Chapitre 9 : Dîner à haut risque
Cielali
- Une Paxen ? Pour de vrai ?
Kerel confirma avec une tête d'enterrement. Si je mesurai parfaitement le danger de cette découverte, l'excitation me prit plus que l'inquiétude.
- J'ai toujours rêvé d'en rencontrer un, fis-je, pensive. Ils sont très courageux pour se lever contre l'Empereur. Je me demande ce qui les motive. Peut-être Ludmila nous en dira plus ?
Mon esclave secoua la tête, dépité.
- Maîtresse... Pardonnez mon insolence, mais mesurez-vous bien les conséquences de ce qui va se passer ?
- Oui Kerel, je mesure parfaitement bien. Si le colonel Tranchodon la découvre ici, nous sommes tous morts. S'il apprend qu'elle était ici, nous sommes tous morts. Si Frelali ou Cresuptil parlent trop, nous sommes tous morts. Ça ne m'empêche pas d'être excitée d'avoir un de ces célèbres rebelles sous mon toit.
- Allez-vous en parler à vos parents ?
- Ce serait une très mauvaise idée, je pense. Tâchons de nous débrouiller à deux. Nous pourrons faire en sorte qu'elle soit absente pour le repas.
- Et ensuite ?
- Ensuite, nous aviserons. Elle t'a dit qu'elle voulait rencontrer la vieille humaine du ghetto, cette Sol ?
- Qui selon elle serait aussi une Paxen. Je nage en pleine folie furieuse, maîtresse...
- Nous tenterons de la faire s'échapper de la ville avec cette femme, et nous mentirons sur son départ.
Ça ne plut pas beaucoup à Kerel.
- Maîtresse... pourquoi devrions-nous aider cette fille ? C'est une traîtresse de la pire espèce à l'Empire, et nous associer à elle fera de nous la même chose.
- En l'ayant accueillie chez nous, nous sommes déjà tous des traîtres aux yeux du colonel Tranchodon, lui rappelai-je.
- C'était à notre insu, maîtresse. L'aider activement serait autre chose. J'aurai l'impression... d'avoir réellement trahi Sa Majesté l'Empereur.
Je battis de mes longues oreilles pour m'envoler à hauteur du visage de Kerel.
- Quelle loyauté peut bien t'inspirer l'Empereur ?
- C'est... il est... hésita Kerel. Il est le leader suprême de l'Empire ! Il a combattu les humains auprès du Seigneur Xanthos il y a six cents ans ! Il est immortel et tout puissant. Maîtresse... rassurez-moi, vous n'avez pas l'intention de rejoindre les Paxen, si ?
Je rigolai de bon cœur.
- Non, pas vraiment. Déjà parce que je doute de leur être utile à quoi que ce soit, et aussi parce que mes parents ne comprendraient jamais, et je les mettrais en danger. Mais je respecte le combat que mène les Paxen. Pas toi ? Imagine, des Pokemon et des humains, vivant en égaux, se battant pour un but commun, rêvant de changer le monde, de mettre fin à l'inégalité entre nos races pour une nouvelle harmonie. Ça ne te donne pas envie, rien qu'un peu ? Tu sais, je ne suis pas tellement fière d'être une esclavagiste. Je fais seulement comme tous ceux de ma race. Je ne pense pas que vous autre les humains nous soyez aussi inférieurs que l'Empire veut le faire croire.
Kerel écarquilla les yeux, horrifié.
- Maîtresse... de telles paroles... ce serait de l'hérésie !
- Oui, désolée, soupirai-je. Je divague quand je commence à m'emporter. Quoi qu'il en soit, je pense que nous pourrons nous sortir de ce nid de Saquedeneu qu'en aidant Ludmila. La livrer à l'Empire ne nous aidera pas. Je doute que le colonel Tranchodon se montre bien clément, même si mon futur fiancé est son ami.
Je manquai vomir en prononçant les mots « futur fiancé ». Rien que pour échapper à Frelali, j'aurai bien rejoint les Paxen. En fait, s'il n'y avait pas mes parents, c'est ce que j'aurai fait. J'aurai supplié Ludmila de m'amener avec elle, loin de cette vie répugnante passée à maltraiter les humains avec un Pokemon tout aussi répugnant. Kerel et moi réfléchîmes au moyen d'éloigner Ludmila de la maison. Le meilleur moyen serait de l'amener chez Madame Leveinard pour une maladie quelconque. Le problème, c'était que j'allais devoir impliquer Leveinard et lui demander de mentir au sujet de la maladie imaginaire de Ludmila. Si le colonel Tranchodon découvrait le fin mot de l'histoire, Madame Leveinard serait tout aussi dans la panache que nous. Mais je ne voyais rien d'autre. Garder Ludmila ici, même cachée, serait trop risqué.
Kerel s'occupa de lui expliquer le plan et de la faire transférer discrètement. J'allais pour ma part prévenir Madame Leveinard dans son cabinet. Ludmila devait quitter ma demeure pour la soirée, et si on demandait, elle avait attrapé une maladie humaine quelconque, très contagieuse, et était soignée dans le cabiné de Madame Leveinard. Bien sûr, je ne dis pas à Leveinard que Ludmila était une Paxen. Leveinard accepta sans trop poser de question. On s'entendait bien, toute les deux, en outre parce qu'on était parmi les rares Pokemon de la cité à bien traiter les humains. Ludmila ne paraissait pas trop ravie en arrivant, le visage tendu et regardant à droite à gauche chaque cinq secondes, s'imaginant déjà traquée.
- Tu ne crains rien ici, lui dis-je. Leveinard n'est pas au courant de ta situation, mais elle va nous aider, et je lui fais confiance. Tâche de ne pas bouger d'ici jusqu'à que j'envois Kerel venir te chercher.
Ceci fait, Kerel et moi rentrâmes bien vite à la maison pour nous préparer à recevoir nos invités. Mon père était déjà sur les nerfs, et la nouvelle de la « maladie » de Ludmila acheva de lui faire perdre son sang-froid.
- Une maladie ? Comment ça une maladie, par Arceus ?! L'esclave femelle est ce pourquoi nous recevons chez nous des gens aussi importants ce soir ! Ils voudront tous la voir, et tu me dis qu'elle ne sera pas là ?!
- C'est une maladie humaine très contagieuse, papa, expliquai-je calmement. Madame Leveinard appelle ça la Trifroufrouille. Bénigne pour le porteur, mais elle peut faire apparaître d'énormes furoncles purulents et très douloureux chez ceux qui sont trop en contact avec le malade. Imagine le scandale si le colonel Tranchodon attrape ça chez nous...
Ça fit réfléchir mon père, qui se calma bien vite.
- Soit. On y peut rien, j'imagine... La faute au maire qui propose des esclaves en lot sans les avoir soigné comme il faut ! Mais euh... nous, nous ne risquons rien, hein ?
- Madame Leveinard m'a examiné, ainsi que Kerel, et n'a rien découvert. Toi et maman êtes bien moins en contact avec Ludmila que nous, donc aucun souci à se faire.
- Bon... Franchement, ces humains sont si infectieux ! J'imagine que Kerel aura deux fois plus de travail ce soir alors.
- Vous pouvez compter sur moi, Monsieur Noctali, affirma Kerel en s'inclinant. Je ne faillirai pas à l'honneur de votre famille.
Il alla immédiatement s'activer à préparer le festin. Il y avait des assiettes pleines de viandes partout. Ni mes parents ni moi-même ne mangions beaucoup de viande. Nous n'étions pas spécialement des Pokemon carnivores, et nous préférons la verdure. Mais nous savions que des Pokemon comme Frelali et Tranchodon n'allaient pas se contenter d'une salade, surtout le colonel. Les Pokemon de type dragon étaient considérés comme les plus voraces.
Moi, je me préparais mentalement à accueillir Frelali. Je ne me faisais toujours pas à l'idée que j'allais épouser cet horrible Pokemon, et si je le pouvais, j'essaierai d'échapper à ce destin en temps voulu, mais pour ce soir, je devais être irréprochable. Comme mon père le disait, ce dîner était pour notre famille un billet d'entrée dans le club très fermé des grandes et puissantes familles Pokemon. Personnellement, je m'en fichais, et ma mère aussi probablement, mais c'était important pour mon père.
Difficile d'anticiper un dîner avec le maire corrompu de la cité, mon futur et si écœurant mari, et ce colonel à la réputation sanglante tout en s'inquiétant pour Ludmila et de ce qui se passerait si elle était découverte. Quand enfin, à vingt heure, nos invités arrivèrent, je fus prise d'une soudaine envie de tout révéler au colonel Tranchodon. Sa stature sombre et imposante, ses yeux rouges, ses crocs comme des lames de rasoirs, sa queue qui faisait deux fois ma taille... Ce Pokemon inspirait la crainte partout où il passait, et je me retins à grand peine d'éclater en sanglot à ses pieds en avouant tout. Derrière le colonel suivait Frelali, et son air éternellement satisfait. Puis vint le maire, Cresuptil, qui bizarrement ne paraissait pas à son aise.
- Monsieur Noctali, fit-il, nous vous remercions, vous et votre famille, de nous accueillir ce soir.
- Tout l'honneur est pour moi, monsieur, répondit mon père avec précipitation.
- Permettez-moi de faire les présentations. Vous connaissez tous monsieur Frelali, bien sûr... Et voici un ami à lui, un digne Pokemon officier de l'armée, le second en titre derrière le puissant Général Légionair... Le colonel Tranchodon.
Mes parents et moi nous nous inclinèrent comme il se devait. Derrière nous, Kerel fit de même. Tranchodon parcourut la demeure d'un air perplexe. Le haut de sa tête touchait presque le plafond.
- Frelali m'a parlé de vous, dit-il enfin à mon père d'une voix grave et rugueuse. Vous travailliez pour l'Empire autrefois ?
- En effet, colonel, acquiesça Noctali. Je n'étais qu'un modeste fonctionnaire, mais ravi de la possibilité de servir notre Empire.
- Pourquoi avez-vous arrêté, dans ce cas ?
Je n'aimais pas du tout le ton que le colonel utilisait face à mon père. On aurait dit celui d'un interrogatoire.
- Eh bien, j'ai eu envie de me dépayser, colonel. La grande ville, ça va bien un moment. Ici, c'est plus rustique, certes, mais plus calme. Je voulais être un père présent pour ma fille, pour bien l'éduquer selon les valeurs de l'Empire.
Tranchodon passa de mon père à moi, et je ne put m'empêcher de frissonner sous son regard rubicond.
- Voici donc la fiancée de Frelali. Une si belle enfant... Mon ami a beaucoup de chance.
- Je suis né chanceux, ricana Frelali.
Il ne s'intéressa pas du tout à moi, mais observa tout les recoins de la maison comme s'il voulait trouver quelque chose... ou quelqu'un.
- Je ne vois pas la femelle que vous avez si brillement emportée lors du Grand Tournoi, ma douce, me dit-il.
Je me forçai à retenir un haut-les-cœurs à m'entendre être appelée ainsi de sa bouche infecte, et je répondis du ton le plus naturel possible :
- Notre humaine est malade, messieurs. Une maladie très transmissible, même pour nous. Elle est actuellement dans le cabinet de Madame Leveinard.
- Quel dommage, soupira théâtralement Frelali. Moi qui espérais tant voir le lot qui m'a échappé de si peu...
- À ce qu'on dit, vous en aurez très vite l'occasion, monsieur Frelali, répliquai-je. Si je vais vivre chez vous, naturellement que j'amènerai mes esclaves.
J'insistai bien sur le mot « si ». Frelali écarta ses mandibules en un sourire torve.
- Oui. Je ne doute pas une seconde qu'ils s'entendent bien avec Galbar.
- Assez parler de ces humains, gronda Tranchodon. Leur seule vision m'irrite les yeux et les narines. Qu'il y'en ait un de moins que prévu ce soir ne me gène pas, bien au contraire. Les femelles sont les pires. Elles puent encore plus que les mâles. Rendons grâce au Seigneur Protecteur Xanthos d'avoir empêché cette race de nuisible de proliférer.
Tout le monde hocha la tête à la mention du Seigneur Xanthos, comme il se devait. Mais Tranchodon, lui, se mit carrément à réciter une prière à l'adresse de Xanthos. Ce Pokemon, en plus d'avoir des idées très xénophobes concernant les humains, semblaient être aussi un fanatique. Belle soirée en perspective...
***
Kerel
Il me semblait vite que le colonel Tranchodon n'appréciait pas trop les humains. C'était même un euphémisme. Malgré tous les efforts de Monsieur Noctali et du maire Cresuptil pour changer de sujet, Tranchodon en revenait toujours immanquablement aux humains, qu'il faudrait encore plus contrôler, maltraiter, et même exterminer. Le colonel avait ses idées, et je n'avais pas à les juger. En revanche, il était de mon devoir de respecter ses gouts, et si le colonel détestait les humains, je tâchais toujours de me trouver assez loin de lui à chaque fois que je débarrassais la table et que j'apportais les plats.
J'avais beaucoup de travail - six Pokemon à servir - mais je gardais une oreille distraite sur la conversation. Tranchodon et Frelali étaient en train de débattre sur l'utilité des humains. Aussi amis soient-ils, naturellement que Frelali n'allait pas prôner l'extermination comme le voulait le colonel. Il se servait de trop d'esclaves pour cela.
- Les humains ne sont pas tous à jeter, mon ami, disait le Pokemon Insecte. Ils peuvent nous être utiles, nous débarrasser des tâches quotidiennes et ingrates. Une grosse partie de notre économie est basée sur eux.
Cresuptil hocha la tête, soutenant la version de Frelali. Évidement. Lui aussi devait sa fortune aux humains.
- Nous Pokemon, nous sommes immensément supérieurs aux humains, disait le colonel Tranchodon. Je trouve cela insultant pour nous de reléguer des tâches simples à cette race comme si nous étions incapables de les faire. Et c'est ce qui commence à arriver. À force de trop compter sur les humains, nous en devenons dépendants. Et penser que les grands et forts Pokemon puissent être dépendants de ces pourritures d'humains me donne la nausée. Pensez donc que malgré la baisse abyssale de leur natalité depuis le sérum d'Anthroxyn, ils se reproduisent plus vite que nous, et dans certaine cités, on dénombre plus d'esclaves humains que de Pokemon. C'est alarmant. Si jamais un jour ils se rallient massivement aux Paxen...
- Les humains sont faibles, le rassura Frelali. Même en surnombre, ils ne nous inquièteront jamais. De plus, ils sont idiots. La seule chose qui réfléchisse chez eux se situe en dessous de la ceinture.
Cresuptil éclata d'un rire passablement insupportable. Monsieur Noctali et sa femme rirent par politesse, mais ma maîtresse resta impassible. Tranchodon eut un sourire indulgent.
- Certes, on dit que les humains sont une race primitive et idiote, mais...
- Ce n'est pas vrai.
Il y eut un silence stupéfait quand tout le monde se rendit compte que c'était maîtresse Cielali, qui n'avait pas ouvert la bouche depuis le début du repas, qui avait dit ces mots. Je fermai les yeux de désespoir. Maîtresse Cielali n'avait pas à contredire le colonel. C'était dangereux, et surtout inutile.
- Pas vrai, dîtes-vous ? Demanda Tranchodon d'une voix doucereuse.
- Non, ce n'est pas vrai, insista Cielali malgré le regard d'avertissement de son père. Pardonnez-moi, colonel, mais j'ai passé plusieurs années en compagnie de mon esclave. Ils ne sont pas du tout décérébrés comme on se plait à le prétendre. Leur intelligence est la même que la notre. Sauf qu'ils ne la montrent pas devant nous, c'est tout. C'est notre esclavagisme brutal qui les font se replier sur eux-mêmes et donner l'impression qu'ils sont idiots. C'est à cause de Pokemon comme vous qu'ils n'osent pas se montrer tels qu'ils sont.
J'en restai à tel point pétrifié que j'oubliai le plat que j'étais en train de faire cuire. J'osai à peine regarder la réaction de Tranchodon, alors que les parents de ma maîtresse, ainsi que Cresuptil, furent horrifiés par ses paroles. Même Frelali parut surpris, et quelque peu admiratif. Mais Tranchodon, lui, resta impassible, à dévisager ma maîtresse d'un intéressé.
- C'est donc là votre pensée, jeune dame ?
- Colonel, veuillez pardonner l'impertinence de ma fille, je vous prie, se dépêcha de déclarer Monsieur Noctali. Elle est jeune, très impolie, et ne sait pas encore où est sa place. Dépêche-toi de faire tes excuses au colonel et de filer dans ta chambre, vite !
- Non non, laissez-donc, intervint Tranchodon. Votre fille est chez elle, elle a le droit d'exprimer l'opinion qu'elle pense être la bonne. Selon vous, les humains auraient une intelligence égale à la notre, c'est là ce que vous pensez ?
Maîtresse Cielali ne se laissa pas impressionner, et acquiesça avec défi.
- Il existe des humains intelligents et d'autre idiots, tout comme il existe des Pokemon intelligents et idiots. Il y a de bons humains, comme il y a de bons Pokemon, et il existe de mauvais humains, tout comme il existe de mauvais Pokemon. Mais je ne pense pas qu'il existe de différence majeure entre nos deux races. La langue que nous parlons est celle des humains, que le Seigneur Xanthos nous a enseignés. Nos habitations, notre façon de vivre... tout nous vient des humains. Les croire idiot est une erreur. Une erreur que beaucoup de Pokemon font à tort.
Tranchodon hocha la tête, faisant mine de réfléchir à ces paroles. Je pensais qu'il allait se récrier et accuser ma maîtresse d'hérésie ou de traitrise, mais à la stupeur générale, il acquiesça.
- Monsieur Noctali, votre fille a un esprit acéré. C'est tout à fait le genre de Pokemon intelligent et franc que je recherche pour l'Armée Impériale.
- Euh... commença Monsieur Noctali.
- Je suis très enclin à partager votre avis, jeune demoiselle, continua Tranchodon. Ne vous méprenez surtout pas : je méprise les humains. Mais je ne pense pas non plus qu'ils soient aussi stupides que l'on dit. Au contraire, ils sont très intelligents. Ils sont parvenus, envers et contre tout, à vaincre notre Seigneur Protecteur Xanthos. C'est là une grande honte de l'admettre, mais c'est la vérité. Les Paxen sévissent depuis près d'un siècle sans que l'Empire n'ait pu les arrêter. C'est ce que ne comprennent pas la plupart de mes hommes, et ce pourquoi ils sous-estiment gravement les humains. Oui, ils sont intelligents. Et c'est pour cela qu'ils représentent une menace pour nous. La révolte nait de la conscience de son sort, et la conscience passe par l'intelligence. Les humains finiront par se révolter en masse. Les Paxen ne sont que la face visible de l'iceberg. Peut-être complotent-ils déjà entre eux...
Et sans un mot d'avertissement, alors que je passai pour resservir un plat de viande devant Tranchodon, ce dernier m'attrapa et me plaqua violement la tête contre la table, sous les exclamations indignées de ma maîtresse. Je sentis sa poigne terrible contre mon front, ses énormes griffes sur ma peau. Je n'avais pas idée de sa force, mais je savais que s'il le voulait, il pouvait me faire éclater le crâne en serrant un tout petit peu plus. Son gueule féroce s'approcha, et je vis ses deux rangées de crocs acérés. Pensant qu'il allait m'arracher la tête, je vis ma toute vie passer en boucle sous mes yeux.
- Peut-être même que celui-là en est un, de comploteur, susurra Tranchodon. Un vil traître à l'Empire, qui songe à briser ses chaînes et à pousser à la révolte. C'est le cas, humain ?
Je déglutis, et trouva assez de force en moi pour répondre :
- Non, colonel... Je suis un humain fidèle à l'Empereur... Je suis un esclave qui connait et accepte sa condition !
Tranchodon ricana, et m'envoyer valser de l'autre coté de la table, ou je m'écrasai lourdement contre le mur. Maîtresse Cielali s'apprêtait à se précipiter sur moi, mais son père l'arrêta au dernier moment, ce dont je lui fus reconnaissant. Nul besoin d'envenimer la situation. Je me releva avec difficulté, et je m'inclina devant Tranchodon.
- Si par ma présence, je vous ai insulté, messire, je m'en excuse.
- Ton existence même est une insulte, répliqua Tranchodon. Que tu sois traître ou pas, entend cela, humain : ta race est condamnée. Elle ne vivra pas assez longtemps pour pouvoir s'éteindre naturellement. Toi et les tiens bénéficiez d'une certaine protection sous le règne du Seigneur Xanthos, mais maintenant, avec l'Empereur, c'est différent. Dès que les Paxen seront écrasés - ce dont je vais vite me charger - nous nous intéresserons au reste de ton espèce. Vous disparaîtrez, tous autant que vous êtes !
Même Monsieur Noctali fut choqué par cette déclaration. Quant à moi, je frissonnai. Ce n'était pas Tranchodon qui me faisait peur, mais ma réaction. C'était la première fois de ma vie que je ressentis momentanément une certaine forme de défi, même ténue. Durant quelque secondes, la cause Paxen que j'avais tant décrié ne me semblait pas si absurde, finalement. Je comprinais qu'on veuille se rebeller à l'écoute de Pokemon comme ce colonel Tranchodon. Mais je retrouvai bien vite mon calme et ma maîtrise.
- Si tel est le désir de Sa Majesté l'Empereur, alors ainsi soit-il, répondit-je en m'inclinant de nouveau.
Tranchodon parut comme déçu de mon manque de réaction. Peut-être espérait-il que je lui crache au visage, pour qu'il puisse me démembrer en toute légalité. Quelqu'un comme Ludmila l'aurait sûrement fait. Mais mon désir de vivre était bien plus fort que ma fierté. Entre lâcheté et stupidité, je préférais être un lâche. Les couards avaient l'avantage de vivre plus longtemps que les idiots. Monsieur Noctali me donna congé, m'ordonnant de quitter la maison. Sage décision avec ce malade de Tranchodon dans les parages. Je pensai me rendre au ghetto le temps que tout ce monde parte de la maison, mais je me souvins de Ludmila, restée au cabinet de Madame Leveinard. Valait mieux que j'aille voir comment elle se tenait. Mais quand j'arrivai à l'infirmerie de la cité, Madame Leveinard m'accueillit avec désespoir.
- Oh, doux Arceus, te voilà enfin Kerel ! Je ne savais pas quoi faire, je ne voulais pas débarquer chez ta maîtresse avec les gens qu'elle accueillait...
- Que se passe-t-il ?
- C'est votre femelle... Je crains qu'elle ne se soit enfuie.
Je restai un moment paralysé, incapable de penser. Puis d'un coup, je fis volte face, et fonça dans les rues sombres de la cité, cherchant Ludmila partout, et maudissant son nom pour mille ans. Cette idiote, cette inconsciente... Se balader seule dans une ville alors qu'on était une femelle Paxen, avec un colonel de l'armée dans les parages ! Mais je savais où elle avait du aller. Je me dirigeai donc à toute allure vers le ghetto.
***
Galbar
Mon maître était de sortie ce soir, donc j'étais libre de faire ce que je voulais, comme marcher sans but dans la cité, réfléchissant à des choses et d'autre. Maître Frelali était en dîner officiel avec ce colonel Pokemon, ce Tranchodon Chromatique, chez la maîtresse de Kerel. Là où se trouvait la femelle que j'avais perdu au tournoi. Rien que d'y penser, j'avais envie de tout démolir. Maître Frelali devait être en train de courtiser Cielali, ou du moins d'essayer. C'était pour cela qu'il avait tenu à impressionner la galerie en s'affichant publiquement avec ce colonel et le maire.
Si Noctali était quelqu'un de sensé - ce qui était le cas - il accepterait de bonne grâce d'offrir sa fille à mon maître, et donc ses deux esclaves qui allaient avec. Je savais que c'était le mieux pour mon maître, mais moi ça ne me plaisait pas. Je n'arriverai jamais à vivre avec Kerel, pas alors que mon seul souhait était de le tuer. D'ailleurs, en parlant de Kerel... Je le vis me dépasser en courant comme un dératé, en direction des niveaux inférieurs. Lui ne m'avait pas vu. Que faisait-il si tard alors que sa maîtresse avait un dîner important ? Et pourquoi courrait-il comme ça ? Je décidai de le suivre, en espérant avoir une occasion de venger ma fierté abîmée, et qu'importe ce que mon maître pourrait en dire !