiiiiie D:
Réponds-moi vite, il en va de ma santé mentale !
Vaimiti
La jeune fille posa son stylo et attacha la lettre à la patte du Goélise. Piko Junior avait finalement décidé de rester avec ses sauveurs et amis à Pacifiville ; il était jeune, mais s'était révélé un excellent Pokémon à dresser, était à la fois rapide et endurant en vol, et Vaimiti l'avait donc adopté comme nouveau messager. Néanmoins, il lui faudrait quelques heures pour faire un aller-retour entre l'île et Atalanopolis, et il n'était pas garanti que Tim lui réponde immédiatement. Ce mois de punition qu'elle allait devoir passer enfermée s'annonçait déjà très long. Résignée, elle attrapa le premier livre qui lui tomba sous la main dans la bibliothèque, s'assit sur son lit et commença à bouquiner. « Contes et mythes de la région d'Hoenn »... Elle aurait pu tomber bien plus mal.
Elle commença par chercher la page sur l'histoire de l'étoile aux mille vœux. Étant plus jeune, Vaimiti aimait beaucoup que son père lui raconte cette légende narrant les exploits du Pokémon Jirachi, génie des vœux, censé apparaître tous les mille ans pour exaucer les souhaits de humains. Seulement, comme personne ne savait avec exactitude de quand datait son dernier passage, il était impossible de dire quand serait le prochain, mais, dans le doute, la fillette s'était fait offrir un attrape-rêve lors de son sixième anniversaire, vendu pour attirer l'attention du génie afin qu'il réalise les désirs de son propriétaire lors de son éveil. L'objet avait décoré sa tête de lit quelques années, puis avait fini sa vie au fond d'un placard, probablement.
Vaimiti tourna la page. Une photo imprimée sur la double page montrait une fresque murale découverte quelques siècles plus tôt au Mont Mémoria – évidemment, l'image était bien plus récente, et la peinture, bien plus ancienne. La désormais très célèbre scène de l'affrontement mythique entre Kyogre et Groudon, fondateurs des terres d'Hoenn – et de toutes les autres, selon la légende, même si les versions variaient d'une région à l'autre. Le titan Groudon, créateur de la terre, et son antonyme, Kyogre, fondateur des océans, n'avaient pas su trouver un terrain d'entente et s'étaient affrontés des années durant pour affirmer leur suprématie, sans se rendre compte qu'ils détruisaient plus les fruits de leur dur labeur qu'ils ne faisaient avancer les choses. Et Rayquaza, gardien du ciel, était arrivé et les avaient séparés. Épuisés, affaiblis, mais revenus à la raison, Kyogre et Groudon avaient disparus, en sommeil dans leur repère respectif. Et la région d'Hoenn, entre Terre et Mer, était née. Le père de la fillette disait souvent qu'au final, les seuls qui avaient vraiment compris toute la symbolique de ce combat étaient les gens qui, comme eux, vivaient sur les îles de la région, là où l'équilibre entre les éléments était vital.
Songeuse, la petite demoiselle lut distraitement le passage sur l'intervention de Rayquaza. Vaimiti avait toujours considéré le Dragon céleste comme un grand héros qui avait sauvé le monde de la destruction. Mais aujourd'hui, après cette nouvelle lecture, elle se demandait surtout pour quelle raison il avait décidé d'intervenir, en cette période troublée. Après tout, les cieux étaient sa demeure : le sort des océans ou des continents ne le concernait pas vraiment, et aucun livre n'avait jamais mentionné un quelconque amour des créatures terrestres ou marines chez le reptile d'émeraude...
Perplexe, elle passa au récit suivant. Celui-ci contait la légende de Latios et Latias, et la cristallisation de la Rosée Âme, ce bijou qu'on disait capable de prodiges. Mais avant de pouvoir se plonger dans l'histoire, l'arrivée soudaine de Piko Jr à travers la fenêtre détourna son attention. Il était revenu, et portait un message, la réponse de Timéo. Tout en se levant pour détacher la lettre de la patte de l'oiseau messager, Vaimiti jeta un œil à son réveil, et constata qu'elle était plongée dans sa lecture depuis près de quatre heures. Cela signifiait aussi que son ami lui avait répondu immédiatement, car elle s'était attendue à patienter un peu plus. Était-il à ce point curieux de savoir ce qui lui était arrivé ? Vu la longueur de la réponse, c'était plutôt autre chose qui l'avait poussé à réagir aussi vite.
Vaimiti,
Écoute tes parents et reste à l'écart de ces gens. Ils ne sont vraiment pas nets. On en a vu passer à Atalanopolis et Marc (le Champion local, accessoirement mon voisin) semblait vraiment préoccupé par leurs agissements. Je n'en sais pas trop mais j'ai vaguement compris qu'ils complotaient des trucs dans les environs. On a entendu parler de tas de trucs bizarres, entre autre le sous-marin, bien sûr, mais aussi une attaque au Centre Spatial d'Algatia et un blocus à Nénucrique.
Donc, tu ne t'approches pas d'eux. Et tu arrêtes tes bêtises en mer (tu me raconteras dans un prochain courrier, ça a quand même l'air intéressant :P) !
J'attends ta promesse de rester sage !
Tim
Vaimiti resta bouche bée devant sa feuille. Pour qui se prenait-il ? Pour qui LA prenait-il ?! Elle n'était pas un bébé à qui il pouvait faire des sermons ! Elle se retint de faire une boule de papier de cette lettre qui puait le paternalisme à plein nez, et se contenta de la jeter rageusement sur son bureau. Celui-là, il pouvait toujours courir pour qu'elle lui réponde, tiens !
Dans un tel état d'énervement, la sensation d'être enfermée était encore pire qu'à l'accoutumée. Vaimiti avait besoin de sortir, de marcher un peu, de voir la mer à défaut d'y plonger. Elle décida d'ignorer sa punition et sortit de sa chambre, puis de sa maison, pour se dégourdir les jambes.
La vision du Soleil entamant sa descente vers la ligne d'horizon, l'odeur du sel et le bruit des vagues l'apaisèrent bien vite. Le ciel était d'or et la mer de diamants, éblouissante, émouvante. Tandis qu'elle s'approchait de l'eau, Cory et Piko Jr la rejoignirent, s'assurant qu'elle ne faisait rien qui nécessitait qu'ils donnent l'alerte. Le corail vivant sembla comprendre que quelque chose tourmentait son amie, mais le Goélise commença à ouvrir le bec en la voyant se pencher pour toucher la surface de l'océan.
« C'est bon, Piko ! Je ne vais pas plonger. Pas la peine de crier. »
L'oiseau resta silencieux. Lui aussi avait compris... Vaimiti frôla l'eau, puis y laissa entrer le bout de ses doigts. C'était frais, doux et léger. La fillette se redressa pour venir s'assoir et plonger ses pieds dans la mer, face au coucher de soleil à l'Ouest. Cory s'approcha de ses jambes tandis que Piko Jr se posait sur ses genoux, tous les deux prêts à la soutenir dans l'épreuve qu'elle traversait, quelle qu'elle soit. Ils restèrent quelques minutes ainsi, sans bouger, sans parler, simplement à regarder l'horizon ensemble. Quelques autres Corayon les rejoignirent même, ravis de la présence de leur éleveuse après quelques jours sans la voir, même s'ils ne pouvaient pas aller se promener en sa compagnie – bien qu'ils n'en aient pas tout à fait compris la raison.
Calmée pour de bon, la fillette rentra chez elle une fois la nuit pleinement tombée.
Les parents de Vaimiti, s'ils savaient être stricts et avaient eu la peur de leur vie, devaient reconnaître que leur fille acceptait plutôt bien la punition, n'essayant pas d'y déroger. Ils savaient de plus qu'elle était trop habituée au grand large pour rester trop longtemps consignée en ville et hors de l'eau. Ils raccourcirent donc la période de punition à deux semaines après une courte discussion entre eux.
Cela laissait à la jeune fille une semaine d'enfermement à l'écart de ses Pokémon apprivoisés. Sept jours pendant lesquels elle put observer le va-et-vient incessant des étranges hommes en costumes dans le village. Elle nota que les groupes bleus et rouges n'étaient jamais au même endroit au même moment, mais n'était pas bien sûre de ce que cela signifiait. Outre ces inconnus, il semblait régner une certaine agitation chez ses camarades Pokémon, et les autres, sauvages. Vaimiti n'était pas certaine de pouvoir affirmer ce qui lui faisait penser ça ; mais Piko Jr regardait parfois le ciel en frissonnant ; Cory tournait en rond dans l'eau près de la maison de la demoiselle ; on voyait des créatures migrer sans raison apparente vers l'Ouest et ses rapides, oiseaux ou poissons. L'humaine elle-même se sentait mal à l'aise, comme en danger, mais elle mettait ça sur le fait qu'elle ne sortait pas assez pour se dépenser en ce moment. Le temps passait, lentement, les heures se suivaient et se ressemblaient, malgré ces bizarreries.
Un jour, pourtant, une pluie arriva, froide, cinglante, une pluie que les prévisions météorologiques n'avaient pas annoncée.
Le lendemain, le Cataclysme avait commencé.