Entre infini et au-delà de Cyrlight

Peut-être toi - Mylène Farmer


- Tu n'es pas jalouse ?

Cassy, qui s'emmitouflait dans sa cape afin de protéger sa peau nervurée du froid environnant, leva la tête en direction de Sven. Ce dernier marchait vers elle de sa démarche féline, et vint se laisser tomber à ses côtés, sur le sol glacé.

- Jalouse de quoi ?

D'un signe de tête, il lui désigna Bridget, qui portait le manteau de Sylvain sur ses épaules, et qui était désormais blottie contre lui dans l'espoir de se réchauffer. La jeune femme répondit d'un haussement d'épaules :

- C'est bien qu'il reporte son intérêt sur quelqu'un d'autre que moi.

Le porteur du glyphe ténèbres fronça les sourcils, mais ne releva pas. Un silence paisible régnait dans la salle aux murs de glace, et seuls leurs murmures le brisaient parfois. Ils n'entendaient rien de ce qui se passait à l'étage supérieur. Hercule allait-il vraiment les dissimuler à Zeus.

Fatiguée, Cassy se surprit à somnoler. Sven dut la secouer à plusieurs reprises pour qu'elle ne s'endorme pas, sans quoi elle risquerait de mourir d'hypothermie. La fatigue, cependant, les gagnait tous de minute en minute. Ils avaient grand besoin de repos.

- J'ai faim, gémit-elle, étendue en chien de fusil sur le sol, la tête posée sur les genoux du tueur à gage.
- La prochaine fois, nous penserons à prendre moins de potions, et davantage de nourriture.

Il lui caressa la joue, puis la nuque, mais interrompit ce geste en voyant que cela lui donnait encore davantage sommeil. Après quoi, il se contentait de la pincer dès qu'elle fermait les yeux un peu trop longtemps.

Ils devaient être installé dans ce sous-sol depuis près d'une heure lorsqu'il se produisit enfin quelque chose. Un pan du mur s'écarta soudain, dans une auréole de lumière, à l'exact opposé de la cage d'escalier par laquelle ils étaient arrivés. Apparemment, il s'agissait d'une seconde entrée.

Cette source lumineuse, alors qu'ils étaient plongés dans la pénombre des torches murales, leur fit mal aux yeux. Cassy se redressa sur un coude, la main en visière, pour tenter de distinguer ce qui se passait. Sven, lui, tirait déjà une lame effilée de ses fourreaux.

Les contournes d'une silhouette se découpèrent dans ce carré clair, avant de disparaitre lorsque l'ouverture se referma dans son sillage. A présent qu'ils n'étaient plus aveuglés, ils pouvaient distinguer l'apparence de la personne qui venait de faire son apparition.

De taille moyenne, il s'agissait d'un homme aux cheveux noirs, à la carrure robuste, sans pour autant être trop musclé. Simplement vêtu, il portait un jeans élimé avec un sweater un peu trop grand pour lui, duquel il dégagea les particules de neige accrochées en s'ébrouant.

Il s'approcha d'eux et ils purent alors apercevoir ses traits avec plus de précision. Il avait le teint pâle des gens du nord, des yeux à la couleur grise très froide, qui contrastait avec l'impression de chaleur réconfortante produite par un sourire dont il ne se départait pas.

- Bonjour, vous autres, leur lança-t-il joyeusement d'une voix très douce.

La meneuse de la Confrérie lui jeta un regard surpris. Au début, en voyant son style nonchalant, elle s'était demandée s'il ne s'agissait pas d'un habitant de Frimapic parti à la recherche du temple de Regigigas sur un coup de tête. Toutefois, comme il ne semblait pas surpris le moins du monde par un tel rassemblement, elle en conclut qu'il comptait parmi les humains légendaires.

- Vous devez être affamés, non ? interrogea-t-il, pendant qu'ils lui adressaient tous une mine ébahie.

Il laissa tomber le sac à dos qu'il portait et que la jeune femme n'avait pas remarqué jusqu'à présent sur le sol à la texture cristalline, d'où il tira plusieurs sachets de baies qu'il semblait avoir juste cueillie à la vue du givre qui recouvrait la plupart d'entre elles.

- Elles sont empoisonnées ? demanda aussitôt Chloé alors que l'homme lui jetait une ration dans les mains, qu'elle attrapa in extremis grâce à ses bons réflexes.
- Par les saint Cré's, non ! Pourquoi voudrais-je vous tuer, les enfants ? Et les... moins enfants, rectifia-t-il en étudiant rapidement les plus âgés d'entre eux.

La nageuse remit l'un des fruits à Léa, par simple mesure de précaution. L'adolescente l'examina avec soin, le renifla à maintes reprises, puis souleva un lambeau de chair pulpeuse du bout de l'ongle, avant d'hocher la tête pour leur indiquer qu'ils pouvaient les manger sans risque.

Sven saisit à son tour un sachet en plein vol, qu'il partagea avec Cassy. Cette dernière mordit sans hésiter dans la texture juteuse d'une baie Willia. Elle essuya le nectar qui coulait le long de son menton du revers de la main, avala sa bouchée, puis questionna l'inconnu qui continuait sa distribution :

- Comment vous appelez-vous ?

Alors qu'il remettait la dernière ration à Hitaki, l'intéressé lui lança un regard par-dessus son épaule, d'où il lui adressa un sourire éclatant, visiblement si franc qu'il inspirait la confiance.

- Toi, tu es mademoiselle le dragon, n'est-ce pas ?

La dresseuse s'efforça de garder une expression neutre, même si en son for intérieur, elle éprouvait un soulagement profond. Elle était certaine, à présent, qu'ils se trouvaient en lieu sûr, puisqu'il s'agissait de l'appellation par laquelle Athéna l'avait nommée lors de leur première rencontre.

- C'est exact. Cassy Rilène, et vous ?
- Je suis Crios, lié à Regice. Mon but est de protéger les humains de la Confrérie originelle.
- Vraiment ? coupa aussitôt Marion. Pourquoi ?
- Parce que vous êtes sympathiques. Et même si vous faites des erreurs, cela vous rend encore plus attachant. D'ailleurs, faut-il vraiment une raison pour se donner la peine d'aider les gens ?

Il les observa tous les uns après les autres d'un air affectueux. Il s'attarda cependant plus longuement à hauteur de Yohanna, qui elle-même le fixait avec insistance. Quelque chose sur le visage de la religieuse semblait s'être figé, mais cela fut si court que Cassy ne s'en aperçut que brièvement, si bien qu'elle crut avoir rêvé.

Le légendaire les laissa ensuite se rassasier seuls en indiquant qu'il lui fallait discuter avec Hercule, mais qu'il restait à leur entière disposition s'ils avaient besoin de quoi que ce soit. Dès qu'il eut disparu, la jeune femme engloutit la dernière baie qu'elle tenait à la main et sauta sur ses pieds pour rejoindre la porteuse du glyphe glace.

- Dis-moi... Tu as une réaction étrange tout à l'heure, lui murmura-t-elle à voix basse afin que personne d'autre ne l'entende. Pourquoi ?
- Ce n'est rien. Une erreur, sans doute. Le visage de cet homme me paraissait familier, mais j'ai vécu si longtemps recluse dans mon couvent que je ne vois pas où j'aurais pu le rencontrer. Cela ne devait être que le fruit de mon imagination, ne t'inquiète pas.

Yohanna lui adressa un sourire discret, qui faisait apparaître une ravissante fossette au coin de sa joue, puis essuya ses mains rendues collantes par les fruits avec un mouchoir qu'elle sortit de sa poche.

- Ce sont des alliés d'Athéna, n'est-ce pas ? C'est pour cette raison que tu leur fais confiance.
- Oui, et par défaut, surtout. Il faut regarder la réalité en face : nous n'aurions jamais quitté la forêt vivants.
- Pauvre Léa... Je crois que la mort de Circé la bouleverse plus encore que tout ce que j'aurais pu imaginer. Malgré ce que les autres prétendent, je pense que malgré nous, nous nous sommes attachés aux humains légendaires.

Cassy ne releva pas immédiatement. Elle regarda l'adolescente, encore isolée, qui n'avait pas touché à sa propre nourriture. Elle ne pleurait plus, mais une infinie tristesse se lisait sur ses traits.

- Je connais ce regard... murmura doucement la religieuse dans son dos, en passant ses bras autour de sa taille pour venir poser son menton sur son épaule. Tu as toujours le même, teinté d'un voile de mélancolie, lorsque tu te culpabilises.

La dresseuse tourna la tête vers elle, si bien qu'elles n'était plus qu'à une poignée de centimètres l'une de l'autre. Quand elle s'aperçut de la position ambiguë qu'elles venaient de prendre et de l'attention de Sven posée sur elles, elle se dégagea doucement de l'étreinte de son amie.

- Je ne me culpabilise pas, se contenta-t-elle de répondre.
- Vraiment ? Si, du jour au lendemain, Lilith venait à subir un sort identique à celui de Circé, tu ne t'en voudrais pas ? Pas même un tout petit peu ?

La jeune femme préféra garder le silence. Elle ignorait ce qu'il convenait de dire en un tel moment, surtout quand ses propres sentiments n'étaient pas parfaitement clairs dans sa tête et dans son coeur. Elle se sentait toujours furieuse à l'égard de l'épouse de Giratina mais, effectivement, elle ne voulait pas non plus qu'il lui arrive malheur, or à présent, elle avait la preuve que les humains légendaires n'étaient pas aussi invincibles qu'elles le croyaient, du moins pas ceux de son camp.

- Je...

Une violente secousse ébranla les murs du temple, l'interrompant alors qu'elle entamait à peine sa phrase. Elle glissa à terre, à l'instar de Yohanna, et, par réflexe, ils se rapprochèrent tous les uns des autres. Sylvain sortait déjà son Racaillou de sa pokéball afin de soutenir le plafond s'il venait à s'affaisser sur eux.

- Que se passe-t-il ? cria Tina qui s'efforçait tant bien que mal de ne pas céder à la panique, sa main crispée sur celle d'Angus.
- Un Séisme, je dirais ! hurla le Topdresseur pour se faire entendre par-dessus le bruit des vibrations. Ou n'importe quelle autre attaque lancée par un pokémon suffisamment puissant pour que tout se mette à trembler.

Crios fit alors irruption au bas des escaliers, l'air beaucoup moins serein que précédemment. Ses prunelles d'argent sombre étaient empruntes d'anxiété au moment où il les avertit :

- Regigigas vient de se réveiller. Cela ne peut signifier qu'une chose : Zeus sera là d'ici quelques secondes.