077 - La fin de l'été (Seconde partie)
« Vous arriverez au point où vous comprendrez que ça y est, que ce qui reste à écrire de votre vie est sacrément moindre que ce qui a déjà été écrit et que ces pages n'ont rien mais alors rien d'emballant.
Tantôt elles sont trop tristes et vous auriez voulu qu'elles soient plus gaies, tantôt elles sont trop gaies et vous auriez préféré plus de tristesse.
Et donc vous réécrivez, voilà.
On fait tous ça. »
(Shalom Auslander – L'espoir, cette tragédie)
« Qui te célèbre ? C'est ainsi… »
(Alizée, Tempête)
- On veut juste savoir ce qui ne va pas… marmonna Walter.
- Ca fait une semaine… souffla Naomi.
- On est un peu inquiets, il n'a pas donné de nouvelles… admit Perrine.
- On peut comprendre qu'il n'aille pas bien, mais si au moins on pouvait savoir… souffla Robbie.
Margaret Gribble était étonnée. Bien sûr, elle avait vu ces enfants précédemment, mais de les voir tous devant chez elle pour s'enquérir de son fils, c'était quelque chose.
- Disons qu'il va bien mais qu'il lui est arrivé quelque chose de grave, je ne peux pas trop vous dire quoi, ce sera à lui de le faire…
- Madame Gribble, ces enfants sont assez grands pour comprendre, vous savez…
Margaret regarda Helen Clover qui se mordillait les lèvres.
- Certes, mais… c'est à Wallace de décider s'il veut vous dire ou non.
Tristan grimaçait, observant la palissade du jardin des Gribble qui donnait sur la baie vitrée de Wallace. « Si au moins je pouvais le voir… »
- On ne peut même pas le voir ? demanda Fey.
- Non, désolée, jeune fille.
- Vous lui direz qu'on est passés… marmonna Mike.
- Dites-lui qu'on espère que ça va aller ! lança Rebecca.
Santana se contentait d'observer, un peu embarrassée.
- M-Merci, c'est très gentil à vous… Je lui transmettrai, promis.
- Bonne fin de journée, madame… marmonna Robbie.
Les autres se contentèrent de discrets au-revoir tandis que la discrète Margaret se contenta d'un salut de la main.
En passant devant la palissade, Tristan essaya de faire pivoter la planche cassée. Rebecca le stoppa net.
- Ca va pas ?
- J… Je voulais juste voir si on pouvait…
- Il s'agissait de voir Wallace avec l'autorisation de ses parents, pas de s'introduire pour le voir en douce !
- Ca va, c'est bon… soupira Tristan. Je me fais du souci !
- Je sais bien mais ça ne t'empêche pas de te retenir d'agir comme un pervers ! grommela Rebecca.
Tristan fit de gros yeux.
- J'agis pas comme un pervers !!
- « Bonjour je suis Tristan Edison, mes passe-temps favoris sont l'informatique, être homosexuel et accessoirement m'introduire par effraction chez les gens parce que je suis inquiet pour eux !
Tristan grimaça. Rebecca soupira. Mike haussa les sourcils.
- Si ça se trouve il a juste une gastro…
- Nan, c'est plus grave, s'il était malade, il serait venu lui-même… souffla Tristan.
- Tu sauras quand il reviendra en cours ! soupira Rebecca.
Tristan hocha la tête.
***
- Ils étaient tellement gentils, ça m'a fait mal au cœur de les congédier… soupira Margaret.
Carl soupira.
- T'allais faire quoi, les inviter à prendre le thé et les petits gâteaux ?
- Non, bien sûr que non…
- Tu peux pas faire autrement…
Margaret semblait épuisée. Cela faisait une semaine qu'elle veillait sur Wallace avec bien peu de résultats. Elle prit un plateau et y déposa plusieurs choses : Nourriture, sachet de thé, magazine people, mouchoirs en papier, chips, houmous.
- Tu continues à faire ça ?! Maggie !
- Il faut bien que je fasse quelque chose…
Margaret se dirigea vers la chambre de Wallace et toqua doucement. Lorsqu'elle entra, Wallace était toujours dans ses couvertures, enfoui. Comme un Couverdure.
- C'est moi, c'est moi… Je t'amène deux-trois petites choses… Tes amis et ton professeur sont venus pour voir comment tu allais… Je ne leur ai rien dit, bien sûr… Mais ils étaient vraiment inquiets, ils se demandaient quand tu reviendrais… Il y avait Perrine, Naomi et Walter, et ce garçon blond, Robbie je crois… Ainsi que ce jeune homme avec lequel tu t'étais battu contre le champion au tournoi, Thomas… Tristan, je crois…
Aucune réaction de Wallace.
- Ils se faisaient du souci, je crois…
Elle vit son précédent plateau qui avait été utilisé. Cela la rassura et l'encouragea d'autant plus à poser le suivant. La chambre sentait un peu le renfermé et « l'homme » comme on dit.
- Tu retourneras en cours quand tu seras prêt, mon poussin, hein…
- Hm.
C'était un « Hm » qui se voulait rassurant, qui voulait juste dire « Je suis en vie ».
- A plus tard…
Margaret sortit et retourna dans le salon. Carl la regarda.
- Tu as vu le courrier, récemment ?
- Oui…
- Wallace a été absent une semaine, tu dois faire un courrier qui justifie son absence, sous peine d'exclusion définitive…
Margaret inspira lourdement, les yeux clos. Carl souffla.
- Qu'est-ce qu'on va faire ?
- Je ne sais pas, Carl. Je ne sais pas et je ne veux même pas…
Margaret agita les mains, erratique et saccadée. Carl se leva.
- Tu es en train de te faire du mal…
- Mais et lui ?! C'est mon bébé et je ne sais même pas quoi faire pour l'aider, il est profondément malheureux, la dernière fois qu'il a été dans cet état-là, c'était de ma faute, et là…
Carl soupira.
- Je t'avoue que je ne sais absolument pas quoi faire, du coup… du coup j'fais rien parce que je sais que je vais merder.
- Et moi j'en fais trop, je devrais… le pousser hors de son lit, lui dire que la vie continue mais je ne peux pas, Carl, c'est mon bébé ! Il a dix-huit ans mais c'est mon bébé !
Carl serra sa femme dans ses bras. Margaret ferma les yeux et s'y abandonna un instant. Le temps de pleurer un peu, de relâcher la pression.
***
- On va pouvoir commencer le cours… Gribble est toujours absent…
Naomi plissa les yeux, inquiète. Perrine soupira. Walter serra les dents.
- Bon… Alors pour la démo du jour, je veux…
Le proviseur entra dans la salle sans vraiment frapper.
- Pardonnez-moi, madame Barnes…
- Euuuuh ouais, bonjour à vous aussi… souffla la prof.
Helen, Sandrine, Vivienne, Odile, Ambrose, Gilbert, Gregory, Mounia et Jacob entrèrent à la suite du proviseur.
- Oh bah j'vous en prie, mettez la table et prenez le thé…
- On a juste été convoqués… marmonna Helen.
- Ouais, on n'a pas très bien compris non plus… souffla Sandrine.
Les élèves se regardèrent, intrigués.
- Les enfants, madame Barnes, messieurs-dames… J'ai une bien triste nouvelle à vous annoncer…
Rebecca grimaça. Tristan haussa les sourcils. Fey se redressa.
- Euh… Je ne sais pas trop comment formuler ça… La raison pour laquelle votre camarade Wallace Gribble est absent aujourd'hui, c'est que… Son Pokémon Académique, Manternel, est décédé le jour de la rentrée.
Ahanement de choc dans la classe. Clive sembla stupéfait. Andréa questionnait « Quoi ?!! », prise au dépourvu. Gina et Holly se regardèrent, éberluées. Lilian et Léon serrèrent les dents, attristés. Perrine se couvrit la bouche. Naomi secoua la tête, au bord des larmes. Walter se mordilla les lèvres, se doutant de cette issue. Robbie leva la tête, consterné. Tino sembla troublé. Christina s'était couvert la bouche des deux mains. Orson avait des frissons, terrifié par l'ampleur de la nouvelle, et Benjamin n'était pas loin du même état.
Francis se contenta de baisser la tête. Quinn était choquée. Lucy regardait le proviseur, dans l'espoir de plus de précisions. Fey commençait à pleurer. Amélia resta impassible. Violette se mordilla les lèvres, choquée. Rebecca secoua la tête, triste. Santana ferma douloureusement les yeux. Mike, James et Steven se regardèrent avec gravité. Ana visualisait la chose et cela la faisait frémir.
Helen était pétrifiée et choquée. Blandine s'était stoppée net. Sandrine s'était recroquevillée, gênée. Vivienne Marx serra les dents.
- Je ne vous dis pas ça par impudeur, seulement parce que… C'est le protocole, afin d'éviter toute situation équivoque ou toute gaffe, l'école est tenue d'informer le personnel et les élèves afin de faciliter un éventuel retour de l'élève en classe. La mère de Wallace explique aussi qu'elle remercie les élèves qui sont venus mais qu'ils ne peuvent rien faire de plus, que Wallace fait son possible pour « Remonter la pente » selon ses termes. Voilà, je vous souhaite une bonne journée malgré tout ça…
Aloysius Grant quitta la pièce, suivi par une partie des professeurs. Helen regarda les élèves et Blandine, complètement défaite.
- Euh… pas de démo, aujourd'hui…
Fey avait carrément fondu en larmes. Ana s'efforçait de la rassurer. Bien que loin d'elle, James se tourna quand même dans sa direction. Naomi l'avait suivie et se faisait rassurer par Perrine et Robbie, tandis qu'Helen s'était assise sur le bord du terrain, et Christina pleurait silencieusement.
- Oh bordel…
Tristan se contenta d'écraser une larme. Tino souffla en s'asseyant au fond de son siège. La plupart des élèves étaient sonnés, en fait. Blandine soupira et s'assit.
- Ok euh… On fait une grosse pause ! La vache…
***
Lindsay rentrait de la fac pour trouver ses parents assis à la table, sa mère travaillant et son père lisant le journal avec une bière.
« Paye ton ambiance… vivement que j'aie ma chambre étudiante… »
- Il est toujours pas sorti ? demanda-t-elle.
- Non… souffla Margaret.
- Nan.
- Bah la vache… Et… Et si il sortait jamais ?
Margaret souffla.
- Il va sortir, laisse-lui un peu de temps…
- Ca va, la fac ?
Lindsay inspira.
- Moui… M'enfin, je préfèrerais que Wallace soit là à me dire un truc du genre « Ça va, tu te sens pas de trop là-bas… »
Margaret plissa les yeux. Carl souffla.
- Ouais, ça me manque, je sais, c'est idiot…
Lindsay se dirigea vers sa chambre et passa vers celle de son frère où elle donna un grand coup.
- SORS DE LA UN PEU !!
Puis elle alla dans sa chambre tandis que le silence des parents se faisait pesant.
- C'est quand, l'enterrement, déjà ? souffla Carl.
- D'ici une semaine, souffla péniblement Margaret.
- Il le sait ?
- Oui il le sait. Du moins je l'ai dit quand il était là… Maintenant…
Margaret souffla et se rendit dans le jardin par la porte et non par la baie vitrée de Wallace. Chartor somnolait dans l'herbe sèche. Pandespiègle creusait dans un monticule de terre. Tiplouf restait assis dans le bassin, et Canarticho faisait des aller-retours sur la palissade.
Margaret soupira et entreprit de les nourrir.
***
Rebecca s'était réfugiée dans les jardins de l'école. Elle brossait Grahyena, sous les yeux de Nymphali, Déflaisan et Roserade. Mike arriva prudemment et s'assit sur un banc, non loin. Rebecca l'aperçut mais ne dit rien.
- Et voilà, Goldie, toute belle…
- Quinn m'a dit que tu serais là.
Rebecca inspira et se chargea de lisser les rubans de Nymphali qui en fut toute contente.
- Tout va bien, Reb ?
- Wanda va être toute belle aussi, y'a pas de raisons…
- Rebecca…
La rousse aux cheveux lisses soupira et regarda Mike.
- Dis-moi que tu fais la même chose, s'il te plait. Dis-moi que tu les sors tous en même temps, au moins une fois par jour, pour les faire manger, et dis-moi que tu n'y penses pas. Que tu ne te dis pas « Et si l'un d'eux meurt ? »
Rebecca soupira en regardant ses Pokémon.
- On passe tellement de temps à les… A les dresser, à s'occuper d'eux, à faire en sorte qu'ils soient bien, qu'ils soient forts, qu'ils aient une belle apparence… On passe du temps avec eux, avec ces créatures fabuleuses, on se dit qu'elles dureront éternellement, on dit que la plupart nous survivent, même… Et… Et au final, non, ils sont mortels, aussi mortels que toi et moi ! Camélia s'est déjà pris des Lance-Flammes dans la figure, mais elle vit toujours. Patricia s'est déjà pris des attaques Tonnerre mais elle est là, elle me regarde ! Goldie… Wanda… Un jour ils vont peut-être me quitter aussi… Alors il faut… Il faut que je les voie en chair et en os, que je les cajole encore plus qu'avant… Et encore, moi je fais ça, mais Wallace, dans quel état il doit être… C'est comme si on lui avait arraché un membre ! Enfin moi ça me ferait ça… Je suis égoïste de ramener ça à moi, hein ?
Mike inspira.
- Tu ramènes pas ça à toi, tu réagis à ta façon… Tu as peur, je pense.
Rebecca se mordilla les lèvres, les yeux perdus.
- Oui mais là au moins je ne fais de mal à personne, hein ? Hein ?
Mike inspira lourdement.
***
[J'espère que tu vas bien… On se fait tous beaucoup de souci pour toi… Donne-moi de tes nouvelles, s'il te plait. Courage.]
Tristan regarda son SMS et l'effaça. « Tu es pathétique, Tristan Edison… C'est pas le moment, tu vas juste l'énerver… »
Dans la médiathèque, Tino s'était réfugié dans les études, son Prismillon sur la tête. Orson était mal à l'aise. Benjamin quant à lui, s'était réfugié dans ce qui était censé l'aider dans ces cas-là, et il compulsait sa Bible tout en chuchotant des prières.
Walter cherchait à calmer Christina qui s'était éloignée de Tino et sa bande.
- Je peux pas m'empêcher de penser à mon Zéblitz… De me dire que ça peut arriver à n'importe qui, n'importe quand… A moi, à nous tous…
Walter soupira.
- Et ce pauvre Wallace… D'accord, il est un peu rude, mais bon sang, il ne méritait pas ça !
- C'est certain… assura Walter.
- Personne ne mérite ça, d'ailleurs… Même un sale con comme Steven ne mérite pas ça, même ces abrutis de Méanville de l'an dernier, même cette horrible femme avec son Gardevoir Noir… personne !
Walter hocha la tête.
- … pourquoi tu n'es pas avec Naomi ?
- Elle… peut gérer ça toute seule, et disons qu'on a eu un petit différend pendant les vacances, du coup ce serait indélicat de ma part de profiter de ça pour me rapprocher d'elle.
Christina haussa les sourcils.
- Je pourrais te poser la même question pour Tino…
- Oh, rien, figure-toi que monsieur m'a colossalement ignorée pendant deux mois, rien que ça !
Walter agita la tête.
- C'est pas inhabituel de sa part, je pense…
- Oui mais ce petit jeu m'énerve alors j'ai décidé d'arrêter les frais.
Walter hocha la tête.
- Tant que c'est bon pour toi…
- C'est triste que toi et Naomi soyez en froid…
- C'est comme ça, on n'y peut rien… enfin je n'y peux rien, pour le moment, c'est sûr…
Naomi était en pleine déprime face à Robbie qui lisait un magazine pour se distraire.
- Ça te fait quel effet ?
Robbie releva la tête. Naomi était affalée sur la table.
- … je… pense qu'il vaut mieux attendre le retour de Wallace, de voir comment il a géré ça, et éventuellement si besoin est, de l'aider à gérer.
Naomi acquiesça.
- Moi ça me terrifie. Son Manternel est mort… Son Manternel n'existe plus, c'est… C'est fini. Un Pokémon qu'on a tous vu se battre, vu se battre bien, en plus… Eh bah il est mort. Voilà où on en est, voilà comment on commence l'année : Avec un Pokémon mort. Quel superbe augure…
Robbie inspira.
- Tu es d'une humeur magnifique…
- N'est-ce pas…
Clive, plus loin, semblait également confus.
- Je passe mon temps à tourner la mort en dérision, à trouver ça cool, et voilà que ça arrive à quelqu'un que je fréquente tous les jours et… J'ai honte !
Andréa haussa les sourcils.
- Tu n'as pas à avoir honte…
- J'me dis que j'avais tort de me moquer de la mort comme ça, c'est un truc horrible, ça efface des gens de la terre, et des Pokémon aussi !
- Oui mais quand bien même tu te ris de la mort, tu la trouves terrible quand elle frappe, tu ne dénies pas son poids dans nos existences, tu essaies juste de rendre ce poids moins pénible, par l'humour. Moi je me dis que le Manternel de Wallace est en chacun de nous, maintenant, nous n'aurons que le souvenir de ses batailles passées, mais ce sera déjà beaucoup pour le faire vivre dans nos consciences !
Clive souffla.
- Auparavant, je t'aurais dit que ce charabia, c'est des conneries…
- Je me le serais dit aussi, sauf que là, maintenant, ça prend du sens.
Violette, non loin, écoutait à moitié leur conversation, qui néanmoins lui paraissait pour le moins sensée. Amélia, en face, lisait un livre.
- Ca va, Amélia ? demanda Violette.
- Hm.
- Tu es triste aussi ?
Amélia haussa les épaules.
- Ce n'était pas mon Pokémon. Donc, non, je crois.
Violette haussa les sourcils, intriguée.
- Pourquoi tu n'es pas avec Santana depuis le début de l'année ?
- On… Disons qu'on s'est rendues compte que ça ne pouvait plus fonctionner de cette façon entre nous. On ne pouvait plus rester collées en permanence.
Amélia regardait Violette fixement, puis elle retourna à son livre sans un mot. Violette grimaça, perturbée par ce comportement.
- Alors tu savais…
Denis, à son comptoir de la médiathèque, hocha la tête alors que Perrine l'aidait à classer les dossiers d'emprunts des élèves.
- Ton père travaille dans l'hôpital où ils sont allés… Il n'a pas osé s'impliquer directement et il a préféré ne rien te dire. Ca explique son humeur maussade de ces derniers temps.
Perrine acquiesça.
- Je trouvais également surprenant d'être la plus enjouée de la maison. Après Firmin, bien sûr.
Denis sourit.
- Il en avait gros sur le cœur, j'ai dû prendre un peu sur moi pour le rassurer…
- Prendre un peu sur toi ?
Denis soupira.
- C'est ma dernière année ici, après cinq années de bons et loyaux services, mon contrat ne sera pas reconduit…
- Ouch…
- Hm. Tu me diras, c'est l'occasion d'évoluer vers autre chose. Je vais postuler dans les librairies, les grands magasins, les centres culturels…
Denis semblait plutôt incertain. Perrine carrément inquiète.
- Oh non mais ne t'en fais pas, au pire je serais père au foyer !
- … et l'argent ?
- Ton père n'aura qu'à accepter toutes les promotions qui lui pendent au nez !
Perrine sourit. Denis regarda sa fille.
- Pas trop triste pour Wallace ?
- … ça aiderait vraiment Wallace que je sois triste pour lui ?
Denis agita la tête.
***
La porte s'ouvrit. Un jeune homme en pyjama en sortit. Même pas un kimono, un vulgaire short et un marcel. Pathétique. Cheveux ébouriffés. Poches sous les yeux rouges et bouffis. Il arriva dans le salon. Margaret se releva, soulagée.
- Wallace !
- Où est mon alcool ?
Margaret regarda Carl, surpris.
- Euh… je…
- Maman, où est mon alcool ! J'ai besoin de boire !
- … M… Non, tu n'as pas besoin.
Wallace regarda sa mère, mauvais.
- Tu préfères que je sorte, c'est ça ? Tu veux que j'aille me saouler ailleurs, c'est ça ?
- Wallace, mon bébé, voyons…
- Je suis pas un bébé, maman, j'ai besoin de… d… D'oublier toute cette merde ! Ok ? J'en ai ras le bol de… de pleurer, de gamberger, de ressasser tout ça…
- Quand on est revenus et que tu as voulu passer la nuit à l'hôpital pour dire au revoir au corps avant les préparations, j'ai préféré vider ta chambre.
Wallace grommela.
- Y'en avait pour six mille Pokédollars de bibine…
- Je ne voulais pas que tu te saoules ! geignit Margaret.
- Merci, maman, c'est génial. Comme ça je vais être bien à vif pour supporter le deuil de mon Pokémon ! Papa, t'as de la bière ?
Carl regarda son fils.
- Hein ? S'teuplait, papa !
- J'ai de la bière en effet.
- Cool.
- CARL !
- C'est notre fils, chérie, il demande, je lui réponds.
Carl se leva et se dirigea vers le frigo. Wallace sourit en regardant son père…
… qui empoigna une par une les bouteilles et les cassa par terre.
- … CARL ???
- PAPA PUTAIN !
Carl s'attela soigneusement à sa tâche. Margaret était éberluée. Lindsay arriva avec Ptiravi dans ses bras.
- Putain, ça y est, ils deviennent tous dingues… soupira la blonde en repartant dans sa chambre.
Une fois les six bières du pack tout neuf de Carl furent explosées, le père marcha dans les débris, ses chaussures craquant sur le verre, et il approcha de son fils, médusé.
- Tu veux souffrir ? Souffre. Tu veux t'enfuir ? Pars !
- Carl !!
- Ca va rien changer. Tu peux t'enfiler autant de trucs que tu veux, de l'alcool, de la drogue, des bites, même…
- CARL !!!!
Wallace regarda son père, stupéfait. Carl inspira.
- Ca changera rien, ok ? Ton Pokémon sera toujours MORT.
Wallace frémit, la tête basse, vaincu.
- Ton Pokémon est MORT, Wallace. Ok ? C'est une réalité. Tu vis dans la réalité, d'accord ? Pas dans ton petit rêve de poivrot. Pas dans une euphorie quelconque. Pas dans tes aventures sexuelles. La REALITE, gamin. Retourne dans ta chambre. Regarde des DVD. On ira avec toi à ce foutu enterrement, et après ça, tu retourneras en cours, ok ?
Wallace serra les dents.
- J'veux pas…
- Pardon ?
- Wallace… geignit Margaret.
Wallace sanglota.
- Y'a tout qui va me rappeler Ficelle, là-bas… Tout… Putain…
Wallace tomba dans les bras de son père qui regarda sa femme. Laquelle inspira.
- Tu vois que tu peux bien t'y prendre ! admit la mère de Wallace.
***
- Il s'est passé QUOI ?
Option littérature. Ana souffla.
- Fey et James ont rompu pendant les vacances. C'est pour ça que depuis la rentrée, ils sont aussi distants.
- Mais comment c'est possible ? Surtout eux ! geignit Quinn.
- Apparemment elle ne supportait pas ses hésitations sur leur avenir…
Naomi leva les yeux au ciel. Walter soupira en regardant ailleurs.
- … et visiblement James n'a pas l'air trop décidé à s'investir, alors…
- La tuile… Ils étaient tellement mignons ensemble !
- Bah oui… Du coup à mon retour de Russie, j'ai dû faire beaucoup de soutien téléphonique…
- J'me doute…
- Sans compter les appels de Steven…
- SERIEUX ?? Raconte !
Naomi inspira.
- Les gens passent peu à peu à autre chose…
- Hm.
- C'est une bonne chose.
- Oui, jusqu'au retour éventuel de Wallace, qui va raviver les émotions…
Naomi regarda Walter.
- C'était une erreur…
- Oui, c'en était une, mais reste à savoir… qui a fauté, finalement…
- Un peu nous deux, mais… On n'aurait pas dû, pas aussi tôt, pas… Pas en se forçant.
- On ne s'est pas forcés, Naomi… Tu en avais envie, j'en avais… envie aussi, je crois…
- Moins ?
- Nan, j'en avais envie aussi, mais disons juste… qu'on n'était pas prêts, en fait, et… bref, c'était désastreux, on devrait oublier ça…
- C'est difficile… Je t'ai vu tout nu, quand même.
- Moi aussi je t'ai vue toute nue, Naomi.
Les deux se figèrent dans un silence embarrassé, leurs expressions faciales trahissant une vive gêne.
***
Santana était la seule de sa classe devant la salle du cours de philo.
- Il est pas là, le Dictateur ? demanda Rhonda.
Santana regarda la gothique.
- Décès dans son entourage. On sait pas encore s'il revient.
- Aouch… Si ça pouvait lui remettre l'humilité en place… admit la jeune femme.
Santana inspira. Eliott Steinberg avait écouté.
- Un décès, hein ? Décidément, votre classe s'attire tous les problèmes possibles et inimaginables… C'est probablement bien fait pour lui, effectivement.
Santana inspira vivement.
***
- Mademoiselle Lan, je suis TRES DECU par votre comportement ! Vous avez d'excellents résultats, vous n'avez aucun problème disciplinaire, qu'est-ce qui vous a pris de tabasser votre camarade ?!
Santana ne porta pas de regard à Eliott qui se tenait le nez, qui puait l'eau des chiottes et dont la chemise était déchiquetée, tout comme visiblement ses sous-vêtements.
- Je l'ai fait, c'est tout.
- Ch'est une Pchykopatch, che veux qu'chelle soit vchirée !
- Monsieur Steinberg, on se calme ! Qu'est-ce qui s'est passé ?
- On attchendait prchès du courch de philo et elle ch'est chetée chur moi !
- Mademoiselle Lan ?
Santana inspira.
- C'est la vérité.
- Vous plaidez donc coupable !
- Je sais que vous étiez juge avant d'être proviseur mais quand même… souffla Santana.
- Non mais dites ! Vous et votre classe, de quel droit vous vous permettez…
- Et en plus, votre ancien assistant va peut-être devenir Président de l'Association Pokémon, forcément, vos chevilles enflent, vous ne vous sentez plus pisser ni péter…
Aloysius Grant regarda Santana, complètement médusé. Eliott lui-même regarda son agresseur, terrifié.
Santana se leva et soupira.
- Il a insulté mon camarade Wallace Gribble, en prétendant que le décès de son Pokémon était mérité.
Aloysius Grant regarda avec dégoût Eliott Steinberg qui leva les mains.
- Ch'était une bchlague !
Santana sortit du bureau, furieuse. Elle croisa Helen.
- Santana ? Mais qu'est-ce que tu faisais…
Santana montra sa manucure toute bousillée. Helen serra les dents.
- Santana, voyons !
- Il a insulté Wallace… Et… j'sais pas pourquoi, j'ai pas pu laisser passer ça…
Helen sourit.
- Bah alors, on est amoureuse ?
- Ne soyez pas bête, madame… Je me suis battue aux côtés de ce Manternel… C'était un superbe allié… Ce tournoi, avec Gribble, c'était… un de mes meilleurs moments de dresseuse… Et… Je crois qu'en fait, j'ai beau me voiler la face, j'admire cet empaffé de Gribble.
Helen hocha la tête.
- Tu pourras lui dire quand il reviendra.
- Alors ça, jamais ! souffla Santana en partant.
Helen secoua la tête en souriant.
***
- Elle arrête pas de crier, elle arrête pas de parler d'engagement, de bébés, de maison, de moi qui doit avoir une carrière, de mes choix d'études…
Mike et Steven écoutaient, Francis semblait un peu absent pendant cet échauffement.
- Elle m'écoute jamais ! Je lui dis que je suis pas prêt, que je me sens pas capable, mais pour elle, tout va se passer comme ça, un point c'est tout, rien à foutre de moi, de mes appréhensions, de mes peurs, c'est madame dans son petit monde et merde au reste quoi !! grommela James.
- Mais euh, vieux, sans vouloir être insultant… Tu le savais qu'elle était chiante, dès le départ !
- Bah ouais… marmonna Mike.
- Ouais mais elle a quand même de bons côtés, et au bout d'un moment, j'arrivais plus à les voir, alors j'ai dit qu'il fallait qu'on parle sérieusement, mais au lieu qu'on parle sérieusement, elle s'est braquée, s'est énervée et paf, rupture !
Mike agita la tête.
- Ah ouais quand même, putain…
- Du coup, vacances de merde… souffla Steven.
- Toi aussi ? s'étonna Mike.
- Boh, mes parents qui se frittent tout le temps… Pis j'ai essayé de faire un truc qu'a pas marché…
- Un truc qu'a pas marché ?!
Steven soupira.
- J'ai essayé d'apprendre une autre langue. Bah on dirait pas comme ça, mais c'est méga dur.
Mike grimaça, ne comprenant pas trop où Steven voulait en venir. Le blond soupira.
- Laisse tomber, ça fera jamais qu'un truc de plus que j'aurais foiré.
Mike grimaça.
- Putain, je sens que cette année va être déprimante à donf… Et toi Francis, ça va ?
- Bof.
Mike leva les yeux au ciel.
Autour du terrain, Violette, Lucy et Léon courraient côte à côte.
- Du coup, la situation est ce qu'elle est… Quant à savoir si c'est mieux ou pas…
- Tant que ça vous va, moi après… En tout cas effectivement, tu te plains moins que l'an dernier ! admit Lucy.
- Et toi, ça va ?
Lucy haussa les épaules.
- J'ai beaucoup vu Quinn pendant ces vacances, assez peu Francis mais c'est habituel… mais apparemment Quinn l'a pas mal vu, du coup il faut que je me mette à jour concernant cette affaire-là…
- Oh ! sourit Violette.
- Je m'attends à rien de fou, bien sûr… Moi, bah… Mes frères sont partis à la Fac, je le sens passer à la maison, c'est plus calme… J'ai pas vu grand monde à part toi, Quinn et Benjamin…
- Benjamin ?
- Oui, il voulait tester un nouveau snack à fallafels, personne était dispo, il m'a appelée moi, c'était une chouette après-midi… Et après du coup, pour lui rendre la pareille, je l'ai convié à un brunch chinois.
- Ça existe ?! s'étonna Violette.
- Bah maintenant oui, visiblement… Et c'était bien cool.
- … alors, toi et Benjamin… ?!
- On est juste potes !
Violette agita la tête. Lucy plissa les yeux.
- Dis donc ! grommela la petite chinoise.
- Ah j'ai rien dit, hein ! Je serais bien mal placée…
- Hmph… Sinon, le retour prochain de Wallace, t'en penses quoi ?
Violette inspira.
- Je m'efforce de ne pas penser à tout ça… Quand je m'entraine avec Karaclée, il ressemble tellement à un être humain, je me dis… ce serait comme perdre un frère que je n'ai jamais eu…
Lucy inspira. Léon souffla.
- Dites pas des trucs aussi tristes quand on court… souffla le jumeau.
- Désolées ! souffla Lucy.
- Pardon, Léon…
***
Wallace n'était plus couché mais assis. Il avait entrepris de lire des tas de bouquins issus de la bibliothèque de sa mère, qu'il volait en douce la nuit avant de se retrancher dans sa chambre pour les dévorer quasiment d'une traite.
Un comportement qui n'en finissait pas d'inquiéter sa famille.
- Jeffrey est toujours injoignable… Je comptais sur lui pour remonter le moral de Wallace mais visiblement… soupira Margaret, dépitée.
- Il ne fait que lire, en même temps… temporisa Carl.
- Il ne mange presque plus ! Et… et je n'arrive même plus à savoir s'il est triste ou dépressif ou… ou pire encore !
Lindsay tentait de se vider la tête devant la télévision. Pas simple du tout.
On sonna à la porte.
- J'y vais, si c'est encore un groupe de gamins, je les dégage…
- Pas trop rudement ! geignit Margaret.
Carl ouvrit et fit face à Fey.
- Euh… Bonjour, je suis bien chez Wallace Gribble ?
- Je suis son père. Y'en a qu'une aujourd'hui, Fey !
- Je voulais simplement apporter un gâteau que j'ai fait, pour lui !
Carl s'étonna.
- Euh… Vous… êtes au courant que mon fils est, comment dire… pas très intéressé par les femmes…
- CARL ! grommela Margaret de l'intérieur.
- C'est… par pure volonté de présenter mes condoléances ! geignit Fey, interloquée.
Carl s'étonna. Margaret arriva à la porte, surprise. Fey serra les dents.
- Ils… nous l'ont annoncé, pour son Pokémon…
Margaret soupira.
- Je jure qu'un jour je ferais payer à ce stupide proviseur… je le jure ! souffla Margaret, furieuse.
- Enfin, vous pourrez lui donner ?
Carl prit le gâteau en hochant la tête.
- D'accord, mais c'est pas dit qu'il le mange, en ce moment il lit comme un dératé.
Fey haussa les sourcils.
- J'espère qu'il ira bientôt mieux, alors… Dites-lui qu'on espère que ça va et… qu'il nous reviendra comme avant !
Carl et Margaret hochèrent la tête. Fey s'en alla.
- Il a des amis bizarres, notre fils… souffla Carl.
- Oh, voyons, Carl ! Je lui amène ça !
Margaret prit le cake et alla frapper à la porte de Wallace. Elle ouvrit et trouva son fils en pyjama, en train de lire Le Rouge et le Noir de Stendhal.
- Mon chéri, une de tes amies t'a fait un gâteau…
Wallace releva la tête.
- … laquelle ?!
- Une fille un peu forte…
- Perrine cuisine pas…
- … et noire !
Wallace plissa les yeux.
- Fey ?
- Oui je crois qu'elle s'appelait comme ça, oui…
- Oh. Pose-le là.
Margaret posa le gâteau sur un tabouret.
- Ca… a l'air d'aller un peu mieux… ?
Wallace inspira.
- Je sais pas si je vais retourner à l'école. Je crois que je vais me contenter de faire serveur jusqu'à la fin de mes jours. Je veux plus dresser le moindre Pokémon. Je vais garder les quatre autres juste pour avoir de la compagnie, mais… Je ne veux plus me battre, ni… ni me lancer dans ce truc de… dans cette bataille idiote contre Direction Dresseurs, ça ne m'intéresse plus. Je veux juste… profiter de ce qui me reste.
Margaret s'étonna.
- Mais euh… Mon poussin, ce serait mieux si tu revenais à ton quotidien habituel… Pour toi, enfin… D'être entouré de tes amis…
- Je suis un gros crétin, maman, ils ne viennent me voir que parce que Ficelle est morte. Il n'en ont rien à foutre de moi, et à la limite ça doit bien les faire rire que ça m'arrive à moi. Le petit diablotin qui se mange un bon gros décès dans la gueule…
- Je ne pense pas, Wallace, ils avaient tous l'air inquiets pour toi, sincèrement.
Le visage de Wallace se tordit sous un futur sanglot.
- J'veux pas y retourner, maman, j'veux pas leur faire face, j'veux pas être noté sur mon utilisation de mes Pokémon alors que je viens de perdre celui qui m'était le plus précieux !
- Je comprends, mon bébé…
- S'il te plait, maman, me laisse pas y retourner !
Margaret regarda son fils, en pleine régression. Elle balbutia, secoua la tête et inspira.
- Tu… n'es plus un bébé, Wallace, tu es un homme, il va falloir que tu affrontes…
- M'oblige pas, je t'en supplie, ce serait trop dur, trop horrible, je veux pas !
Margaret hocha la tête, vaincue.
- Très bien…
- Je sais que c'est important, mais je pourrais pas, je pourrais plus leur faire face, je veux pas y aller, être tout vulnérable, à la merci de tous…
- Ca suffit, Wallace, maintenant tu vas m'écouter et arrêter de faire l'enfant !
Wallace se mordilla les lèvres.
- Ton Pokémon est MORT !
Wallace serra les dents. Carl et Lindsay arrivèrent dans le couloir.
- C'est HORRIBLE. Je me doute. Je sais que tu souffres. Mais tu vas devoir continuer à vivre, mon chéri, parce que sinon tu vas rester à croupir ici et il n'en ressortira rien de bon ! Ton Pokémon est mort ? Vis pour lui faire honneur ! Sois un bon garçon, sois un homme, deviens un excellent dresseur, meilleur que celui que tu étais avant ! Mais arrête de te morfondre, pour l'amour du ciel !! Tu es mon bébé, certes, mais tu es également un jeune homme plein de potentiel, le potentiel de réaliser de grandes choses, de faire mieux que moi qui suis une stupide copiste, ou que ton père qui inspecte des centrales ! Tu peux avoir une belle vie, et tu ne pourras rien accomplir si tu continues à vouloir échapper à ce qui te tombe dessus et à abandonner à la première grosse difficulté…
- Mon Pokémon est mort, maman !! Tu parles d'une difficulté ! Et… Et putain, ça n'a rien à voir avec moi, avec ce que je suis et avec ce que je vais devenir, bordel mais de QUOI tu parles ???
Margaret se mordilla les lèvres.
- J'ai peur pour toi, mon poussin… Je veux que tu sortes de cette chambre, je veux que mon bébé revienne !
Wallace poussa un gros soupir et retourna dans sa lecture. Margaret baissa la tête et recula.
Lorsqu'elle ferma la porte, Wallace regarda le gâteau de Fey. Il prit une vieille fourchette qui trainait et décida de le bouffer en lisant.
***
- Ça paraît peut-être simple de l'extérieur, mais ça ne l'est pas du tout !
- Bah si, c'est simple, tu l'aimes ou tu l'aimes pas, mais décide-toi et donne-lui ta réponse, parce que la situation n'ira qu'en empirant, sinon !
Tino soupira. Ils étaient en bout de table, à chuchoter, tandis que Christina et Robbie travaillaient à l'autre bout de la table.
- Tristan, je me doute que pour toi, les choses de l'amour sont simples et merveilleuses, mais pas pour moi !!
- A cause de cette idiote qui n'est sortie avec toi que pour permettre à ses potes de se venger ?! Tino, voyons, tu es bien au-dessus de cette histoire idiote !
- Je sais bien, je sais bien, mais… Elle est trop possessive, Tristan !
- Dis-le lui, elle s'adaptera, j'en suis sûr !
- Je ne veux pas qu'elle empiète sur ma vie !
- Elle ne va pas empiéter sur ta vie, elle va juste la compléter pour la rendre meilleure, c'est à ça que ça sert, l'amour !
- … Mais ma vie est déjà très bien comme elle est !
Tristan leva les yeux au ciel et se déplaça. Tino le regarda, étonné.
- Bah… Bah ?!
- Soit tu fais exprès, soit tu ne comprends vraiment rien, et du coup, je la comprends d'autant plus !
Tristan se déporta aux côtés de Christina et Robbie, laissant Tino seul en bout de table.
- Je me sens ridicule, là ! grommela le jeune hispanique.
- Il serait temps ! souffla Christina, amère.
Tristan et Robbie se regardèrent.
- T'étais pas sensé arranger les choses ?
- On n'a que trois heures à passer ici, pas trois jours ! souffla Tristan, gavé.
Rebecca, Santana et Violette s'étaient mises au travail dans une ambiance largement plus décontractée qu'auparavant.
- Amélia n'a pas donné de raison pour son absence ? s'étonna Santana.
Rebecca secoua la tête.
- Pas que je sache. Elle est bizarre en ce moment. Déjà la coupe de cheveux… J'm'y fais pas.
- Hm… souffla Violette. Et puis elle est tellement sérieuse, tellement calme… tellement froide.
- Vous pensez que ça a à voir avec l'examen ? songea Santana.
Rebecca et Violette se regardèrent, intriguées par cette éventualité.
Perrine leva les yeux au ciel. Walter et Naomi semblaient refuser de se parler. Elle se contenta de lire, en souhaitant très fort le retour prochain de Wallace.
Clive, Andréa, Orson et Benjamin travaillaient normalement. Francis semblait toujours avoir la tête ailleurs. Quinn, Lucy et Ana bossaient leurs cartes.
Quant à Fey, elle travaillait carrément à une autre table.
- Cette situation est ridicule ! soupira Mike.
- Putain, ouais, mais qu'est-ce qu'on peut y faire… souffla Steven.
- C'est ma faute, j'suis désolé… souffla James.
- Mais nan, c'est elle qui saoule, juste que… On a besoin d'elle pour s'organiser quoi ! souffla Steven.
- Ouais… C'est un peu mal parti, notre affaire, là ! soupira Mike.
Gina, Holly, Lilian et Léon travaillaient de concert et sans accroc. Helen passait dans les rangs, attentive.
***
- On va y aller, Wallace…
Le jeune homme avait revêtu une chemise noire sobre et un pantalon.
- Ouais… J'ai perdu un peu de poids, ça craint… Mes Pokémon…
- Ta sœur les a.
- Ok…
***
Sur le chemin, en voiture, Wallace observa le paysage. C'était chiant. Lindsay, dans une petite robe noire, souffla.
- On va être tous seuls ?
- Oui, Lindsay, répondit Margaret.
- Et… ça va pas être ultra lourdingue, en fait ?
- Probablement… soupira Wallace.
Carl, au volant, soupirait. Margaret regardait ailleurs.
- On va enterrer mon Pokémon et on sera là, plantés comme des cons. En fait, je vois même pas pourquoi vous venez. J'irais seul avec mes Pokémon.
- Comme tu voudras… souffla Margaret.
- Ton Pokémon, toi qui décide.
***
Ce dimanche, donc, Wallace observa quatre employés des pompes funèbres mettre son Pokémon en terre. Il regarda patiemment la grosse employée du cimetière prononcer le petit éloge funèbre. Il regarda la tombe qui était un modèle unique, une dalle de pierre avec un insigne tombal sur lequel était inscrit le nom du Pokémon, le numéro de dresseur de Wallace et les dates de naissance et de mort. Wallace inspira. Ses Pokémon se tenaient à distance, observant leur frère tombé. Chartor s'était couché à demi, reposant sur ses pattes repliées. Canarticho se tenait droit, le légume à l'épaule. Tiplouf s'était assis et observait patiemment. Pandespiègle s'était assise sur une pierre tombale, observant, les bras croisés.
Lorsque le Pokémon fut finalement enterré, Wallace resta. Son père, sa mère et sa sœur attendaient au portail, observant le cimetière pentu qui s'étendait devant eux.
Wallace inspira et regarda la tombe.
- Je suis désolé.
Il détourna le regard.
- J'ai été un dresseur de merde. Si j'avais été plus attentif, on aurait peut-être repéré ta maladie à la con, on aurait pu… Je sais pas, la traiter, faire quelque chose. J'en sais foutre rien. Toujours est-il que ça me prouve juste que je dois faire plus attention de manière générale. A tout. Parce qu'un beau jour, ce sont les détails à la con qui nous foutent par terre et nous niquent. Voilà. Voilà ce que tu m'as appris, Ficelle. Que… que finalement, on a beau être grand, fort, droit et honnête, on finit juste par crever. On finit là, dans un trou. C'est ce qui m'attend. C'est ce qui attend mes Pokémon. Mon père, ma mère, ils vont crever avant moi, et ça va me miner encore plus que ta mort à toi, et je vais peut-être même pas m'en remettre…
Margaret inspira. Carl regarda sa femme et sa fille. Sa fille qui était médusée, hébétée, incapable de dire quoi que ce soit, frissonnant.
- Et là, je regarde ta tombe, et je me dis tout ça, et… Et je m'en veux d'avoir été un aussi mauvais dresseur, j'aurais pu faire mieux avec toi. Peut-être que c'est la faute de personne, mais pour moi, ça restera ma faute. J'aurais dû faire mieux avec toi.
Wallace réprima un sanglot.
- J'irais à l'école demain, pour toi, pour te montrer que j'ai compris et que… je vais faire mieux, maintenant. Je vais mener ma vie un peu mieux, rien que pour me dire que ta mort n'aura pas été vaine, que… qu'au final il sera ressorti quelque chose de bon de tout ça. Si tant est que ce soit possible…
Wallace se tourna, et il vit alors cette scène absolument surréaliste.
Dans le champ de blés en face du cimetière, sa sœur était en train de courir en hurlant.
- … euh…
- AAAAAAAH !!! AAAAAAAAH !!!
Margaret était complètement stupéfaite, et elle était restée immobile, près du portail, tandis que Carl était partie à la suite de sa fille. Wallace secoua la tête et regarda ses Pokémon.
- Elle est sérieuse ?! On enterre Ficelle et elle pique une crise de nerfs ?!
Wallace descendit, suivi par ses Pokémon. Il rejoignit sa mère.
- S'passe quoi ?
Margaret pleurait à chaudes larmes. Elle regarda son fils et marmonna calmement malgré son émotion.
- Tu te rappelles quand je t'ai dit que tu pouvais faire mieux que nous dans ta vie, Wallace ?
Wallace haussa les sourcils.
***
- Ca faisait tellement longtemps que je n'avais pas eu d'entretien d'embauche… J'ai dû être nul… soupira Denis.
- Tu vas t'améliorer, c'est quand même un peu excessif que tu commences à chercher dès maintenant… souffla David.
- Je ne veux pas être un homme au foyer, Dave ! Firmin va entrer au secondaire, il va devenir un homme et je refuse de rester à la maison à glander pendant ce temps, je veux être actif !
- Tu es déjà actif… sourit David.
Perrine était sur son téléphone, de plus en plus intriguée. Firmin mangeait sa purée.
- Haha, très drôle, David ! Je veux retrouver rapidement un travail, je refuse de me retrouver à la ramasse à la fin de l'année !
- Euuuuh… J'peux vous parler d'un petit souci qui nous arrive droit dessus ?
David et Denis regardèrent Perrine.
- Je viens de recevoir trois SMS de Wallace… « On arrive chez toi », « Ma sœur a pété un câble » et « L'enterrement s'est bien passé, t'inquiète ».
David s'étonna.
- Pourquoi ils viennent ici ?!
- C'est ce que je lui ai demandé, j'attends la réponse…
Le téléphone émit le bruit d'une pièce récupérée dans un jeu Mario.
- … Ah… « Mes parents ont l'air horrifiés, je leur ai conseillé de voir un médecin ou quelqu'un d'avisé, ils ont pensé à tes parents. »
David et Denis se regardèrent, éberlués. Firmin s'étonna.
- Tonton Wallace va venir ?
- Bah apparemment, oui…
- Coooooooool !!!
- J'sais pas trop, Firmin, je sais pas trop… souffla Perrine. En fait tu devrais même aller dans ta chambre.
Denis se leva et emmena Firmin.
- Maiiiis j'ai pas fini ma purée !!!
- Tu la finiras après !
- Mais papa je veux voir Wallace !
On frappa à la porte. Perrine se leva pour aller ouvrir, mais David se précipita.
- Euh…
- Ne t'en fais pas.
David ouvrit et aperçut Wallace. Les yeux cernés et gonflés, les cheveux en bataille, tout de noir vêtu, quelque peu émacié.
- Yo.
- Oh mon dieu… Wallace…
- Si vous êtes désolé pour moi, je vous étripe. Et on a genre un plus gros pépin…
Carl et Margaret aidaient Lindsay à monter alors que celle-ci peinait à retrouver son souffle, victime d'une attaque de panique.
- Oups, oups, oups…
***
Assise dans le canapé, Lindsay s'était endormie. Perrine avait fait du thé pour Wallace.
- Merci.
- C'est bien parce que ton Pokémon est mort.
- Perrine !! grogna Denis.
Wallace sourit.
- Ca m'fait plaisir de te retrouver, Truman. J'ai l'impression que ça fait des millénaires que je t'ai pas vue.
- Mouais. Tu nous manques, à l'école, c'est un peu la défaite en ce moment, en partie à cause de toi.
Wallace soupira. Carl et Margaret étaient assis face à un café. David les regarda.
- Qu'est-ce qui s'est passé exactement ?
- … On regardait l'enterrement, et… on comprend pas trop pourquoi… marmonna Margaret.
- C'est de voir son frère triste. Ça lui rappelle son enfance… soupira Carl.
Wallace s'étonna.
- Comment ça ?
- Ta sœur a été irritable ces deux dernières semaines, même à l'hosto, elle était pas bien, toute vénéneuse, et… c'est parce que tu étais en grande détresse. Elle ne supporte pas de te voir comme ça parce que…
Carl inspira. Margaret se mordilla les lèvres, bouleversée. Denis regarda David qui regarda Perrine.
- Euh… Ma chérie, va voir comment se débrouille ton frère avec sa purée…
Perrine acquiesça et s'en alla prestement. Carl regarda Wallace.
- Quand vous étiez petits, sur le domaine familial de ta mère, ta sœur s'est faite enlever par un… un tordu qui l'a…
Margaret ferma lourdement les yeux. Carl inspira.
- Qui l'a molestée.
Wallace écarquilla les yeux, sidéré.
- QuoAAAAAH ???
- C'est pour ça qu'on t'avait laissé chez ma mère pendant une période, fallait que ta sœur se rétablisse dans un hôpital spécialisé.
Wallace secoua la tête, sonné.
- Putain… putain de merde… C'est pour ça qu'elle est un peu lente…
- Elle avait l'air de s'en être plutôt bien remise… mais de temps en temps… quand elle te voit pleurer, par exemple… soupira Carl.
- Mais pourquoi ? J'me rappelle plus de ça moi !
- On t'a éloigné de ça, et tu ne savais pas ce qui était arrivé à ta sœur, et tu pleurais, tu hurlais « Qu'est-ce qui s'est passé, Lindsay, j'comprends pas… » sanglota Margaret.
- Quand tu es triste, ça lui rappelle tout ça, inconsciemment. Et là, pour le coup, t'as été un peu beaucoup triste…
Wallace hocha la tête.
- Et effectivement, elle était de mauvaise humeur… admit Margaret.
- Elle dort, là ? souffla Wallace.
- Hm, mon infusion a bien marché… souffla David. Carl, Margaret, je pense que Lindsay devrait être suivie à nouveau. Cela lui ferait du bien.
- Elle vient d'entrer à la Fac ! geignit Margaret.
- Les gens vont la prendre pour une folle ! souffla Carl.
- C'est maintenant ou jamais. Si vous voulez qu'elle se construise bien en tant qu'adulte, vous devez agir maintenant ! assura David.
- Je croyais qu'on avait déjà bien réagi quand elle était enfant…
- On peut peut-être leur recommander…
David regarda Denis qui agita les mains.
- L'établissement qui s'était occupé de Dimitri !
- Hm, oui, du moins le même genre, je doute qu'ils puissent aller jusqu'à Hoenn !
- Ah, oui, bien sûr… Le plus proche c'est ?
- La clinique Printemps-Haydaim, assura David.
Margaret se mordilla les lèvres. Carl semblait toujours réfractaire. Wallace regarda ses parents qui le regardèrent.
- Tu ferais quoi à notre place ? demanda Carl.
- Tu me poses sérieusement cette question ?! souffla Wallace.
- N'implique pas le petit, voyons, Carl… geignit Margaret.
- Maman…
Tout le monde se tourna vers Lindsay qui s'était réveillée. Elle regarda vers le groupe.
- Qu'est-ce qu'on fait là ?
- Tu…
- Euh…
Wallace agita les mains et dit sans colère la moindre :
- T'as trouvé le moyen de foutre en l'air mon enterrement, voilà ce qu'il y a…
Lindsay regarda ses parents.
- J'ai fait quoi ? Pourquoi on est là ?!
- On…
- On s'est dits que ce serait sympathique de prendre un thé après l'enterrement du Pokémon de ton frère !
Wallace regarda sa mère.
- Je sais de qui je tiens mon inaptitude à mentir correctement…
- Je… je me rappelle de rien, si ça peut vous rassurer… J… J'me souviens de rien du tout, j'vous jure.
Carl serra les dents en regardant sa femme, tout aussi morte d'inquiétude. Wallace se leva et alla sur le canapé pour rassurer sa sœur qui le serra dans ses bras.
- J'suis désolée.
- C'est pas grave, c'est un enterrement, faut bien un after !
Lindsay regarda son frère.
- Tu vas mieux ?
- Un peu, je pense. L'enterrement a apporté une espèce de conclusion satisfaisante… quant à savoir si je suis prêt à retourner en cours…
David hocha la tête et marmonna doucement.
- Chez moi, ça s'appelle du refoulement. Elle aura des problèmes toute sa vie si elle continue à tout garder pour elle comme ça. Maintenant, c'est votre choix.
Carl et Margaret se regardèrent et regardèrent Denis qui hocha la tête.
- Je vous trouve l'adresse tout de suite.
***
De retour à la maison, Carl et Margaret s'isolèrent avec Lindsay pour lui expliquer l'étendue de sa nouvelle situation. Wallace s'isola dans sa chambre qui était dans un état lamentable. Il prit deux bonnes heures pour la ranger de fond en comble. Habituellement, ça l'aurait fait chier, mais en l'occurrence, il était pris dans cette transe qui s'empare des gens qui rangent sans crier gare et qui s'y mettent à fond alors que la minute avant, ils avaient la flemme.
En rangeant, il trouva la gamelle de Manternel. Il soupira, le chagrin s'emparant à nouveau de lui. Il continua néanmoins le rangement. Le plat de Fey. « Il faudra que je le lui rende. Il était bon, en plus, son fichu gâteau. »
Il retrouva son vieil ordi auquel il avait à peine touché en deux semaines. Il regarda le tas de bouquins. Il en avait fini quatre en cinq jours. « Comment j'ai pu m'abaisser à lire ? »
Il refit son lit qui n'avait accueilli personne depuis belle lurette. « Comment j'ai pu m'abaisser à rester chaste ?! »
Il regarda ses kimono un par un. L'un d'entre eux était vert, du même vert que les feuilles de Manternel.
Il rangea tous les autres dans l'armoire, les désengageant un par un de leur mannequin. Puis il aligna les mannequins de sorte qu'ils ne gênent plus, et plaça celui-là devant la baie vitrée ouverte pour aérer le confinement.
Lorsqu'il se rassit sur son lit, il eut cette vision magnifique du kimono vert feuille se soulevant délicatement au gré du vent de la fin de l'été.
Essuyant une larme, il prit la résolution de retourner en cours dès demain.