Chapitre 6 : Des morts inassouvis
Les aveux du scientifique avaient stupéfaits toutes les personnes de la salle. L'homme respirait bruyamment, à la fois content et frustré de s'être dévoilé au grand jour. Il continua alors sur sa lancée :
« Mon vrai nom n'est pas Omicron, comme tu dois bien t'en douter. Je m'appelle Cédric Gilfred ! Ce nom ne te dit pas quelque chose, cher Absol ? Ah ah ah, non, bien sûr que non ! Car en tuant mon fils, des années auparavant, tu n'as même pas pris le temps de savoir qui il était. Sébastien ! Toi qui étais doué de la parole, tu aurais simplement pu lui demander de te rendre ton propre fils que mon gamin venait de capturer. Mais non, en tant que défenseur de la justice, tu as préféré l'embrocher proprement sur ta corne, enlevant de ce fait un autre enfant à des parents ! »
Tandis qu'il parlait, ses yeux se remplissaient de larmes et sa voix de haine. Des émotions tout aussi intenses qu'elles avaient dû être refoulées depuis longtemps. Absol resta muet devant l'accusation.
« Et ensuite, continua Cédric avec une voix que la folie rendait laide. Ensuite, ils t'ont épargné ! Toi, le tueur d'enfants, ils ont accepté de te revendre à une gamine qui en avait mit le prix fort. Sous mes yeux impuissants de parent d'une victime, je t'ai vu échapper à la justice de la mort. Que pouvais-je bien faire, après ça ? J'étais vieux, ma vie était finie alors que celle de mon enfant commençait seulement. Je ne pouvais pas te laisser t'en tirer comme ça. Je convainquais ma femme Helga de nous infiltrer dans la société de la famille qui t'avait accueilli. Je voulais te tuer... Je voulais tant venger mon enfant.
- Alors pourquoi ne pas en avoir profité tandis que tu étais à mes côtés ? se rebiffa Absol. Je suis resté plusieurs fois seul à seul avec toi et tu n'en as jamais profité.
- Parce que la mort n'était pas suffisante pour moi ! exulta Cédric, épuisé par son combat intérieur de rage et de peine. Je voulais plus. Je voulais te détruire complètement. Il fallait que je te fasse souffrir de mes mains autant que moi, j'ai souffert lorsque tu m'as enlevé Sébastien. L'île Nneoh était tout ce qui te restait de ton amie, et c'était ce qui allait causer ta perte. Il fallait que je la détruise. Que tu ait le temps de voir ton ile partir sous les flammes ou crouler sous les hommes juste avant que je ne t'enfonce un couteau dans le cœur ! Mais cette entreprise était compliquée. C'est pourquoi je mis encore une fois ma brillante femme au courant. Nous décidâmes d'enlever 5 jeunes de Hoenn pour les amener ici et qu'ils découvrent l'horreur de vivre en pleine nature. Je voulais que leur expérience les monte contre cette île et qu'à la fin de leur aventure, ils aillent dénoncer ton petit paradis aux autorités.
Encore une fois, l'entreprise fut compliquée. Il ne fallait surtout pas que tu ne t'aperçoives de leur présence. C'est pourquoi j'ai trafiqué plusieurs Camé-gnézones pour leur donner des armes. Elles avaient pour mission de cacher les humains dans le hangar abandonné de Lavanville pendant le jour et de les faire disparaitre si, par malheur, ils ne se cachaient pas à temps. L'entreprise était trop risquée pour que tu te doutes de quelque chose. Et cela a fonctionné jusque là. Ils n'auraient jamais dû entrer... S'ils n'avaient pas trouvé le moyen de venir jusqu'ici, j'aurais eu ma vengeance ! »
Abasourdi par la nouvelle, le trio discutait frénétiquement entre eux. Grâce à ce témoignage, des tas de choses s'éclairaient et d'autres devenaient encore plus obscures. Si Helga avait été du côté de son mari depuis tout ce temps, alors pourquoi les avoir aidés à la fin ? Tout à coup, tout s'éclaira pour Voltère. Il s'adressa alors directement à Cédric :
« C'est votre femme qui nous a indiqué le chemin pour venir jusqu'ici et c'est elle qui nous a donné le code d'accès au bâtiment. Cédric, durant ces trois derniers jours, vous avez bien faillit tous nous tuer à maintes reprises à cause de vos idées de vengeance. William est mort à cause de vous et vous avez écrasé la jambe de Camille sans ménagement. Vous êtes un assassin ! »
Sitôt qu'il entendit le mot, Cédric paniqua et sortit un scalpel de sa poche en le brandissant devant eux. Il commença à reculer tandis que Voltère, plus confiant que jamais, avançait vers lui :
« Non, refusa Cédric. Ce n'est pas moi qui les ait tués. Ce sont des choses qui arrivent et je n'y suis pour rien !
- Et pourtant si ! C'est de votre faute si nous sommes arrivés ici. Vous saviez bien les risques que nous allions encourir et vous nous avez laissés sans aucune aide. C'était même votre but premier que de nous faire du mal... Nous allons vous livrer à la police !
- Jamais ! hurla-t-il en appuyant sur un gros bouton bleu. »
Un mécanisme bruyant s'enclencha. Une porte s'ouvrit sur l'extérieur et une passerelle commença à s'allonger pour s'étendre jusqu'à la paroi voisine. Cédric s'engagea dessus en courant. Absol hurla :
« Il tente de s'échapper en passant par le laboratoire voisin !
- Il faut le poursuivre, réagit Voltère avec fureur. Je n'en ai pas fini avec lui ! »
Jamel eu alors un excellent réflexe. Il ordonna à Galifeu de détruire le bouton sur lequel Cédric avait appuyé. Le pokémon s'exécuta et frappa avec violence. La passerelle s'arrêta net au milieu de sa course. En arrivant au bord, Cédric regarda avec dépit le reste du chemin qu'il y avait à parcourir, puis le vide en dessous de lui. En entendant les autres arriver, il fit volte-face et les menaça de son arme.
« Assassin, répéta sombrement Voltère.
- J-Je ne suis pas un meurtrier, se convainquit Cédric.
- Et pourtant, tu as organisé un meurtre assisté. Une véritable boucherie. Même ta femme a réalisé ça et a fini par se retourner contre toi. Tu as tué un gamin, je te rappelle. Tu as tué William ! »
Devant la colère de Voltère, Cédric reprit encore un peu plus son scalpel en main.
« Ne m'approchez pas ou je vous fais tous tomber ! les menaça-t-il.
- Et tu tente encore de nous tuer maintenant, constata le soldat avec mépris. Ta place est derrière les barreaux.
- Je voulais venger mon enfant, hurla Cédric avec tristesse avant de pointer du doigt Absol. C'est de sa faute. Tout est de sa faute !
- Tu as fini par refaire exactement les mêmes actions que lui en nous donnant en chair à pâtée. Ne compte pas sur moi pour te prendre en pitié. »
Cédric tenta d'approcher Voltère mais Dynavolt s'interposa entre les deux en grognant. Alors le scientifique recula prudemment :
« Tout doux... Si ton pokémon me saute dessus, alors nous tomberons tous les deux, je te préviens !
- Dynavolt, lança Voltère avec inquiétude. Fait attention, s'il te plait. Pourrait-on m'apporter des cordes, derrière ? On va le ligoter.
- Je ne me laisserais pas faire, le prévint Cédric avec hargne. »
Voltère ignora sa remarque et lorsque la corde arriva jusqu'à lui, il se retourna pour la prendre. Grossière erreur. Le scalpel à la main, Cédric s'élança sur Dynavolt dont l'attention avait elle aussi été détournée. Il y eu un cri.
« Attention ! »
Une ombre grise passa devant Voltère qui ne comprit pas ce qui lui arrivait. Un bruit de déchirure, un cri de douleur, un autre de peur, et enfin il réalisa la scène. Au dernier moment, Absol s'était interposé pour protéger le jeune Dynavolt du coup de scalpel et il avait poussé Cédric dans le vide. Heureusement, le pokémon n'était pas tombé avec lui. Couché au bord de la passerelle avec une patte dans le vide, il semblait regarder en bas. Le soldat se précipita sur lui :
« Absol ! Absol ! Vous n'avez rien ?
- C'est incroyable que je ne sois pas tombé avec lui, fit remarquer le pokémon, pensif.
- Oui, c'est une chance que vous vous en soyez sortit indemne, sourit le jeune homme.
- Non... »
Voltère fronça les sourcils et voulu comprendre. C'est alors qu'il sentit sur ses doigts couler un liquide chaud et foncé.
« Vous avez été blessé ! réalisa-t-il avec effroi.
- Par le scalpel, oui. Au poumon, je crois... »
En effet, la respiration du pokémon se faisait de plus en plus difficile à mesure qu'il se noyait dans son propre sang.
« Non, désespéra Voltère en sentant les larmes lui monter aux yeux. Et on ne peux vraiment rien faire ?
- Je ne veux pas, souffla Absol, les yeux dans le vide. C'est drôle. Mon pelage devient-il rouge ? »
Le jeune homme regarda la fourrure du pokémon et émit un gémissement qui voulait tout dire. Le blanc se faisait petit à petit manger par la couleur vermeille.
« Le sang de mes victimes. C'est ce sang-ci qui me peint des couleurs de la mort.
- On va vous aider ! promit Voltère avec fougue. Vous allez vivre encore.
- Non, je n'ai plus le droit de vivre. Plus rien ne m'attend ici... »
Absol couina de souffrance, mais ne pu s'empêcher de continuer à parler :
« J'ai tué trop de personnes en ce monde et il est temps que je me repentisse. Je suis simplement heureux d'avoir pu sauver ton Dynavolt. Au moins un pokémon vivant grâce à moi. ... Pourquoi pleures-tu ?
- Désolé, s'excusa le soldat en s'essayant les yeux. Je ne peux pas m'en empêcher, je n'arrive pas à affronter la mort courageusement...
- Il est normal de pleurer, le rassura le majestueux pokémon. Pleurer ne veut pas dire manquer de courage. Cela montre que tu as un cœur. Ne le laisse pas se faire envahir par la noirceur du mien, cependant. Tu en vois le résultat.
- Absol... »
Le pokémon souffla et cracha du sang pour toute réponse. Voltère se cacha les yeux et tenta de retenir ses pleurs.
« Voltère, j'ai un dernière vœu à formuler, si tu permets... »
Le garçon acquiesça et rapprocha son oreille de la bouche d'Absol, car sa voix était vraiment faible.
« Je t'en prie, veille que Nneoh ne soit pas prise... »
Son pouls sembla s'arrêter l'espace d'un instant.
« Ne m'oublie... pas... »
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Sa mort m'apporta beaucoup de chagrin, et aujourd'hui encore, j'en ai le cœur lourd rien que d'y penser. Jamais je n'avais pu être aussi proche d'une créature magnifique comme un Absol. Longtemps après sa mort, je continuais à le caresser en lui parlant doucement, même si je savais pertinemment qu'il ne m'entendait plus de là où il était.
Pour finir, nous avons dû plier bagage. Nous enterrâmes Absol dans la région de Nneoh qui correspondait à l'endroit où il avait fondé sa famille à Hoenn, au pied d'un arbre. Juste avant qu'il ne parte sous terre, je lui coupais quelques poils encore immaculés et je lui retirais délicatement son traducteur du cou. La lumière de la machine vacillait encore alors que je la tenais entre mes doigts et lorsque je la secouais, la voix si bien connue du Absol me répondit.
« Absolument. »
Ce fut le dernier écho de son existence dans notre monde fait de chair et de sang. Nous primes une embarcation spécialement préparée par les scientifiques et tout le monde partit de l'île. Sur la mer, nous rencontrâmes une petite ombre rose avec une longue queue qui voletait tout droit vers Nneoh. Je me souviens encore parfaitement du sourire heureux qui s'était dessiné sur le visage d'Alice et de ses paroles :
« Veille bien sur notre île lointaine, Mew. »
Je su alors que le havre de paix de Absol était en sécurité. Lorsque je touchais terre, j'eus l'impression de laisser derrière moi une toute autre planète alors que véritablement, nous n'avions jamais vraiment quitté la région de Hoenn.
Je ne repris jamais ma formation militaire.
Dynavolt évolua en Elecsprint et Magnéti en Magnéton. Et moi, je devins champion d'arène au bout de nombreuses années. Jamais le souvenir de ce que j'avais vécu sur l'île Nneoh ne me quitta. C'était un moment de mon passé à la fois triste, mais que je chérissais par dessus-tout.
Alice l'artiste avait peint un tableau reproduisant la région de Nneoh –qui était en fait Hoenn sans les bâtiments- et on se l'était gardé. Je l'avais accroché à un mur et j'avais placé en dessous les poils de Absol ainsi que son traducteur. Jamel avait rajouté une plume de Nirondelle et le nom de William, tandis que Camille avait simplement laissé sa béquille là quand elle pu de nouveau marcher.
Encore aujourd'hui, nous nous réunissons régulièrement, le coup du destin nous ayant plus uni qu'autre chose, oh, oh. Oui, j'ai bel et bien eu une relation avec Camille, si cela vous intéresse, mais je suis vieux à présent. Jamel et elle ne sont plus de ce monde.
Il ne reste plus que nous deux, Alice et moi, à nous partager les souvenirs de ce temps passé là-bas.
Non, nous ne t'avons jamais oublié, Absol. Et ton île tiendra toujours debout.
Nous l'avons juré.