Chapitre 3 : La mort est la seule réponse possible
Voltère était un homme décomposé.
Depuis le courageux sacrifice de son pokémon et la disparition de ce dernier, il restait inconsolable. De toute la journée, il n'avait ni dormi, ni mangé, ni parlé. Sa seule préoccupation avait été de regarder un point fixe sur le sol, recroquevillé sur lui-même. Et il pensait. Les moments joyeux vécus avec son Dynavolt, il se les repassait en boucle. Ses rires, sa joie, son amour pour lui, rien n'échappait à ses souvenirs et chaque étincelle heureuse ne faisait que renforcer la douleur qui brûlait en lui. Et s'il n'avait pas chuté ? Et si tout s'était passé différemment ? Avec des si, l'on pouvait mettre Hoenn en bouteille, et Voltère s'évertuait à changer les évènements de la nuit dernière avec ce pouvoir, ce qui n'arrangeait évidemment pas sa douleur.
Si seulement il l'avait plus aimé...
Si seulement il lui avait dit au revoir...
Si seulement il avait été le sauver...
Si seulement il en avait eu le pouvoir...
Les larmes, il les avait déjà versées. Et non, il ne le ferait plus, même s'il en brûlait encore d'envie. Qui le comprendrait, mis à part Dynavolt ? Qui serait aussi proche de lui qu'il ne l'était pas déjà avec son ancien compagnon ?
Mais Voltère n'était pas le seul à broyer du noir. De son côté, William s'inquiétait aussi. Rappelez-vous, il avait envoyé sa chère et tendre Nirondelle pour aller chercher Dynavolt. Et celle-ci n'était toujours pas rentrée non plus, alors que le soleil se couchait déjà... Et lui aussi se répétait que c'était de sa faute et qu'il ne se le pardonnerait jamais s'il lui était arrivé malheur.
Le soir tombé et la permission de sortir accordée, William se précipita au dehors et appela son pokémon oiseau plusieurs fois. Avec un sourire triste mais assuré, il prévint que durant toute la nuit, il allait tenter de retrouver sa Nirondelle. Jamel lui lança un regard inquiet :
- D'accord, lui accorda-t-il, mais prends au moins un autre pokémon avec toi pour te protéger. Attend, j'ai encore mieux. Prend Chuchmur. Au moindre danger, il nous avertira de son grand cri de détresse et au mieux il fera fuir ton attaquant. En plus, il n'est pas si faible de ce qu'il en a l'air...
Avec délicatesse, Jamel lui confia son pokémon. William le remercia et s'enfonça dans les bois. Encore dans le hangar, Camille s'adressa à Voltère :
- Et toi, que comptes-tu faire ?
- Rien...
- Qu... Comment ça, « rien » ? Où est passé ton entrain du début ? Tu ne vas pas tenter de retrouver Dynavolt, comme le fait William avec Nirondelle ?
Le regard que lui lança Voltère en retour était si empreint de douleur et de peine que Camille ne su que lâcher une exclamation choquée et discrète.
- Il est mort, Camille, gémit Voltère. Il n'est plus de ce monde et on ne le reverra plus jamais... Il est juste... mort. Pour nous...
Camille lui lança un regard compatissant et s'arma de son sac à dos :
- Reste ici alors, si tu le souhaites. Mais ne fait pas de bêtises, s'il te plait. Tu nous manquerais trop.
Voltère releva la tête vers elle :
- Je ne suis pas suicidaire, tu sais. J'aime beaucoup trop la vie pour ça. Je... Je souffre simplement. Je veux être seul pour le moment. Mais je vous aime.
La brune lui rendit un sourire rassuré et amusé puis lui conseilla :
- Dors alors. Cela fait deux jours que tu n'as pas fermé l'œil et cela s'entend. Tu ne sais plus ce que tu dis. On fermera le hangar pour toi, afin que tu ne te fasses pas attaquer. Les autres et moi partons en exploration. Demain matin, nous te dirons ce que nous avons trouvé de beau.
Voltère acquiesça en souriant et lui fit un baisemain avant de se coucher sur les sacs improvisés en lit de camp.
- Bonne nuit, petite princesse ! bailla le soldat en fermant les yeux et en souriant.
- Toi, tu es un sacré dragueur, sourit Camille. Et voilà ce qui arrive lorsqu'un bourreau des cœurs est fatigué. Héhé. Bonne nuit.
« Pathétique », se dit la brunette qui se rendait compte qu'elle n'avait pas pu s'empêcher de rougir au surnom qu'il lui avait donné. Puis elle alla rejoindre les autres qui l'attendaient à l'extérieur pour commencer l'exploration de cette fameuse Nneoh.
Le sommeil de Voltère fut lourd et peu agité. Son esprit ne le lui permettait tout simplement pas, tant il était épuisé. Il ne rêva pas, pas plus qu'il ne souffrit et si le soldat avait pu être conscient de la détente dans lequel son sommeil le tenait, il aurait pleuré au ciel pour le remercier d'avoir enfin un moment de répit avec lui-même. Enfin pouvait-il s'évader dans un monde meilleur que celui dans lequel il était coincé et rêver, ne serait-ce que l'espace d'un instant, que son Dynavolt soit encore en vie.
Malheureusement, son repos fut interrompu quelques heures après par la porte du hangar qui se soulevait. Voltère ouvrit ses paupières lourdes et se demanda où il se trouvait, tâtonnant dans le noir à la recherche du museau de Dynavolt pour le guider. Mais alors qu'il ne trouvait pas de traces de son ami et que son esprit se souvenait de la dure réalité, une ombre se rapprochait dangereusement de lui. Une main se posa sur son épaule et le poussa violemment sur le côté. Le militaire se retourna brusquement.
- Je hais cet oiseau de malheur ! siffla l'ombre en se penchant au dessus de lui.
Voltère souffla de soulagement lorsqu'il reconnu la voix et le visage de William. Les yeux de ce dernier étaient pleins de larmes et sa bouche se tordait en une grimace de rage et de peine.
- Will... William ? marmonna le soldat en se redressant légèrement sur ses coudes.
Mais le garçon était beaucoup trop en colère pour faire attention à la présence de Voltère.
- Je le hais, persifla-t-il encore en fouillant dans un sac. Pourquoi m'a-t-il fait ça, à moi ? Son maître ! Raah, et sa pokéball qui a disparut, comme par hasard ! Pourquoi on a plus de pokéball dans ce fichu endroit ?
Voltère était complètement à la masse. La détresse dans laquelle était plongé William aurait déjà dû lui mettre la puce à l'oreille. Malheureusement, il était encore trop endormi et les paroles du jeune garçon ne faisaient aucun sens dans son esprit. Le soldat reposa donc sa tête sur un sac-oreiller et il se rendormit rapidement.
De nouveau son sommeil fut de trop courte durée à son goût car il fut réveillé en sursaut par Camille qui le secouait. Elle était fébrile, il le sentait.
- Voltère ! le suppliait-elle en s'agrippant à ses bras. Il faut absolument que tu te réveilles.
- 'amille... S'qu'il y a ? parvint-il à marmonner.
- C'est William... Il faut que tu viennes l'aider. J'ai peur pour lui, j'ai peur de ce qu'il fait, je t'en prie, lève-toi !
L'adrénaline commençait à grimper dans le corps de Voltère à mesure qu'il comprenait la gravité de la situation. Il se releva en vitesse, titubant au début, puis plus vaillant à la fin.
- Explique –moi la situation, ordonna le soldat qui reprenait ses habitudes militaires. Où est-il ?
- Suis-moi, je te montre le chemin.
Camille se mit à courir, Voltère au coude à coude.
- Il est dans un arbre, expliqua Camille. Un grand arbre, et il refuse de descendre. Le jour va bientôt se lever, et il faut absolument le convaincre de venir s'abriter avec nous !
- Et qu'est-ce qui te fait croire que je pourrais le convaincre ? s'étonna Voltère.
- Je ne sais pas, admit Camille. J'ai juste pensé que tu pourrais... Il a ton équipement militaire, corde et crochets.
- Ah ! Et donc c'est moi le responsable, alors, c'est bien ça ? s'irrita le soldat honteux.
- Il est là, haleta Camille !
Ils étaient arrivés devant un arbre. Un grand. Un immense qui surplombait tous les autres. Voltère soupira de lassitude :
- Ah... Il ne pouvait pas choisir plus grand, tant qu'on y est ?
Ils s'approchèrent de Jamel et Alice posés en bas de l'arbre.
- Nous l'avons trouvé par hasard, il tente de récupérer Nirondelle ! s'exclama la rouquine en voyant Voltère arriver. C'est de la folie ! Si seulement Helga était avec nous, peut-être réussirait-elle à le convaincre...
- Stop, ordonna le soldat avant de lever la tête vers William. A moi de parler.
Le jeune garçon était vraiment presque arrivé à la cime. Voltère constata avec un pincement au cœur que les trois premiers mètres du tronc n'étaient pas pourvus de branches et que sans sa corde, William n'aurait pas pu grimper jusqu'en haut. Le militaire ne pouvait pas non plus le suivre.
- Ce n'est pas bien de fouiller dans les affaires des autres, fit-il remarquer au garçon freluquet.
- Je n'avais pas le choix, assura le concerné avec un air de défi. Cet oiseau l'a cherché !
- Tu aurais pu au moins me le demander, assura sombrement Voltère.
Du haut de son arbre, William éclata de rire :
- Et puis quoi encore ? Tu n'aurais jamais accepté. Pour vous tous... je suis un faible, je le sais ! Et Nirondelle n'aurait jamais dû m'abandonner, elle n'aurait jamais dû me traiter comme un vulgaire déchet ! Je vais lui faire regretter son geste.
Sur-ce, il continua son ascension en tenant fermement la corde. La colère lui donnait visiblement une force colossale.
- Mais qu'est ce que ce pokémon t'a fait ? demanda Voltère pour tenter de l'arrêter.
- Ce qu'il m'a fait ? Il m'a abandonné ! Ce traitre s'en est allé avec d'autres pokémons oiseaux sauvages. Il est partit en me laissant seul, sans me dire au revoir. Il n'avait pas le droit de me quitter ! Je l'aimais ! A présent, je le hais... Et je vais lui faire payer !
Le soldat porta son regard encore plus haut et aperçu dans l'obscurité de la nuit Nirondelle perchée et inquiète sur une branche. Mais ce qui lui glaça le cœur, c'était qu'il y avait un groupe de Heledelles perchées tout autour, et elles grondaient, menaçantes, tentant d'apeurer et de faire fuir William qui les ignorait. Le groupe de pokémon se sentait sans aucun doute attaqué par William qui les avait réveillées dans leur sommeil.
- William ! cria le militaire avec un dernier espoir. Ne t'approche pas plus d'elles ! Elles ne sont pas du tout contentes de ta présence et elles risquent de t'attaquer. Redescend au plus vite. La sécurité avant tout, William...Tu risques de tomber.
Les larmes aux yeux, le garçon regarda tout en bas et cela lui donna le vertige. Son sentiment de tristesse et de colère était toujours là, présent en lui, et ça lui était insupportable. Il voulait se venger. Sa main trembla et sa bouche exprima une dernière prière :
- Je ne veux pas mourir...
Alors il tendit la main vers son ancien pokémon qui siffla avec inquiétude avant de prendre son envol. Les Heledelles l'entourant s'envolèrent à leur tour, certaines fonçant sur William et tentant de le blesser de leur bec ou de le faire vaciller. Le garçon hurla et se raccrocha de toutes ses forces à la corde qui l'emmena valser contre le tronc de gauche à droite. La volée d'oiseaux s'en alla à tire d'aile. Lorsque la corde se stabilisa de nouveau, William avait beaucoup glissé mais il était toujours bien accroché. Alice expira un cri de soulagement :
- Tout va bien, William ? Tu peux redescendre ?
- Oui, je vais bien, murmura-t-il le cœur battant. Mais mes mains... Elles me font tellement mal !
Ses mains avaient été brûlées par le frottement contre la corde et elles tremblaient dangereusement. Le garçon n'osait plus bouger et n'avait pas d'appuis près de lui. Alors, lentement et inexorablement, il commença à glisser de la corde. Il gémit et pleura de douleur car le frottement ouvrait encore plus les plaies de ses mains, mais il n'osait pas lâcher.
- Courage, William ! Nous te rattraperons lorsque tu ne seras plus qu'à trois mètres de nous, l'encouragea Jamel avec conviction.
Soudain, Voltère remarqua une entaille sur la corde. Elle avait dû se former suite à l'attaque des Heledelles.
- Attention ! eu-t-il le temps de crier avant que la corde ne cède.
William hurla de terreur en se sentant chuter. Avec l'énergie du désespoir, Voltère se précipita vers lui, mais il était trop tard et le corps du jeune garçon s'écrasa sur le sol avec un craquement abominable. Le soldat se jeta sur lui, et lui prit doucement la tête de ses deux mains pendant que les autres s'approchaient avec horreur.
- Non, non, non, reste avec moi, mon gars, supplia Voltère en sentant sa voix trembler. Eh, tu m'entends ? Reste ici, ouvre les yeux !
Sous ses doigts, il sentait le corps devenir petit à petit froid et la triste réalité s'afficher à lui comme une fatalité. Un poids lourd dans son esprit, une douleur qui lui bloquait la poitrine. Ses yeux s'embuèrent.
- Non, ce n'est pas vrai, suffoqua-t-il avec peine. Ne meurs pas, William ! C'est trop bête... Ecoute ma voix et ouvre les yeux ! Bordel...
Il laissa sa tête tomber lourdement sur la poitrine de l'adolescent et porta une main tremblante à son cou pour mesurer son pouls. Sa main retomba et il se mit à pleurer. Autour de lui, les autres ne pouvaient pas non plus contenir leurs larmes. Le désespoir s'emparait de l'âme de Voltère qui ne pouvait plus contenir sa peine d'avoir perdu à la fois Dynavolt, puis vécu la mort d'un homme. Il sentit la main de Jamel sur son épaule :
- Il faut partir. Le jour va se lever, l'informa-t-il avec douceur et regret.
- J'aurais pu le sauver, s'assura Voltère avec amertume. Je pouvais, et j'ai échoué... Ah...
- Voltère, lui rappela Camille. Le jour va se lever, nous devons nous mettre à l'abri.
- Aidez moi à le soulever, peina à murmurer le soldat.
- Nous ne pouvons pas l'emmener, nous n'aurons jamais le temps...
- On ne peut pas non plus le laisser là ! s'indigna-t-il. Pas sans sépulture !
- Je suis désolée, sanglota Camille. Nous devons absolument partir...
Voltère refusa catégoriquement. Il ne pouvait pas accepter l'idée de le laisser se faire désintégrer, tout aussi mort qu'il soit. Où était sa famille à ce moment même ? Ils le recherchaient sûrement. Jamel se saisit soudain des bras de Voltère et tenta de le soulever :
- Es-tu un gars de l'armée ou non ? Que font les soldats en plein champs de bataille ? Ils n'ont pas le choix ! Il faut s'en aller.
- Je suis un nul, rugit alors Voltère avec colère. Je suis un faible, je ne suis même pas capable de regarder la mort en face sans souffrir ! Laissez moi, je ne veux plus être un soldat, tout ceci m'est insupportable !
Il se cacha le visage de ses mains, se refusant de bouger pendant quelques secondes. Puis il regarda ses compagnons, plongeant ses yeux pleins de larmes dans leurs yeux embués et il accepta finalement de se remettre debout. Les autres le pressèrent en le poussant en avant. Alice regardait fébrilement sa montre qui n'indiquait plus que quelques minutes avant 6h du matin. En sortant de la forêt, Voltère regarda une dernière fois derrière lui, en direction de l'endroit où ils avaient abandonnés le feu William à son sort. Il hoqueta de douleur puis suivit ses compagnons dans le hangar.
Helga les y attendait. Elle était rentrée de son exploration plus tôt qu'eux et s'était inquiétée de na pas les voir revenir. Lorsque le groupe en deuil lui fit part de la triste nouvelle, la dame s'en montra alors extrêmement choquée. A cet instant, elle se mura dans un silence triste et douloureux.
Au loin, à 6h du matin, ils purent deviner la voix lancinante du Magnézone qui comptait à rebours le temps avant l'extermination propre du corps de leur pauvre compagnon. Ils pleurèrent encore devant le soleil qui se levait puis, petit à petit, chacun tomba dans un sommeil brumeux pour échapper à la tristesse de leur perte.