Chapitre II - Crépuscule enflammé
Finalement, le lendemain venu, la parole d'Elharôn l'emporta. Il avait passé la nuit à ruminer et imaginer comment Hoenn pouvait être. Son excitation l'avait empêché de trouver les bras de Morphée, et même Losba n'avait pas été en mesure de l'endormir. À l'aurore, il se résigna et sortit du manoir pour admirer le lever du soleil. L'Île flottait dans le ciel, comme toutes les nuits. Vengle préférait régler l'orbe sur une navigation aérienne en cas de problèmes inattendus. Une main se posa brusquement sur son épaule et Elharôn eut une réaction brusque.
_C'est toi, ria-t-il. Tu es venu tenter de me dissuader ?
_Je m'y suis fait tu sais, j'étais aussi pressé que toi à ton âge. Nous avons discuté avec mère hier... Alors nous partirons dans la matinée.
Elharôn savait déjà que sa décision avait été prise en compte, mais l'entendre de la voix de son aîné était plus agréable encore. Sans se lancer dans une série de gestes extravagants, il sourit puis avant d'ouvrir à nouveau le grimoire ancien que lui avait amené son père.
_Tu te souviens de ce qu'il signifie ?
_Tu dis qu'il parle de la création des cieux, de la mer et de la terre non ?
_C'est ça. Mais regarde... Il y a des images que je ne comprends pas, des mots qui semblent avoir été effacés, et surtout ça.
Elghat écarquilla les yeux. L'image que son frère lui montrait représentait un univers gigantesque, dans lequel vivaient tous les Pokémon légendaires de la région d'Hoenn. Soudain, il referma le livre en annihilant toute forme de réflexions troublantes pouvant naître dans son esprit et lui adressa un sourire ciselé.
_On ne sait pas trop ce que c'est, notre Île Mirage. Et puis qui est nôtre famille ? Pourquoi les éons nous ont-ils donnés ces pouvoirs ?
_Personne ne le sait plus aujourd'hui, maugréa-t-il. Bon... Je vais réveiller notre dormeur. Allez, prépare-toi, tu veux y aller oui ou non ?
Les heures matinales passèrent plus lentement que des années aux yeux d'Elharôn. Ces secrets enfermés entre le millier de page qu'il avait entre les mains lui donnaient des frissons. Alrys se délectait de la hâte de son frère, revoyant dans ses yeux celle qu'il avait eu neuf ans plus tôt. Malgré les paroles qu'elle avait adressées à son grand fils, Astra demeurait à nouveau inquiète à l'idée de laisser partir cette fois-ci ses trois fils. Enfin, l'heure de voyager arrivait. Pour plus de sécurité, ils enfilèrent des vêtements plus actuels que ses robes et pantalons bouffants qu'ils portaient en général pour éviter d'éveiller les doutes à leur sujet.
_Libégon, tu es de voyage aujourd'hui, tu vas devoir accompagner les trois frères Failghost en même temps !
Le dragon geignit entre joie et flegme. Vengle lui rendit un rire gras. Heureusement que le Pokémon était de plus grande taille que la moyenne des Libégon.
_Ils ne sont pas si lourds que ça, tu exagères ! Et puis tu verras, ils nous raconterons leur première journée ensemble.
Une fois au dos du grand Libégon, ils saluèrent leurs parents et s'envolèrent enfin pour les terres d'Hoenn. Jamais les yeux d'Elharôn n'avaient autant brillé qu'au moment où ses pieds se posèrent sur le sol de la région dont il avait tant rêvé. Pour sa première journée, ils lui firent découvrir les plus grandes villes comme Nénucrique, Poivressel ou encore Atalanopolis.
Défié par un dresseur, il reçut d'Elghat un regard noir, mais il exultait depuis déjà des heures. Insensible aux avertissements de son frère, il releva le défi du jeune homme qui l'avait provoqué et anéantit son équipe rien qu'avec Losba qui, satisfait de ses performances, le laissa pantois. Elghat vit rouge.
_Tu es complètement dingue ! T-Tu...
_Du calme, ce n'était qu'un jeune garçon, et puis je n'allais pas l'attaquer avec mon grimoire et mes capacités. Non, je n'entrerais jamais en symbiose avec Losba lors d'un combat Pokémon dans les Basses-Terres, ne te fait pas de soucis !
Un homme passait par-là, prêt du Parc Safari et avait tout entendu. Il ne décrocha pas son regard des trois garçons, et les deux prirent peur en analysant la situation. Alrys se mit à rire à gorge déployée.
_Nous ne faisons que répéter ! Nous... Devons prendre part à une représentation théâtrale mettant en scène des guerriers et des Pokémon... C'est tout.
Il continua à rire, de moins en moins convainquant, et le vieil homme parti avec son Snubull en lâchant un soupir bruyant.
_Vous songerez à être un peu plus discrets la prochaine fois.
_Oui, bon... Ça peut arriver de temps en temps de se faire remarquer, murmura Elghat. Ce n'est pas parce qu'un dresseur nous entend que nous serons envahis immédiatement.
_Je sais bien, c'est toi qui a tendance à t'inquiéter trop rapidement.
_Bien, bien... J'ai promis à mon ami Pierre que nous mangerions chez lui à la première occasion. De la viande et d'autres bonnes choses comme il les prépare si bien. Il était impatient de pouvoir te rencontrer, ça lui fera une bonne surprise.
_Et maintenant tu comptes me présenter à un dresseur ?
Le visage d'Elghat s'adoucit à la seule pensée de Pierre. Lui à qui il faisait tant confiance aurait pu lui faire cracher la vérité de nombreuses fois si son intégrité envers les secrets familiaux n'avait pas été plus forte que leur amitié.
_C'est un homme formidable qui en sait beaucoup sur les Basses-Terres, tu l'apprécieras autant que moi.
_Un homme... Un homme qui connaît bien les Basses-Terres ! C'est... Une aubaine !
Sans crier gare, il se rua sur Libégon en laissant à peine le temps à ses aînés de le rejoindre. Losba lui-même ne parvenait plus à le suivre.
Ils sillonnèrent alors le zéphyr estival du début de soirée pour enfin atteindre Algatia, où devait normalement se trouver Pierre. Elghat et Alrys traversèrent le sol trempé avant d'atteindre les escaliers et la terre ferme de la ville. Elharôn leur emboîta le pas, puis Elghat toqua avec ferveur sans recevoir de réponse.
_C'est bizarre, Pierre est toujours chez lui. J'espère qu'il ne lui est pas arrivé malheur.
_Jamais. Son Metalosse ne laisserait aucun malheur lui arriver. Tu connais bien Pierre et la prudence, il doit avoir une bonne raison d'être absent. Ne nous inquiétons pas, je pense qu'il serait mieux de rentrer chez nous pour l'instant.
Peu convaincu malgré tout, il se résigna et laissa ses frères partir devant, tandis qu'il observait la porte du domicile de son ami d'un air inquiet. La pluie tombait ce soir-là, occultant dans l'esprit d'Elghat l'heure exacte qu'il pouvait être.
_Tu viens, lui demanda Elharôn. Père et mère risquent de nous attendre, ils étaient déjà si inquiets à l'idée de nous laisser partir.
Sur le dos de Libégon, le voyage vers l'Île Mirage fût moins évident qu'à l'accoutumée. Une violente tempête faisait rage, menaçant tout Hoenn. La météo annonçait une alerte de la plus haute intensité, recommandant à tous les habitants de rester confortablement chez eux en attendant que le calme soit rétabli.
_Elle est assez violente, murmura Alrys en scrutant les cieux.
Il détourna le regard et vit alors Algatia s'éloigner progressivement, puis disparaître enfin de sa vision. L'Île, quant à elle, se profilait à l'horizon. Une intense lueur rouge scintillait au loin.
_Qu'est-ce que c'est que ça, s'enquit Elghat.
Libégon atterrit précautionneusement, et les trois frères le libérèrent de leur poids avant de se hâter au manoir. Le vent soufflait plus fort encore que dans les airs, et la pluie tombait à verse. Intrigué, il se précipita en haussant les sourcils. Soudain, Losba poussa un hurlement inquiétant. Elghat s'arrêta net.
_Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi Losba crie comme ça ?
_Saiko semble assez inquiet aussi de son côté... Tu crois que quelque chose ne va pas ? Regarde Heint.
Heint, le Cacturne d'Elghat, s'agitait dans tous les sens et lui tirait le bras dans l'espoir de l'arrêter. Submergé par la peur et l'inquiétude, il se libéra alors de son Pokémon et courut toujours plus vite vers le manoir. Au loin, ses deux frères le virent cesser sa course brusquement et s'agenouiller au sol, sans aucune expression.
Le manoir des Failghost était en proie à d'énormes gueules de feu, déchaînées. Les flammes dévoraient la grande maisonnée sans se laisser affaiblir par la pluie qui tombait. L'ouvrage d'Elharôn lui échappa des mains, préférant laisser le choc s'infiltrer entre ses doigts juvéniles. La demeure qui les avait vus grandir, progresser et apprendre de toutes choses mourrait sous leurs yeux. Une silhouette fit son apparition près de ce qu'Alrys reconnaissait comme la grande porte d'entrée. Vengle rampait avec le peu de force qu'il lui restait, presque entièrement brûlé. Il sembla à Elghat pareil à un grain d'espoir dans un océan dramatique ; Il alla à sa rencontre si vite qu'il eut l'impression d'être transporté par un vent puissant. Leur père agonisait.
_S'il vous plaît... Mes fils. Ne restez pas... ici.
_Père, qui... Qui vous a fait ça, demanda Alrys.
Ses mains étaient moites d'horreur et d'incompréhension.
_I-Ils sont... Là...
Avant de rendre l'âme dans d'atroces souffrances, Vengle pointa du doigt l'ouvrage qu'il avait offert à Elharôn. Ce dernier n'en croyait pas ses yeux, les larmes amères se perdaient sur ses joues en infiltrant sa bouche et coulant sur son menton. Elghat voulut hurler mais il se ravisa. Qui avait bien pu commettre un tel acte, qui avait bien pu les trouver ici ? Eux qui étaient si bien cachés... La tristesse et la rage grimpèrent dans ses entrailles comme des monstres avant de lui serrer la gorge avec une force reptilienne, mais Alrys le tira par le bras.
_Elghat, nous ne pouvons pas rester ici.
_Alors où pourrons-nous rester ?
Sa main pressait violemment le bras de son frère, lui transmettant tout l'amour fraternel et l'inquiétude qu'il dégageait ; le regard d'Alrys était gorgé de terreur. Les trois Pokémon leur firent signe de revenir vers Libégon au plus vite.
_Losba dit que nous verrons plus tard. Pour l'instant...
Les sanglots étouffaient ses mots.
_Pour l'instant nous devrions juste nous échapper d'ici.
Tandis qu'un éclair frappait le sol avec véhémence, ils remontèrent au dos de Libégon pour s'envoler dans une direction inconnue, prêts à affronter les caprices du climat.