La Légende des Failghost de Renyu

Chapitre III

Libégon vola plusieurs dizaines de minutes avant d'atteindre le nord. Couplée à la tristesse, la tempête s'annonçait toujours plus violente à mesure que le temps passait. Le Pokémon aperçut au loin les hautes herbes environnantes de Cimetronnelles. Dans l'espoir d'un atterrissage sécurisé, il roula sur quelques mètres en éjectant ses passagers, puis se heurta violemment à un grand mur de pierre et gémit de douleur.

_Libégon, s'écria Elharôn, encore souffrant de sa chute.

Alrys ignora ses propres blessures en prenant la patte de Saiko qui mourrait d'envie de rejoindre Libégon. Heint était déjà prêt de lui et écarquilla les yeux en voyant ses blessures.

_Les gars, je m'en occupe. Laissez.

_Elharôn, tu ne peux même pas bouger, s'irrita Elghat. Tu n'as pas assez d'énergie pour soigner Libégon, tu devrais te reposer.

Alors que son frère venait pour l'aider à se relever, Losba s'interposa entre eux deux sans esquisser une once d'agressivité. Il se débrouilla du mieux qu'il le pouvait pour transmettre sa pensée Elghat, sans succès.

_Il essaie juste de te dire que personne ne me fera changer d'avis. Je peux faire tomber les éclairs et soigner mes amis... Toi, tu peux dissimuler, plonger tes ennemis dans la cécité et jouer avec le feu, tandis qu'Alrys manipule les eaux et l'air.

Il préféra ne pas lui répondre et voir comment il s'en sortirait. Les ecchymoses d'Elharôn étaient aussi visibles que celles de Libégon, mais son amour des Pokémon l'était bien plus encore. Peiné par les évènements, Alrys sourit malgré tout et fit un clin d'œil à son aîné.

_Regarde... Il est génial comme gamin.

_S'il continue à toujours faire passer les autres avant lui, Pokémon ou êtres humains, il finira par se perdre lui-même...

Saiko grogna nerveusement en faveur des mots d'Elghat. Ses poils étaient encore trempés, et comme tout félin, il détestait l'eau. Grâce aux arts de son maître, il avait néanmoins appris à la supporter, voire même à l'aimer à certains moments.

_Sois optimiste. Je sais que tu es sur le qui-vive, que tu es enragé par les événements, et nous aussi. Père et mère auraient vu en toi celui qui aurait le mieux maîtrisé la situation.

_C'est faux, ils savaient que mes émotions prenaient toujours le dessus. Et...

Un éclair violent flasha leur vision et fit naître un silence mortuaire entre eux. Seule la chute des larmes célestes restait audible dans l'univers feuillu qui les entourait. Les étincelles de lumière verte due aux pouvoirs de soin d'Elharôn éclairaient les environs. Alrys devina une anfractuosité dans laquelle ils s'installèrent, puis Heint partit chercher quelques brindilles que son maître sécha avant de les embraser.

Le Cacturne émit un son joyeux qui égaya les visages pour un court instant. L'estomac d'Alrys se noua bruyamment.

_Il n'y a pas grand-chose à manger dans les environs, et puis il est tard... Je ne sais pas vraiment ce que peut proposer Cimetronnelles en termes de gastronomie.

_Les Basses-Terres fonctionnent bien différemment de notre manoir à l'Île Mirage. Ici, on mange à plusieurs, dans des restaurants avec des dresseurs... On s'ouvre au monde, aux combats, aux plaisirs et surtout au partage.

_Ça à l'air plutôt intéressant !

_Peut-être.

_Comment peux-tu répondre ça ? Tu le sais si oui, ou non. Tu connais les Basses-Terres depuis onze ans, risqua Elharôn.

_Je suis fatigué de tout ça... Je n'arrive pas à réfléchir, j'aimerais savoir qui nous a fait ça, et pour quelle raison.

Heint s'agita en tapotant sur l'ouvrage d'Elharôn. Ils restèrent perplexe plusieurs secondes, et un éclair de compréhension traversa les esprits de Losba et Alrys.

_Le livre, lui murmura-t-il mentalement. Ne te souviens-tu pas du dernier geste de ton père ?

_Le livre, renchérit Alrys sans le savoir. Père l'a montré du doigt lorsque nous lui avons demandé... El', ouvre-le. Les réponses sont forcément ici.

_Mais je l'ouvre tous les jours, et...

_Il y a au moins milles pages d'images et d'histoire là-dedans, tranchèrent les deux aînés. Tu l'as peut-être feuilleté sans arrêt, mais tu ne l'as jamais réellement étudié.

Il avoua, penaud, et finit par abdiquer. Losba se lova entre le livre et ses cuisses en observant les pages aux couleurs délavées. Des Pokémon, des hommes, des armes et des explosions de puissance plus impressionnantes qu'explicatives noyaient la masse de feuilles. Les yeux d'Alrys brillaient comme des étoiles.

_Je comprends mieux pourquoi tu y tiens autant, les images sont magnifiques ! Et tous ces Pokémon... Regardez, il y a Latias et Latios ici.

Pris dans un élan de curiosité insatiable, Elharôn tourna alors les pages avec une certaine ferveur. A la suite de l'image montrant Latios et Latias volants joyeusement et exultant les cieux, les autres dessins semblaient expliquer la suite. Elghat grossissait les yeux et finit par joindre ses mains à celle de son frère pour tourner les pages toujours plus vite.

_Les éons ont-ils réellement donnés à nos ancêtres les pouvoirs de symbioses que nous possédons, s'enquit Elharôn.

Ses frères l'ignorèrent, puis s'arrêtèrent brusquement sur une page. Elle mettait en scène les éons, Kyogre, Groudon et Rayquaza. Une silhouette noire accompagnée par ses semblables dominait dans l'arrière-plan du décor apocalyptique. Les Pokémon se tenaient sur une large parcelle de terre, au centre de laquelle se trouvait un trou béant fait de feu, d'eau, d'air et de néant. Plus ils tournaient les pages, plus la silhouette apparaissait dans les dessins. De grandes guerres, des Pokémon tués, morts au combat, laissant à la forme noire prendre plus de place dans chaque illustration. Elharôn referma le livre brutalement et haleta. Il transpirait.

_Elharôn, l'appela Alrys. Tu es sûr que tout va bien ?

_Je... Je n'ai jamais vu ça avant. Je vous le jure...

_Du calme, pourquoi te mettre dans un état pareil ? Ce ne sont que des images...

Les yeux de Losba brillaient d'un rouge vif écarlate. Il grognait comme un Pokémon sauvage, incontrôlable. L'annonciateur de catastrophes avançait vers eux d'un air menaçant. Alrys et Elghat prirent peur et se mirent à reculer lentement en fixant le Pokémon, inquiets. Elharôn bondit sur lui et l'arrêta immédiatement.

_Qu'est-ce qui te prends ? Losba ! Arrête... Heint, Saiko...

A l'orée de la petite grotte, le Mangriff et le Cacturne les observaient avec des yeux brillants et menaçants. Quelques instants suffirent à leur rendre leur éclat initial. Losba ne comprenait pas ce qui venait d'arriver.

_Qu'est-ce qu'il a ce livre ? Il faut le jeter au feu, s'écria Elghat.

_Arrête ça immédiatement ! Elghat, c'est totalement idiot !

Il déroba le grimoire des mains d'Elharôn et poussa son frère avant de lui bondir dessus. Ses mains s'enroulèrent autour de son cou avec véhémence. Elghat retrouva ses esprits, sans pour autant quitter le livre des yeux.

_Arrêtez de vous battre, ce n'est pas comme ça que nous allons comprendre... Père a dit que les responsables se trouvaient à l'intérieur.

_Tu crois que ces ombres noires et ces vies étranges seraient à l'origine du problème ? Et le lien avec le comportement de nos Pokémon à l'instant ?

_J'éviterais de l'ouvrir à cette page la prochaine fois, même si j'ai pourtant l'impression de l'avoir déjà fait auparavant... Je tombe de fatigue.
Elghat fit signe à Alrys d'éteindre le feu, puis s'allongea au sol avant de prendre la position d'un fœtus.

_Demain, nous retournerons voir Pierre. J'espère qu'il sera là.

Il bailla, entraînant ses frères dans l'expression de sa fatigue et la douleur lancinante dans son corps. Persuadé que la nuit panserait ses blessures, Elharôn préféra trouver le sommeil dans la fourrure fine de Losba, qui garda l'œil ouvert jusqu'à l'aurore avec Saiko. Une fois leurs maîtres endormis, ils conversèrent silencieusement au sujet des événements. Des réminiscences avaient envahis leurs esprits. Une peur angoissante s'était emparée d'eux, entraînant un besoin de défense pressant et violent. Ils finirent par s'endormir sur leurs interrogations.

Elharôn avait été plus matinal que les deux autres. Plus optimiste également, il était parti à quelques mètres pour faire une balade avec les Pokémon en attendant le réveil de ses frères. Le visage et les muscles endoloris par la nuit sur un sol de pierre, Elghat aperçut son frère déambulant avec innocence dans ce monde duquel il doutait depuis toujours et éructa de colère.

_Elharôn ! Reviens ici immédiatement !

_Je crois que notre grand loup est levé du mauvais pied. Allez... C'est parti !

Il rebroussa chemin, lançant à son frère un regard plein d'ironie et de cynisme avant de recevoir une violente tape sur la tête.

_Ce n'est pas parce que le manoir a brûlé que les Basses-Terres sont devenues un champ de paradis ! Abruti ! Ah... Alrys dort encore, réveille-le. Nous allons partir dans peu de temps.

_Il est encore très tôt Elg'.

_L'avenir n'attend pas, et si quelqu'un en a voulu à nos parents, nous ne sommes en sécurité nulle part, c'est simple et logique. Leur assassinat n'est vieux que d'à peine une journée...

Les trois et leurs Pokémon s'activèrent alors en vue de prendre la voie des airs et d'atteindre Algatia. Alors qu'ils s'apprêtaient à décoller, des cris de détresse – à priori féminins – se firent entendre. Heint n'attendit pas les ordres de son maître et se laissa guider par sa curiosité. Même si Elghat était le représentant direct de la prudence et la sécurité, le sens de la justice de son Pokémon dépassait son entendement : Le Cacturne était capable de donner sa vie pour sauver un Mimitoss !

_Mieux vaut le suivre, sourit Alrys.

En écartant les quelques Pokémon sauvages se profilant sur leurs routes, ils retrouvèrent les traces d'Heint – qui avait été bien trop rapide pour eux – aux côtés d'une jeune dresseuse en mauvaise posture. Elle devait avoir une quinzaine d'années. Ses cheveux de feu roux étincelaient, reluisant ses yeux verts pomme. Un Milobellus et deux Eoko gisaient près d'elle, anéantis.

_Par Arceus, s'écria Elharôn en se ruant près d'elle. Est-ce que tout va bien, que vous est-il arrivé ?

_Elharôn, hurla Elghat.

Il sentit son frère le bousculer violemment. Heint se joint à lui et usa de ses capacités du type plante. Un Tropius d'une taille plutôt conséquente au regard hostile fondait sur eux. Ses yeux brillaient d'un jaune surnaturel. Alrys s'empressa d'amener la jeune inconnue en lieu sûr et d'observer le Cacturne mettre son ennemi en pièce, en finissant avec une attaque Nœud'herbe. Le grand quadrupède s'étala au sol de tout son long, créant autour de lui un véritable brouhaha.

_Ouah, même un Brouhabam ne ferait pas autant de bruit ! Comment pourrais-je vous remercier ? Ce Pokémon a décimé mon équipe, et a bien failli me blesser au passage.

_Commencez d'abord, jeune fille, par récupérer vos amis Pokémon dans leurs... Balls, acheva-t-il sur un air de dégoût. Rendez-vous immédiatement dans le centre Pokémon le plus proche, et entraînez-vous suffisamment pour ne plus avoir à vous retrouver dans de pareilles situations. Et enfin... Oubliez-nous.

_Elghat, s'écria Elharôn. Comment peux-tu...

_Il a raison, intervint-elle. Moi et mes Pokémon sommes particulièrement faibles. Vous... Vous avez simplement envoyé votre Pokémon au combat, sans même lui donner d'ordre. Votre performance m'a beaucoup impressionné, vous n'êtes pas un dresseur comme les autres.

_Nous ne sommes pas dresseurs, tout simplement.

Alrys le dévisagea. Elghat tenaient des propos qui pouvaient facilement éveiller des soupçons à leur propos, il ne comprit pas immédiatement son but. Finalement, la jeune dresseuse comprit la leçon avec humilité et remercia son sauveur avant de s'éclipser.

Une fois dans les sillages du vent, il laissa éclater l'objet de sa curiosité.

_Elg', est-ce que tu peux m'expliquer ?

_J'ai lu dans les yeux de cette jeune fille. Je ne sais pas...

_Ah oui, c'est vrai, tu peux voir le potentiel des autres rien qu'en les observant, appuya-t-il avec ironie. Et, cette jeune dresseuse est la seule à qui tu t'adresses en ces termes depuis les onze années durant lesquelles tu as parcourues les Basses-Terres ?

_Absolument. Elle dégage une pureté et une envie... Un besoin de persévérance presque aussi puissant que celui d'un Pokémon qui veut satisfaire son maître.

_C'est assez malsain comme comparaison, lança Elharôn. Et ce n'est pas une raison pour laisser quelqu'un s'approcher de notre secret.

Il soupira bruyamment, comme s'il appréhendait la parole qui allait sortir d'entre ses propres lèvres.

_Nous n'avons plus grand-chose à protéger maintenant. Notre secret est mort, comme notre famille. L'essence de notre vie n'est plus la dissimulation, ou encore le voyage, mais la compréhension et la quête. Est-ce que vous comprenez ?

Saiko fit des yeux ronds, puis les plongea dans ceux de son maître qui l'imita. Losba lui-même ne put prévoir de tels mots de la part d'un être aussi têtu qu'Elghat. Surpris, ils ne donnèrent aucune suite à la discussion, trop préoccupés à saisir le changement d'avis de leur aîné au sujet du sens de leur vie.

Arrivés devant le domicile de Pierre c'est Alrys qui toqua, avec moins de ferveur que la nuit précédente. Le dresseur aux cheveux gris ouvrit la porte en dévisageant ses deux amis, puis son regard se posa sur la courte silhouette d'Elharôn qui rougissait, toujours intimidé par les inconnus.

_Bien, mes deux frères, quel plaisir de vous voir. Ce jeune homme à la chevelure de neige... Est-ce bien le fameux Elharôn ?

_C'est bien moi.

_Allons ne sois pas timide, entre. J'avais hâte de te rencontrer. Tes frères n'ont fait que de me vanter tes liens avec ton Pokémon.

Une fois installés dans le salon de Pierre, ils prirent place sans dire un mot, préférant plutôt caresser les ailes lisses de son Airmure, toujours présent. Conscient du malaise qui s'installait, Pierre brisa le silence en revenant dans la pièce avec quelques gâteaux.

_Dites-moi, vous n'êtes pas très bavards. J'ai eu l'habitude d'un Elghat plus ouvert.

_Pierre, je...

_Elghat, tu es sûr, l'interrompit Alrys. Tu sais, tu n'es pas obligé.

_Ce n'est plus très utile que de garder ces choses pour nous. Je te l'ai dit tout à l'heure... Les priorités ont évolué, et il va nous falloir apprendre à découvrir ce monde, comme les autres. Pierre, nos parents sont décédés.

Le plateau de douceurs lui échappa des mains et tomba bruyamment sur la table de verre.

_Pardon ?

_Nos parents ont perdu la vie hier soir, notre manoir a été brûlé, et c'était une attaque. Quelqu'un a volontairement mis le feu. Et puis, j'ai à te parler de bien d'autres choses. J'espère que tu as du temps devant toi.

_Pour toi et tes frères, j'aurais toujours du temps Elghat.