La Ballade du Poisson-Rêve de PeterCynthia

On pourrait penser qu'après cette étrange découverte Thomas aurait fait comme si de rien n'était et aurait juste pris le thé avec Viola dans son étude avant de rejoindre sa fiancée. Le lendemain il l'aurait épousée et ils auraient vécu une magnifique histoire d'amour. Ils se seraient installés à Algatia, auraient acheté une petite maison avec jardin près de la plage et loin du centre spatial et leur vie se serait écoulée tranquillement et paisiblement loin de tous ces mystères, de ce « rêve » et de ces énigmes. Les années passeraient sans aucun événement fâcheux et les trois enfants de Marine et Thomas, deux garçons et une fille, quitteraient leurs parents pour Nénucrique, Poivressel ou Mérouville pour trouver du travail. Le couple aurait donc partagé ses dernières années sur les plages d'Algatia, au milieu de l'océan, entre les embruns et la brise. Marine serait morte de vieillesse et aurait laissé Thomas seul pour quelques années avant que celui-ci ne la rejoigne dans l'au-delà.

Hélas, le programme était bien différent. Cette vie idéale et sereine à laquelle les fiancés aspiraient n'allait jamais se réaliser. La réalité allait rapidement prendre ce droit et en employant des moyens beaucoup plus cruels.

*
Viola était une femme assez extravagante. Toujours accompagnée de son Noarfang, elle se présentait comme la gardienne du Savoir à Atalanopolis. Plus vulgairement, cela voulait dire qu'elle gérait la bibliothèque de la ville. Elle possédait chez elle aussi une collection de livres assez conséquente. Elle appelait la salle où elle entreposait tous ses ouvrages son « étude ». Si elle n'était pas à la bibliothèque municipale, elle était donc dans son étude à lire et à chercher à en savoir plus sur les temps anciens essentiellement. Elle sortait toujours très maquillée et en portant beaucoup de colliers et de bracelets qui cliquetaient bruyamment. Ainsi, on l'entendait quand elle approchait. Très appréciée dans la ville, Viola était la personne que les citoyens consultaient en cas de besoin.

Sa bibliothèque était une vaste salle au plafond bas et mal éclairée. Les étagères, qui occupaient toute la hauteur de la pièce, étaient pleines à craquées de vieux bouquins, de parchemins, de documents, etc. Viola avait installé un petit coin lecture au pied de la seule petite fenêtre. Celui-ci était composé de trois fauteuils bien rembourrés et très confortables, d'une table basse en verre et d'un grand bureau en bois et composé de multiples tiroirs. Des tapis multicolores recouvraient entièrement le sol, donnant ainsi à l'étude un côté chaleureux. Une odeur de musc et d'encens se propageait dans l'air.

Thomas ne savait toujours pas commun il avait atterri ici mais il était ravi de trouver Viola qui allait surement l'éclairer sur cette étrange stèle. La bibliothécaire était assise dans un de ses fauteuils et elle empoignait dans ses mains une tasse de thé fumant, comme si elle voulait se réchauffer. Elle regardait le dresseur d'une telle manière que cela le mettait mal à l'aise. Ses grosses lunettes renforçaient cette impression.

- Sais-tu pourquoi tu es là ? demanda Viola de sa voix grave.

- Non, je suis même un peu perdu…dans les deux sens du terme, répondit le jeune homme d'une voix rauque.

- Assis-toi ! J'ai beaucoup de choses à t'expliquer…hum…par où commencer…ah oui ! Qu'as-tu découvert dans la crypte ?

- La crypte ?! Donc vous connaissez son existence ? Vous savez surement ce qu'il y a d'écrit sur cette stèle alors ? Alors expliquez-moi ! Quelle est cette histoire de rêve ? D'illusion ? s'emporta le naufragé.

- Et bien, c'est quelque chose qui dépasse l'entendement. Toute la région d'Hoenn est une illusion, nous sommes que les pions du subconscient du Poisson-Rêve.

- Mais en quoi-est ce grave ?

- Accroches-toi bien, conseilla Viola en serrant les mains de Thomas dans les siennes, le problème provient de la nature du rêve…Nous ne sommes pas dans un sommeil tranquille et charmant mais dans un cauchemar ! En dehors de la ville, Hoenn disparaît peu à peu dans les ténèbres, dévorées par des esprits malveillants qui ne cherchent qu'à contrôler Kyogre. Le mal est sur nous.

Au moment où Viola parlait, un courant d'air violent traversa la salle. De nombreux papiers furent emportés par la bourrasque et de nombreuses bougies s'éteignirent. Thomas frissonna. La bibliothécaire soupira puis ralluma les chandelles en disant :

- Noarfang arrête avec ton attaque Vent Arrière ! Tu effraies notre invité !


Le Pokémon hiboux poussa un hululement de déception avant de rabaisser ses ailes et de stopper les bourrasques. Sa blague n'avait fait rire personne.

- Votre histoire ne tient pas debout ! Un cauchemar…ce ne sont que les hallucinations d'une vieille folle ! s'écria le naufragé désemparé.

- Je ferais comme si je n'avais rien entendu…Je vais te prouver la véracité de mes propos ! Tu veux un peu de thé ?

- Non merci…je n'aime pas ça !

- Mais si, mais si, ça me fait plaisir ! Et de toutes les manières je ne peux lire l'avenir que dans du thé !

- Et bien pourquoi ne le faites vous pas dans le votre ?

- Est-ce que je t'en pose des questions, petit importun ? Tu prendras du thé comme je te le propose !

Thomas se tut. C'était vraiment bizarre cette histoire. Il ne voulait pas y croire. C'était absurde, Hoenn qui se faisait progressivement happer par un cauchemar, ça n'avait pas de sens. Il resta tout de même à sa place pour ne pas vexer Viola mais à la moindre occasion il partirait. La bibliothécaire revint avec un gros bol de thé qu'elle tendit au jeune homme. Elle récita ses mots : « Thé ensorcelé, thé de la vérité…il nous faut l'avenir, montre-le NOUS ! » A ce moment précis elle jeta une poudre bleue dedans. Il y eu comme une petite explosion. Elle posa ses doigts sur le bol et regarda le liquide brûlant. Les minutes s'écoulèrent sans que rien ne se produise.

- Bon…et bien moi je vais y aller ! lâcha Thomas en se levant de sa chaise.

- Attends ! Il doit y avoir un problème de connexion. Avec ces nouveaux réseaux…les esprits n'arrivent plus à établir un lien sans fil. Je devrais mettre plus de poudre de baies Enigma. Je reviens…NE BOUGE PAS !

Quelques secondes plus tard, Viola réapparut avec un petit sachet emplit de poudre bleu. Elle força Thomas à s'assoir puis recommença le même manège que précédemment. Après avoir jeté la poussière de baies, le thé se mit à se troubler, comme si une brise venait le caresser. Le liquide ondula de plus en plus et puis d'un coup une image apparut. Thomas n'en revenait pas. Il y avait d'abord une image de Kyogre, puis de tout Hoenn et ensuite d'Atalanopolis qui semblait être aspirée dans un maelström de ténèbres, et enfin, tel un pâle rayon solaire dans la tempête, Marine apparut. Elle fredonnait un chant, une ballade, à la fois mystérieuse et entraînante, comme si toutes les mélodies de la mer se concentraient dans ce petit air. Ensuite l'eau reprit son apparence normale.

Le dresseur resta quelques instants immobile, figé par la terreur de cette vision apocalyptique. Des sueurs froides le parcouraient. Il avait à la fois l'impression de brûler et de geler. Il sentait la glaciale étreinte de la peur qui s'emparait de lui comme un Séviper qui étouffe sa proie. Il était fiévreux. Ce n'est que quelques instants après avoir retiré son regard du miroir de l'avenir que Thomas reprit son état normal. Viola avait donc raison. Il avait honte de s'être moqué d'elle, de lui avoir rit au nez, de l'avoir pris pour une vieille folle. L'avenir qu'il venait d'apercevoir lui avait glacé le sang. Il devait absolument faire quelque chose.

- Mais…Viola…qu'est ce qu'on peut faire pour arrêter ça ? demanda Thomas d'une voix toute tremblante.

- Le plus grave dans cette histoire…c'est que tu n'appartiens pas à ce monde. Tous les habitants du pays, Victoria, Marine et même moi, resteront dans le cauchemar…mais toi…tu disparaîtras. Tu erreras entre les mondes, dans les limbes. Tu seras comme la brume matinale qui se retire avant qu'on ait pu vraiment discerner le rêve de la réalité.

Thomas ne répondit pas. Il s'était attendu à cette réponse. Après tout cela semblait être normal et ça ne l'inquiétait pas tant que ça de disparaître dans les limbes. Ce qui le touchait plus, c'était l'idée de ne plus voir Marine et surtout de la laisser seule dans un enfer infini. Pourquoi ne pouvait-il pas simplement s'enfuir avec elle ? Loin de toute cette noirceur ? Cela semblait être la meilleure des solutions mais était-ce possible ? Et souhaitait-il vraiment fuir et se cacher toute sa vie ?

- Je ne peux pas emmener Marine avec moi dans les limbes ?
Viola lui lança un regard noir plein de colère.

- Que tu es égoïste ! Tu préfères fuir avec ta bien-aimée dans un monde difforme et laisser tous ces gens, éléments du subconscient de Kyogre, errer dans les ténèbres ?

- Mais si je réveil le Poisson-Rêve vous serez balayé comme feuille au vent !

- TAIS-TOI ! Sache que le rêve s'inspire d'éléments du réel, de choses que le rêveur a déjà vues. Ainsi toutes les personnes qui vivent dans cet Hoenn onirique existent dans le monde réel. Parfois sous une forme différente mais ils existent. Ne te laisse pas piéger par les rêves Thomas, reste dans la réalité.

Le naufragé se tut. Elle avait raison. La solution qu'il avait envisagée était lâche. Il devait réveiller le Poisson-Rêve même si cela devait impliquer la disparition de milliers de personnes.

- Je suis prêt à réveiller Kyogre ! Dis-moi ce qu'il faut faire !

- J'ai étudié la question…tu dois faire un rituel en quelques sortes. Tu auras besoin de l'objet qui calme Kyogre et qui plus est, est celui qui t'a amené ici. Je parle de l'orbe bleu qui est actuellement à sa place d'origine.

- Et où dois-je faire ce rituel ?

- Réfléchis un peu ! Dans la Grotte Origine bien évidemment, le sanctuaire de la Terre et de la Mer. Il faut que tu partes pour le Mont Mémoria sur le champ. On n'a pas de temps à perdre. Je t'ai déjà pris un billet de ferry. D'après mes visions, tout Hoenn aura sombré dans le cauchemar demain, après le coucher du soleil. Le temps presse.

- Je peux au moins prévenir Marine ? Lui dire que le mariage sera reporté ou…

- NON ! Pars tout de suite ! Je m'occupe du reste. As-tu Mangriff avec toi ?

Le jeune homme opina du chef. Il se saisit du billet de ferry que lui tendait Viola puis quitta la pièce pour se diriger vers le port.

*
Le vent se levait et des nuages d'orages envahissaient peu à peu le ciel. Marine était devant son miroir et essayait différente coiffures pour le lendemain, jour de son mariage. La matinée s'était déjà bien écoulée et elle allait bientôt déjeuner. Cependant l'absence de Thomas l'inquiétait. Cela faisait deux heures que sa mère l'avait envoyé cherché des baies Alga et il n'était toujours pas là. Elle avait demandé à son ami Sky d'aller le chercher mais il ne l'avait pas trouvé. C'était étrange. Il ne pouvait pas se permettre de disparaître la veille du mariage alors qu'il y avait tant de choses à préparer. Elle était à la fois en colère et anxieuse. Cette disparition ne présageait rien de bon. Marine attacha plusieurs fleurs blanches dans ses cheveux. La coiffure était parfaite et mettait très bien en valeur sa chevelure blonde et son visage. Elle était contente de ses essaies. Elle se regarda dans son miroir et sourit, elle était tellement heureuse de se marier. Elle aimait tant Thomas. Elle s'imaginait déjà vivre à Algatia, quitter cette ville fermée pour enfin voir l'horizon. Ils auraient des enfants et vivraient heureux. Elle réaliserait son rêve, reprendre l'arène d'Algatia. Marc, que sa mère connaissait, avait repéré ses talents de dresseuse et lui avait dit qu'il ferait tout pour plaider sa cause auprès du conseil des quatre pour sa postulation. Elle avait tellement hâte.

La jeune fiancée, en se regardant dans la glace, fredonna un air qu'elle connaissait très bien. C'était Victoria qui le lui avait appris, elle le tenait elle-même de sa mère. C'était une chanson apaisante et douce, aussi belle qu'une mer calme qui scintille sous le soleil de midi. Le chant s'intitulait la Ballade du Poisson-Rêve et prétendait apaiser les esprits tourmentés, mais ça, Marine n'y croyait pas trop.

Victoria entra dans la chambre, tirant ainsi sa fille de sa rêverie.

- Tu es ravissante ma chérie ! Tu vas être resplendissante demain !

- Merci maman ! Dis moi tu n'aurais pas vu Thomas ? Personne ne l'a vu depuis ce matin…c'est bizarre qu'il disparaisse comme ça, ce n'est pas dans ses habitudes.

- Ca se trouve il se pose des questions. Tu sais tu n'es pas obligée de te marier, tu peux attendre avant de faire ton choix, dit Victoria en embrassant sa fille dans la nuque.

- Maman ! On en a déjà parlé des dizaines de fois. Je sais que tu ne veux pas que je me marie, je sais que tu ne veux pas que j'épouse Thomas ! Mais tu veux que je te dise ? Je ne veux pas finir comme toi ! Ne pas avoir de mari a été la pire erreur que tu as faite dans ta vie, s'écria Marine en quittant brusquement la salle, furieuse que sa mère lui ait encore une fois conseillé implicitement d'annuler.

Victoria se retrouva seule dans la chambre, elle avait les larmes aux yeux. Elle avait peur que sa fille se trompe, elle devait se méfier des hommes. Ils avaient été tellement durs avec elle. Marine ne devait pas faire la même erreur. Elle devait discerner. En plus de ça Victoria considérait que sa fille était la meilleure chose qu'elle n'ait jamais eue. La mère s'essuya les yeux et hoqueta légèrement. Elle avait peur de perdre Marine qui était presque le centre de sa vie.