Tomorrow - Avril Lavigne- Je sais que formulé ainsi, cela peut paraître ahurissant, mais je vous supplie de me croire.
Face à Cassy, l'agent Jenny de Vestigion ouvrit des yeux aussi ronds que ceux d'un Rondoudou en se passant une main derrière la nuque, sans doute en train de penser qu'elle avait affaire à une folle.
- Vous me demandez de faire évacuer la ville sous prétexte que les habitants sont en danger ? Et vous, Sandra ? Quel est votre lien avec toute cette histoire ?
La dracologue, restée en retrait de son élève, n'avait pour le moment pas prononcé le moindre mot. Elle cessa de mastiquer furieusement son chewing-gum sur lequel elle s'acharnait depuis leur entrée dans le commissariat afin de répondre :
- C'est mon apprentie. C'est moi qui l'aie formée au dressage des dragons, alors je suis juste là pour l'appuyer.
- Bien, mais vous avez conscience, j'espère, que je ne peux pas ordonner une opération d'évacuation sur de simples dires. Il me faut une preuve comme quoi la vie des Vestigionnais est bel et bien menacée.
La dresseuse réfléchit un instant, son menton pris en tenailles entre ses doigts. Elle ne pouvait pas révéler toute la vérité car la policière ne la croirait pas, mais si elle ne le faisait pas, elle refuserait de la prendre au sérieux.
- Vous voyez le grand bâtiment, à la sortie de la ville ? demanda-t-elle soudain.
- Le centre de recherche en génétique ? Oui, et bien ?
- Le centre de recherche ? répéta Cassy. Aucun rapport. Il s'agit d'un quartier général, celui de la Team Galaxie.
- Absurde. Un quartier général... Et pourquoi pas une organisation secrète, pendant que vous y êtes ? Mademoiselle, vos propos frisent l'extravagance.
- Non, elle dit la vérité, intervint Sandra. Agent Jenny, avez-vous déjà mis les pieds à l'intérieur ?
- Hum... Non, mais je...
- Dans ce cas, comment pouvez-vous savoir ce qui s'y trouve ?
- Grâce aux documents officiels. Tenez, regardez.
La femme à l'uniforme bleu pianota sur le clavier de son ordinateur durant quelques secondes avant de tourner l'écran en direction de ses interlocutrices. Un plan du cadastre apparaissait, mentionnant les informations sur le propriétaire de la parcelle de terrain où se trouvait le bâtiment, ainsi qu'une déclaration d'impôt qui indiquait les revenus de chercheurs en génétique.
- Qu'en dites-vous ? Tout est légal. Cet endroit appartient à un certain Niklaus Andersson, et non pas à votre Team je-ne-sais-trop-quoi.
- Niklaus... Niklaus... répéta Cassy en se mettant à arpenter la pièce de long en large. Oui, c'est évident !
- Quoi donc ?
- Dans les régions nordiques, les noms de famille se terminent souvent par le préfixe "son", qui signifie "le fils de". Si un homme prénommé Niklaus avait un enfant de sexe masculin, alors il s'appellerait forcément...
- Niklausson, comprit aussitôt Sandra. Hélio était en réalité un pseudonyme, raison pour laquelle Sven porte ce patronyme.
- Pardonnez-moi, intervint la policière, mais je ne suis pas certaine de tout saisir. De quoi parlez-vous, au juste ?
- Ce Niklaus Andersson est mort il y a deux ans aux Colonnes Lances, il a été assassiné. C'est à présent l'un de ses anciens employés qui est à la tête de l'org... du centre de recherche, sauf qu'il désire se servir des technologies avancées contenues là-bas pour détruire la planète.
- Et comment compte-t-il s'y prendre ? En fabriquant une bombe nucléaire ? Les réserves d'uranium sont épuisés dans toutes les régions environnantes, mademoiselle, alors cela m'étonnerait. D'ailleurs, si toute cette histoire est vraie, ainsi que vous semblez le prétendre, comment expliquez-vous que vous détenez ces connaissances ?
L'intéressée leva les yeux au ciel, manquant de frapper du poing la table afin de faire réagir l'agent Jenny. Elle se donnait sans cesse un mal fou pour essayer de sauver le monde, et voici que celui-ci ne trouvait rien de mieux à faire que lui de compliquer davantage la tâche.
- Vous vous souvenez de l'affaire Granet ? lâcha-t-elle soudain.
- Oui, mais je ne vois pas où est le...
- Combien de personnes ont disparu, ce jour-là ?
- Trois, mais...
- Combien de corps ont été retrouvés ?
- Aucun, sauf celui de la fille qui s'est suicidée quelques années après s'être enfuie. Les parents et le fils ont fini par être déclarés morts.
- Pourtant, vous n'avez aucune preuve que ce soit le cas, n'est-ce pas ?
- La quantité de sang présente dans le salon suffit à déduire un tel résultat.
- Sauf que le rapport d'autopsie a fait mention de deux origines différentes. Deux, pour trois personnes.
- Il a aussi été stipulé que, vu les liens familiaux, l'ADN pouvait être trop proche pour parvenir à le distinguer.
- Voilà pourquoi vous ne parvenez jamais à résoudre une enquête ! s'emporta soudain Cassy.
- Je vous prie de me parler sur un autre ton, sans quoi je vous enferme pour outrage. Sandra, veuillez surveiller votre élève.
- Vous sautez à la conclusion qui vous semble la plus plausible sans chercher davantage à creuser les pistes autour, poursuivit la jeune femme comme si elle n'avait pas été interrompue. Non, ce n'est pas l'ADN qui s'est mélangé. S'il n'y a que le sang de deux personnes, c'est parce que la troisième est toujours en vie. Eric Granet n'est pas mort en même temps que ses parents, il a rejoint les rangs de la Team Galaxie !
- Mademoiselle, votre insolence me dépasse. J'ignore comment vous pouvez en savoir autant sur cette affaire, mais je ne vous permettrais pas de vous prétendre plus maligne que la police.
- A ceci près que moi, je n'ai pas classé le dossier. J'ai continué, jusqu'à découvrir la vérité. Toute la vérité. Exactement comme Cynthia.
- Cynthia ? Ce détail n'a jamais été mentionné nulle part, pas même dans un compte rendu.
- Effectivement. Il est passé sous silence, à l'instar de la tentative de suicide de Katharina Granet. C'est Cynthia qui l'a sauvée ce jour-là et elle l'a ensuite ramenée au Centre Pokémon, d'où elle a fugué le lendemain matin, sur le dos de son Ponyta.
- Comment savez-vous qu'elle avait un Ponyta ?
- Cela me semble évident, non ? Je suis Katharina Granet !
L'agent Jenny, qui s'était à moitié levée de son fauteuil de bureau, s'y laissa aussitôt retombée, la bouche entrouverte, l'air estomaqué. Son corps fut parcouru d'un tremblement nerveux.
- C'est impossible. Son corps a été repêché dans une rivière.
- Un simple cadavre me ressemblant. L'une de mes "amies" est à l'origine de cette idée. J'ai été obligée de me cacher pendant des années parce que la Team Galaxie, sous les ordres de mon frère, est à mes trousses.
- Je... Je suis désolée, mais... C'est trop. C'est beaucoup trop pour moi. Je ne peux pas le croire.
- Pourtant, quelque part au fond de vous-même, vous savez que j'ai raison. Comment pourrais-je connaître tant de choses si je ne les avais pas vécues ?
La policière s'efforça de recouvrer son calme. D'une main qui bougeait sans arrêt de façon brutale, elle se servit du café à l'aide d'une bouteille thermique. Elle en mit la moitié à côté de la tasse, dont elle avala le contenu d'une traite.
- Mon frère est en train de concevoir la... une arme. Une arme de destruction massive qui sera capable d'annihiler toute forme de vie à des kilomètres à la ronde, humaine ou pokémon. Je peux encore l'en empêcher, avec ou sans vous. J'ai l'intention d'attaquer le quartier général de la Team Galaxie demain matin au lever du soleil. Je le ferai de toute façon, mais si vous ne coopérez pas en évacuant la ville, il risque d'y avoir des blessés, peut-être même des morts.
L'agent Jenny l'observa, hagarde, comme si elle peinait à comprendre ce qu'elle tentait de lui dire. D'une voix adoucie maintenant que sa colère s'atténuait progressivement, Cassy ajouta :
- Contactez Cynthia, si vous le désirez. Elle confirmera que je vous dis bien la vérité.
- Elle est injoignable depuis qu'elle est partie en vacances à Hoenn pour se reposer, après l'accident qui a bien failli coûter la vie à son bébé.
- Ce n'était pas un accident. La Team Galaxie s'en est prise à elle parce qu'elle était avec moi aux Colonnes Lances pour les combattre une première fois, il y a déjà deux ans. Et elle n'est pas à Hoenn. C'est ce qu'elle a prétendu pour les leurrer. Elle est en sécurité au Bourg-Palette auprès du professeur Chen.
- L'éminent scientifique ? Lui aussi est impliqué ?
- Lui, non, mais son petit-fils Régis, oui. Il m'a hébergée, aidée à endosser une autre identité et permis de progresser dans mon enquête.
- Je peux aussi me porter garante, intervint à son tour Sandra. Je vous certifie que cette jeune femme est bien Katharina Granet. Je ne le savais pas lorsqu'elle a commencé son apprentissage chez moi, mais elle a fini par me révéler son identité. Elle a même découvert à ce moment-là que le Topdresseur qui se trouvait en stage à mon Arène n'était autre que son cousin, Sylvain Galaksija.
La policière tapa à nouveau sur quelques touches, puis un dossier apparut sur l'écran à cristaux liquides, qu'elle parcourut d'un rapide regard.
- Sylvain Galaksija, diplômé de l'Ecole de Mauville... Tout me semble en règle. Et c'est votre cousin, vous dites ?
- Oui. Mes parents ont tenté d'échapper à la Team Galaxie pour laquelle ils travaillaient autrefois, raison pour laquelle ils ont pris le patronyme de Granet, le vrai étant Galaksija. Malheureusement, Hélio -ou Niklaus Andersson, comme le connaissent vos fichiers- a finalement réussi à les localiser et a donné l'ordre de les tuer. Mon frère, lui, a été épargné parce qu'il a choisi de venir grossir leur rang. A la mort de leur chef, il a pris le contrôle de l'organisation.
- Très bien. En admettant que j'accepte de vous croire, mademoiselle Rilène, Granet ou autre faux nom que vous pouvez bien employer, qu'est-ce que vous attendez de moi, au juste ?
- Seulement que demain matin, vous fassiez évacuer la ville. Il faudra le faire au dernier moment, cependant. Nous attaquerons à l'aube, commencez à faire partir les habitants une heure auparavant, afin que la Team Galaxie n'ait pas le temps de se douter de quelque chose.
- Et vous espérez les vaincre à vous deux ?
- Non, moi, je ne combattrai pas, répondit Sandra. Cassy ne le veut pas. Ses amis et elle se sont entrainés tous les jours pendant des mois afin d'être prêts. Je suis loin d'avoir leur niveau. Même mon cousin ne l'a pas.
- Bien. Demain, à l'aube, vous trouverez Vestigion vide. Si jamais je m'aperçois que tout ceci est un canular, vous en répondrez, menaça l'agent Jenny en pointant la dracologue du doigt.
- Dites-vous surtout que si nous échouons demain, vous n'aurez pas l'occasion d'y voir. Personne ne doit interférer, d'accord ? Ni vous, ni vos hommes. C'est une affaire entre la Team Galaxie et moi. Nous devons la régler entre nous. Impliquer des tiers-personnes ne représenterait qu'un danger supplémentaire.
Elle tendit une main franche à l'agent Jenny, qui la serra après une brève hésitation. Cela rassurerait Marion : les civils seraient en sécurité à l'heure des combats, même si pour cela, elle avait dû faire appel à une Katharina Granet qu'elle s'était pourtant efforcée, à l'aide de Lilith, de détruire par tous les moyens possibles. Arriverait-elle jamais à savoir qui elle était réellement, au lieu d'alterner sans cesse chacune de ses identités ?