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Le Petit Spleen de Domino



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Informations

» Auteur : Domino - Voir le profil
» Créé le 08/11/2014 à 12:46
» Dernière mise à jour le 12/11/2014 à 19:51

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4 - La fin
Il avait bien fallu s'adapter. De toute évidence, l'orage était parti pour durer, et il n'y avait aucun moyen de changer quelque chose à la situation. Les Spinda s'étaient réfugiés sous des feuilles, des protubérances rocheuses, des arbres, des cavernes – quand celles-ci n'étaient pas squattées par les Limagma – et parfois même dans des tunnels. Certains s'effondraient sur eux-mêmes du fait de l'humidité croissante, provoquant l'émergence étrange de Spinda couverts de sable humide, tout piteux, qui devaient trouver un autre refuge pour échapper à cette pluie diluvienne.

Le changement climatique avait tout affecté. Les Sabelette s'étaient enterrés très profondément pour éviter le déluge, bien plus prolixes que les Spinda en la matière. Certains Limagma s'étaient littéralement mis en hibernation, se pétrifiant comme pour attendre que l'orage passe, mais il semblait évident que l'orage ne passait pas. Les Airmure ne descendaient plus, et les Spinda ne pouvaient pas vraiment vérifier, mais apparemment ils avaient carrément disparu de la circulation. Comme les proies potentielles se cachaient à présent, ils s'étaient probablement déplacés pour trouver leur nourriture ailleurs.

Petit Spin ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, un peu comme tout le monde en fait. Cela n'avait aucun sens. Il n'était pas censé pleuvoir ici. C'était impossible. Le nuage de cendres du Mont Chimnée perturbait le climat au point de le rendre éminemment sec ici, et cette pluie mettait à mal l'équilibre fragile de l'écosystème. Des flaques de plus en plus importantes se formaient et la terre sablonneuse ressemblait peu à peu à de la vase. La faune elle-même changeait, et des Barloche commençaient à proliférer. Ils n'étaient pas méchants, juste un peu envahissants. Ils occupaient la route et y semblaient plutôt à l'aise. Alors qu'auparavant c'était une étendue sèche couverte de cendre et de poussière. A n'y rien comprendre, décidément...

Les jours passaient et la situation ne changeait pas d'un iota. La même pluie, la même intensité, la même lumière nouvelle avec la disparition du nuage de cendres. La route semblait nimbée de lumière et le ciel était blanc avec des nuances de gris. Les Spinda qui avaient choisi de rester sur la route plutôt que de s'enfoncer dans la forêt se nourrissaient de mousse voire d'herbe humide, un régime alimentaire pour le moins frugal et peu nutritif. Petit Spin sentit sa curiosité naturelle, toute dangereuse qu'elle était, se réveiller. Il devait en avoir le cœur net. Que se passait-il ? Il devait partir à son tour. Il n'était plus si petit à présent, c'était presque un adulte, il pouvait faire ce qui lui plaisait.

Quand il s'éloigna de la petite grotte où il se terrait avec ses congénères, ceux-ci ne le retinrent pas, ne cherchèrent pas à le protéger de lui-même. Comme si l'instinct grégaire s'érodait avec la pluie, comme la roche du Mont Chimnée depuis quelques temps. La pluie était lourde. Petit Spin la sentait tonner sur lui, sa courte et fine fourrure s'humidifiait et s'alourdissait. Quand il s'y habitua, à force de marcher dans la gadoue encombrante, il se retourna vers ses frères qui l'observaient, tous piteux qu'ils étaient, depuis la petite caverne sous l'avancée rocheuse. Petit Spin ressentit une étrange peine, son cœur se serra, comme si c'était la toute dernière fois qu'il les voyait, comme s'ils allaient progressivement tous se dissiper, à mesure qu'il avançait, dans l'horizon beige et terne des poussières désormais détrempées de la route 113.

Petit Spin marchait vers Autéquia, la ville voisine. Il éprouvait grand peine à avancer, la boue sablonneuse n'aidait assurément pas, les Barloche circulaient en l'ignorant, rampant sans gêne dans l'argile, et presque inconsciemment il couinait sous l'effort. Chacun de ses pas lui arrachaient un gémissement d'effort. Il approchait de la ville, et le spectacle fut bien assez affligeant pour glacer les os de Petit Spin plus encore que la pluie n'était capable de le faire. Il ne pouvait tout simplement pas s'en approcher. La ville était inondée. Une immense mare remplaçait à présent les champs où jadis les Pokémon sauvages venaient chiper des tubercules à déguster, sous un soleil battant, dans la bonne humeur ambiante d'un bon vieux chapardage. Les maisons étaient toutes abandonnées. La joyeuse bâtisse des concours était un terne cirque délaissé. Le centre Pokémon était dans un état de délabrement sinistre. Les maisons de bois étaient fantomatiques. Un paysage de fin du monde. Petit Spin ne savait trop quoi en penser. La pluie assourdissante l'empêchait de réfléchir correctement. Un Goélise était posé sur une des maisonnettes. Il regardait le petit Spinda avec des yeux pleins d'indifférence. Petit Spin l'observa, médusé et pétri d'incompréhension face à l'ampleur de la situation. La créature poussa un grand cri, un long hurlement profond qui transperça l'espace et les crépitements de l'averse pesante. Il s'envola avec suffisance. C'est son territoire à présent, plus le mien, ainsi le perçut Petit Spin.

Que faire ?

Partir ? Rester ? Pourquoi ? Où vivre ? Franchir la forêt ? Vivre dans la forêt ? Tenter d'échapper à la pluie éternelle en fuyant ? Où donc ?

Dans cet apparent désespoir, l'esprit simpliste de Petit Spin fit des pirouettes. Son instinct lui dicta de se rapprocher du Mont Chimnée. Il retourna sur la route 113. Il n'y avait plus aucun Spinda aux alentours. De petits tourbillons étaient formés dans le filet d'eau qui couvrait à présent le sol boueux. Petit Spin eut un frisson, c'était un tunnel de Sabelette, à n'en pas douter. Il passa son chemin et prêta une grande attention à l'endroit où se posait chacun de ses pieds. Sa démarche habituellement maladroite et folle était à présent rigide, ce qui lui donnait, en tant que Spinda, une allure assez ridicule.

Le pan de montagne qu'il avait escaladé auparavant pour suivre les Limagma lui apparut. L'absence de vie commune sur la route le terrifiait. Les Barloche l'observaient avec leurs yeux minuscules de poisson-boue, barbotant comme si l'endroit leur avait toujours appartenu. Un sentiment de solitude puissant s'appesantit sur Petit Spin. Il était seul, le seul, le dernier Spinda encore alerte sur cette route. Sur cette terre ? Non, impossible. Si on peut mourir, le monde peut mourir aussi ?

Ne pas y penser.

Grimper.

Les gémissements plaintifs de Petit Spin retentissaient dans toute la vallée. C'était l'escalade la plus difficile possible. Sous la pluie, sur la pierre polie, les pattes du Pokémon Panda-Tâche n'étaient pas faites pour une telle ascension, mais par une sorte de miracle, il réussit à se traîner, à se hisser même, en direction du sommet. L'appréhension s'engageait sur son corps tout entier à mesure qu'il grimpait. Une peur immense le consuma. Ce qu'il trouverait là-haut, jamais il ne s'en remettrait, jamais il n'en reviendrait. Il le sut à mi-chemin. Quoi qu'il y trouverait, ce serait sa dernière vision. Mais je dois savoir. Il le faut. Je ne peux pas ne pas savoir. C'est normal, non, de vouloir savoir ? Est-ce que je suis « normal » ? Je ne peux pas obstruer de fissure dans le volcan, comme les Limagma, je ne suis pas un humain, je ne sais pas si je veux rester sauvage ou être dressé par un humain, j'ai réchappé à un Airmure grâce à un humain. Je ne suis pas agressif, ni taquin, je ne cause pas de problèmes... c'est ça la normalité ? Vivre une petite vie sans incidents ? Ma curiosité a alimenté ma vie d'expériences et d'apprentissages nouveaux. Si je ne cherche pas, je ne SUIS pas.

C'est un Petit Spinda avide de comprendre son monde qui atteignit le sommet du monticule volcanique, le mont Chimnée. Qui à présent n'avait plus rien d'un volcan. La montagne était éventrée comme une dent cariée par l'eau de mer dont les vagues bouillonnaient. Une immense créature marine s'avançait progressivement dans la baie ainsi formée. Petit Spin n'en crut pas ses yeux en spirale. C'était un poisson mille fois trop grand pour être mangé. Il devait faire la taille d'un milliard de Spinda. Cette bouche, ces dents, ces nageoires gigantesques... Son entendement venait de voler en éclats. Sur l'étrange corniche où il était positionné, Petit Spin voyait ce qu'était Hoenn à présent : La mer. Rien que la mer. Sous une pluie battante. Traînée par un monstre. Une créature folle que rien n'arrêterait, qui sèmerait la dévastation sur son passage, de gré ou de force. Ce serait ainsi, et rien ne pourrait l'en empêcher. Les Goélise volaient dans la baie Chimnée, survolant la houle des vagues, attrapant des poissons dans leur bec. De menaçants Sharpedo suivaient le mouvement. Quelques Wailmer et Wailord constituaient l'armée éclectique et cauchemardesque de la légende. Une légende qui semblait hors du temps, ressurgie du passé, primale, furieuse, grondante, surréaliste. Même les Lovdisc sautillaient hors de l'eau, comme pour fêter une victoire sur le reste du monde. Petit Spin ne put s'empêcher de remarquer les corps, humains ou non, flottant dans l'océan exporté, signes que le cataclysme avait emporté plus que les terres, les roches, le monde. La vie terrestre avait subi le courroux impérieux de cette marche océanique. Qui effacerait tout et recommencerait tout sur son passage.

Et Petit Spin ne faisait pas partie de ce recommencement, il était ce qui devait être recommencé. Tout ce qu'il avait vécu jusqu'à maintenant allait être éradiqué par la liqueur salée de la toute-puissante fureur des forces de la nature. Lui, un Pokémon terrestre, n'était à présent qu'une impureté sur la face d'un monde en plein chamboulement.

Son dernier geste, son dernier effort désespéré, la dernière chose qu'il fit, lui, le petit Spinda sur le point de devenir un grand, fut de danser sur sa corniche en poussant un hululement sourd, une lente plainte, un horrible sanglot, comme pour tout faire cesser. Une dernière danse face à la mer, comme une tentative de tout stopper, sans vraiment imaginer que cela soit possible.

Le pas rythmé d'un simple Spinda face au déchaînement tonitruant des eaux. En préambule de l'effondrement de la vague qui mettrait fin à tout, Petit Spin fondit sous l'implacable frayeur provoquée par le cri strident du gigantesque Pokémon, annonçant, par ce glas lugubre, le début la fin des temps.