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Le Petit Spleen de Domino



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Informations

» Auteur : Domino - Voir le profil
» Créé le 08/11/2014 à 12:45
» Dernière mise à jour le 08/11/2014 à 12:45

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3 - Le combat
Il arrivait que les Spinda traînent un peu trop près d'Autéquia, la ville mitoyenne de la route 113. Cette ville fermière à l'apparence pittoresque était cependant l'une des plus grandes mannes agricoles de la région. C'était pour ainsi dire de là que venaient la grande majorité des récoltes de blé de Hoenn. La terre, entre poussière et humidité, était idéale pour faire tout pousser. Echappant à la fumée volcanique, le soleil se faisait plus intense. Les rares pluies, qui esquivaient presque systématiquement la route 113 en raison du nuage de cendres provoqué par le mont Chimnée, se faisaient ici ponctuelles, abondantes, nourricières de moissons fructueuses. Bien que d'apparence démunie et poussiéreuse, la ville subsistait très bien d'elle-même et se targuait entre autres d'accueillir une salle de concours qui recevait des dresseurs de tous horizons.

Lorsque les Spinda approchaient de la ville, cependant, c'étaient les pommes de terre qu'ils convoitaient. Poussant dans la cendre volcanique, les patates douces d'Autéquia était réputées comme délicieuses. Les Spinda ne s'y étaient pas trompés et venaient régulièrement en chiper aux pauvres agriculteurs imprudents qui laissaient leur champ sans surveillance. Petit Spin, ainsi que le reste de la congrégation, se prêtait volontiers à ces raids, quitte à se faire pourchasser par un fermier mécontent. C'était drôle au final et personne n'était jamais vraiment blessé ; les champs étaient tellement vastes qu'au final pour les agriculteurs, les pertes étaient minimes. Du moins, les Spinda en étaient persuadés, intimement. Petit Spin avait appris avec ses aînés comment utiliser ses pattes grossières et maladroites pour déterrer les victuailles. Il était devenu plutôt bon à ça d'ailleurs.

La vie en groupe avait de nombreux avantages. Petit Spin, comme tous les autres jeunots du groupe, était très entouré, nourri et protégé. Même s'il avait quelques corvées, comme celle de reproduire ce qu'on lui faisait sur d'autres membres de la communauté, par pur esprit de partage et de transmission des us, sa vie était pour le moins simple, et il avait beaucoup de temps pour se prélasser et manger en paix entre deux épouillages collectifs.

Petit Spin observait tous les aspects de la vie grégaire, excepté les aboutissants de cette étrange danse collective où se formaient des couples qui s'isolaient ensuite pendant une certaine période sans qu'il ne comprenne vraiment de quoi il en retournait. Toutefois sa curiosité naturelle et, il l'avait subi dans sa chair, dangereuse, était vite stoppée par les grands du groupe qui le tenaient à l'écart, lui et les autres curieux. Du coup à force de se faire repousser, il avait fini par ne plus y porter d'intérêt. Cela viendrait, comme le reste.

Des mois avaient passé depuis la venue du dresseur, mais Petit Spin restait pour ses congénères « Celui qui avait survécu aux Airmure ». D'ailleurs plus aucun Airmure n'avait daigné s'attaquer à lui depuis cette période. En fait, la seule chose étrange qui avait eu lieu depuis, c'était ces humains, vêtus majoritairement de bleu, qui avaient traversé la route. Petit Spin et un groupe de jeunes les avaient suivis par curiosité, et tout ce qu'ils avaient fait, c'était aller chercher ce scientifique chez lui pour lui réclamer… une pierre. Petit Spin et ses compagnons s'en étaient quelque peu étonnés : Les pierres, ça n'a aucun intérêt, si ?

Plus tard dans la journée, les Spinda s'étaient réunis sur un pan de montagne, chacun plus ou moins assis ou allongé, pour ce qui pouvait s'apparenter à une sieste. Tout le monde dormait, jouait ou mangeait tranquillement. Une joyeuse orgie de fainéantise, en somme, à laquelle Petit Spin prenait part sans honte la moindre, vu que tout le monde était de la partie et que personne ne faisait vraiment rien d'autre pendant ce temps – sauf certains petits qui se couraient après, mais Petit Spin avait passé l'âge. Tout était extraordinairement paisible pendant ces siestes collectives, et on entendait même les Limagma ramper.

Jusqu'à ce que n'éclate un petit conflit.

Un Spinda espiègle avait décidé d'embêter un Spinda revêche. L'exercice durait depuis quelques semaines déjà : L'espiègle taquinait le revêche, lui volait sa nourriture, se mettait en travers du chemin pour un oui pour un non, le poussait gentiment lors des déplacements de foule. Un comportement étrange qui relevait plus du jeu qu'autre chose. Seulement le revêche s'en offusquait réellement et violemment, allant même jusqu'à tenter de donner un bon gros coup de patte à son enquiquineur de service. Et l'espiègle de repartir, hilare, content de son effet. Une étrange danse qui dura un bon moment.

Aujourd'hui s'avéra être la fois de trop : L'espiègle, encore dans son délire innocent, s'amusait à donner des coups de fesse à sa cible privilégiée. Le revêche s'énerva brutalement ce qui provoqua le réveil de tous les autres. Ses couinements se firent plus vifs et violents, et son panel de mouvements communicatif devenait non seulement erratique mais en plus belliqueux. Un combat allait avoir lieu. Les deux Spinda se mirent à quatre pattes et se tournèrent autour. C'est une danse qui commença les hostilités. Les deux Pokémon dansaient l'un face à l'autre. Le revêche s'épuisa dans sa valse violente et guerrière. L'espiègle restait dans son rôle clownesque et se contenta d'une danse amusante et moqueuse. C'en fut trop, et l'hostile Spinda revêche fonça sur son camarade. Il le roua de coups, ce qui eut pour effet de déclencher la colère ennemie. Petit Spin ne pouvait qu'admettre qu'après une telle ruade, lui aussi se serait énervé. Peut-être pas autant en fait. Il ne savait pas aussi bien se battre.

L'espiègle frappa de vifs coups de poings, poings connus pour éventuellement rendre confus l'adversaire, une arme de défense typique des Spinda. Le revêche ne s'y laissa pas prendre, et il recommença ses offensives puissantes mais épuisantes, alors que l'espiègle était toujours en train de danser, et pour quelques coups violents que le revêche arrivait à porter, c'était une foultitude d'autres que l'espiègle arrivait à esquiver. Une bataille de deux conceptions du combat, en somme. Nouvelle distance, nouvelle danse, nouvelle jauge respective des deux opposants. Le revêche était fourbu, l'espiègle maintenait son sourire béat et idiot sur son visage. Petit Spin, tout comme les autres, n'était dans aucun camp. C'était juste une escarmouche entre deux confrères mal lunés comme il pouvait y en avoir régulièrement entre Pokémon sauvages. Pas question de souhaiter la victoire de l'un ou de l'autre, il s'agissait juste de faire en sorte que le conflit se règle rapidement pour que la communauté retrouve sa tranquillité. Les enjeux et la finalité n'étaient que broutilles pour ce groupe de Spinda sauvages.

Le revêche en eut assez. Assez de cette insistance de l'espiègle à le provoquer. Bien sûr, il ne veut que jouer. Bien sûr c'est pour de rire, il n'y a aucune méchanceté dans les actes du gentil amuseur public. Mais le revêche n'est pas d'humeur, ne l'est pas et ne le sera jamais. Alors il décide de cesser la danse, le flux rituel, habituel, convenu des évènements anatomiques sociaux entre Spinda convenables. Il s'avance vers son adversaire qui danse encore comme un benêt. Il lui attrape alors une oreille, un geste violent chez les Spinda.

Les oreilles des Spinda sont extrêmement sensibles. Elles tiennent lieu de capteurs sensitifs. Comme elles sont hautes et larges, elles sont de parfaits récepteurs, tant pour les sons que pour les changements de température, d'ambiance ou même pour sentir le danger. Elles remplacent à merveille le flair imprécis de ces créatures au pas erratique. En outre, leur oreille interne surdéveloppée leur est indispensable : Comment un animal qui bouge autant pourrait alors garder l'équilibre ? Ces organes hypersensibles sont cruciaux lors des jeux. Le fait de les mordiller, les tirer ou les caresser est une pratique susceptible de provoquer des réactions plus ou moins extrêmes, dans un sens comme dans l'autre. Soit c'est tout mignon tout câlin et c'est apprécié. Soit c'est agressif et dans ce cas, c'est la porte ouverte à la violence.

Empoigner l'oreille de l'espiègle était donc un geste grave, qui provoqua immédiatement des cris plus prononcés, et effaça définitivement le sourire du bouffon au profit d'une mine apeurée, craintive, prompte à la soumission et au regret. Le revêche traversa la foule en direction d'un rocher plat. Les Spinda qui se trouvaient devant s'écartèrent avec célérité, effrayés par la brutalité des évènements. Petit Spin observa, dans l'attente, comme tout un chacun, de ce qui allait arriver. La réponse ne traîna pas. Le revêche souleva l'espiègle par une oreille et l'abattit lourdement de tout son poids sur la pierre plate, provoquant un bruit sourd, résultat du choc de l'os du crâne contre la roche nue.

Petit Spin, comme les autres, avait tressailli sous la violence de la manœuvre. La face de l'espiègle resta figée contre le minéral, alors que le revêche partait, sa rage ayant été étanchée par cet âpre geste. L'espiègle se releva difficilement, passablement assommé, le nez et l'œil en sang. Les autres Spinda furent quelque peu apeurés par cette vision, mais ils l'ignorèrent vite. L'espiègle, dépité, s'éloigna volontairement de la communauté, humilié par ce coup, ce méchant coup, alors que lui, tout épris de gentillesse, ne voulait que s'amuser. Et on lui avait juste répondu par le rejet. Une différence de conception du monde qui les avait condamnés, tous deux, à s'opposer de toute façon, sans chance la moindre de concilier leurs différences et leurs différends, aussi futiles furent-ils.

La vie sauvage est ainsi. Petit Spin ne pouvait qu'en avoir conscience en voyant le pauvre hère s'éloigner des siens pour s'isoler, s'asseoir sur le bord extrême de l'excroissance rocheuse sur laquelle les Spinda s'étaient affalés, afin de se remettre du traumatisme. C'est le monde dans lequel il avait choisi de vivre. En essayant d'en repousser les limites toujours plus loin, il n'avait fait que provoquer sa propre déchéance et de fait, sa propre exclusion. En tentant une approche singulière envers un de ses frères, résolu à rester dans sa posture, il avait contrevenu à une sorte de loi sociale, disant qu'on ne peut pas aller contre la nature profonde de tout un chacun sans déclencher une réaction défensive radicale. Dont acte. Petit Spin se dit qu'il aurait très bien pu être à la place de l'un ou de l'autre, mais qu'aucun des deux Spinda n'aurait pu inverser sa place. Jamais le revêche n'aurait été aussi loin, et jamais l'espiègle n'aurait pu être aussi rude.

Petit Spin prenait de plus en plus conscience de la diversité du monde, du choc des caractères et de leur effet parfois dévastateur, ce qui le refit penser au dresseur et aux questionnements perturbants que sa venue avait provoqués chez le jeune Spinda. Où pouvait-il bien être ? Avait-il attrapé plus de Pokémon ? Reviendrait-il ? Petit Spin serait-il capturé cette fois ? Par lui ou par un autre, en fait ?

Tant que questions qui ne trouveraient leur réponse qu'avec le cours du temps et l'avancée du monde. Un monde qui se résumait pour Petit Spin à une route. Une vie qui correspondait à une lutte quotidienne pour manger, boire, vivre, faire ses besoins, ne pas se laisser manger, dormir. Et parfois se battre. Le jeune Spinda se demandait s'il aurait un jour à se battre, contre un de ses camarades ou contre un autre Pokémon. C'était plus que probable.

La vie reprit son cours après cet incident. Les semaines, les mois passèrent.

Et un jour, quelque chose tomba du ciel. Petit Spin l'avait vu. C'était tombé tout droit. C'était nouveau. Auparavant, on ne voyait pas ça ici. C'était comme un boulet qui avait heurté la terre dans un bruit sourd, mais il était tout petit et tout fin.

Lorsque Petit Spin s'approcha du point d'impact, tout ce qu'il vit fut une trace humide, sombre. Inhabituel. Complètement inhabituel.

Sur la route 113, couverte uniquement d'un nuage de cendres, pour la première fois depuis une éternité, il se mit à pleuvoir avec abondance…